Séraphine
Louis est née à Arsy (Oise), le 3 septembre 1864. Elle est la quatrième enfant
d’un couple très modeste, son père est manouvrier et horloger itinérant, sa
mère fille de ferme. Séraphine perd sa mère à un an et vit avec son père
remarié jusqu’à la mort de celui-ci. Elle n'a que sept ans lorsqu'elle est recueillie
par sa sœur aînée, Argentine Geurts. Le soir, après l’école, elle est bergère.
A treize ans, elle est placée comme bonne près de Paris puis devient femme de chambre dans une autre famille. En 1882, à dix-huit ans, elle entre comme bonne au couvent des sœurs de la Charité de la Providence à Clermont-de-l’Oise. Cela fait une dizaine d’années qu’Henri Rousseau, dit Le Douanier, a commencé à peindre…
Au couvent, Séraphine devient très pieuse mais pas au point d’entrer en religion. En 1905, elle quitte le couvent pour servir dans diverses familles bourgeoises de Senlis.
Mais elle déteste habiter chez les autres. Alors, l'année suivante, à quarante-deux ans, elle peut enfin louer son premier appartement, rue du Puits-Tiphaine. Ce n’est pas très grand mais c’est lumineux et il y a une belle hauteur sous plafond. Et elle est à deux pas de la cathédrale où elle se rend chaque jour pour faire ses dévotions à la sainte Vierge.
Est-ce pour exprimer sa foi immense qu’elle commence à dessiner ? Son tout premier dessin connu a été conservé par une famille chez laquelle elle a travaillé à partir de 1910, une gouache réhaussée d’or qui était fixée sur une image pieuse et encadrée de bleu.
On
ne sait pas si elle a peint d’après nature mais on reconnaît des boutons d’or,
des myosotis, une fleur de gerbera et peut-être une branche de jacinthe. Déjà,
elle occupe tout l’espace de la feuille. S’est-elle entraînée longtemps avant
d’avoir l’idée d’acheter du Ripolin en pot ?
L’idée n’est pas si mauvaise, Picasso s'en servira aussi pour obtenir une finition brillante, sans trace de coup de pinceau ; par exemple, pour peindre le Fauteuil rouge où seuls les blancs sont peints à l’huile.
Séraphine,
elle, achète son Ripolin blanc et y délaie des fleurs, des fruits, des
racines et de la terre, trouvés dans la campagne, après les avoir écrasés. Elle en
teinte ses fonds, sur tous les supports qu’elle peut trouver, puis y peint des fruits, formes
simples, colorées, rutilantes même !
« Les
couleurs s’embrasent : jaune audacieux du fond, orange des fruits, ocre et
grenat du feuillage qu’atténuent à peine les verts pâles ou profonds des
feuilles lancéolées. Les nervures sont dessinées à la hâte ; le profil découpé
des feuilles est esquissé à coups de pinceaux fiévreux. Fruits et feuillages
sont emportés dans le même mouvement, absolument inconciliable avec la
conception traditionnelle des "natures mortes". » (Extrait de la
notice du musée).
Et Séraphine utilise tout ce qui lui tombe sous la main…
C’est
vers 1912 qu’elle fait la connaissance de l'homme qui va bouleverser sa vie. Il
s’appelle Wilhelm Uhde et se présente comme « marchand
d’art allemand ». Il a raconté leur rencontre dans un texte qui paraît dans une revue d'art, en 1931,
entre un article sur Braque et un autre sur le maniérisme :
« Aux environs de 1912, je louai à Senlis, pour quinze francs par mois, un logement composé de deux pièces et d'un vestibule. J'avais acheté de vieux meubles sans prétention et pendu aux murs de vieilles peintures anonymes. C'était le repos après les luttes homériques qu'il fallait soutenir pour la peinture moderne dans le Paris d'alors. Tous les matins, une vieille femme, qu'on m'avait recommandée, venait, pour une heure, faire le ménage de mon petit logis. Je ne savais rien d'elle, si ce n'était son nom : Séraphine Louis, et je ne faisais guère attention à elle. Son arrivée était pour moi une invite à commencer ma promenade matinale.
