Jeanne-Elisabeth Gabiou naît le 23 janvier 1767 à Paris, après deux frères, Jean-Frédéric et Louis-Joseph. Leur père, Louis Gabiou, est perruquier et leur mère, Marie-Elisabeth, est la tante des sœurs Lemoine, Marie-Victoire, Marie-Élisabeth, Marie-Geneviève et Marie-Denise (Nisa), peintres toutes les quatre et déjà évoquées sur ce blog.
Lorsque Marie-Elisabeth Gabiou meurt, en 1769, Jeanne-Elisabeth n’a que deux ans et quand Louis Gabiou s'éteint à son tour, en 1778, la petit fille est accueillie chez ses cousines Lemoine, rue Traversière-Saint-Honoré. Dès l’âge de 11 ans, Jeanne-Elisabeth est donc entourée de cousines qui, sous l’égide de l’aînée, Marie-Victoire, étudient la peinture dans des conditions qui restent un peu floues. Mais Marie-Victoire est déjà une artiste dont le talent est attesté par son Allégorie de la Peinture, peinte l’année précédente (voir sa notice).
Ce qui est sûr, en revanche, c’est qu’elle reçoit l’enseignement du sculpteur Antoine-Denis Chaudet (1763-1810), sans doute avant 1784, date à laquelle il part pour quatre ans à l’Académie de France à Rome, après avoir reçu le Premier prix de sculpture.
Comme la plupart des jeunes peintres de l’époque, Jeanne-Elisabeth fait sa première apparition publique au Salon de la Correspondance (1781-1788), un cercle littéraire qui organisait des expositions pour les artistes qui n’étaient pas admis au Salon de l’Académie royale.
Jeanne-Elisabeth y montre, en 1787, un autoportrait qui n’est plus localisé aujourd’hui. Je l’ai donc remplacé, en exergue, par son interprétation du mythe de la première femme peintre, rapporté par Pline l’Ancien…
Le portrait est fort bien reçu : « Une jeune Demoiselle, la palette à la main, portrait de Mlle Gabiou, Peintre ; peint par elle-même. Il y a quelques années que l’on a vu au Salon, un Dessin fait par Mlle Gabiou, qui donnoit de l’espérance. Le Portrait que nous annonçons la confirme : il est bien ajusté, agréablement peint. L’on ne peut douter que, si l’Auteur travaille à acquérir les véritables tons de la nature, elle ne se distingue parmi la foule de jeunes personnes de son sexe qui suivent la carrières des Arts. » (Pahin de La Blancherie, Nouvelles de la République des lettres et des arts, XXII, 31 mai 1787, p.256)
Après avoir laissé entendre que la jeune artiste se voue à l’art « par goût » et non par besoin (ce qui indique qu’elle disposait d'autres revenus que ceux de sa peinture), Pahin ajoute cependant : « Pourquoi les Beaux-Arts ne seroient-ils pas une ressource pour [les femmes] tandis que les hommes se sont emparés de toutes les occupations que les personnes du sexe étoient en possession ? » et de citer ensuite, au titre des activités disparues et autrefois féminines les « Sages-femmes, Tailleuses et Coëffeuses » … !
Quelques années plus tard, Jeanne-Elisabeth peint ce portrait, le premier qu’on lui connaît. Son style est proche de celui de sa cousine Marie-Victoire dont elle a probablement partagé l’atelier.
Huile sur toile ovale, 88 x 74 cm
Collection particulière
En
1793, elle épouse son professeur, Antoine-Denis Chaudet, et expose pour la
première fois au Salon du Louvre, en 1796, plusieurs miniatures, un dessin et
deux peintures, dont L’Amour qui vient de dérober une rose…
Huile sur panneau, 61 x 50 cm
Collection particulière
…
et un Portrait de femme ovale qui pourrait être celui-ci-dessous,
récemment mis en vente, car la tenue du modèle correspond à la période du
Directoire. Mais ce n’est qu’une supposition.
Au
Salon suivant, celui de 1798, elle montre notamment un Portrait en pied
d’une femme à sa toilette, qui serait celui de l’épouse du peintre François Gérard,
dont Charles Landon, dans ses Annales, dira quelques années plus tard
qu’il s’en souvenait « avec plaisir ».
Au Salon de 1799, elle expose cette petite fille, qui a entrepris d’apprendre à lire à son chien et inaugure un thème récurrent, celui d'une enfant ou d'une jeune fille en interaction avec un petit animal. Celle-ci est installée dans un décor architecturé non identifiable, presque sans accessoire si ce n’est un petit repose-pieds recouvert de velours rouge, un panier où l’on distingue une balle (assortie au collier du chien !) et un abécédaire.
