dimanche 6 novembre 2022

Jane Poupelet (1874 - 1932)

 Jane  Poupelet est la centième artiste invitée sur ce blog !


Lucien Schnegg (1864-1909)
Portrait de Jane Poupelet – 1897
Marbre, H 38 x L 27,5 x P 17,5 cm
Source : Base Joconde


Marie Marcelle Jane Poupelet est née le 19 avril 1874 à Clauzure, en Dordogne. Fille d’un avocat devenu sous-préfet, elle est aussi la petite-fille d’un négociant qui a fait fortune au Moyen-Orient et fait construire en 1820 le château La Gauterie, à Saint-Paul-Lizonne, où elle passe son enfance et se fait remarquer par sa passion précoce pour le modelage. Sa famille est libérale et ne l’empêche pas de réaliser ses ambitions artistiques.

Après des études générales dans un pensionnat à Bordeaux, elle obtient en 1892, un certificat d'aptitude à l'enseignement du dessin. Puis, profitant du fait que rien, dans son règlement, ne précise que l'Ecole des beaux-arts de Bordeaux est interdite aux femmes, Jane tente - et réussit - son concours d'entrée, en 1893.

La voilà donc, par la seule grâce de son audace, première femme à suivre les cours d’anatomie aux beaux-arts, qu’elle complète, pour faire bonne mesure, de ceux d'anatomie et de dissection de la Faculté de Médecine de Bordeaux. Deux ans plus tard, elle reçoit son diplôme de professeur de dessin.

Elle va ensuite poursuivre sa formation à Paris. Elle passe quelques semaines à l’Académie Julian, le temps d’y rencontrer Lucien Schnegg (1864-1909). Celui-ci lui demande de poser pour un portrait (ci-dessus, en exergue) qui sera ensuite considéré comme un manifeste. Exposé au Salon de la Société Nationale des beaux-arts de 1903, son Portrait de Jane Poupelet est acquis par l’Etat pour le musée du Luxembourg, alors consacré aux artistes vivants.

Jane ne reste pas chez Julian. C’est auprès de Schnegg qu’elle va travailler, au sein d’un groupe de sculpteurs, « la bande à Schnegg ».


Arrêtons-nous un instant sur cette appellation qui n’a jamais été revendiquée par les membres du groupe, lesquels, d’ailleurs, n’ont jamais publié le moindre manifeste. Il semblerait que ce soit surtout leurs détracteurs qui les aient surnommés ainsi, par analogie avec la « bande à Bonnot » !

Son noyau dur se limite à quatre sculpteurs : Lucien Schnegg et son frère Gaston (1866-1953), Jane Poupelet et Robert Wlérick (1882-1944) qui les rejoint après avoir vu le Portrait de Jane Poupelet. Ils travaillent dans l’atelier des frères Schnegg, rue Dutot, à Montparnasse et Wlérick a son propre atelier juste à côté. A partir de 1904, se joindront à eux Alfred-Jean Halou (1875-1939) et Charles Despiau (1874-1946).

C’est dans l’atelier de Schnegg que Jane rencontre Rodin pour lequel Schnegg et Halou travaillent comme praticiens. Rodin reconnaît dans la pratique de Jane une recherche de la « beauté dans la simplicité » qu’il apprécie.

Elle sera invitée, avec quelques autres jeunes sculpteurs, au banquet que Rodin donne pour fêter sa Légion d’honneur, le 30 juin 1903. Et surtout, Jane intègrera, grâce à Rodin qui la préside, la Société Nouvelle des Peintres et Sculpteurs, un groupe d’artistes dont l’exposition annuelle est très bien considérée par la critique. Jane, seule femme de la « bande à Schnegg » est aussi la seule femme à exposer à la Société Nouvelle. Elle y sera présente de 1909 à 1914.

