Marie-Thérèse
de Noireterre est née le 25 mars 1760. Elle était la fille de Etienne-Charles
de Noireterre, brigadier des fermes du roi et Marie-Anne Maréchal, fille du
musicien de cour Pierre Maréchal-Paisible. Elle avait un frère aîné, Valentin, et un
cadet, Eugène.
La famille vivait au 25 rue Mazarine, à Paris (6e), non loin de la rue Guénégaud où logeait sa tante du côté paternel qui était la femme du pastelliste Claude Bornet.
Selon une étude parue alors que les descendants directs de Marie-Thérèse étaient encore vivants, c’est de lui que Marie-Thérèse aurait reçu sa première formation - probablement l'apprentissage de la technique du pastel - après avoir fait preuve très jeune d’aptitudes artistiques. (Léon Finet, « Une miniaturiste oubliée, Marie-Thérèse de Noireterre », Revue de l’art ancien et moderne, avril 1932, p.171-180)
Elle
a à peine dix-sept ans lorsque le tragédien Henri-Louis Caïn, dit Lekain, alors
au faîte de sa gloire, lui commande son portrait.
Finet
remarque « les reflets de lumière qui jouent dans les plis de velours bleu
de la veste et les détails minutieux de cette toilette élégante et sobre » et
souligne l’expression de la physionomie où l’on « sent, sous la passivité
moqueuse des traits, l’extrême satisfaction de soi de l’homme arrivé. »
Grâce à la notoriété du modèle, Marie-Thérèse a gagné une partie de la sienne, à une époque où la miniature est particulièrement prisée, surtout si elle est ressemblante au modèle. Selon Finet, les commandes affluent dans l’atelier de son père où elle est installée. Elle a probablement exécuté à cette époque ce Portrait de jeune homme dont on ignore l’identité.
Elle a dû rejoindre ensuite l’atelier d’Adélaïde Labille-Guiard, dont on sait qu’elle a été l’élève, probablement vers l’année 1783. Cette année-là, l'Exposition de la Jeunesse a été fort commentée car, selon l’auteur des Mémoires secrets, « par une singularité rare, il y avait des morceaux de neuf élèves du sexe, de madame Guyard, toutes très-jolies & annonçant du talent ; ce qui n'a pas peu contribué à attirer la foule. » (Mémoires secrets, Tome 23, 25 juin 1783, p.23) ; mais le nom de Marie-Thérèse n'est pas cité par les chroniqueurs.
Marie-Thérèse, qui n’était pas
académicienne, ne pouvait pas exposer au Salon du Louvre. C’est donc très logiquement
qu’on retrouve sa trace dans brochure du sieur Pahin de La Blancherie
(1752-1811) qui se parait du titre « d’agent général de la correspondance
pour les sciences et les arts ».
Il avait créé en 1776 un cercle proposant des conférences littéraires et scientifiques, des lectures publiques, et des expositions hebdomadaires d’artistes morts ou encore débutants, en quête de notoriété. Il rendait compte de ses travaux dans une brochure hebdomadaire, intitulée Nouvelles de la République des Lettres et des Arts, comportant une rubrique intitulée « Salon de la Correspondance » où figuraient des commentaires sur les œuvres exposées et des appréciations sur les artistes. Ce salon a fonctionné de 1781 à 1788, rue de Tournon puis rue Saint-André-des-Arts à Paris.
Selon le Dictionnaire général des artistes de l’école française (Emile Bellier de la Chavignerie, paru en 1885), Marie-Thérèse y aurait exposé pour la première fois en 1785, un Portrait de M. Reiser, peintre de paysage. Je n’en ai pas trouvé trace mais, selon Finet, « c’était une œuvre consciencieuse, qui méritait une mention très honorable. »
Toujours selon le même dictionnaire, elle aurait présenté l’année suivante, un Portrait de M. L’abbé Réchez, dont on ne sait rien, à part qu’il était professeur de musique pour le chant et la guitare et que la localisation de son portrait était encore connue en 1932.
Un portrait qui pourrait
bien être celui qui a été vendu chez Christie’s, dans une série de cinq, en
1998 …
C’est
à cette époque que, selon Finet, Marie-Thérèse aurait fréquenté Versailles – ou
plus précisément le Trianon de la reine - accompagnant sa belle-sœur qui
enseignait la musique, Marie-Josephe Cordebar, épouse
de son frère Valentin.