Une
« scène familière », comme l’écrit Landon pour désigner l’une des
œuvres qu’elle montre au Salon de 1800 et qu’il fait graver. Une appréciation
positive bien qu’un peu condescendante, comme la plupart des commentaires des
critiques de l’époque à l’égard des artistes féminines…
« Une
jeune fille s'apprête à boire du lait ; sa petite sœur, d'une main lui repousse
la tête, et de l'autre veut s'emparer du vase. Cette scène agréable fut vue
avec intérêt au Salon de l'an 9. Le public fut charmé qu'une artiste aussi
estimable que madame Chaudet consacrât son pinceau à ces sujets doux et naïfs,
qui semblent plus particulièrement réservés à son sexe. » (Charles Landon,
Annales du musée et de l’école moderne des beaux-arts Volume III, Paris,
Migneret imp., 1802, p.149)
Le tableau aurait été acheté par Lucien Bonaparte.
On peut le rapprocher d’une autre œuvre connue de l’artiste, probablement peinte à la même époque :
L’année suivante, apparaît le thème de l’enfant sauvé par un chien, qui sera repris un an plus tard par sa cousine Nisa Villers : l’enfant est endormi dans son berceau, inconscient du péril qui le guette.
Le tableau de Nisa évoque une inondation récente. Dans celui de Jeanne-Elisabeth, le danger vient d’une vipère et l’inspiration est issue d’une légende médiévale.
« Le sommeil dérobe à cet enfant la connaissance du péril auquel il vient d'échapper. Un serpent cherchait à se glisser dans son berceau ; mais un chien fidèle vient de déchirer le reptile. L'attitude du chien est calme et fière, et l'enfant a un abandon, une sécurité qui augmentent l'effet de cette scène touchante. Ce joli tableau reçut du public un accueil favorable au Salon de l'an IX. L'effet gracieux de l'ensemble, la légèreté et la facilité de la touche réunirent tous les suffrages. » (Charles Landon, Annales du musée et de l’école moderne…, 1803, Tome IV, p.41-42).
Au
même Salon de 1801, Jeanne-Elisabeth montre deux autres œuvres, dont cette
petite fille, avec le même repose-pieds, le même panier et une petite cocotte
en papier qu’on retrouvera plus tard…
En 1802, le couple Chaudet qui habitait jusque-là au Louvre, s’installe en face, dans l’hôtel d’Angivillier, rendu disponible par le décès de la cantatrice Sophie Arnould qui y demeurait depuis 1798. Ne le cherchez pas, il a été démoli lors du percement de la rue de Rivoli…
C’est probablement à cette époque que Jeanne-Elisabeth peint le portrait de son mari, identifiable grâce à une miniature conservée au Louvre.
Huile sur toile, 61 x 48,5 cm
Galerie des Offices, Florence
Jeanne-Elisabeth
présente deux portraits et deux scènes de genre au Salon. L’un de ces portraits
nous est parvenu, il représente la jeune Adelaide Gustava Aspasia Armfelt,
fille de la duchesse Wilhelmine de Sagan et du baron Gustaf Mauritz Armfelt,
fondateur de la Finlande. Elle est accompagnée de son amie d’enfance Mina. (Source :
Charlotte Foucher, « Jeanne-Élisabeth Chaudet, ou la diversité stylistique
de Greuze à Géricault » Histoire de l'art, N°63, 2008. Femmes à
l’œuvre, p.53, consultable en ligne).
L’une des scènes de genre a été reproduite dans les Annales, avec un bref commentaire : « Ce tableau, exposé au Salon de l'an 11, offre une de ces scènes naïves qui plaisent dans la nature, et qu'on aime à voir retracées par un pinceau aimable. L'effet en est agréable, le dessin courant, et les détails sont rendus avec finesse. Il appartient à Madame Bonaparte. » (Charles Landon, Annales du musée et de l’école moderne des beaux-arts, Tome III, Paris, Migneret imp.,1802, p.241)
L’une des deux œuvres de ce Salon a été commandée par une famille étrangère de haut rang, l’autre a été achetée par la mère du futur empereur. Jeanne-Elisabeth est donc parvenue à une notoriété certaine, en tant que peintre et portraitiste d'enfants.