Elle partage avec les membres du groupe une technique sculpturale solide et le désir de revenir à une certaine forme de classicisme mais pas le modèle antique tel qu’il est encore enseigné à l’Académie. Ils se réfèrent plutôt à la Grèce archaïque ou à la première Renaissance française.

 

Kouros – vers 590/580
Marbre, 194,6 × 51,6 × 63,2 cm
The Metropolitan Museum of Art, New York

Leur recherche les conduit à une simplification de la forme, à l’abandon du « modelé » (c’est-à-dire de la trace du travail de la main) grâce au polissage qui devient partie intégrante du modelage lui-même.

Leur objectif principal est l’idée d’harmonie. Des attitudes calmes, presque immobiles, une impression intense mais douce qui doit transcender le sujet-modèle, dont il s’agit de percevoir le caractère, grâce à de légers détails qui le caractérisent.

Mais ils ne forment pas une « école » et Schnegg n’est pas leur maître. Jane le dira clairement : « il ne m’imposait pas ses opinions, ne retouchait jamais mes essais, me laissait chercher. »

En définitive, ils se définissent plutôt comme les représentants de la « sculpture indépendante. »

 

Lucien Schnegg (1864-1909)
Aphrodite penchée - vers 1904
Bronze, H. 42 x L. 18 x P. 25,8 cm
Musée d’Orsay, Paris
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / René-Gabriel Ojéda


Jane expose pour la première fois à la « Nationale » (salon de la société nationale des beaux-arts) en 1899, sous le pseudonyme de Simon de la Vergne, une vasque décorative. L’année suivante, sa Fontaine décorative reçoit un prix, attribué sans que le jury connaisse sa véritable identité.

 

On dirait bien qu’elle était installée devant le Petit Palais…


« […] cette fontaine dont la vasque est surmontée d’un enfant nu à cheval sur une bête. Ce monument est d’une jolie élégance, de proportions ingénieusement combinées, d’une ornementation discrète, pas surchargée, les lignes harmonieuses, souples et sévères tout à la fois, le parallélisme des formes bien rythmé. » (Illustration et commentaire in Maurice Guillemot, « Jane Poupelet », Art et Décoration, juillet-décembre 1913, Tome XXXIV, p.54)

« Il y a dans cette fontaine, qui date du salon de 1898, le souci des lignes neuves, d’une courbe flexible qui engendre d’elle-même son nouveau méandre qui entoure la bouche d’eau de lèvres de pierre, sinueuses, renflées, harmonieuses et donnant à l’œil l’impression d’une agréable et multiple surprise. » (Gustave Kahn, « Jane Poupelet », L’Art et les artistes, Tome XIV, octobre 1926-février 1927, p.81)

Dès le tournant du siècle, Jane commence à exposer de la sculpture animalière :

 

Chèvre couchée – 1902
Bronze doré, 14 x 26,7 x 15
La Piscine-Musée d'art et d'industrie, Roubaix
© Photo : Adam Rzepka - Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP


Comme beaucoup de sculpteurs, elle dessine également. Une pratique indépendante de sa production sculptée dont il reste de nombreux témoignages dans les collections muséales.

 

Trois vaches – 1904
Encre de chine sur papier, 40,5 x 49,5 cm
Centre Pompidou, Musée national d’Art moderne, Paris
© Photo : Bertrand Prévost / Centre Pompidou


Âne et Ânon broutant – 1904
Encre de chine sur papier, 38 x 59 cm
Centre Pompidou, Musée national d’Art moderne, Paris
© Photo : Bertrand Prévost / Centre Pompidou

Jane apparaît pour la première fois sous sa propre identité dans la catalogue de la Nationale en 1904, avec une vasque décorative en pierre et trois plâtres dont l’Enterrement d’enfant en Dordogne.

