Jeanne-Marie-Catherine
Desmarquest est née à Paris, le 24 mars 1775. Pour une raison que j'ignore, elle a décidé ensuite de se prénommer Pauline. On sait qu’elle a
fréquenté l’atelier de Jean-Baptiste Regnault, notamment grâce à l’une de ses
condisciples, Albertine Clément-Hémery, qui l’évoque dans ses Souvenirs :
« Je ne parlerai pas de madame Auzou, artiste distinguée, que rien ne pouvait distraire de ses études ; ses tableaux, mentionnés honorablement dans toutes les expositions, suffisent à sa gloire, son nom ne se rattache à notre atelier que pour l'honneur du maître, car, ainsi que madame Mongez, et trois ou quatre autres inspirées, nous n'étions, aux yeux de ces dames, que de petites étourdies, bien fraîches, bien gracieuses, qui fournissaient, au besoin, de charmans modèles. » (Madame Clément-Hémery, Souvenirs de 1793 et 1794, Cambrai, Lesne-Daloin, 1832, p.10)
« L’artiste distinguée » n’a que dix-huit ans quand elle expose, au deuxième Salon ouvert aux non académiciens, une Tête d’étude et une Bacchante dont, exceptionnellement, on connaît les dimensions (97,8 x 70,7 cm), ce type de précisions étant fort rares dans les catalogues de l’époque. Selon sa nécrologie parue dans le Journal des artistes du 28 juin 1835 (pp.415/417), cette Bacchante aurait été « distinguée, en ce que la composition et le sentiment annonçaient déjà du talent. »
Je m’interroge, en revanche, sur l’affirmation (lue plusieurs fois) selon laquelle Pauline aurait été l’élève de David. Cela paraît peu probable, d’une part parce que David était l’ennemi juré de Regnault qui lui avait « volé » sa place à l’Académie en 1783 ; d’autre part parce que Pauline ne s’en est jamais déclarée l’élève dans les registres du Salon, alors même que David était beaucoup plus célèbre que Regnault.
En outre, ni son article dans le Bénézit (Tome 1, p.281) ni la nécrologie précitée n’en font état.
On remarquera également que Pauline a probablement bénéficié d’une formation artistique assez complète même si elle a exclusivement étudié dans un atelier réservé aux femmes, comme l’explique Albertine Clément-Hémery : « L'atelier était dans la galerie du Louvre qui donne sur le Quai, au-dessous du Muséum ; on entrait par la rue Froid-Manteau. M. Regnault et sa famille occupaient l'entresol. Il fallait passer dans l'antichambre de madame Regnault, pour monter à notre atelier, qui que ce soit n'aurait pu se glisser inaperçu, l'antichambre étant constamment occupée par madame Regnault, à qui nous parlions toutes en arrivant. L'atelier particulier de M. Regnault, et son atelier de jeunes gens, étaient dans le Louvre. » (Madame Clément-Hémery, op.cit., p.44) La morale était sauve !
Pour autant, le maître passait tous les jours « donner sa leçon » et corrigeait le travail des élèves : « ses observations, toujours polies, ne blessaient jamais l’amour-propre, il devinait les talents, encourageait les essais avec une indulgence qui faisait éclore le génie. La paresse seule le rendait inflexible ; j’ai vu renvoyer de l’atelier quelques jeunes personnes pour ce seul motif. » (Madame Clément-Hémery, op.cit., Notes, p.44)
C’est probablement dans l’atelier de Regnault que Pauline a dessiné cette belle Jeune fille en buste :
En
revanche, je suis plus dubitative sur la date présumée de l’étude d’Académie
d’homme ci-dessous car l’étude de nu masculin était pour le moins
inhabituelle dans les ateliers de jeunes femmes. Quoi qu’il en soit, comme on
le verra, Pauline dessine excellement et elle a étudié le nu, dans l’atelier de
Regnault ou ailleurs…
Pauline
se marie en décembre 1793 avec le citoyen Charles-Marie Auzou, descendant d’une
dynastie de papetiers parisiens, et met au monde son premier enfant,
François-Victor, en octobre 1794. Elle aura cinq enfants mais ses obligations
familiales ne paraissent pas l’avoir empêchée de s’adonner à son art.
