Valentine
Henriette Prax est née le 23 juillet 1897 à Bône (aujourd’hui Annaba), en Algérie.
Son père Henri Prax, natif de Perpignan, un exploitant forestier qui exerce aussi les fonctions de vice-consul d’Espagne et du Portugal est à la fois taiseux et vaguement poète ; sa mère, marseillaise d’origine sicilienne, est atteinte de quasi cécité.
Valentine étudie pendant trois ans à l’Ecole des beaux-arts d’Alger puis, en dépit de son attachement pour la lumière et les paysages de son département natal, décide de se rendre à Paris. C’est là seulement qu’on peut devenir artiste. Peintre ou poète, elle n’a pas encore choisi. Pour financer son voyage, elle vend ses bijoux et débarque à Paris, presque sans un sou. Elle n’a pas encore vingt-deux ans.
Grâce aux conseils d’un officier russe qu’elle a rencontré à Bône, elle trouve un petit atelier proche de Montparnasse, au 35 rue Rousselet. C’est un atelier minuscule, sans eau ni chauffage, qu’elle décrit comme une « cage de verre » où elle se sent « comme un oiseau captif pour cinquante francs par mois ». Elle est timide mais elle ose tout de même aller frapper à la porte d’un sculpteur russe dont l’officier lui a signalé la présence, à la même adresse.
Le sculpteur en question est de santé fragile : gazé pendant la guerre, il a été démobilisé en 1917 et a fait paraître l’année suivante un album intitulé Vingt eaux-fortes de guerre par Ossip Zadkine, soldat au 1er régiment étranger affecté à l’Ambulance russe aux armées françaises : les nombreux dessins et aquarelles qu’il a exécuté pendant le conflit.
Elle
le trouve un peu bizarre mais amusant ; il la trouve mal fagotée (« vous
venez de province, cela se voit ») et propose de lui couper les cheveux.
Elle lui montre cependant ses dessins et ses premières peintures. Il est catégorique : elle n’a aucun talent et doit se consacrer à la poésie. Mais Valentine tient bon, elle veut apprendre et être peintre. Alors elle le suit dans ses pérégrinations à Montparnasse et rencontre sa bande de copains : Modigliani, Foujita, Soutine, Henry Miller, entre autres… Zadkine, soutenu par un mécène, le prince Rodocanacchi, est déjà connu dans plusieurs pays.
Valentine travaille et finit par recevoir d’Ossip une appréciation positive : « Je me suis peut-être trompé sur ton compte. Je crois tout de même que tu as du talent. » Il lui conseille de fuir les écoles, d’aller au musée, de courir les bonnes expositions et, surtout, de ne pas avoir peur de son imagination.
Il lui fait découvrir les Fauves, le cubisme, Picasso, Cézanne, lui conseille la lecture d’Apollinaire et de Max Jacob. Elle s’en émerveille, dessine d’après modèle vivant à l’académie de la Grande-Chaumière et peint sur le motif à Clamart, à Marly, à Bièvres où elle s’installe quelques temps. Comme ses toiles sont rarement datées, il n’est pas facile de retrouver ses productions de l’époque…
Et, bien qu’absolument inconnue, Valentine bénéficie d’une première exposition à la galerie Mouninou, rue Marbeuf, dès le mois d’avril 1920 !
Je profite de cette première photo pour évoquer le
photographe : Marc Vaux vivait à Montparnasse où, après avoir été mutilé de guerre,
il gagnait modestement sa vie en tirant le portrait des commerçants de son
quartier. C’est le sculpteur Charles Desvergnes (1860-1929) qui, le premier,
lui demanda de photographier ses sculptures. Satisfait du résultat, il le
recommanda à d'autres artistes de Montparnasse, dont Marie Vassilieff et Maria
Blanchard qui étaient ses voisines. Fort de ces premières expériences, Marc
Vaux proposa ses services aux artistes, développa ses compétences en
reproductions d'œuvres d'art et illustra la vie intellectuelle et festive du
quartier de Montparnasse des années 20-30 : portraits d'artistes, académies,
bal costumés, cafés, etc.
C’est ainsi que se constitua l’actuel « Fonds Marc Vaux », en majorité des reproductions d'œuvres de près de 5.000 artistes ayant habité à Paris de 1920 à 1970. Actuellement conservé par la bibliothèque Kandinsky au MNAM, le fonds est consultable en ligne. Une délicieuse promenade pour les amateurs de la période !
Régulièrement,
Zadkine part travailler seul à Bruniquel, un petit village du Quercy. Un jour
d’été 1920, alors que Valentine est en villégiature à Collioure chez Foujita et
sa femme, Fernande Barrey, elle reçoit un télégramme de Zadkine :
« Viens. Parlerons mariage ». Elle le rejoint et ils se marient le 20
août 1920. Foujita et sa femme sont leurs témoins. Une cérémonie plus que
modeste : ils n’ont même pas les moyens de s’acheter des alliances.