 

Enterrement d'enfant en Dordogne - 1904
Groupe en plâtre en deux parties, 35 x 61,5 x 34 cm et 36,5 x 58,5 x 34,5 cm
Musée du Périgord, Périgueux
© Photo : A. Leprince / La Piscine-Musée d'art et d'industrie, Roubaix

« Le fossoyeur emporte sous son bras la boîte minuscule, les chantres glapissent, le bedeau brandit sa croix, le prêtre marmonne dans son bréviaire, les parents suivent, atterrés ; toutes les silhouettes en marche, dans le même rythme, apparaissent penchées, comme Les Aveugles de Breughel. » (Maurice Guillemot, op.cit. p.53)

Son travail est remarqué et lui vaut une bourse de voyage dont elle va profiter pour effectuer un périple méditerranéen (Italie, Tunisie, Algérie et Espagne), en compagnie de la peintre Charlotte Cauchet. A Naples, elle découvre la statuaire antique.

La même année, Charles Despiau a exposé la Petite fille des Landes, une œuvre également remarquée.

 

Charles Despiau (1874-1946)
Petite fille des Landes – 1904
Bronze patiné, 16 x 17 x 20 cm
Musée Despiau-Wlérick, Mont-de-Marsan
© : Alienor.org, Musée Despiau-Wlérick, Mont-de-Marsan


En 1905, Jane expose quatre pièces dont cinq chats en presse-papier. L’un d’entre eux ressemblait peut-être à celui-ci qui montre le niveau de synthèse formelle auquel Jane est déjà parvenue et qu’on constate aussi dans le Canard s’épluchant de la même année.

 

Chat couché – 1904
Bronze patiné, 6,8 x 6,6 x 10,7 cm
Musée d’Art et d’Archéologie, Périgueux


Canard s’épluchant – 1904
Bronze doré et vernis, 10,5 x 6 x 12 cm
Isabella Gardner Museum, Boston

 

L’année suivante, elle expose un nouveau groupe…

 

Paysan conduisant une vache – vers 1905
Plâtre, 27,3 x 23,3 x 27,3 cm
Collection particulière
© Photo : A. Leprince / La Piscine-Musée d'art et d'industrie, Roubaix

 

… accompagné d’un ânon d’une touchante fragilité.

L’ânon – vers 1907
Statuette en bronze, H. 20 x L 16,5 x P. 6 cm
Musée d’Orsay, Paris
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski


« Elle excelle à ramasser dans son raccourci l’ânon familier, haut sur pattes, maigriot, court, tenant haut sa tête un peu grosse pour le corps. » (Gustave Kahn, « Jane Poupelet », op. cit., p.82)

On commence à penser sérieusement à Pompon… mais à cette époque, Pompon n’en est pas encore là. Il faut attendre les années 20 pour que sa sculpture animalière atteigne le même degré de synthétisation.


François Pompon (1855-1933)
Veau – 1908/1909
Plâtre patiné, H. 10,1 x L. 17 x P. 8 cm
Musée d’Orsay, Paris


En 1908, à propos des Bibelots qu'elle présente au Salon, L’Art et les artistes souligne les « très belles simplifications rondes d’animaux » de Mlle Poupelet. (Tome VII, avril-septembre 1908, p.73)

 

En 1909, Lucien Schnegg meurt brutalement de la fièvre typhoïde.  Ce sera son dernier Salon mais une rétrospective de son œuvre sera présentée à la Société Nationale l’année suivante.

 

Lucien Schnegg (1864-1909)
Junon - 1909
Bronze, patine brun sombre, H 500 x L. 160 x P. 150 cm
Musée d’Orsay, Paris
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt


L’année de sa mort, Schnegg travaillait à un buste : « Il a laissé des œuvres de chemin, de plus belles encore puis un chef-d’œuvre plein : Le Buste de la République. » (Auguste Rodin, Lettre d’hommage à Lucien Schnegg).

 

Lucien Schnegg (1864-1909)
La République - 1909
Bronze à patine dorée, H. 102 ; L. 65 ; P. 30 cm
Collection particulière


C’est alors Charles Despiau, le plus connu des sculpteurs indépendants, qui en devient la tête de file. Il avait notamment exposé en 1907 un Buste de Paulette très remarqué.