Dès le Salon suivant, celui de 1795, Pauline présente trois peintures qui semblent avoir disparu. On devra se contenter de la description de celle qui est imaginée « d’après Gesner », probablement Salomon Gessner (1730-1788), un écrivain suisse, célèbre à cette époque pour ses églogues :
Daphnis présente à son frère, Philis, sa Bergère chérie. Amyntas, après l’avoir considérée attentivement, s’écrie : Ah ! quels traits mes yeux découvrent sur ton visage ingénu ! Ce sont ceux de Palémon ! Oui : ce sont les traits du plus sincère des Amis !
En 1796, ce sont cinq œuvres de Pauline qu’on accroche à la cimaise du Salon. On en connaît encore une, ces Deux jeunes filles faisant de la musique, où l’influence de Regnault me paraît encore assez sensible…
D’une autre œuvre de cette année-là, intitulée Dinomaché, mère d’Alcibiade, pleurant sur les cendres de Clinias, son époux, Joachim Lebreton, le chef du bureau des Beaux-Arts dont Adélaïde Labille-Guiard a fait un fort beau portrait (voir sa notice) écrira :
« Aux
expositions de 1796 et de 1806, le tableau qui représentait la mère d'Alcibiade
pleurant sur les cendres de Clinias, son époux, et celui du Départ pour un duel,
où le sujet est profondément senti et fortement exprimé, ont prouvé que Mme
Auzou savait s'élever aux idées et à la noble expression du style historique. »
(Joachim Lebreton, Rapport sur les Beaux-Arts, Paris, Institut de
France, 1908, p.82)
Deux des tableaux du Salon de 1798 traitent de la même idée, l’un en scène de genre : L’incertitude : « Une jeune fille trouve, en entrant dans sa chambre, un bouquet et une lettre à son adresse ; reconnaissant l’écriture de son amant, elle combat entre l’amour et le devoir. » ; l’autre en scène allégorique : La Prudence éloignant l’Amour : « L’Amour s’est glissé auprès de l’Innocence, il est parvenu à l’intéresser ; mais la Prudence l’oblige à s’éloigner ».
Les œuvres,
aujourd’hui non localisées, présentées par Pauline lors des deux Salon suivant
de 1799 et 1800, confirment son intérêt pour le portrait (dont celui de
Regnault), la scène de genre mettant en scène des femmes (trois œuvres) et la
mythologie, représentée par Une Hébé (divinité personnifiant la
jeunesse).
Pauline ne participe pas au Salon de 1801. Cette absence est
probablement liée au décès de son fils aîné l’année précédente. Elle le
représente ici l’année de sa mort, dans un dessin où se sent encore l’influence
de Regnault.
Au cours de sa carrière,
Pauline n’a cessé de dessiner et il en reste de nombreuses traces. Vers 1800,
elle ouvre un atelier pour les jeunes femmes et fait publier à leur intention
des Têtes d’étude, chez l’éditeur Didot.
En 1802, le temps
du deuil est passé et Pauline expose à nouveau, comme elle le fera à chaque Salon jusqu’en 1817. Trois peintures, trois thèmes : une scène
allégorique, L’Amour dissipant les alarmes, un portrait et une scène de
genre Deux jeunes filles lisant une lettre, laquelle retient l’attention de L’observateur au museum : « Têtes charmantes pour le dessein
et l’opposition adroitement ménagée, exécution large et facile. » Les
scènes représentant des jeunes filles constituent une des constantes de l’œuvre
de Pauline.
Une des trois
œuvres du Salon de 1804 nous est parvenue, Le premier sentiment de la coquetterie :
une toute jeune fille, aux traits soigneusement modelés, s’est introduite dans la
pièce de toilette de sa mère (comme l’indique le fait qu’elle soit juchée sur
un petit tabouret) et admire avec ravissement son image parée de bijoux dont la
taille laisse supposer qui ne lui appartiennent pas.