Au
mois de décembre de l’année suivante, Valentine est invitée à exposer dans la
galerie La Licorne dirigée par le collectionneur Maurice Girardin. Puis, dès le
mois suivant, elle expose à la galerie Sélection de Bruxelles. La critique loue
ses harmonies de gris, vert et brun et sa « spontanéité fraîche et sans
fard ». Le poète polonais Léopold Zborowski, un ami de Modigliani, lui
achète quelques toiles.
Les deux artistes posent leurs valises chaque été à Caylus, un autre beau village du Quercy où ils achètent leur première maison.
Valentine a visiblement assimilé les leçons cubistes et ses compositions se font plus savantes, probablement sous l’effet des conseils du peintre Charles Dufresne (1876-1938) qui l’a prise en amitié et lui a même prêté quelques temps son atelier de l’île Saint-Louis : « Je me souviens bien du plaisir que je prenais à équilibrer et à répartir les formes dans mes toiles. » Et elle affirme plus tard qu’à partir de son mariage, elle n’accepte plus aucun conseil de Zadkine.
Sa palette se
réchauffe progressivement mais ses couleurs ne sont jamais pures, brouillées
d’oppositions chromatiques assourdies, comme on le voit avec cet Ivrogne
qu’elle expose au Salon des Tuileries de 1924.
Lorsque
la galerie Berthe Weill lui consacre trois semaines d’exposition en janvier
1924, elle expose seize huiles d’inspiration paysanne, les travaux des champs,
des attelages sur la route, dans des paysages dominés par le village de Caylus.
Valentine expose aussi quatre peintures sur verre, une technique reprise de l’art populaire, très prisée par les artistes allemands (voir la notice de Gabriele Münter), qu'elle est une des rares peintres français à maîtriser, ce qui lui vaut un succès commercial. Ce sont peut-être l’une ou l’autre de celles-ci, je n’ai pas trouvé de précision sur le sujet…
J’ai
essayé de les classer en fonction de l’évolution de son style.
Dans
les deux œuvres suivantes, on voit apparaître ce qui caractérise son style des
années 30, les visages coupés d’un trait continu du front au menton.
Elle
semble avoir travaillé cette technique jusqu’à la fin des années 50.
Mais reprenons le cours de la biographie !
Dès 1925, plusieurs des toiles de Valentine retiennent l’attention de la critique :
En
mai 1926, elle signe un contrat avec la galerie Barbazanges qui lui assure une
mensualité de 2.000 francs. Ses toiles, d’un expressionnisme calme, se vendent
mieux que les gouaches de Zadkine, lesquelles constituaient pour lui un revenu
plus régulier que la vente de ses sculptures…
En 1928, Valentine et Zadkine s’installent dans un délicieux petit pavillon à étage avec jardinet, 100 rue d’Assas, à deux pas du jardin du Luxembourg.
C’est
probablement Valentine qui introduit la première dans ses toiles les thèmes mythologiques…
… des compositions complexes, où les détails s’accumulent et qui sont prétexte à la représentation de rivages marins…
…
rivages qu’elle conjugue aussi avec des natures mortes où elle introduit
de nombreux coquillages :
Zadkine
travaille aussi les thèmes antiques dans ses gouaches des années trente. Je ne
vous surprendrai pas en soulignant que ce sont les siennes qui sont aujourd’hui
les plus connues :
En
septembre 1934, Zadkine et Valentine achètent une maison dans le village des Arques.
Elle est un peu délabrée mais pourvue d’une énorme grange où ils peuvent
installer leurs ateliers. Valentine dispose enfin d’un espace approprié à son
travail.
Valentine est à présent une peintre reconnue et ses expositions se multiplient, à Londres, à Chicago, à Philadelphie et au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. A Paris, elle participe au Salon d’Automne en 1933 et 1936 et au Salon des Tuileries en 1934 : « Peu de toiles sont aussi poétiques, aussi fraîchement inspirées, aussi riches de coloris que celles de Valentine Prax » estime alors Paul Fierens (« Le Salon des Tuileries », Les Nouvelles littéraires, 26 mai 1934, p.1)
Pour « l’Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne » de 1937 (qui sera la dernière Exposition universelle à avoir lieu en France), Valentine aurait peint l’une des grandes verrières du musée d’Art moderne, sur le thème de l’Aviation. Je n’ai pu trouver aucune information sur cette réalisation évoquée dans une notice du musée Zadkine…
Lorsque la guerre éclate, Valentine et Zadkine sont aux Arques où Valentine travaille à un projet de carton de tapisserie pour un atelier d’Aubusson. Bien que ce projet n'ait pas abouti à cause du conflit, certains cartons de Valentine ont bien été réalisés.