Un jour, chez de petites gens de Senlis, j'aperçus une nature morte ; elle me produisit une impression si extraordinaire, que je m'arrêtai muet de saisissement. A la considérer davantage, je me rendis compte que cet effet n'était point dû à des causes extérieures, mais uniquement à une valeur artistique telle que la toile résistait à un examen minutieux. La nature morte représentait des pommes, posées sur une table, sans plus. Mais c'étaient de vraies pommes, modelées dans une belle pâte consistante. Cézanne eût été heureux de les voir. "Qui a peint cette toile ?" demandai-je. "Séraphine", me répondit-on. "Quelle Séraphine ?" — "Mais, votre femme de ménage. Elle pensait nous vendre le tableau, mais si vous le voulez, nous vous le céderons volontiers. C'est huit francs."
Quand Séraphine arriva chez moi le lendemain matin, elle vit, sur une chaise, la nature morte. Elle se mit à rire. "Monsieur a acheté ma toile ? Elle plaît donc à Monsieur ?" — "Beaucoup, en avez-vous d'autres ?" Elle m'en apporta une demi-douzaine, qui toutes, me firent autant d'impression que la première. Une rare passion, une ferveur sacrée, une ardeur médiévale avaient pris corps dans ces natures mortes. Je montrai quelques-unes de ces toiles aux plus compétents d'entre mes amis : ils furent aussi émus que moi. » (Wilhelm Uhde, « Séraphine ou la peinture révélée », Formes, revue internationale des arts plastiques, 1 janvier 1931, p.115)
Mais
qui était donc ce marchand d’art surprenant ?
Il
était venu s’installer à Paris au tournant du siècle et a rapidement découvert
Braque et Picasso dont il a acheté des œuvres. Il est aussi l’un des premiers à
avoir défendu l’art du Douanier Rousseau qu’il a exposé en 1908 et il a déjà
repéré plusieurs peintres naïfs, comme Louis Vivin et Camille Bombois. C’est
aussi l’année où il épouse une certaine Sonia Terk qui deviendra Delaunay (mais
c’est une autre histoire !).
Son
credo est de libérer la peinture qu’il trouve « entravée », en investissant
sur des artistes qui privilégient la simplification des formes. Quand on dit
« investir », il faut tout de même se référer à ce que représente la
somme de huit francs à l’époque. Il ressort d’une étude du ministère du Travail
de 1911 qu’un brasseur gagnait cinq francs par jour, un tailleur sept francs cinquante
par jour, une employée de maison sans doute moins.
Huit francs pour Séraphine, c’est donc une somme intéressante. Pour Uhde, ce n’est pas grand-chose : sur la base de la même étude, on a évalué qu’il devait dépenser, dans sa vie quotidienne, entre 200 à 500 francs par mois. En 1910, il a acheté le Portrait de madame M. du Douanier Rousseau (musée d’Orsay), à 200 francs. (Source : Yves Guignard, « Deux moments économiques dans la vie de Wilhelm Uhde », consultable en ligne)
La première visite de Uhde est de courte durée car, en 1914, il doit rentrer en Allemagne. Ses biens sont confisqués comme « biens ennemis » et ses tableaux, y compris ceux de Séraphine, sont vendus au début des années 20 pour des sommes dérisoires.
Séraphine
retourne à son anonymat et continue à peindre. On imagine qu’elle s’enhardit,
aborde des compositions plus réfléchies, plus complexes…
…
conçoit ses premiers bouquets encore un peu hésitants…
Mais,
en fait, on n’en sait rien du tout.
On retrouve Uhde à Chantilly, où il s’est installé après la guerre, au début des années vingt. « C'est là que je lus un jour qu'une Exposition de peinture régionale s'ouvrait à l'hôtel de Ville de Senlis. Le souvenir de Séraphine me traversa l'esprit. Une heure après, frémissant d'impatience, je débarquai dans la vieille ville que je n'avais pas revue depuis treize ans. […] Puis je gravis l’escalier de pierre monumental de l’hôtel de ville, je pénétrai dans la salle, dont les murs étaient couverts de tableaux, d’aquarelles, de dessins - de l’art provincial ordinaire. Et comme mon regard quêtait rapidement de l’un à l’autre, il découvrit soudain, dans un coin, trois grandes toiles d’une puissance saisissante : un bouquet de lilas dans un vase noir, un cerisier, deux ceps de vigne chargés, l’un de raisins noirs, l’autre de raisins blancs. » (Formes, revue internationale des arts plastiques, ibid.)