Pauline a traité avec une attention particulière les différentes textures du velours du tabouret et de la soie posée sur la table de toilette, le marbre de son plateau, l’acajou du miroir et de son support. Son sens du détail s’exprime dans le traitement de la tablette de la cheminée, où l’on aperçoit un flacon de parfum, un verre, une petite brosse et un coussin où sont piquées des épingles à chignon. Elle s’est visiblement intéressée aussi à l’effet de la lumière du foyer sur le sol et les jambes de la jeune fille.
Encore une scène de genre représentant une jeune fille : un thème qui devait répondre à l’intérêt de sa clientèle.
Selon sa nécrologie précitée, ce tableau et La Sollicitude maternelle, du même Salon, « la placèrent au rang des artistes distingués ; ce n’était plus seulement du talent, il y avait de la poésie dans ses compositions. »
En 1806, à nouveaux trois œuvres dont le Portrait de Picard l’aîné dont on retrouvera l’image dans un tableau plus tardif.
Son Départ pour un duel a suscité l’admiration de Joachim Lebreton, comme on l’a vu un peu plus haut, et il n’a pas été le seul à l'apprécier (au moins au plan des principes !) :
« Il appartenait sans doute à une personne de ce sexe estimable et sensible, souvent victime de l’absurde préjugé du point d’honneur, d’en peindre les déplorables effets. Quel spectacle plus affligeant que celui de ce jeune homme intéressant qui jette un regard, peut-être le dernier, sur son épouse adorée et ses enfans chéris ! Les malheureux dorment du sommeil de l’innocence, tandis qu’un plomb meurtrier, guidé par le hasard, va leur ravir leur protecteur, leur appui, celui seul dont les talens et les travaux soutenaient leur existence. […] Ainsi il y aurait déjà un grand mérite à madame Auzoux [sic] d’avoir traité ce sujet que recommande si puissamment la Morale et la Philosophie. Mais ce n’est pas le seul mérite du Tableau : il est bien composé, l’action et la figure du jeune homme sont remplies d’expression […] La femme et l’enfant ne sont pas aussi bien ; et en général la couleur ne semble pas d’un ton vrai. » (Chaussard Pierre Jean-Baptiste, Le Pausanias français, ou Description du Salon de 1806 : état des arts du dessin en France, à l'ouverture du XIXe siècle, Paris, Buisson, 1808, p.401-404)
Le Duel vaut à son auteur une médaille de première classe.
En revanche, l’avis de Chaussard sur le Portrait de Picard est cinglant : « Le Tableau de Picard est très-ressemblant mais voilà tout : Madame Auzoux n’aurait pas dû l’exposer. Il est malheureux de manquer un portrait de Picard, qui a si bien fait celui de tant d’originaux. »
L’année
suivante, Pauline peint ce petit portrait qui n’a probablement pas été exposé de
son vivant. Il est intéressant en ce qu’il laisse percevoir de son activité
soutenue de portraitiste et de son style : une peau légèrement
porcelainée, une grande attention aux détails de la toilette et à la ressemblance du modèle.
Au
Salon suivant, Pauline expose Agnès de Méranie, qui est reproduit dans les Annales
de Charles Landon, accompagné d’un long commentaire. Un tableau d’histoire médiévale vu
par l’anecdote, c’est la définition du style troubadour, qu’elle affectionnera
tout au long de sa carrière. Pour autant, celui-ci est visiblement d'un format assez inusité pour ce type d'œuvre
« Philippe-Auguste, roi de France, avait épousé en 1193 Ingelburge, fille de Waldemar Ier, roi de Danemarck [sic], princesse d'une beauté rare et d'une vertu accomplie. Quatre mois après son mariage, il la répudia, et, trois ans après, il épousa Agnès, fille du duc de Méranie, dont il eut deux enfans. Mais, ayant irrité le pape par ce second mariage, il craignit l'excommunication, et reconnut sa première femme, qu'il ne reprit néanmoins qu'au bout de douze ans. Agnès se retira avec ses enfans au château de Poissy, où elle mourut de douleur.