Dans
l’article précité, Charlotte Foucher souligne la proximité stylistique au sein
du couple Chaudet, en comparant les postures de la Jeune fille et celle
d’une des œuvres les plus célèbres de Chaudet, L’Amour : « la
jeune fille à la peau blanche et lisse comme du marbre poli apparaît telle
Psyché répondant au personnage de l’Amour. » écrit-elle.
Au Salon suivant, Jeanne-Elisabeth expose huit œuvres, trois portraits et diverses scènes de genre. Revient le thème de la jeune fille jouant, cette fois, avec des oiseaux. Le musée où il est conservé ne présente pas ses collections en ligne mais en publie des photos sur… Facebook !
Les œuvres de Jeanne-Elisabeth ont les faveurs de la famille impériale, elle en
reçoit deux commandes de portraits d’enfants, ce qui confirme que son
regard particulier sur l’enfance était reconnu et apprécié.
La
petite fille ci-dessous est la future comtesse de Castiglione, fille de Joachim
Murat et Caroline, la plus jeune sœur de Napoléon. Jeanne-Elisabeth la campe en petite fille
espiègle venant d’emprunter le buste de son oncle, précédemment posé sur la
stèle qu’on voit à droite du tableau. L’idée paraît lui être venue pendant qu’elle
jouait avec bilboquet et cocotte en papier posés sur l’empilement de gros
livres, sur sa droite (à moins qu’elle n’ait entreprit de donner un coup de
main lors d’un déménagement… !)
L’objet en papier posé juste derrière la cocotte est sûrement intéressant. Le musée Fesch, où l’œuvre est conservée, l’explique dans une vidéo diffusée en ligne. Hélas, ladite vidéo est en langue corse, nous n’en saurons donc pas davantage sur cet objet…
…
mais on peut admirer le charmant visage porcelainé de la fillette, dotée d’un nez assez…
Buonaparte.
L’autre commande de portrait d’enfant est celui du futur Oskar 1er, roi de Suède et de Norvège, à l’époque âgé de 7 ans et simplement fils de son père, Bernadotte. Ce portrait appartient aujourd’hui aux collections du roi de Suède et n’est pas diffusé en ligne. On connaît toutefois sa frimousse car il fut portraituré à peine plus jeune par Louis Léopold Boilly (le tableau se trouve au Metropolitan de New York).
Ces deux portraits d’enfants sont présentés au Salon de 1806 avec celui de Madeleine-Pauline du Cruet de Barailhon (1781-1865), miniaturiste comme son mari, Jean-Baptiste Augustin, qui avait exécuté le portrait de d'Antoine Chaudet deux ans auparavant (voir supra).
Portrait dont il existe d’ailleurs une autre version.
Du
Salon de 1808, il ne reste qu’une œuvre, à nouveau une jeune fille, au tracé
souple qui contraste avec le dessin rigoureux du décor architecturé, sur fond
de paysage. La tonalité générale s’éclaircit, on retrouve le voile léger
soulevé par le vent du Portrait de madame Augustin.
L’appréciation
de Landon est, comme souvent, assez condescendante… « Artiste modeste,
habile à choisir ou plutôt à créer le sujet de ses tableaux, madame Chaudet
paraît n'adopter que ceux qu'elle sait être analogues à ses talens et
proportionnés à ses forces ; elle joint à cet avantage celui de n'exposer que
des compositions douces, naïves, gracieuses et toujours nouvelles.
Le coloris de madame Chaudet laisse à désirer un peu plus de force et de chaleur, mais il a de la délicatesse. Les tableaux coloriés dans le goût de celui dont nous donnons ici l'esquisse conservent plus longtemps leur fraîcheur que ceux qui sont à leur dernier degré en sortant des mains de l'artiste : les années en mûrissent les teintes et les mettent en harmonie ; mais ceux de madame Chaudet sont si près du point où on voudrait les voir, qu'elle aurait tort de laisser au temps seul le soin de les terminer. » (Charles Landon, Annales des musées et de l’école moderne des beaux-arts, Salon de 1808, Paris, Bureau des Annales du musée, Tome II, page 16)
Dans
le livret du Salon, l’une des autres œuvres, sobrement intitulée Une jeune
fille, comportait la description suivante : Elle est à genoux
devant la statue de Minerve, et lui fait le sacrifice des dons de l’Amour.