 

Charles Despiau (1874-1946)
Buste de Paulette - 1907
Bronze à patine brun clair, 33 x 22 x 28 cm
Collection particulière

« Ce petit groupe, jusqu’à l’interruption de 1914, voisine à la Société Nationale et contribue à donner à la Section de sculpture son caractère de recherche frémissante et véridique. On y remarque Jane Poupelet, Despiau, Halou. Il y a un certain air de famille entre les œuvres de ces différents artistes : la recherche d’un calme qui n’est pas le hiératisme, lequel serait au fond de l’archaïsme et contredirait la recherche du modernisme vrai qu’ils poursuivent. Il s’agit de la mobilité de la vie, de dégager l’expression essentielle, de donner de la durée au durable. Il y faut mêler la poésie à la pleine réalité, l’en extraire tout à la fois et l’en imprégner, créer, pour ainsi dire, un silence sonore. » (Gustave Kahn, « Robert Wlérick », L’Art et les artistes, tome XXVII, 1933, p.44 à 49)

 

Robert Wlérick (1882-1944)
Lydie - date non précisée
Illustration de l’article de Gustave Kahn, « Robert Wlérick », 
L’Art et les artistes, tome XXVII, 1933, p.48

C’est le moment où l'on commence à trouver dans les dessins de Jane de nombreux nus féminins, œuvres autonomes où s’affirme pourtant l’œil du sculpteur :

 

Nu de dos à califourchon sur une chaise – 1906
Sépia sur papier, 60,5 x 39 cm
Centre Pompidou, Musée national d’Art moderne, Paris
© Photo : Bertrand Prévost / Centre Pompidou


Nu féminin de dos - sans date
Sanguine, 59 x 36 cm
Collection particulière


En 1909, sa participation au Salon d’Automne lui vaut un commentaire élogieux : « les petits bronzes si bien construits, L’Ânon et La Vache, de Mlle Jane Poupelet » (Anonyme, « Le Salon d’Automne », Gazette des Beaux-Arts, juillet 1909, p.405) 

Et cette Femme à sa toilette qu’elle montre au Salon de la Nationale, sera acquise l’année suivante par l’Etat.

 

Femme à sa toilette – 1907/1910
Bronze sur socle de bois, 39,8 x 21 x 57 cm
Collection particulière
© Photo : Alain Leprince - La Piscine M.A.I.A.D. Roubaix

 

Femme à sa toilette (détail)


Avec l’exposition de ses premiers nus, Jane commence à apparaître très régulièrement dans la presse, notamment sous la plume d’Apollinaire : « Mes préférences vont à l’art plus sobre de Despiau qui expose une merveille malheureusement inachevée […] L’influence de Despiau apparaît aussi dans les excellents envois de Cavaillon, de Wlerick et même dans ceux de Drivier et de Jane Poupelet. » (Guillaume Apollinaire « Avant le vernissage du salon de la SNBA », L’intransigeant, 13 avril 1910, p.2)

« Jane Poupelet est aussi de cette école délicate et forte dont fut Lucien Schnegg, dont est Despiau. Mlle Poupelet expose une Femme se mirant dans l’eau et une Etude sans mièvrerie. » (Guillaume Apollinaire, « Le président de la République visite le salon de la Société nationale », L’intransigeant, 14 avril 1910, p.2)

 

Femme se mirant dans l’eau – salon SNBA de 1910
Collection particulière
(Source Château La Gauterie)


Fidèlement, Apollinaire citera ses œuvres des années suivantes : « L’envoi de Mlle Jane Poupelet est excellent, lui aussi ; tout est harmonieux et d’une simplicité forte et gracieuse à la fois dans le plâtre intitulé Devant la vague, dans le bronze Vache rentrant à l’étable»  (Guillaume Apollinaire, « Le 21e salon de la Nationale », L’intransigeant, 14 avril 1911, p.2)