Une
seconde mention relative à Marie-Thérèse est datée de juin 1786 : « Deux
Portraits ; l'un de M. Lecauchoix, Avocat au
Parlement de Rouen, l’autre de la fille Salmon, peints en Miniature par Melle
Noireterre, Peintre. Ces Portraits ont fait la plus vive sensation, tant par
l'exactitude de la ressemblance, que par l'intérêt qu'inspirent les personnes
qu'ils représentent. On s'est empressé de considérer les traits du Défenseur
généreux & éloquent de l’innocence, trop souvent abandonnée dans les
conditions inférieures. Mais un sentiment plus vif encore a fixé les yeux des
Spectateurs sur le Portrait de l'infortunée, que le malheur seul pouvoit tirer
de l’obscurité & qui jouit à présent d'une célébrité qu'elle a trop
achetée. » (Salon de la Correspondance pour les sciences et les arts du 16
juin 1786, p.288)
Mais qui pouvait bien être cette « fille Salmon » ? Figurez-vous que le mémoire de Pierre-Noël Le Cauchoix est en ligne ! (Mémoire justificatif au Parlement de Paris, 1786, source Ville de Lyon, Bibliothèque du Palais des Arts, Google Livre.)
Je
vous résume l’affaire :
Marie-Françoise-Victoire Salmon, née en 1760, avait été placée comme lingère et domestique chez un avocat à Bay, en Normandie. En 1780, le prêtre de la paroisse tenta de la violer. Bien que condamné, il fut rapidement libéré ce qui conduisit la jeune femme à quitter brusquement son emploi et à déménager à Caen pour se faire engager comme servante dans la maison Huet, début août 1781. Une semaine plus tard, le père de Mme Huet, âgé de 88 ans, meurt subitement et l’on suspecte un empoisonnement à l’arsenic. Marie est incarcérée au motif qu’elle a pu préparer la soupe fatale. Las ! c’est l’avocat qu’elle avait quitté précipitamment deux semaines plus tôt qui se voit confier l’enquête, qu’il bâcle volontairement.
Lors du procès qui a lieu le 17 mai 1782 devant le Parlement de Rouen, Marie est condamnée à être brûlée vive. Après s’être évanouie lors de l’administration de la « question » (c’est-à-dire la torture pour la faire avouer), Marie annonce qu’elle est innocente et… enceinte. On sursoit donc, le temps que les sages-femmes se prononcent. Mais grâce au brave curé Godé qui entend Marie en confession, elle est finalement prise en charge par l’avocat Le Cauchoix, lequel, peu convaincu par le déroulement du procès, en touche un mot au Garde des Sceaux qui ordonne au Procureur général de suspendre la sentence.
Son procès en appel est décidé le 22 février 1783. Le mémoire en défense n’est déposé que le 3 décembre 1784, Le Cauchoix ayant commencé par rétablir le déroulement précis des faits qu’il accompagne d’une argumentation juridique solide. En outre, assisté d’un autre avocat nommé Fournel, il produit une plaidoirie principalement destinée à convaincre le public de l’innocence de Marie Salmon.
Les plaidoyers des avocats sont imprimés et vendus dans les rues de Paris. Quelques semaines plus tard, Marie Salmon bénéficie d’une ordonnance de non-lieu de la plus haute instance judiciaire de l'Ancien Régime, le Parlement de Paris, et sort libre du Palais de Justice sous les acclamations d’une foule immense, le 13 mai 1786.
Elle méritait bien, en effet, qu’on écrive qu’elle avait cher payé (5 ans !) sa soudaine célébrité !
Un
mois plus tard, donc, notre Marie-Thérèse exposait les deux portraits
miniatures des célébrités de l’affaire au salon de la Correspondance. Elle n’a
pas été la seule artiste à représenter la jeune femme : j’en ai trouvé
plusieurs gravures mais aucune d’entre elles n’évoque le style de Marie-Thérèse
qui l’a probablement peinte en buste. Curieusement, Finet précise :
« l’intelligence qui éclaire le visage assez fin de cette fille de
campagne nous surprend. Elle est coquettement vêtue d’un châle rouge et d’un
bonnet blanc. » (On sent qu’il est à deux doigts de la trouver trop
intelligente et jolie pour être tout à fait honnête… !)
Et
l’illustre Le Cauchoix ? Eh bien, le voici …
… accompagné d’un quatrain lyrique :
A l’aspect de ces traits, où vit la
bienfaisance
Où règne le courage avec l’humanité ;
Rassure-toi, faible innocence ;
Contente-toi, Justice ! et tremble
iniquité.