Mme Auzou a choisi pour sujet de son tableau le moment où Agnès, sentant
approcher sa fin, écrit au roi, Philippe, souviens-toi de nos enfans
! et charge de cet écrit la comtesse des Barres, la seule amie qui lui soit
restée.
Ce tableau, formé d'un seul groupe dont les figures sont de grandeur naturelle,
se distingue par la sagesse de la composition. Le dessin de Mme Auzou est
correct ; son pinceau n'est ni sec ni timide, et, ce qui vaut mieux
encore, son ouvrage se fait remarquer par la douceur et la vérité de
l'expression. » (Charles-Paul Landon, Annales des musées et de l’école moderne des beaux-arts, Salon de 1808,
Paris, Bureau des Annales du musée, p. 61)
Un second tableau de ce Salon, Monsieur Picard et sa famille a été conservé par les descendants des personnes représentées :
Selon les descendants, le tableau représenterait Louis-Benoit Picard, écrivain et dramaturge, probablement souffrant le jour où le portrait de son père - celui du Salon de 1806 – lui a été offert. La scène représenterait sa famille rassemblée à cette occasion, sa femme, assise près de lui sur le lit et ses frères, sœurs, neveux et nièces, dont les visages sont mis en valeur par le fond noir.
L’année suivante, Pauline peint un portrait qui n’a probablement pas été exposé à l’époque, celui d’un musicien. Il se trouve aujourd’hui au musée Currier qui n’en publie sur son site qu’une représentation couleur très peu lisible. On le distingue mieux en noir & blanc.
La notice du musée est cependant intéressante en ce qu’elle compare ce tableau avec une autre portrait, celui de Philibert Rivière, peint par Ingres quatre ans auparavant. La similitude de la tenue, redingote noire et cravate blanche, des deux modèles - ainsi que celle du dossier en demi-cercle des chaises sur lesquelles ils sont assis - saute effectivement aux yeux.
« Portrait
d'un musicien est un portrait en buste d'un personnage masculin assis,
reposant son coude sur un piano ouvert près de plusieurs feuilles de musique
manuscrite légèrement roulée. L'encrier et la plume d'oie suggèrent que
l'arrivée du spectateur a détourné son attention de l'écriture soit de la
musique, soit des paroles. La lumière, venant de la droite de l'image, met
en valeur le haut de la plume, les traits de son visage et sa bague de couleur
cuivre proéminente. Il ne parvient pas à éclairer l'espace peu profond, contre
lequel il est représenté. […]
Ce portrait est typique de ce qu'on appelle le style néoclassique de l'art français. En plus de certains éléments « antiques », comme [le camée de] la bague qui semble représenter une figure classique, des portraits comme celui-ci reflétaient le « bon goût » de l'époque. Ils mettaient l'accent sur une vue flatteuse mais reconnaissable du visage, des vêtements simples mais à la mode et une pose qui montrait le caractère et les intérêts du modèle. Ce portrait remplit tous ces critères par sa spécificité physique, sa composition simple et l'inclusion de quelques objets stratégiquement placés, qui signalent les intérêts ou la profession du modèle. » (Extraits de la notice du musée, traduction par mes soins).
Ce
portrait de général d’Empire au regard un peu rêveur, plus tardif, est
cependant d’une facture moins ingresque que le musicien…
La commande que reçoit Pauline de la famille impériale est le signe de sa notoriété grandissante, à moins que cette faveur ne soit l’une des conséquences de celle qui fut adressée à Regnault en 1804, Triomphe de Napoléon au temple de l’Immortalité. Destiné initialement à orner une salle du Sénat, le tableau se trouve aujourd’hui… au Fralin Museum of Art de Charlottesville !