 

Vache rentrant à l’étable – 1905
Bronze doré, 26 x 39 x 12,5 cm
Musée municipal de Vire
© Photo : Musée municipal de Vire

« Mlle Poupelet semble avoir demandé aux Japonais le secret de leur modelé simplifié et énergique pour sa Vache rentrant à l’étable. » « Paul Vitry, « La sculpture au Salon », Art et Décoration, janvier-juin 1911, Tome XXIX, p.195)

« Ce n’était pas le portrait d’une bête mais plutôt la synthétisation d’une race, les caractère génériques, rendus par des plans rudes et exacts, l’être en action révélé par son ossature étudiée scientifiquement, l’attitude d’une vraisemblance absolue, la statuette se haussant à une effigie définitive. » (Maurice Guillemot, op.cit. p.56)

 

Quant à Devant la vague, on ne la trouve plus aujourd’hui que dans la presse de l’époque :

 

Reproduite dans l’article de Gustave Kahn, « Jane Poupelet »
L’Art et les artistes, Tome XIV, octobre 1926-février 1927, p.80

Et je ne résiste pas à l'envie (coupable) de cafter avec Vauxcelles : « Vous rappelez-vous la délicieuse statuette si ferme, si nerveuse, si élastique, exposée par Jane Poupelet à la "Nationale". Une jeune fille nue, assise sur ses talons et les bras levés dans un mouvement hardi et neuf ? Un couple, mari et femme, tournait autour de la statue, l’examinant avec soin. Mlle Poupelet, se trouvant là, attendait le jugement du public. Soudain, le mari : "J’ai trouvé… C’est de la gymnastique suédoise…" La pauvre artiste avait à la fois envie de rire et de pleurer – telle la Joconde. » (Louis Vauxcelles, « Les Arts, Glanes et perles », Gil Blas, 13 juillet 1912, p.4)

La Baigneuse d’Au bord de l’eau présentait moins de risque de s’attirer un hommage analogue.

Elle est exposée au salon de 1913. « En l’état actuel des salles de sculpture, il m’a paru que le meilleur envoi de l’année était celui de Mlle Jane Poupelet : Femme assise et Au bord de l’eau. » (Guillaume Apollinaire, « Avant le vernissage de la Nationale », L’intransigeant, 12 avril 1913, p.1)

 

 

Baigneuse au bord de l’eau – 1911
A gauche : Bronze, 52 x 16 x 37 cm
Musée d’Art et d’Archéologie, Périgueux
A droite : Bronze à patine verte -51 x 20 x 40 cm
Collection particulière
© Photo : Alain Leprince – La Piscine M.A.I.A.D. Roubaix

Avis confirmé : « Jane Poupelet expose deux nus féminins de dimension moyenne qui honorent cette artiste parvenue au premier rang. L’élasticité musculaire, la convenance et la justesse de l’expression, la saveur de l’épannelage sont ici supérieurs. » (Louis Vauxcelles, « Le Salon de la Société Nationale », Gil Blas, 13 avril 1913, p.3) Vauxcelles avait d’ailleurs invité Jane à participer, l’année précédente, à l’exposition « Artistes femmes » qu’il organisa à la galerie Devambez.

Quant au deuxième nu évoqué par les deux critiques, la Femme assise, je ne sais pas s'il s'agissait de celle-ci…


Femme assise – sans date
Bronze, 58 × 25,5 × 31 cm
Brooklyn Museum, New York


… ou d'une autre assez proche, aussi dénommée Méditation

Baigneuse assise ou Méditation - 1913
Bronze, 45 x 31 x 24 cm
Reproduite dans l’article d’Amandine Placin-Geay,
« "La bande à Schnegg"  : examen d’un groupe de sculpteurs indépendants »,
Histoire de l’Art, Numéro thématique, « Affinités : l’Artiste et son public », 2003, pp.45-55