En dépit de cette adresse édifiante, Finet estime que le portrait « révèle toute la malice alliée à toute la chicanerie normande. » (on est bien peu de chose, décidément…)
En 1787, Marie-Thérèse revient au salon avec deux œuvres : un Autoportrait et un Portrait de Mme Gaucher. « Le premier de ces morceaux a servi depuis peu à l’Auteur, pour sa réception à la Société des Arts de Londres. Le public ne lui a pas rendu moins de justice que les Artistes Anglois. On a vu, avec beaucoup d’intérêt, les traits de cette jeune artiste, conservés par une ressemblance parfaite ; & cet ouvrage offre à la fois un ton de couleur vigoureux, un dessin correct & un effet piquant. On s’est rappelé les succès qu’elle a eus cet été au Salon, par le portrait de la fille Salmon & celui de son respectable défenseur. » (Salon de la Correspondance pour les sciences et les arts, 25 janvier 1787, p.59)
L’autoportrait,
publié en 1932, se trouve aujourd’hui au musée Acorsi-Ometto. Marie-Thérèse se
représente dans une charmante tenue dite « à l’anglaise », sa taille
fine soulignée d'une ceinture bleue.
La
Société des Arts de Londres, à laquelle Marie-Thérèse est admise, est une
institution, fondée en 1754, qui deviendra la Royal Society of Arts en 1847. Elle
aurait déposé sa candidature à l’instigation du graveur Charles-Etienne Gaucher et aurait été admise à
l’unanimité.
Je n’ai pas trouvé le portrait de Mme Gaucher dont Pahin de la Blancherie nous dit ensuite qu’il « est caractérisé par une touche moelleuse & suave & un coloris frais. Il a d’ailleurs de la grâce & il est très ressemblant. » (Salon de la Correspondance, ibid.)
En
guise d’illustration, je place ici celui d’une dame inconnue, dont le costume et la
coiffure évoquent la période.
Cette Mme Gaucher était la femme du graveur de renom, Charles Etienne Gaucher, que l'on vient d'évoquer. Il a très souvent gravé des portraits d’après Marie-Thérèse, laquelle l’a également portraituré, visiblement la même année.
Il
reste de ce portrait une gravure, signée d'un de ses élèves mais exécutée par Gaucher lui-même, selon ses biographes.
Ce ne sont pas les seuls portraits connus de Marie-Thérèse à cette période. On
citera ce romancier qui était aussi professeur de musique et rédacteur des
« Petites Affiches », ce qui démontre que Marie-Thérèse avait accès à
une clientèle assez diversifiée. Ce portrait a aussi figuré au salon de la
Correspondance avec ce commentaire de Pahin : « Mlle de Noireterre
sait, selon les sujets, employer la force ou la grâce, ou les réunir. A ce
mérite, elle joint celui d’une bonne couleur & de la correction du dessin.
Ses Portraits sont d’ailleurs très-ressemblants. » (31 mai 1787 p.260)
On
ne sait rien, en revanche, de l’autre miniature du Louvre, sauf le fait que le
jeune homme qu’elle représente porte une cravate blanche cachant entièrement le
cou, caractéristique des années 1790. On l’imagine ressemblant, tant sa
physionomie est caractérisée.
Il
existe toute une série de portraits d’hommes, tous signés, de la même époque.
Là encore, des visages bien caractérisés et des attitudes plus ou moins à
l’aise, détendues, assurées.
En
1887, Marie-Thérèse revient au salon avec un Portrait du brave Lucot qui
inspire à Pahin le commentaire suivant : « Mlle de Noireterre est
connue par le mérite de ses productions. On a pu juger ce portrait d’après
nature et il a été trouvé aussi ressemblant que bien fait. » (Salon de la
Correspondance du 28 mars 1787, p.167)
Il
« plaît davantage » à Finet que la fille Salmon :
« sympathique à force d’ingénuité, il est le type accompli du soldat des
armées du Roi, courageux émule, naïve réplique d’un La Tour d’Auvergne. Il a
parfaitement conscience de l’admiration que sa belle conduite à bord de la
frégate l’Amazone, commandée par La Pérouse, a inspirée. Il porte l’uniforme
blanc à revers rouges de la Marine royale, la poitrine barrée d’un
baudrier. »
La frégate en question, construite et mise à flot à Saint-Malo en 1778, a participé vaillamment à la guerre d’indépendance américaine. Mais aujourd’hui, personne ne paraît se souvenir des circonstances de la bravoure de Lucot…
La même année, Marie-Thérèse exécute les portraits de son père et de ses frères dont, selon Finet, « l’air de famille est frappant. » Tous ces portraits familiaux appartenaient en 1932 à la « collection Jumel », ce qui doit faire référence à la nièce de Marie-Thérèse, Thérèse-Joséphine de Noireterre qui avait épousé un Antoine Jumel en 1824.