Dans la description qu’il en donne, Charles Landon précise : « Autour du cortège, le Bonheur et l'Allégresse répandent des fleurs, et des jeunes filles brûlent des parfums. […] Rien de plus gracieux que toutes les figures de femmes qui entourent le char du Vainqueur, surtout celles de la Victoire et de la Renommée. » (Charles Landon, Annales du musée et de l’école moderne des beaux-arts, 1805, p.95-98)
Pauline a été sollicitée pour évoquer l’arrivée de la nouvelle épouse de Napoléon au Château de Compiègne. Marie-Louise est âgée de dix-huit ans, elle est la petite-nièce de Marie-Antoinette. Pour l’empereur, l’intérêt d’une union avec l’une des dynasties les plus importantes d’Europe s’ajoute à l’objectif d’avoir enfin un héritier. La scène, qui représente la jeune femme accueillie par son futur époux et une procession de jeunes filles en blanc qui répandent des fleurs, participe à la création de l’image dynastique napoléonienne : un charmant tableau de propagande.
L’accueil critique est cependant mitigé si l’on en croit le Journal de Paris : « Cette scène a de l’intérêt ; le pinceau de Mme Auzou se distingue par beaucoup de grâce et de légèreté ; mais il n'est pas aussi ferme que brillant, et la délicatesse de son coloris dégénère quelquefois en fadeur. Peut-être faut-il attribuer cet effet à la manière trop égale dont elle distribue sa lumière. » (« Variétés, 6eme article », Journal de Paris, n° 330, 26 novembre 1810, p.2542).
Le commentaire de Landon est plus positif : « Ce tableau dont les personnages sont de proportion demi-nature, est un des plus agréables de l’exposition. Il se distingue non-seulement par la disposition pittoresque de ce groupe nombreux et animé, mais encore par la naïveté et la grâce des attitudes, par la variété et la gentillesse des physionomies. Quoique toutes ces jeunes personnes soient vêtues de blanc, l’effet de la composition n’est pas monotone ; il est même assez piquant, et l’œil s’y repose avec plaisir. » (Charles Landon, Annales des musées, Salon de 1810, p.69)
Au Salon suivant, Pauline présente un autre épisode de la jolie histoire, Les adieux de Marie-Louise à sa famille. On pense évidemment à ceux, déchirants, de Marie-Antoinette et de sa mère. Ici, tout n’est que tendresse et légèreté alors que la jeune archiduchesse distribue à ses sœurs ses bijoux de jeune fille. Elle sera de retour à Vienne quatre ans plus tard…
Musée national des Châteaux de Versailles et du Trianon
Le Moniteur
est emballé : « Cette scène est charmante, pleine de goût, de mouvement et
d'expression. C'est à une femme surtout qu'il appartenait de saisir avec autant
de finesse, les poses gracieuses et naturelles qui conviennent à chacun des
personnages, et qui toutes ont trait aux détails de l'ajustement et de la
toilette, et y joindre l'expression des sentimens doux et affectueux qui
animent toutes les phisionomies [sic] » (« Beaux-Arts,
Salon de 1812 », Le Moniteur, n° 69, 10 mars 1813, p.257)
Le changement de régime n’a pas atteint le succès de Pauline qui présente au Salon suivant, celui de 1814, une scène de genre qui sera acquise par la duchesse de Berry et reproduite dans l’ouvrage de présentation de la collection de la duchesse, accompagnée de ce commentaire : « La délicatesse et la perfection des détails ne le cèdent en rien au sentiment exquis de la composition ; chaque figure a bien le caractère, l'expression qui convient à son âge, à sa situation particulière ; la tête, les mains de la femme malade sont d'une couleur transparente et vraie. L'action du petit garçon qui retient sa plus jeune sœur se précipitant avec l'étourderie de l'enfance vers la fenêtre ouverte est naturelle, et jette dans cette scène domestique un intérêt local qui ajoute à la vérité du tableau.