Par ailleurs, Jane est féministe et ne craint pas de le faire savoir. Dès 1897, elle avait écrit au directeur de l’Ecole des beaux-arts qui venait de créer un cours réservé aux femmes, ce commentaire caustique : « Je pense donc que pour compléter l’excellente mesure qui vient d’être prise et éviter que les chastes yeux des jeunes filles puissent se reposer, ne fut-ce qu’un instant, sur un seul homme dans le trajet de leur domicile à l’École – il devient absolument nécessaire de les prendre chez elles par un omnibus hermétiquement clos […] voiture pour "jeunes filles se rendant au cours spécial" […] conduite par un frère de la doctrine chrétienne ou un cocher hors d’âge ». (Cité in Anne Rivière, Jane Poupelet 1874-1932 : la beauté dans la simplicité, Paris, Gallimard, 2005, p.15)

En 1908, elle adhère à l’American Women’s Club, association avec laquelle elle exposera ponctuellement et l’année suivante, à la Ligue des mères de famille au sein de laquelle elle milite contre le port du corset.  Elle participe aussi au « Club des Unes Internationales » avec lequel elle expose en 1908 et 1911 au Cercle international des Arts.

Elle ne participe pas, en revanche, aux expositions de l’Union des Femmes Peintres et Sculpteurs (UFPS) créée par Hélène Bertaux en 1881 (voir sa notice) parce que, vingt ans plus tard, sous la présidence de Virginie Demont-Breton, l’association est devenue trop conformiste. Mais lorsque se créera la FAM (société des Femmes Artistes Modernes) en 1932, elle y exposera quatre dessins et une sculpture.

 

Je place ici la seule Tête de femme que j’ai trouvée et dont je ne connais pas la date…


Illustration in Maurice Guillemot, « Jane Poupelet »,
Art et Décoration, juillet-décembre 1913, Tome XXXIV, p.52


Dès le milieu des années 10, Jane s’est constitué un réseau international d’artistes féminines et, lorsque la Grande Guerre commence, elle le met immédiatement au service de sa solidarité patriotique en organisant un concert et une exposition d’artistes français mobilisés, dans une galerie new yorkaise.

En 1915, elle fabrique des jouets de bois peints qui seront exposés à l’Union centrale des Arts décoratifs, puis au Pavillon de Marsan (exposition « Renaissance du jouet »), et vendus au profit des sinistrés.

Lapins – 1915
Jouets en bois
Collection particulière
© Photo : Alain Leprince – La Piscine M.A.I.A.D. Roubaix

Puis, pendant les trois ans qui suivent la fin du conflit, elle met sa compétence au service de la Croix rouge, en modelant des masques pour ceux que l’on nomme les « Gueules cassées », victimes des terribles blessures faciales causées par les éclats d’obus.

C’est une sculptrice américaine, Anna Coleman Ladd (1878-1939), qui avait créé en 1917, avec son mari chirurgien, un atelier de reconstruction faciale, installé 86, rue Notre-Dame-des-Champs à Paris. L’activité de l’atelier augmente progressivement et, en septembre 1918, 94 soldats défigurés ont déjà demandé à bénéficier de ses services. Il lui faut donc trouver de l’aide.

Le contrat de Jane avec la Croix rouge américaine, daté du 18 mars 1918, stipule qu’elle dirige l’atelier parisien en l’absence d’Anne Coleman Ladd qui se déplace beaucoup. Jane supervise la partie administrative et financière de l’entreprise et travaille bénévolement à l’atelier des masques tous les après-midi, 6 jours par semaine.