Landon n’est visiblement pas convaincu : « Nous avons donné au commencement de ce volume […] un tableau de madame Chaudet, et nous y avons joint des observations sur le talent de cette aimable artiste. Nous croyons devoir ajouter que ce dernier tableau manque de cette chaleur de coloris qu'on désirerait trouver dans le précédent, et que le ton en est encore moins animé. Si nous insistons sur ce point, c'est parce que Madame Chaudet a prouvé dans ses premières expositions que la vigueur de l'effet ne lui est point étrangère : on se rappelle toujours avec plaisir le Portrait en pieds de madame Gérard, et la Jeune Fille montrant à lire à un carlin. Ces deux tableaux ont une force de coloris qui n'en exclut ni la finesse, ni la légèreté. » (Charles Landon, Annales des musées et de l’école moderne des beaux-arts, Salon de 1808, Paris, Bureau des Annales du musée, Tome II, page 24)
La
mort d’Antoine Chaudet, en 1810, ne paraît pas avoir détourné Jeanne-Elisabeth
de son travail car elle expose six peintures, dont quatre portraits et
plusieurs têtes d’étude au Salon. Pourtant, sa Dibutade, qu’elle
représente non pas en train d’inventer la peinture selon la légende mais « visitant »
le portrait comme on se rend au cimetière, est peut-être l’expression de sa
tristesse de veuve.
Dibutade retient l’attention de Landon qui en reste à ses appréciations en demi-teinte : « Douée d’un talent aimable et gracieux, madame Chauvet fait encore preuve de modestie et de prudence en ne choisissant que des sujets plus susceptibles d’agrément que d’énergie. Ses succès, moins brillans peut-être, n’en sont que plus certains et plus doux pour elle ; si l’éloge ne va pas jusqu’à l’enthousiasme, du moins la critique est sans amertume. […] La figure de Dibutade est ajustée avec goût. Le fond du tableau représente un paysage riant mais solitaire. L’aspect du tableau est franc et lumineux. Les carnations laissent à désirer une teinte plus chaude, que le tems pourra seul y ajouter. » (Charles Landon, Annales des musées et de l’école moderne des beaux-arts, Salon de 1810, Paris, Bureau des Annales du musée, p.50)
Deux
ans plus tard, Jeanne-Elisabeth se remarie avec un haut-fonctionnaire,
Pierre-Arsène-Denis Husson. Selon le livret du Salon, elle habite à présent rue
de Seine. Parmi les portraits qu’elle montre, ce Portrait d’une dame en
novice, à la parure un peu trop séduisante pour ne pas étonner un peu.
On a pu la voir (et la photographier) à l’exposition « Peintres femmes, naissance d’un combat (1780-1830) » au musée du Luxembourg en juillet 2021 mais je préfère reproduire la photographie que j’ai trouvée en ligne qui lui rend mieux justice. Pour la lumière concentrée sur le visage et les épaules, la délicatesse du voile et de la chemise aux manches transparentes, la perfection du teint, on comprend pourquoi les portraits de Jeanne-Elisabeth étaient appréciés du public.
Ce tableau n’est pas commenté par Landon qui ne traite que rarement des portraits dans ses Annales.
Il préfère évoquer à nouveau une scène de genre, de celles qui « conviennent si
bien » à Madame Chaudet, Une petite fille déjeunant avec son chien et
lui faisant faire la révérence : « Madame Chaudet exposa il y a
quelques années un sujet à peu près semblable et dans les mêmes proportions :
une jeune fille faisant lire son chien. Il méritait et il obtint un grand
succès. Celui-ci n'a pas été moins agréable au public. Il plaît par la naïveté
du sujet, la grâce de l'expression et du dessin et la légèreté du coloris. Ce
morceau est un des plus soignés qui soient sortis des pinceaux d'une artiste à
laquelle on ne peut reprocher d'avoir négligé aucun de ses ouvrages. » (Charles
Landon, Annales des musées…, Salon de 1812, Tome I, p.88)
L’autre Petite fille présentée au même Salon aurait pu, sans doute, mériter les mêmes éloges : grâce de l’expression et du dessin, légèreté des coloris et une facture porcelainée absolument parfaite… et une position qui rappelle, une nouvelle fois, celle de l’Amour de Chaudet.
En
1814, Dibutade est à nouveau présentée au Salon, en compagnie de deux
portraits et d’une scène de genre.