Tous les ouvrages de madame Auzou sont remarquables par la manière simple et toujours juste dont les sentiments de l'âme y sont exprimés ; mais dans aucun plus que dans celui-ci, son pinceau facile n'a su rendre les émotions douces et tendres, les sensations vives et délicieuses. » (Féréol Bonnemaison, Galerie de son altesse royale Madame la duchesse de Berry,1822, non paginé)
Le commentaire des Annales est, lui aussi, plutôt flatteur : « Ce très-petit tableau est un des plus agréables que l'évènement qu’il rappelle ait inspiré à nos artistes. L’idée en est nouvelle et d’autant plus heureuse qu'elle laisse à penser au spectateur. Il voit se développer dans son imagination la scène dont le peintre ne lui offre qu’un léger épisode.
Une mère de famille, affaiblie par la maladie et les chagrins, se traîne
jusqu’à sa croisée pour voir passer celui en qui elle met toutes ses
espérances. Elle serre son fils contre son cœur, comme un bien qui ne lui sera
pas enlevé. Sa fille, âgée d’environ quinze ans, semble l’inviter à sécher ses
larmes. La plus jeune avance ses petites mains, et crie vive le Roi ! La
croisée, ouverte sur le toit, est ornée d’une couronne et d’une guirlande de
fleurs. »
Appréciation d’autant plus positive que Landon ajoute : « Mme Auzou, soit dit en passant, et sans que cela tire à conséquence, paraît être du petit nombre des dames artistes qui font elles-mêmes, c’est-à-dire elles seules leurs tableaux. » (Charles Landon : Annales du musée et de l’école moderne des beaux-arts, Salon de 1814, Paris, Bureau des Annales du musée, p.32)
Landon
précise que Pauline a exposé aussi « un autre ouvrage, les Bains de
Luxeuil, sujet composé de plus de vingt figures, mais de très-petite
proportion ; et deux anciens tableaux, Diane de France et Montmorency et
l’Effroi d'une jeune Livonienne. »
Le premier de ces « anciens tableaux » date de 1812 et Landon l’a déjà commenté dans les Annales correspondantes :
« Diane
de France, fille de Henri II et de Diane de Poitiers, était tendrement aimée du
fils du connétable et le payait de retour. La duchesse de Brissac favorisait
leur amour, et les deux jeunes gens se trouvaient souvent chez elle. Le roi,
sachant un jour qu'ils étaient seuls dans l'appartement de la duchesse, lui en
témoigna son mécontentement, et manifesta des craintes sur la facilité qu'elle
leur accordait. La duchesse, voulant justifier la confiance qu'elle avait dans
les jeunes gens, offrit au roi et à Diane de Poitiers de les introduire à
l'instant dans son appartement. Le moment est celui où le roi surprend Diane de
France et Montmorency, sans en être aperçu. Diane tient une marguerite sur
laquelle elle vient de déposer un baiser. Son amant attend le don de cette
fleur, gage de l'amour de la princesse.
L'œil se repose avec plaisir sur ce petit tableau d'un aspect riant et gracieux ; les trois figures du fond sont touchées avec beaucoup d'esprit. Les sujets tirés des anciennes anecdotes sont depuis quelque temps fort recherchés des artistes, et conviennent particulièrement à ceux que leur goût ou leurs études n'ont pas portés vers le grand style, surtout aux dames, pour lesquels ils semblent spécialement réservés. Cette sorte de sujets susceptibles d'un intérêt général et d'une exécution précieuse, tient le milieu entre le genre purement historique ou héroïque et les scènes familières. » (Charles Landon, Annales des musées et de l’école moderne des beaux-arts, Salon de 1812, Tome 1er, Paris, Bureau des Annales du musée, p.22)
« Le
milieu entre le genre purement historique ou héroïque et les scènes familières »,
toujours le style troubadour, dont on peut donc imaginer les tons clairs et
la touche légère…
Quant à la Jeune Livonienne, elle avait déjà été exposée au Salon de 1810 sous le titre Daria ou l’effroi maternel, avec ce commentaire du catalogue : « Une jeune femme trouve brisé l’arbre qu’elle a planté à la naissance de son fils. » J’imagine que le choix de cette nationalité (la Livonie est la Lettonie actuelle) est prétexte à la représentation d’un costume un peu « exotique » …
Charles Landon, qui reproduit le tableau (planche 57e)
dès sa première exposition, ne manque pas de le souligner : « Mme
Auzou n’indique point la source où elle a puisé son sujet. La tête de la jeune
femme a de l’expression, l’enfant est bien dessiné ; le costume et tous
les accessoires du tableau sont rendus avec soin, avec goût, et d’un coloris
agréable. » (Charles Landon, Le Salon de 1810, Pillet Ainé, 1829, p.77).