À l’automne 1918, l’atelier des masques emploie cinq personnes : quatre sculpteurs, dont Jane et Robert Wlérick et une chercheuse. La confection des prothèses s’effectue en plusieurs étapes : la prise d’empreinte puis la confection d’un moule en plâtre, dans lequel il faut ouvrir les yeux et créer des volumes anatomiques reproduisant exactement ceux du blessé. La deuxième étape est le modelage des parties manquantes qui fait appel à tout le savoir-faire du portraitiste pour restituer des volumes proportionnés. Puis on réalise un moulage en cire du visage reconstitué. Le modelage a lieu dans l’atelier et nécessite la présence du blessé. Jane déclarera plus tard : « Mon objectif n’était pas seulement de fournir à un homme un masque pour cacher son affreuse mutilation, mais de mettre dans le masque une part de cet homme, c’est-à-dire l’homme qu’il était avant la tragédie. »

 

Jane Poupelet dans l’atelier de prothèse faciale
Illustration de l’article de Eric Dussourt, op.cit. p.12

La troisième étape est la fabrication par galvanoplastie de la prothèse en cuivre, par la maison Christofle. On place le masque en cire dans un bain de sulfate de cuivre parcouru par un courant électrique continu. Un mince dépôt de cuivre se forme à la surface qui constitue l’épithèse ou prothèse faciale qui est ensuite peinte et à laquelle on peut ajouter des poils de barbe. La bouche entrouverte donne un aspect plus naturel et permet de respirer et parler. Les cils sont découpés dans du métal fin, les yeux artificiels soigneusement assortis aux vrais et protégés par des paupières modelées. Et le tout s’attache derrières les oreilles à l’aide de fils métalliques invisibles. (Source : Eric Dussourt, « Jane Poupelet (1874-1932), une artiste au service des "Gueules Cassées" », Actes de la Société française d'histoire de l'art dentaire, 2014, n°19, p.11-15)

 

Epithèse (prothèse faciale) attribuée à Jane Poupelet (musée de Meaux)
Illustration de l'article de Eric Dussourt, op.cit. p.13

En 1919, est publié le premier article qui évoque la « restauration esthétique » dans « le traitement terminal des grandes mutilations de la face ». Un des premiers articles, en France, à souligner la nécessité de créer un secteur de la chirurgie qui s’occupe expressément de l’apparence physique, la future chirurgie plastique ou esthétique.

 

Jane poursuit son travail à l’atelier des masques jusqu’à l’hiver 1920 et reçoit la Légion d’honneur pour son action au service de la Croix rouge en 1928.

Bien qu’elle n’ait pas assimilé ce travail à sa pratique de la sculpture, celle-ci en restera définitivement marquée. Elle sculptera encore jusqu’au milieu des années 20 et participera au nouveau Salon des Tuileries, dont la première exposition a lieu en 1923. Et elle est nommée membre du jury de sculpture du salon.

 

Masque tragique – 1923
Plomb, 47,5 x 45 cm
Centre Pompidou, Musée national d’Art moderne, Paris
© Photo : Adam Rzepka – Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP



Imploration – 1925
Bronze avec traces de dorures, 84 x 31 x 34 cm
Centre Pompidou, Musée national d’Art moderne, Paris
© Photos : Bertrand Prévost – Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP


Puis elle se consacre presque exclusivement au dessin et à la sculpture animalière et expose ponctuellement dans des galeries.

 

Trois poules et deux canards – 1930
Encre de chine sur papier bistre, 32 x 22,5 cm
Centre Pompidou, Musée national d’Art moderne, Paris
© Photo : Philippe Migeat – Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP


« Jane Poupelet, qui fut une vraie élève de Rodin, en ce sens qu’elle ne fut pas une imitatrice de son maître et qu’elle garda sa vigoureuse originalité, expose chez Bernier un petit nombre de sculptures – on en apprécie la plénitude des formes – et des dessins puissants, vivants, qui sont parmi les plus forts qu’on peut trouver actuellement. Cette exposition devrait donner de l’essor à une réputation déjà acquise parmi les artistes mais qui doit avoir plus d’écho dans le public. » (Arsène Alexandre, « La vie artistique » Le Figaro, 24 juin 1930, p.3)