J’en ai retrouvé deux traces : sur un site de vente (la photo est plutôt moche…) :
Puis
dans une exposition qui s’est tenue à Atelier-musée Jean Lurçat à Saint-Laurent-les-Tours
du 17 mai au 31 décembre 2010 (la tapisserie de droite est signée V.Prax) :
Zadkine,
considéré comme juif, doit se réfugier à New York mais Valentine décide de
rester pour protéger leurs œuvres. Leur atelier de la rue d’Assas est occupé
par un couple d’escrocs qui menace de livrer les sculptures de Zadkine aux
Allemands. Valentine sauve les sculptures mais déchire ses propres toiles
plutôt que de les abandonner sur place.
Elle vit aux Arques dans une totale solitude, sans soutien moral de Zadkine qui n’envoie que de rares télégrammes. Soupçonnée d’être juive elle aussi, elle doit même se procurer son certificat de baptême et aller jusqu’à Vichy pour plaider sa cause.
« Ce furent cinq étés brulants
La sève était tarie.
Les mains vides, les yeux éteints
On regardait passer la vie, sans voix,
Un souffle aurait brisé tous nos espoirs.
Où sont les fraicheurs de l’aube ? »
Valentine
Prax, poème inédit, 1944 – Pendant la guerre
Source : Musée
Zadkine
Elle
souffre de la faim et de solitude mais elle s’accroche à son travail et
considère même avoir produit ses meilleures toiles pendant cette période.
Après lui avoir laissé entendre qu’il ne rentrerait pas, Zadkine finit par revenir en 1945, implorant, malade et sans le sou. Le couple se retrouve mais les temps heureux sont finis et rien ne sera plus jamais comme avant…
Les toiles de guerre de Valentine ne seront dévoilées au public qu’au début des années 50, au Salon des Tuileries et au Salon d’Automne. André Chastel qui en fait la critique, l’associe aux « artistes de renom » qui ont un peu « forcé la dose » avec des toiles « qui vont jusqu’au plafond ». (A. Chastel, « Un Salon d’Automne comme les autres, Le Monde, 3 novembre 1952).
Pendant ce temps, Valentine lutte pour apaiser sa colère, dans des conditions financières à nouveau très difficiles.
Au
début des années 50, le style de Valentine se modifie, la tonalité des couleurs s'adoucit…
…
les gouaches - où le trait devient plus présent – se font plus légères, presque
allègres.
Elle
paraît s’apaiser au début des années 60 :
En
1963, Valentine bénéficie d’une grande exposition à la galerie Katia Granoff. Elle
a retrouvé le plaisir de la création, que la mort de Zadkine en 1967 ne vient
pas altérer.
Fidèle à la promesse faite à Zadkine de veiller sur son œuvre, Valentine se mobilise en vue de la création d’un musée et travaille à ce projet avec la ville de Paris qui, parallèlement, organise une rétrospective de l’œuvre de Valentine Prax au musée d’Art moderne en 1976.
Le projet aboutit en 1980. Par testament, Valentine lègue à la ville de Paris la totalité de ses biens, la chargeant d’installer un musée dans leur maison de la rue d’Assas.
Valentine meurt le 15 avril 1981.
Un an plus tard, le 19 avril 1982, le maire de Paris inaugure le musée Zadkine.
Dans un communiqué de presse d’octobre 2012, la ville de Paris affirme que le musée Zadkine a été créé « conformément au souhait de Zadkine lui-même qui, dès 1964, exprimait son intention qu’une institution soit fondée regroupant l’ensemble de son œuvre et celle de son épouse. » Mais la suite du document annonce le parti retenu : « Hommage rendu à celle qui partagea la vie de Zadkine pendant près de cinquante ans et fut elle-même artiste, une toile de Valentine Prax représentant une nature morte, ponctue de sa présence discrète, en marge de cette sélection, la montée vers les étages. » (p.15)
Une présence discrète, en marge ?
En
effet, lors de ma dernière visite au musée en juillet dernier, une seule œuvre
de Valentine y était présentée, la Femme assise, lisant que j’ai placée
en exergue de ma notice.
C’est bien peu pour évoquer une artiste dont l’œuvre peint comporte plus de 200 toiles (j’en ai compté 196 dans le seul fonds Marc Vaux) dont une bonne partie, via le Fonds Valentine Prax, appartient à la ville de Paris.
La dernière rétrospective organisée par la ville de Paris au Couvent des Cordeliers date de 1996. Son catalogue, bien que modeste, m’a été fort utile pour rédiger cette notice puisque le site du musée Zadkine ne montre que trois œuvres de Valentine.
Trois, seulement…
*
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