Elisabeth
Nourse est née le 26 octobre 1859 à Mount Healthy, dans l’Ohio, une petite
ville proche de Cincinnati.
Avec sa sœur jumelle, Adélaïde, elle est la dernière-née d’une fratrie de dix enfants. Son père, autrefois banquier prospère, a été brusquement ruiné par la Guerre de Sécession (1861-65). Pour autant, Elisabeth a reçu une excellente éducation qui lui a permis de développer ses dispositions artistiques.
A quinze ans, elle intègre la McMicken School of Design (aujourd'hui Art Academy of Cincinnati), avec sa jumelle qui se consacre à la sculpture sur bois. Elle est une des premières femmes à être admise au cours de dessin de Thomas Satterwhite Noble, un peintre connu pour ses peintures abolitionnistes. Dans les années 1870, il a peint une série d’œuvres anti-esclavagistes. La première d’entre elles était intitulée : The Last Sale of Slaves in St. Louis :
A la fin de ses sept
ans d’étude, l’université propose à Elisabeth un poste de professeur qu’elle
refuse pour poursuivre sa formation. C’est à peu près à cette époque qu’elle
peint le tableau le plus ancien que j’ai pu trouver d’elle :
Pendant
une brève période à la fin de 1882, Elisabeth s'inscrit à l'Art Students
League de New York, où elle suit les cours de William Sartain (1843-1924) mais,
peut-être à cause de la mort de ses parents et de la nécessité de gagner sa
vie, elle retourne à Cincinnati et s’associe avec sa sœur sculptrice
pour réaliser des meubles et des objets d’art décoratif.
Chaque
été, elle passe ses vacances dans les Appalaches du Tennessee, pour peindre des
paysages et des scènes de la vie locale.
Elle
y travaille aussi l’aquarelle, medium qu’elle utilisera souvent ensuite.
En 1887, après le mariage de sa sœur jumelle, Elisabeth part à Paris en compagnie de Louise, sa sœur aînée. Elle s’inscrit à l’académie Julian où il semble qu’elle ne soit restée que trois mois. Elle y a probablement participé à l’atelier féminin « d’académie », c’est-à-dire de nus.
Dès
son arrivée en Europe, elle commence à saisir des petites scènes à l’aquarelle qui sont autant d'indications de ses centres d'intérêt.
L’année suivante, elle présente au Salon Une mère, en se déclarant l’élève de Jules Lefebvre et Gustave Boulanger, tous deux professeurs à l’académie Julian. Le tableau est bien reçu puisqu'elle aurait même eu l’honneur d’être accrochée « sur la ligne », c’est-à-dire à hauteur des yeux. (On frémit un peu quand on imagine le nombre d’œuvres qui étaient accrochées dans ces Salons…)
En 1889, après s’être installée dans son premier atelier, rue de la Grande-Chaumière, Elisabeth s’inscrit une nouvelle fois au Salon mais cette fois comme élève de Jean-Jacques Henner et Carolus-Duran, ce qui laisse supposer qu’elle a dû fréquenter l’école de peinture pour femmes où ils enseignaient tous deux et qui accueillait un nombre conséquent d’artistes étrangères.
Elle y montre deux
toiles. Le thème de l’une d’elles, Dans la bergerie à Barbizon, est sans doute un peu passé de mode en cette fin de siècle. Quant à son second tableau, je n'en ai retrouvé qu'une mauvaise image :
Elisabeth commence sans tarder à visiter la France puisqu’elle peint, la même année, cette Pêcheuse de Picardie… Peut-être y a-t-elle rencontré Virginie Demont-Breton (voir sa notice) qui, à la même époque, recevait volontiers les jeunes peintres de passage et faisait construire son Typhonium, à Wissant ?
Dès 1890, Elisabeth est
accueillie au Salon de la toute nouvelle Société nationale des beaux-arts,
cofondée par Carolus-Duran. Elle y reviendra tous les ans mais ne sera acceptée
comme sociétaire à part entière qu’en 1904.
En 1891, elle voyage au sud de l’Autriche, n’hésitant pas à visiter des villages les plus reculés, comme celui de Boršt, aujourd’hui en Slovénie. Elle en rapporte plusieurs toiles, dont cette Etude qu’elle présente au Salon de 1892, assez caractéristique de l’impression de profondeur spirituelle qui se dégage de ses œuvres.
« Elizabeth Nourse a peint ce double portrait de paysannes catholiques alors qu'elle visitait le village de Borst, dans le sud de l'Autriche, avec sa sœur Louise, en 1891. En dépit de son titre, l'ambiance recueillie de la peinture et les expressions douces de ses sujets semblent suggérer une attitude de prière plutôt que l’écoute d'un enseignement académique. » (Extrait de la notice du musée)
Puis elle revient en France en passant par Rome et Venise…
Elisabeth paraît avoir voyagé chaque été dans différents pays d’Europe. L’été 1892, elle visite la Hollande et présente deux toiles sur ce thème au Salon de 1893 :
En cette même année 93, Elisabeth rentre aux Etats-Unis. Elle doit participer à la fameuse World’s Columbian Exposition de Chicago (pour les 400 ans de la découverte de l’Amérique) où elle expose trois œuvres au Palais des Beaux-Arts, en tant qu’artiste américaine et deux œuvres au Pavillon de la Femme. L’une de ces œuvres vient aussi de Boršt.