 

Lapin couché – 1930
Bronze, 85 x 33,5 cm
Musée des Beaux-Arts, Calais


Lapin à l’oreille dressée
Musée des Beaux-Arts, Calais



Oie en bronze
Reproduite dans L’Art vivant, n°168, janvier 1933, p.3




Coqs – 1925
Encre, aquarelle et graphite sur papier, 26 x 19 cm
The Metropolitan Museum of Art, New York


« Elle dessine des coqs aux allures fières, épie le caprice des gestes des lapins, l’instabilité des oreilles et la fantaisie de leurs rabattements. Elle crée de précieuses figurines d’animaux de tout point achevées, car elle est son propre mouleur, son propre ciseleur. Elle crée elle-même ses patines. » (Gustave Kahn, « Jane Poupelet », L’Art et les artistes, Tome XIV, octobre 1926-février 1927, p.82)

 

Coq – 1930
Bronze, 27 x 11 x 17,5 cm
La Piscine-Musée d'art et d'industrie, Roubaix
© Photo : Adam Rzepka - Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP


Et c’est à ce stade qu’on commence à lire régulièrement que le style de Jane est « proche de celui de Pompon », alors que… « […] Poupelet – et ici de son seul chef – a donné à l’animal une interprétation toute nouvelle, libérée de la tradition de Barye, et qui ne doit rien, aucunement, à Pompon. Celui-ci en effet, était encore pratiquement ignoré de tous tandis que Poupelet avait déjà produit maints de ses animaux, notamment la Vache marchant (1906) et l’Ânon de trois semaines (1907). L’un et l’autre, il faut les ranger parmi les productions maîtresses de l’art animalier depuis Barye. » (Henri Martinie, « Jeanne Poupelet, L’Art vivant, n°168, janvier 1933, p.2)

 

Jane Poupelet est morte le 17 octobre 1932 à Talence.


« Nous ne verrons plus, aux jours fébriles qui précèdent le vernissage du Salon des Tuileries, sa silhouette discrètement enjouée, sa mise par delà la mode et qui s’harmonisait si bien avec sa grâce sévère, ses grands yeux remplis de malice contenue qui ne consentait à tout dire qu’entre amis, son geste de fumeuse impénitente. […] C’est un des plus grands statuaires français d’aujourd’hui qui disparaît ainsi. […] je tiens à dire tout de suite, ce qu’on ne sait pas assez, qu’elle joua, dans des circonstances importantes pour la sculpture française, un véritable rôle de précurseur. » (Henri Martinie, op. cit., p.2)

 

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Une première exposition rétrospective, « Jane Poupelet, 1874-1932, La beauté dans la simplicité » a été présentée à La Piscine, Musée d'Art et d'Industrie André Diligent, à Roubaix d’octobre 2005 à janvier 2006, puis au Musée des Beaux-Arts à Bordeaux de février 2006 à juin 2006 et au Musée Despiau-Wlérick à Mont-de-Marsan de juin à octobre 2006 (musée que je vous engage à visiter pour en savoir davantage sur les sculpteurs évoqués dans la présente notice).

 

Et depuis ? Plus rien. A ce propos, il y a des absurdités administratives qui mériteraient d’être interrogées : je suppose que les artistes sont « attribués » entre les musées parisiens en fonction de leurs dates de naissance : ainsi, Lucien Schnegg (né en 1864) et François Pompon (né en 1855) sont au musée d’Orsay tandis que Jane Poupelet, Charles Despiau (tous deux nés en 1874) et Robert Wlérick (né en 1882) se trouvent à Beaubourg.

Moyennant quoi, il n'y a pas un mot sur Jane dans les notices consacrées à Pompon. 

Nous ne sommes pas au bout de nos agacements…

 

Reproduit dans l’article de Gustave Kahn, « Jane Poupelet »,
L’Art et les artistes, Tome XIV, octobre 1926-février 1927, p.83


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