« Ce n'était point là ce qu’il est convenu d'appeler des toiles "bien peintes". Le talent naturel, l'intelligence et le goût, sans doute, avaient aidé à l'élaboration de l'œuvre ; ils n'en étaient point la source. Mais un cœur simple et fort, par un acte créateur, avait donné une existence corporelle à l'amour, à la passion ardente qui l'avait envahi tout entier. Ces matérialisations d'un état d'âme m'émouvaient plus profondément que les meilleurs tableaux "d'artistes-peintres". Leur frénésie était plus grandiose que l'aimable folie des "fauves", dont l'art, il y a vingt ans, horrifiait le bourgeois et qui aujourd'hui tiennent le haut du pavé. » (Formes, revue internationale des arts plastiques, ibid.)
« A
dater de ce jour, Séraphine n’en est plus réduite à mélanger ses couleurs avec
l’essence empruntée à la petite lampe de la Sainte Vierge ; elle est munie de
tout ce qu’il faut pour peindre. Principalement de ces grandes toiles qu’elle
réclame : des toiles de deux mètres de haut et malaisées à manier. Un camion
qui fait le service de Paris à Senlis lui apporte tout cela. Elle sait
exactement ce qu’elle veut et il est des objets auxquels elle ne touche point.
Elle n’utilise aucune des multiples couleurs que je lui envoie. Elle se procure
les siennes elle-même et y mêle de la laque. Le mystère de cette composition
reste un secret qu’elle ne confie à personne. Comme elle n’aime pas être
surprise à peindre, l’accès de son logement est rendu difficile par un système compliqué
de serrures et de chaînes de sûreté, et, dès le bas de l’escalier, on trouve
une pancarte ainsi libellée : "Mlle Séraphine ne reçoit pas." » (Même
texte d'Uhde, légèrement remanié, paru dans Les Nouvelles Littéraires du 8
décembre 1949, p.5.)
Grâce
aux grandes toiles d’Uhde, la production de Séraphine prend rapidement de
l’ampleur. Elle continue à occuper toute la surface de la toile mais
commence à prendre quelques libertés avec l’exactitude botanique.
Dès
lors, Séraphine bénéficie de meilleures conditions d’existence. Selon Uhde,
elle vit dans un trois pièces dont l’une lui sert d’atelier. Et comme il lui
achète toutes ses œuvres et lui procure tout le matériel dont elle a besoin,
elle peut cesser de travailler chez les autres.
Son
art, enfin reconnu, prend alors toute sa puissance. Ce n’est probablement pas
elle qui choisit le titre de ses tableaux. Uhde et sa sœur Anne-Marie - devenue
proche de Séraphine à la fin des années 20 - s’en chargent.
En 1928, Uhde organise, à la galerie parisienne des Quatre Chemins, l’exposition « Les Peintres du Cœur Sacré » où les œuvres de Séraphine sont exposées avec celles du Douanier Rousseau et de Louis Vivin. On peut dire en effet que, sacré ou pas, c’est un art de ferveur et c’est ainsi que Uhde le voit : « Il n'est pas douteux que l'estime qui va aujourd'hui à un art naguère si décrié exerce une influence sur Séraphine et sur son activité. "La joie ennoblit les sens". L'ascétisme du cloître devient la sensualité sublimisée du culte catholique. Et comme le soleil s'empourpre en traversant les roses des verrières, ainsi s'éveillent sur de grands tableaux des couleurs rutilantes qui se fondent en un chœur harmonieux. » (Ibid.)
Vitraux ? Il est bien possible, en effet, que Séraphine ait longuement
contemplé ceux de la cathédrale de Senlis, notamment celui qui est dédié
à Marie, « Reine de la Paix ».
Pour
autant, elle les a réinterprétés dans un langage qui lui appartient en propre (et
existe-t-il un art absolument spontané ?)
Elle peint des toiles de plus en plus grandes, probablement en les posant sur le sol.
Et
non seulement ses œuvres s’affirment, au cours du temps, avec de plus en plus
de véhémence mais elles paraissent même habitées par un mouvement qui leur est
propre.