C’est une bonne année
pour la renommée américaine d’Elisabeth, puisque, en plus de la médaille de 3e classe qu’elle remporte à
l’Exposition universelle, elle est invitée à exposer 102 peintures au Cincinnati Museum of Art qui conserve aujourd’hui une importante
collection de ses œuvres. Ce long voyage - son unique retour dans son pays natal - explique probablement qu’elle ne présente
qu’une seule toile au Salon de 1894, Dans le champ en Hollande, réalisée
en 1892 et que je n’ai pas retrouvée.
A peine rentrée à Paris, elle s’installe dans un nouvel atelier, rue d’Assas et file en Bretagne. Elle en rapporte ce superbe Heures d’été qui figure au catalogue du Salon de 1896 de la société nationale.
Elisabeth
reprend son rythme créatif soutenu et présente six œuvres au Salon de 1895, dont la Première
communion, thème que Jules Bastien-Lepage a illustré vingt ans auparavant
et qui a inspiré beaucoup de peintres de l’époque… Elle en exécute
plusieurs versions.
C’est probablement avant
1897 qu’Elisabeth a peint La fête du grand-père, qu’elle expose au Salon cette année-là.
En effet, fin 1896, Elisabeth se trouvait probablement déjà en Afrique du Nord.
Après
l’établissement du protectorat français sur la Régence de Tunis (1881), la
France avait d'abord fondé un service des Antiquités et des arts (1885) puis, en 1894,
l’Institut de Carthage et sa section artistique, grâce auxquels les échanges,
missions et voyages d’artistes, s'étaient multipliés. L’Institut a organisé des
Salons à partir de 1894 (sur le caractère colonial duquel il ne m’appartient
pas de me prononcer mais qui offre, rétrospectivement, une source
documentaire intéressante…).
Ce qui est sûr, c’est qu’Elisabeth participe au Salon Tunisien de mai 1897. Elle figure en page 35 du Livret des exposants (Salon Tunisien de 1897, J.Picard et Cie imprimeurs, Tunis, 1897, source : athar.persee.fr.), avec quatre peintures, dont Les terrasses de Tunis et trois Têtes.
Elles ont évidemment été exécutées sur place, il a donc fallu qu’elle y séjournât un certain temps. Il est assez probable qu’elle a présenté le tableau ci-dessous, ainsi que deux portraits de femmes, dont une Tête bédouine qui est peut-être celle qui est conservée au musée de Cincinnati…
Ce Jeune Maure a probablement été réalisé aussi pendant ce voyage…
…
ainsi que cette aquarelle :
Elisabeth
remporte une médaille d’argent au Salon tunisien (dont le jury est présidé par
l’incontournable Léonce Bénédite, conservateur du musée du Luxembourg) et
rapporte de Tunisie une palette plus lumineuse. Mais, contrairement à ce qui se passait lors
de ses précédents voyages, les tableaux tunisiens ne seront jamais exposés au Salon
parisien. Peut-être ont-ils été achetés sur place…
Elle réserve pour Paris ses nombreuses Maternité, portraits d’enfants et scènes de genre diverses. Son style, à l'époque résolument naturaliste et qui se distingue par la grande attention qu’elle porte à la caractérisation des traits de ses modèles, va cependant connaître une évolution sensible au cours des dix années suivantes.
En 1900, elle participe à l’Exposition universelle de Paris et y reçoit une médaille d’argent mais je n’ai pas trouvé pour quelle œuvre, la liste officielle ne le précise pas. En 1902, elle présente ces Frère et sœur au Salon et, chaque année, des scènes maternelles toujours d'une grande douceur.
En
1904, elle envoie une ou plusieurs œuvres à la Louisiana Purchase Exposition
de Saint Louis, une exposition universelle à laquelle participent une
soixantaine de pays et tous les Etats américains. Elle y reçoit une médaille
d’or.
Et expose aussi au Salon :
Les petites aquarelles continuent à témoigner de ses différents séjours estivaux…
… notamment en Bretagne où elle se rend régulièrement avec Louise.