Bien peu de femmes ? Elles viennent ensuite et leurs portraits n’ont pas été présentés au salon. Finet cite le portrait de Louise Contat « aussi célèbre par ses succès dans les rôles de Célimène, d’Elmire de Tartuffe et de Suzanne des Noces de Figaro, que par sa liaison avec le duc d’Enghien. Elle est représentée de face, la tête surmontée d’une volumineuse coiffure, comme on en portait en 1788, aux boucles pendantes sur les épaules. La blancheur du teint contraste avec le fond, très sombre, et avec la grisaille des cheveux. L’ensemble est du plus heureux effet. »
Finet montre aussi un « beau portrait de Mme de Vougy
avec son fils » sans en dire davantage :
Il évoque enfin le portrait bien connu de la poétesse Fortunée Briquet (1772-1815), probablement peinte dans les années 1810 et dont il reste une gravure par Charles-Étienne Gaucher.
J’ajoute
les portraits de deux autres dames
inconnues dont les tenues évoquent le Premier Empire.
En fin d'article, Finet indique sobrement que « En 1806, Mlle de Noireterre fut
chargée d’illustrer "Les Aigles" et de peindre les uniformes des Armées
Impériales. »
Marie-Thérèse a fait un peu plus que « peindre les uniformes » si l’on se fonde sur les très nombreux portraits de généraux, maréchaux, ducs et princes d’Empire dont les reproductions gravées se trouvent à Versailles, à la Malmaison, au British Museum et même dans des musées américains.
Le terme « Les Aigles » fait référence à la Grande Décoration de la Légion d’Honneur, mise en place par le décret du 30 janvier 1805, dont les titulaires ont été dénommés « grand aigle » puis « grand cordon » et enfin « grand ’croix », aujourd’hui.
Je
ne les reproduis pas tous, ce serait fastidieux, mais il y en a une bonne
quinzaine ! Pour vérifier la ressemblance avec le modèle,
je me suis amusée à chercher un autre portrait du même modèle, par un autre peintre.
C’est assez concluant !
Bon, en l'espèce, il se pourrait bien que Marie-Thérèse ait elle-même un peu copié le tableau de Gros qui devait faire référence !
Pour
un certain nombres de portraits, notamment ceux qui sont conservés à Versailles,
ceux de Marie-Thérèse sont les seules références…
Gravure en pointillés de couleur, 24,6 x 15,2 cm
Pour conclure, je ne reprendrai pas les mots d’Henri Bouchot (1849-1906), membre de l’Institut et auteur de La miniature française de 1750 à 1825, un des textes les plus violemment sexiste qu’il m’ait été donné de lire. Non seulement sexiste mais également assez présomptueux pour oser proférer des jugements définitifs sur des peintres qu’à l’évidence, il n’avait pris la peine d’étudier ni de près, ni de loin. Léon Finet lui-même, dont le texte trahit pourtant les préjugés d’un autre âge, finit par écrire qu’il « a été souvent injuste, même à l’égard de Mlle de Noireterre, qu’il ne connaissait pas assez. ». Pourtant, même Bouchot condescend à placer Marie-Thérèse au même rang que Gabrielle Capet, une des meilleures élèves d’Adélaïde Labille-Guiard. C’est dire…
Quant
à Mathurin Roze de Chantoiseau, il pensait que Marie-Thérèse donnait « à ses
portraits beaucoup de ressemblance et de vérité. » (Les Tablettes de la
Renommée ou du Vrai Mérite, Paris, 1791)
Alors, Marie-Thérèse, miniaturiste oubliée ? Peut-être. Mais il n’empêche que, grâce aux graveurs qui s’en sont inspirés, ses portraits sont dans tous les musées d’histoire du Premier Empire…
Marie-Thérèse
de Noireterre est morte le 2 mai 1823, à Belleville où elle s’était installée
dans les années 1810.
*
Et
pour finir sur une note moins amère, je place ici la petite nature morte que vous
n’avez peut-être pas remarquée dans le délicieux Autoportrait qui
introduit la présente notice !
*
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