Le Salon de 1817 sera le dernier où exposera Pauline, celui aussi où elle présente le plus grand nombre de tableaux, six peintures. Cette fois, aucune de ses œuvres n’est reproduite dans les Annales de Landon. Une seule est commentée par le livret, Boucicault et Mlle de Beaufort : « Le maréchal de Boucicault, au moment de partir pour l’armée avec Charles VI, presse mademoiselle de Beaufort de lui signer une promesse de mariage. Ils sont avertis de l’arrivée de la Reine Isabeau qui s’opposait à leur union. » Un tableau d’histoire à la manière de Pauline.
Une
autre toile de ce Salon est encore connue. Elle aussi présente toutes les caractéristiques
du style troubadour :
Le livret du Salon nous livre (heureusement) l’explication de la scène : « Novès, jeune troubadour, s’était introduit dans l’oratoire de la jeune comtesse, et se disposait à lui chanter une romance ; la nourrice d’Alix veut le faire sortir. La jeune personne cherche à l’adoucir par ses caresses, et Novès parvient à la gagner en lui laissant voir une croix d’or dont il orne son chapelet. »
Si l'on ajoute que l’un des autres tableaux présentés s’intitule Deux jeunes filles jouant à
qui rira la dernière et qu’il y figure aussi un portrait, on peut en
déduire que ce dernier Salon présente une sorte de résumé de la carrière de
Pauline…
Entre
les années 1816 et 1820, Pauline participe aussi au décor du salon du presbytère
de Saint-Nicolas-des-Champs, où une galerie de portraits de curés, ceux qui
ont, j’imagine, présidé aux destinées de la paroisse éponyme.
Le presbytère a été détruit par le percement de la rue de Turbigo mais les
portraits ont été conservés. Voici donc celui du qui relève du pinceau de notre
artiste :
En 1821, Pauline perd sa fille âgée de 23 ans et, selon sa nécrologie, ce décès met un terme à sa carrière officielle. C’est aussi à cette époque qu’elle ferme son atelier de jeunes femmes.
Elle continue pourtant à peindre puisqu’on connaît encore d’elle l’autoportrait que j’ai placé en exergue de cette notice et dont, selon la tradition familiale (mais on sait qu’il vaut mieux considérer les souvenirs avec prudence), Ingres aurait dit « « Quand on a fait cela, on n’a plus qu’à déposer ses pinceaux » (The Currier Gallery of Art, Bulletin n°2, 1974, p.15).
Elle exécute aussi ce beau portrait, peut-être d'un membre de sa famille…
Enfin, une autre œuvre d’elle, plus tardive et d’une
facture assez différente de ses travaux précédents, a été récemment acquise par
le Monastère royal de Brou.
Huile sur toile, 38,8 x 46,9 cm
Elle
m'évoque les Adieux de Charles Ier à ses enfants de Sophie
Rude (voir sa notice), peint deux ans plus tôt, dans un style plus proche du
romantisme, alors prisé du public.
Pauline
Auzou est morte à Paris, le 15 mai 1835.
Après avoir été choyé par la critique dans les années 1800, son œuvre n'a pas survécu dans les mémoires. Il est vrai que ni ses thèmes, ni son style ne sont particulièrement appréciés aujourd’hui. Toutefois, certaines de ses œuvres, comme le Sentiment de coquetterie sont attachantes par leur vérité d’expression et témoignent très agréablement de son époque.
Enfin,
ses deux tableaux « napoléoniens », revêtent un intérêt documentaire
et historique, ne serait-ce que par leur dimension d’élaboration d’une légende
dynastique …
*
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