Une
impression vaguement inquiétante que je ne suis visiblement pas la seule à avoir
ressentie : « Le fait qu'ils procèdent d'un monde auquel nous n'avons
point accès, confère aux tableaux de Séraphine leur puissance mystérieuse, leur
effet médiéval. Le bleu des vitraux où se détache un arbre tel qu'il n'en a
jamais existé et qu'il n'en existera jamais, arbre que nous voyons, non pas
croître, mais vivre comme vivrait un être humain, ce bleu est jailli du
tréfonds de l'inconscient. Il est difficile de vivre à l'ombre de pareils
tableaux ; même en dormant, l'on est oppressé par leur présence. » (Formes,
revue internationale des arts plastiques, ibid., p.117)
Les
critiques d’art commencent à s’intéresser à Séraphine, ainsi Charensol,
relatant une exposition à la galerie Bernheim, où l’on peut voir les œuvres de
Bombois et Vivin à côté de celles de Séraphine : « Dirais-je,
pourtant, que ces charmants petits maîtres souffrent un peu du voisinage des
œuvres flamboyantes de Séraphine Louis,
celle que l’on nomme Séraphine de Senlis. Sans être aussi complexe que celui
d’Utrillo, le cas de cette femme de ménage adonnée sur ses vieux jours à la
peinture la plus exaltée ne laisse pas de déconcerter. C’est qu’il ne saurait
s’agir, dans la plus grande de ces deux compositions surtout, d’un heureux
hasard ; par la forme, la couleur, l’organisation du tableau, l’âme la plus
hautement lyrique de la peinture contemporaine s’exprime. » (« La
quinzaine artistique », L’Art vivant, 1er janvier 1930,
p.383)
Mais
à cette date, Uhde a déjà commencé à se retirer de la partie. Séraphine, enivrée
par son succès, dépense sans compter et Uhde a été contraint de la chapitrer.
Mais surtout, avec la crise de 1929, le marché de l’art devient difficile, les œuvres
ne se vendent plus.
Cette réalité brutale, que Séraphine ressent comme une injustice, contribue sans doute à faire vaciller la raison de la vieille dame fatiguée qu’elle est devenue. Incapable d’accepter cette seconde défection de son protecteur, elle commence à délirer et cesse de peindre, parcourant les rues pour annoncer la fin du monde et la punition prochaine de ceux qui lui veulent du mal.
En janvier 1932, une crise violente conduit à son internement, d’abord à l’hôpital de Senlis puis à l’asile psychiatrique de Clermont-de-l’Oise. Là, Séraphine ne demande plus jamais de quoi peindre mais écrit, principalement des libelles accusatoires, avec une passion comparable à celle qu’elle avait mise dans sa peinture.
Pendant
son enfermement, pourtant, on continue à voir et apprécier sa peinture. C’est à
cette époque qu’on trouve le plus grand nombre d’articles à son sujet.
Il y a d’abord l’exposition intitulée « Les maîtres populaires de la réalité », organisée à Paris par le musée de Grenoble, dirigé par André Farcy, un conservateur passionné par l’art moderne et inaugurée par le ministre de l’Education nationale.
« On a parfois parlé avec mépris des "peintres du Dimanche". Peintres du Dimanche, chauffeurs du Dimanche, ceux qui peignent et ne conduisent qu'une fois la semaine ; bref, les amateurs maladroits. Eh bien, aujourd'hui, les peintres du Dimanche ont leurs maîtres, tout comme les "pompiers", tout comme les "fauves". Il faut visiter avec soin l'exposition de la rue Royale qui leur est consacrée pour en goûter à la fois toute l'importance et toute la saveur. Inutile de revenir sur le cas du douanier Rousseau. Personne ne discute plus son talent. Beauchant, peintre de fleurs, a également auprès des connaisseurs une réputation aussi établie que justifiée. Mais Vivin, Bombois, Peyronnet, Rimbert, Séraphine Louis, Jean Eve… J'avoue, à ma honte, avoir vu leurs œuvres pour la première fois.