En 1905, Elisabeth expose Jours Heureux au Salon de la « Nationale », un tableau conservé aujourd’hui au Detroit Institute of Arts, avec lequel je ne suis pas parvenue à entrer en contact. C’est dommage, car il aurait été plus agréable de voir en couleur ce tableau a retenu l’attention de La Gazette : « Mlle Nourse, une artiste américaine, s’est ingéniée à nous peindre les Jours heureux, et la peinture en est elle-même heureuse, semble avoir été exécutée avec allégresse. Les scènes familiales Intérieur suisse, Vieille cuisine de montagne, de la même artiste, montrent un souci particulier et une réalisation très satisfaisante des oppositions violentes de l’ombre et de la lumière. » (Eugène Morand, « Les Salons de 1905 », La Gazette des Beaux-Arts, 1e semestre 1905, p.473)
Puis
à nouveau bretonne :
Brusquement, un peu avant la Grande Guerre, alors qu’elle avait assuré que « l’impressionnisme [était] trop expérimental » pour ses sujets de prédilection, on sent comme un frémissement. Avec Les volets clos, d’abord, qui est acheté par le musée du Luxembourg au Salon de 1910, en même temps que des œuvres de James Abbott McNeill Whistler, Winslow Homer et John Singer Sargent.
C'est surtout avec deux œuvres qu’elle présente aux Salons de 1911 et 1914, qu'il semblerait que « l’expérience » impressionniste l'ait rattrapée ! C’est un impressionnisme à l’américaine, avec une palette
qui évoque un peu celle de Richard Edward Miller (1875-1943) et toujours une impression d'intériorité sensible, à fleur de toile.
Lorsque la Première Guerre mondiale éclate
et que les expatriés quittent la France, les sœurs Nourse restent à Paris où les
réfugiés affluent. Elles se démènent pour collecter des fonds auprès de leurs
mécènes américains. Elles recevront ensuite la médaille Laetare de Université de Notre Dame, South Bend, pour services distingués à l’humanité.
Puis,
dans la années 20, Elisabeth souffre d’un cancer et se retire progressivement
d’une scène artistique où elle avait été présente et prolifique pendant
quarante-cinq ans.
Elizabeth
Nourse est morte le 8 octobre 1938, vingt mois après Louise, près de laquelle
elle repose dans un cimetière parisien. Son acte de décès de la mairie du 6e
la déclare « sans profession » …
Avec
Mary Cassatt et Cecilia Beaux, Elisabeth a été l'une des rares peintres
américaines à obtenir une reconnaissance internationale de son vivant. Comme
elles, elle a fait le choix de ne pas se marier pour ne pas entraver sa
carrière. Mais, contrairement à Marie Cassatt, elle n’avait aucune fortune personnelle et, contrairement à Cécilia Baux, elle n’a pas enseigné, vivant
exclusivement des revenus de son art.
Comme Mary Cassatt, avec laquelle elle était liée, Elisabeth s’est attachée à la représentation des femmes et de la maternité mais son intérêt pour les thèmes paysans et les femmes des milieux populaires la distingue de ses deux compatriotes, même si elle a également peint des portraits, plus lucratifs, et qui sont principalement conservés en collection particulière.
Sa notoriété d'alors se mesure au fait qu’elle a été présidente de deux organisations artistiques féminines, l’American Women Artists Association of Paris et la Lodge Art League.
Et, bien
qu’elle n’ait pas répondu à la fameuse circulaire de l’auteur, Elisabeth figure
également dans l’ouvrage de Clara Erskine Clément, Les Femmes dans les
Beaux-Arts du VIIIe siècle avant J.-C. au XXe siècle après J.-C.,
1904 (consultable en ligne sur www.gutenberg.org). Sa notice
précise que « Cette artiste idéalise les sujets de la vie quotidienne et
leur donne une qualité poétique d’une réalisation rare et délicieuse. »
Et puis…plus de quarante ans ont passé.
En 1983, le musée de Cincinnati organise « A Salon Career », grande exposition rétrospective de son travail, qui a également été présentée au Smithsonian Museum of Art de Washington. La majeure partie des toiles provenait de collections particulières américaines.
En 2018, elle était l’une des artistes présentées dans l’exposition itinérante « Women Artists in Paris, 1850-1900 » du Clark Institute of Art de Williamstown, qui s’est attaché à montrer la vitalité de la peinture féminine du dernier quart du XIXe siècle, à Paris.
Beaucoup de ces artistes, comme Amélie Beaury-Saurel, Louise Catherine Breslau, Marie Bashkirtseff, Mary Cassatt, Cecilia Beaux, Berthe Morisot, Rosa Bonheur, Marie Bracquemond, Eva Gonzales, Bertha Wegmann, Jeanna Bauck, Marianne Stokes, Hélène Schjerfbeck et Anna Ancher, figurent sur ce blog.
*
Comme
d’habitude, les natures mortes auront le dernier mot.
Bien que la première ne soit pas datée, il me semble qu’elle pourrait être antérieure ou concomitante au départ d’Elisabeth vers la France. L’autre est évidemment à relier à son tableau La Rêverie, dont elle constitue une déclinaison.
Deux styles, deux étapes entre lesquelles s'est déroulée une vie d'artiste…
*
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