Il me paraît nécessaire de reproduire ici la prose commise par François-Séraphin Delpech, critique et marchand d’estampe de son état, selon lequel une femme ne saurait oser la moindre incursion dans la peinture sérieuse, puisqu’elle-même n’existe que pour plaire. Un chef-d’œuvre de mauvaise foi :
« Ceux qui connaissent le genre de talent de Madame Chaudet n’ont pas besoin de voir son tableau Dibutade, pour le juger. Ils doivent sentir que ce sujet ne pouvait convenir qu’à un peintre d’histoire, et qu’il exigeait une certaine élévation de style, dont elle n’a pas fait preuve dans ses précédens ouvrages. Si je le cite, c’est pour avoir occasion de rappeler que l’origine de la peinture est due à une femme, et que le premier usage qu’on en a fait a été de retracer les traits de l’objet aimé. Elle est donc destinée, comme on le voit dans cette allégorie, à nous offrir des images agréables ; plaire est le principal but qu’elle doit proposer. » (François-Séraphin Delpech, Examen raisonné des ouvrages de peinture, sculpture et gravure exposés au salon du Louvre en 1814, Paris, Martinet, 1814, p.129-130)
Théorie qui permet à Delpech de justifier le fait qu’une autre œuvre de Jeanne-Elisabeth, présentée au même Salon, Une petite fille en pénitence, constitue un sujet qui « ressemble beaucoup à ceux qu’elle a coutume de traiter : elle était là dans son élément. Une attitude bien trouvée, des formes gracieuses, des accessoires placés avec goût, de l’harmonie et une exécution soignée, c’est plus qu’il n’en faut pour réussir un ouvrage de ce genre. » (Ibid)
J’arrête ici pour vous épargner sa conclusion sur les moyens de former « des épouses vertueuses et de bonnes mères de famille » … !
Aussi caricatural soit-il, ce commentaire illustre bien l’injonction adressée aux femmes artistes en ce début du XIXe siècle : complimentées lorsqu’elles se limitaient aux portraits et scènes enfantines ; méprisées jusqu’à l’injure quand elles tentaient d’en sortir. Landon, avec moins d’agressivité, adopte exactement la même position, au sujet d'une Petite fille en pénitence :
« L’exécution en est suave et gracieuse, comme dans toutes les productions de cette aimable artiste ; Madame Chaudet se garde d’entreprendre des ouvrages au-dessus de ses forces, c’est-à-dire, de ces sortes, de compositions qui exigent un dessin prononcé, un coloris fier, une touche vigoureuse. » (Charles Landon, Annales des musées…, Salon de 1814, p.101)
« Une touche vigoureuse » signifie, à n'en point douter, une touche virile !
Regardez le visage de la Jeune fille portant le sabre de son père : il ressemble à s’y méprendre à la Petite fille aux cerises du Salon précédent. Cette œuvre dut avoir une certaine célébrité car elle fut reproduite dans Women painters of the World de Walter Shaw Sparrow en 1905.
On
s’étonne de trouver pareil objet entre les mains d’une enfant. Peut-être est-ce
pour dire que, les guerres napoléoniennes à présent terminées, les sabres peuvent
retourner au placard.
Avec
trois autres portraits d’enfants, c’est la dernière présentation de
Jeanne-Elisabeth au Salon du Louvre et elle n’apparaît plus dans les Annales.
On connaît d’elle un dernier tableau de l’année suivante, où l’on retrouve tous ses éléments de composition habituels, encadrement architecturé, paysage lointain, repose-pieds rouge et grand châle, vert cette fois.
Jeanne-Elisabeth
Chaudet est morte du choléra, le 18 avril 1832. Son mari, originaire d’Arras,
légua quelques années plus tard dix de ses tableaux au musée des beaux-arts de
la ville. A l’exception de la Jeune fille pleurant son pigeon mort, ils
ont tous été détruits par un bombardement, lors de la Première Guerre mondiale…
La carrière de Jeanne-Elisabeth a finalement été exemplaire de la place concédée aux femmes à son époque. Peintre d’enfants originale et portraitiste reconnue, elle est probablement restée en-deçà de ses capacités potentielles puisque ses tentatives d'incursion dans le genre plus prestigieux de la peinture d'histoire ont été brutalement dévalorisées. Et comme ses tentatives ont accidentellement disparu, il est difficile de lui rendre justice. D’autres œuvres, probablement en collections particulières, nous permettrons peut-être de découvrir, à l’occasion d’une vente, d’autres facettes de son œuvre, aujourd’hui oublié.
Jeanne-Elisabeth Chaudet a été récemment mise à l’honneur dans une exposition intitulée « Je déclare vivre de mon art », au musée Fragonard de Grasse, jusqu’au 8 octobre 2023. Ses œuvres sont présentées avec celles de ses cousines Lemoine qui font l’objet d’une autre notice sur ce blog.
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