Et quelles œuvres ! Des œuvres non frelatées, des œuvres saines, fraîches, directes, sensibles, émouvantes… Comme ces artistes aiment la peinture, comme ils détestent la trop grande habileté, le truquage, comme ils ne se dérobent jamais devant la difficulté… Des artistes, de vrais artistes doublés de remarquables artisans. Leur vie est à l'image de leur art. » (André Boll, « Les maîtres populaires de la réalité », Notre Temps, 13 juin 1937, p.304)
Le Populaire
du 3 août 1937 évoque « les somptueuses toiles mystiques de Séraphine Louis, cette sainte Thérèse de la
peinture. »
L’exposition partira ensuite à Zurich puis à New York. « L'élite artistique de la grande cité suisse a réservé un accueil particulièrement chaleureux à cet ensemble qui comprend des noms tels que le douanier Rousseau, Louis Vivin, Séraphine Louis, le peintre des fleurs fantastiques, Peyronnet, Bauchant, Maurice Utrillo, Bombois, etc. L'exposition a été précédée d'une conférence de M. André Farcy, conservateur du Musée de Grenoble… » (Anonyme, « Une exposition de peintres français à Zurich », Ouest-Eclair, 22 décembre 1937, p.2)
Pendant
ce temps, Séraphine continue à écrire, des lettres « grossières et
injurieuses, calomnieuses, voire blasphématoires », selon ses médecins.
Même l’écriture ne parvient pas à l’apaiser. Quand vient la guerre, les malades
sont de plus en plus livrés à eux-mêmes et beaucoup d’entre eux meurent de faim.
« L’hôpital de Clermont n’échappe pas au traitement infligé alors aux malades mentaux, évalués par le régime nazi, comme "des dégénérés, des déchets sociaux qui contribuent à la dégénérescence de la race et deviennent une lourde charge pour la collectivité". À Clermont, il y aura trois mille soixante-trois morts affamés, abandonnés à leur sort. » (Laetitia Jodeau-Belle et Jean-Claude Maleval, « Le sacrifice fait à Dieu de Séraphine de Senlis », L’évolution psychiatrique 76 (2011), p.629)
Séraphine meurt, seule, assommée de morphine le 11 décembre 1942. Sans famille, elle sera jetée dans la fosse commune, comme d’autres anonymes de l’hôpital.
*
Après
la guerre, les articles se succèdent, comme les expositions, avec des
commentaires parfois un peu surprenants… « Voici, enfin, à la galerie de
France, rue du Faubourg-Saint-Honoré, l’exposition Séraphine Louis, la Bernadette Soubirous de la
peinture. Modeste femme de ménage de Wilhelm Udhé [sic], à Senlis, elle a fignolé, avant
sa mort à l’asile, en 1934, d’extraordinaires tableaux : des fleurs où sont
agglomérés des fruits et des coquillages. Dans la galerie des humbles elle
trouvera place auprès du douanier Rousseau, dont elle partagera peut-être le
succès, encore que ses prix soient plus modestes. » (Claude Bellinet,
« Rythmes de Paris », Images de France, 1er janvier 1944,
p.48)
« Séraphine Louis, dite Séraphine de
Senlis, passa son enfance à garder les enfants et le bétail, et le reste de sa vie à faire des travaux de ménage chez des particulières. Sans avoir été folle
d'une manière caractérisée, elle ne paraît pas avoir joui de facultés très lucides. Elle mourut en 1934 [sic], à soixante-dix
ans, après avoir, semble-t-il consacré le meilleur d'elle-même à une sorte de
piété mystique et à la peinture. Ses œuvres, où la figure humaine n'a aucun
accès, se composent d'étranges bouquets où foisonnent des fleurs d'apparence
plus symbolique qu'authentiquement végétale. On est fort tenté d'y reconnaître
les figurations, à peine transposées, d'obsessions sexuelles. Quant à la
couleur, elle est nettement décorative comme, d'ailleurs, la composition. Rien
d'étriqué. Le faire est large et, malgré son souci évident du détail, les
ensembles ont de l'ampleur et du souffle. » (Anonyme, « A travers les
Galeries », Les Lettres françaises, 20 octobre 1945, p.4)
« Séraphine
Louis, elle, a tout bouleversé. Elle a redécouvert le monde : couleur, valeur,
volume, perspective. Sans avoir jamais dessiné, ses toiles sont un miracle de
composition et d'équilibre. Ses bouquets ésotériques s'arrêtent en un accord
parfait au bord de la toile. Bouquets ? Personne ne s'y trompe. Il ne s'agit pas
de fleurs, dans ses tableaux, pas plus qu'il ne s'agit de petits points noirs
dans une symphonie. Des fonds hallucinés, des morceaux d’architecture, un
drapeau américain où les étoiles sont remplacées par de pâles violettes,
témoignent que Séraphine a enveloppé le cosmos dans ses chrysanthèmes-rêve et
ses raisins-divinité. La délicatesse des orientaux rejoint, sur sa toile, la
précision ironique des surréalistes. » (Anne Manson, « Des carreaux
de cuisine aux bouquets séraphiques », Concorde, 22 novembre 1945,
p.5)
« Les tableaux de Séraphine Louis exposés à la Galerie Bucher nous incitent à des comparaisons pleines d'actualité. Séraphine Louis, dite Séraphine de Senlis, fut d'abord gardeuse de bétail, puis femme de ménage, dur métier qu'elle exerça toute sa vie, à Senlis, puis à l'asile de Clermont dans l'Oise, où elle mourut en 1934 [sic]. Or, et voici ce qui fait de Séraphine le cas le plus extraordinaire peut-être de l'histoire de la peinture, cette "primitive" sans culture d'aucune sorte a peint de grands panneaux de feuillages, de fleurs, de fruits, qui "tiennent le coup" à côté de n'importe quelle autre peinture, la plus aboutie et la plus savante ; on l'a bien vu l'année dernière aux "Cent chefs-d'œuvre de l'Ecole de Paris", où ils menaient le jeu - rencontre bien instructive - de pair avec les Douanier Rousseau.
C'est
que, dira-t-on, Séraphine était de naissance et sans le savoir un très grand
peintre, avec toute la science et le don que cela suppose. Bien sûr. Mais on n'est
guère plus avancé. D'autant que le fabuleux décor oriental qui palpite sur ses
toiles entretient avec l'art persan des rapport insolites et parfaitement inexplicables,
sauf peut-être par les voies de la mémoire héréditaire. D'autre part, ces
compositions, toujours animées d'un mouvement tourbillonnaire, semblent par là témoigner d'un mystérieux sens cosmique
; et alors, impossible de ne pas songer à Van Gogh. » (Charles Estienne,
« Qu’est-ce qu’un peintre naïf ? », Combat, 5 février 1947,
p.2)
En
1948, le musée d’Art Moderne de Paris montre « Les Peintres du dimanche »
avec « Séraphine Louis, la visionnaire de la peinture, ancienne bergère et
humble bonne, qui peignit comme elle eût prié. » (Guy Dornand, Le
Franc-Tireur, 6 juillet 1948, n.p.).
La même année, elle s’installe avec deux œuvres dans le même musée d’Art Moderne, grâce à la création d’une salle dédiée à Wilhelm Uhde, mort l’année précédente. Son livre posthume, Cinq maîtres primitifs (Paris, Librairie Palmes, Philippe Daudy éditeur) sera publié en 1949.
Et
puis…
C’est au musée Maillol que réapparaît « Séraphine de Senlis », le 1er octobre 2008, le jour de la sortie nationale du film Séraphine, incarnée par Yolande Moreau.
Dix ans plus tard, avec « De Picasso à Séraphine, Wilhelm Uhde et les primitifs modernes », c’est encore à propos de son découvreur qu’elle vient sur les cimaises du musée de Villeneuve-d'Ascq.
En 2021, paraît un catalogue raisonné de l’œuvre. Il comporte une monographie et 114 notices, soit le tiers environ de l’évaluation du nombres d’œuvres de Séraphine. (Pierre Guénégan, Séraphine, Catalogue raisonné de l’œuvre peint, Lanwell & leeds Ltd, 2021, 390 p.)
Enfin,
cette année, le Jiushi Art Museum de Shanghai présente jusqu’au 12
novembre 2023, « The
Wonderful World of The Naïf Painters ». On peut y voir les œuvres de
Louis Vivin, Jean Eve, Douanier Rousseau, Camille Bambois, René Rimbert et de Séraphine, seule femme de l’exposition.
*
N.B : Pour voir
d’autres notices de ce blog, si elles n’apparaissent pas sur la droite, vous
pouvez cliquer sur « Afficher la version Web » en bas de cette page.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire