Troisième enfant d’une fratrie de six, Minna Hermine Paula Becker nait le 8 février
1876, à Dresde, où elle passe une partie de son enfance. Sa famille déménage à
Brême en 1888, une ville très ouverte sur la vie artistique.
Elle
dessine intensément dès l’enfance ; ses parents ne s’y opposent pas mais tiennent
à ce qu’elle apprenne un métier. Elle obtient en 1895 son diplôme
d’institutrice tout en prenant des leçons de dessin, notamment avec le peintre aquarelliste
Bernhard Wiegandt (1851-1918), grâce auquel elle s’initie au dessin d’après
modèle.
Lors d’un voyage familial, en 1893, elle découvre le village de Worpswede où séjournent des artistes qui peignent en plein air et prônent un retour aux valeurs simples de la paysannerie.
En 1896, elle suit les cours de l’École de dessin et de peinture de l'Association des femmes artistes et amateurs d’art de Berlin (Zeichen und Malschule des Vereins der Künstlerinnen und Kunstfreudinnen). C’est une école de qualité où professent des artistes accomplies, comme Käthe Kollwitz (voir sa notice) et Jeanna Bauck (voir sa notice) avec laquelle elle restera en contact amical.
Elle visite les musées, découvre Dürer, Cranach et les peintres de la Renaissance italienne.
© Musées Böttcherstrasse, Brême
Et surtout, à la Nationalgalerie, elle admire les œuvres du peintre symboliste Arnold Böcklin.
Comme
elle dispose d’un petit pécule alloué par son oncle, Paula rejoint Worpswede
en septembre 1898. Une décision qui démontre son caractère déterminé. Elle y
fait la connaissance de la sculptrice Clara Westhoff qui devient son amie.
Elle
y rencontre aussi le peintre Otto Modersohn, l’un des fondateurs de la colonie.
Mais bien que les thèmes de ses peintures soient caractéristiques de son époque - des autoportraits, des paysages, des paysans - et qu'elle soit venue à Worpswede par adhésion aux valeurs des peintres de la colonie, la démarche artistique et, par conséquent, le style très personnel et novateur de Paula déplait dès la première année de son séjour.
Les
vieilles dames constituent un thème récurrent dans l’œuvre de Paula. Elle aimait leur « simplicité biblique. »
La plaine sans fin, les bouleaux, un grand ciel, c’est le paysage typique de Worpswede. Elle lui donne sa touche particulière en plaçant le bouleau juste au centre de la toile. Peut-être parce qu'elle ne peint pas dans la nature et que le pittoresque ne l'intéresse pas. Elle peint, en atelier, des paysages qui sont des pensées.
« Worpswede, Worpswede. Tu es toujours dans mon esprit … Vos bouleaux, les demoiselles délicates et élancées qui attirent le regard. Avec cette grâce langoureuse et rêveuse, comme si la vie ne leur était pas encore venue [...] Certains sont bien masculins, audacieux, avec des troncs forts, droits et noueux. Ce sont mes femmes modernes. » (Journal de Paula, Worpswede 1897)
En
1899, avec Clara Westhoff et Marie Bock, une autre artiste de Worpswede, Paula expose
son travail à la Kunsthalle de Brême, l’une des plus anciennes associations
d’art d’Allemagne. Le critique Arthur Fitger est cinglant : il ressent une
« nausée » devant ces œuvres « regrettables » et se sent
« outragé ».
La même année, Clara sculpte un buste de Paula :
Le manque d’audace des peintres worpswediens (le terme est de Rilke) incite Paula à partir pour Paris, dans la nuit du 31 décembre 1899. Elle s’inscrit à l’Académie Colarossi, où existe un cours de modèle nu ouvert aux femmes, et prend des cours d’anatomie à l’Ecole des beaux-arts.
Elle est enthousiaste : « J'espère apprendre bien des choses, notamment parce qu'il y a un merveilleux cours d'anatomie, dispensé gratuitement […], qui va compléter mes connaissances insuffisantes. Grâce à des préparations et des planches de dessin on nous a expliqué hier le genou de façon lumineuse. Nulle part ailleurs on ne nous propose cela, à nous les jeunes filles » (Lettre à ses parents en janvier 1900, cité par Catherine GONNARD et Élisabeth LEBOVICI. Femmes artistes, artistes femmes : Paris, de 1880 à nos jours, Paris, Hazan 2007, p. 46)
Elle s’émerveille lors de sa visite de l’Exposition universelle, visite le Louvre, le musée du Luxembourg alors consacré aux artistes vivants et découvre les tableaux de Cézanne exposés chez le marchand Antoine Vollard. C’est une révélation. Sept ans plus tard, elle écrit à Clara Rilke-Westhoff : « Je pense et repense ces jours-ci à Cézanne, l'un des trois ou quatre peintres qui m'ont frappée comme un orage et un grand événement. » (21 octobre 1907)
Après
Paris, l’été à Worpswede est synonyme d’ennui. Un jour, avec Clara, Paula
grimpe en haut du clocher de l’église et sonne les cloches à toute
volée, à la grande frayeur des habitants du village.
Mais elle fait aussi la connaissance du poète Rainer Maria Rilke, venu rendre visite à un ami. Clara et Paula vont former avec lui un trio teinté d’amitié amoureuse et les échanges épistolaires soutenus entre Paula et Rilke les influenceront mutuellement.
Paula continue à peindre la campagne environnante, les maisons et les gens qui y vivent, surtout des femmes et des enfants qu’elle représente sans idéalisation.
A l’évidence, ses découvertes parisiennes l’ont confortée dans sa recherche de nouvelles formes d’expression. Elle est pleine d’espoir, en dépit d’étranges prémonitions :
« Je sais que je ne vivrai pas très
longtemps. Mais est-ce si triste ? Une fête est-elle meilleure parce
qu’elle est plus longue ? Ma vie est une fête, une fête courte et intense.
Mes sens s’affinent, comme si, dans les quelques années qui me restent, il me
fallait tout, tout assimiler. Et j’aspire tout, j’absorbe tout. (…) Et si
l’amour me fleurit encore un peu avant de s’envoler et me fait réaliser trois
bonnes peintures dans ma vie, je partirai volontiers, des fleurs aux mains et
aux cheveux. » (Journal de Paula, le 26 juillet 1900).
Elle va, à partir de ce voyage, développer son propre langage pictural, au-delà de tout naturalisme. Elle utilise des couleurs plus claires au service d’une expression simple, presque plate.
Parfois, comme devant ce portrait, on pense à ceux de la Renaissance italienne…
En janvier 1901, Paula
écrit à Otto Modersohn, après avoir appris la mort d’Arnold Böcklin : « Et
l'esprit, l'esprit de Böcklin, où est-il ? Nous apparaît-il à nouveau dans les
fleurs et les arbres ? Peut-être le verrai-je fleurir au printemps prochain sur
la Weyerberge. Quand je pense à ça ainsi mon amour et mon humilité sont
multipliés par mille devant chaque brin d'herbe. »
C’est peut-être en hommage à la Flore de Böcklin qu’elle peint sa jeune sœur Herma, avec une couronne de fleurs, tenant entre ses mains en corbeille, un vase en forme d'urne avec un petit bouquet floral, comme un attribut.
La jeune fille élancée, peinte en buste, arbore la même expression impassible que les modèles de Böcklin. Bien que tournés vers le spectateur, ses yeux ne donnent pas accès à ses pensées intimes.
Quant à la position de la main gauche de Flore, je pense qu'on va la retrouver … un peu plus tard.
L’expression
et la robe rose pâle de cette jeune fille, concentrée sur son secret, évoquent
aussi un autre tableau de Böcklin…
Finalement,
après ce qui ressemble à quelques hésitations, Paula épouse Otto Modersohn et Rilke épouse Clara
(leur union ne durera que deux ans). Avant son mariage, en 1901, Paula est
partie deux mois à Berlin … prendre des cours de cuisine !
Rapidement, elle noue une relation très affectueuse avec la fille d’Otto, Elsbeth, qui a quatre ans au moment du mariage.
Elle prend souvent la petite fille comme modèle.
Voici
Elsbeth, peinte en gros plan, format paysage, devant un grand ciel vide
au-dessus de la plaine où se dressent des arbres dénudés. Une petite fille
immobile, un peu pétrifiée, qui paraît avoir besoin de protection et dont la
couronne de fleur ressemble à un bonnet de laine.
Elle produit beaucoup de petits portraits, souvent saisis au sein d’un paysage un peu rude, comme s’il lui appartenait de rendre compte des conditions de vie des paysans du village. Les garçons sont assez rares mais celui-ci me paraît être un bon exemple, avec son expression soucieuse…
Cette année-là, l’autoportrait de Paula est
environné de fleurs printanières mais avec, derrière elle, deux routes parallèles qui s’éloignent.
Devant
Elsbeth dans le verger et son immense digitale en fleur, Otto
s’extasie enfin : « Les écailles me sont tombées des yeux. »
L’image de l’unité de l’enfant et de la nature va devenir un thème récurrent
dans l’œuvre de Paula.
Pourtant, Paula se débat dans la routine : « L’expérience m’a enseigné que le
mariage ne rend pas heureuse. Il ôte l’illusion d’une âme sœur, croyance qui
occupait jusque-là tout l’espace. (…) J’écris ceci dans mon carnet de dépenses,
le dimanche de Pâques 1902, assise dans ma cuisine à préparer un rôti de
veau. »
L’un des tableaux les plus remarquables de cette année difficile, c’est la Jeune fille devant la fenêtre. Son expression méditative, presque absente, contraste avec sa présence très intense. Paula a installé un décor qui paraît refléter les pensées du modèle : une fenêtre fermée, des bouquets un peu rachitiques, une masse noire, sur la gauche, sortant d’une urne et, juste au-dessus, une colline qui ressemble à un volcan d’où l’on peut presque voir jaillir une explosion…
Début
1903, elle n’y tient plus et repart à Paris. Elle s’installe au 29 de la rue
Cassette, proche de Saint Germain-des-Prés, et passe de beaux moments au
Louvre où elle découvre Chardin, les Mantegna et surtout les portraits du
Fayoum avec lesquels elle se sent immédiatement en affinité, à cause de leur
cadrage serré et de l’expression particulièrement intense des yeux. On les
retrouve, en effet, dans ses autoportraits des années suivantes, notamment
celui que j’ai placé en exergue et celui qui conclut la notice.
Elle voit aussi des masques japonais à la vente Hayashi et rencontre Rodin, recommandée par Rilke qui la présente comme « la femme d’un peintre très distingué » (!)
Elle ne reste pas longtemps à Paris, cinq semaines seulement.
Le
retour est difficile et on imagine sa solitude quand on lit ce qu’écrit Otto de
son travail : « Elle déteste le conventionnel et tombe maintenant
dans l’erreur de préférer l’anguleux, le laid, le bizarre, le lourd. Les
couleurs sont fameuses — mais la forme ? Mais l’expression ! Des
mains comme des cuillères, des nez comme des massues, des bouches comme des
plaies ouvertes, des expressions de crétins… Deux têtes, quatre mains sur une
surface minuscule, rien de plus pour des enfants. Et il est difficile de
vouloir la conseiller, comme souvent. ».
Dans son journal, il y a la réponse à cette attaque qu’elle n’a sans doute pas lue : « En moi brûle le désir ardent de grandir dans la simplicité. ». (P. Modersohn-Becker, Briefe und Aufzüge, Leipzig 1982, p. 235)
Clara met au monde une petite fille puis, trop occupée par son enfant, s’éloigne de Paula.
Quant
à Rilke, qui ne s’occupe ni de sa femme, ni de sa fille, il achètera deux ans
plus tard à Paula ce tableau qui représente un Bébé avec la main de sa mère.
Comme souvent, Paula isole un personnage d'une scène et le travaille comme un détail à explorer…
… exactement comme elle le fait avec ce chat, coincé sous le bras d'un enfant !
Le chat est aussi un personnage récurrent dans l’œuvre de Paula. Ce n’est pas le chat mignon des réseaux sociaux. C’est une présence énigmatique, un chat qui pense. Et on pourrait presque savoir à quoi !
Kunstmuseum, Bâle
C’est
cette année-là qu’elle peint cette formidable Tête de jeune fille au chapeau
de paille, au regard fascinant. Une vue très rapprochée qui est assez
typique de son travail mais le visage est modelé, mis en valeur par le chapeau
sombre et, surtout, le regard est ouvert et fixe le spectateur avec sérieux,
comme dans l’attente. Exactement un regard d’enfant !
Paula
produit 130 toiles au cours des deux années 1903 et 1904, dont de nombreux
enfants, qui semblent toujours absorbés par leurs occupations, comme cette
petite fille qui fixe intensément la fleur qu’elle tient à la main et que le
cadrage resserré fait paraître presque monumentale, alors qu’elle est vue
à hauteur d’adulte.
Quant à cette autre fillette, elle paraît fondue dans le paysage, liée aux deux arbres entre lesquels elle s’est assise. La simplicité de l’expression, comme l’unité chromatique renforcent l’impression de recherche de l’essentiel et, aussi, l’expression de la mélancolie dont les enfants semblent parfois saisis…
En dépit de la réticence d’Otto et prétextant aller voir sa sœur qui y travaille comme gouvernante, Paula repart à nouveau à Paris, en février 1905. Cette fois, elle trouve une chambre rue Madame, s’inscrit au cours Julien et rend visite à Maurice Denis. Chez lui, elle a probablement vu la fameuse nature morte Fête Gloanec, peinte par Gauguin en 1888 en l'honneur de la pension de Pont-Aven où il logeait. Maurice Denis avait acheté cette petite huile qui constituait, pour les peintres Nabis, un manifeste du synthétisme.
Ensuite, elle va voir une exposition des œuvres de Gauguin et son travail la saisit pour la première fois.
Otto vient la rejoindre fin mars mais le séjour se passe mal. Il comprend qu’elle est décidée à revenir à Paris chaque hiver, parce que ceux de Worpswede sont trop froids et manquent de lumière. Et il connaît la volonté tenace de Paula !
Dans les œuvres qu’elle produit à son retour de Paris explose l’influence de Cézanne et pas uniquement parce qu’elle « s’attaque » aux pommes…
C’est
à partir de cette période qu’elle peint ses œuvres les plus abouties, les plus
fortes, le Portrait de jeune fille aux doigts écartés devant la poitrine
une œuvre frontale et grave qui sonne comme un manifeste de son style à la fois
épuré et sensible qui capte le regard du modèle…
Dans ces doigts écartés,
je ne peux pas m’empêcher de voir une réminiscence du geste de la Flore de
Böcklin…
… et parfois se l'interdit.
Elle commence aussi une série de portraits d’amis, à commencer par Clara, un portrait qui est devenu l’image de la sculptrice pour la postérité.
« Modersohn-Becker évoque les séances de pose dans une lettre à sa mère datée du 26 novembre 1905 : "[…] Le matin, je peins maintenant Clara Rilke en robe blanche, tête, morceau de main et rose rouge. Elle est très jolie comme ça et j'espère que je pourrai y mettre un peu d'elle. Sa petite fille Ruth, un petit enfant dodu, joue à côté de nous. […] Modersohn-Becker dépeint son amie comme un être gracieux et délicat ; avec un empâtement, une application de peinture presque en relief, il évoque cependant la puissante vitalité de la sculptrice talentueuse. » (Extrait de la notice du musée)
A
peu près à la même époque, elle exécute le portrait de Martha Vogeler, femme du
peintre Heinrich Vogeler, l’un des créateurs du groupe de Worpswede, qui s’était
installé dans une ancienne ferme appelée Barkenhoff, devenue le centre de la
communauté d’artiste.
Un
autre portrait appelle l’attention, celui d’une femme à laquelle Paula allait
souvent rendre visite à l’hospice de Worpswede. On l’appelait « la mère
Schröder ». Elle trône au milieu du paysage, comme une sculpture
monumentale. Pourtant, l’expression de son regard, comme ses larges mains immobiles, la
décrivent parfaitement.
Selon le musée où la toile est conservée, elle aurait peint à la même époque cette autre vieille dame que je trouve absolument fascinante (même s’il me semble qu’elle est un peu plus tardive…).
Tout
à coup, en février 1906, Paula écrit dans son journal qu’elle vient de quitter
Otto Modersohn et qu’elle ne sait plus très bien comment elle se nomme, elle
est juste « quelqu’un ».
Elle attrape quelques affaires et file à Paris. Elle met Rilke dans la confidence, il lui prête de l’argent, qui s’ajoute à celui qu’elle a mis de côté en vendant deux des trois toiles qui auront été achetées de son vivant, en comptant celle du bébé, acquise par Rilke.
En
mars 1906, elle peint une pièce majeure, un autoportrait presque nu, avec
juste son collier à grosses perles d’ambre. Une incongruité pour l’époque, sans
compter qu’elle se représente enceinte alors qu’à l’époque où elle le peint, non seulement elle ne l’est pas mais elle vient d’écrire à Otto qu’elle le quittait et n’aurait pas
d’enfant de lui. Mais quelle femme ne s’est jamais imaginée enceinte pour voir l’effet que ça fait ? Elle paraît porter sur cette
image un regard perplexe et dubitatif…
Je
ne sais pas à quel moment de 1906 elle a peint cette très belle scène de
tendresse maternelle. Mais ces deux tableaux qui associent nudité et maternité se
répondent, dans leur modernité.
On
sait, en revanche, que c’est à Paris que Paula a peint cette nature morte de
tout petit format, un citron encerclé par trois tomates et une orange, dans une
assiette fleurie. Elle a retenu les leçons de Cézanne mais c'est plutôt l'influence de Gauguin qui commence à se manifester. On y retrouve sa désinvolture à l'égard de la perspective (il ne faut pas
trop penser à la nature quand on peint) mais elle y déploie son propre sens de la couleur.
Elle crée cette année-là ses natures mortes les plus étonnantes. Le bol de poissons rouges fait immédiatement penser à celui de Matisse, sauf que Matisse peindra ses poissons rouges 5 ans plus tard…
… et la Nature morte avec plante à feuillage et coquetier, où l’association des couleurs complémentaires éclaire l’orange comme un petit soleil.
J’aime bien celle-ci aussi, une sorte de déclinaison rigolote des précédentes :
Enfin, viendra cette Nature morte à la boîte bleue où la représentation perd
tout intérêt, au profit du jeu des couleurs entre elles…
Elle exécute aussi le portrait de Rilke, avec des yeux cernés et une barbe verte. Il a l’air halluciné.
Il écrivait à la même époque à August von der Heydt, dont le musée conserve aujourd’hui plusieurs œuvres de Paula : « La peinture la plus digne d’intérêt est celle de l’épouse de Modersohn, qui a développé un art à la fois très personnel et très worpswédien, direct et sans ambages, représentant les choses comme personne d’autre ne pourrait les voir et les peindre. Et cet itinéraire personnel l’amène à des similitudes singulières avec Van Gogh. »
Paula,
elle, est visiblement en pleine recherche stylistique …
Elle
passe l’été à Paris, dans une grande solitude.
Et puis, en septembre, Otto vient la retrouver. Ils vont rester à Paris jusqu’en février 1907, au moment où elle finit de peindre le portrait de cette petite fille italienne dont on connaît le nom - Dolores Cataldi - parce que Paula l’évoque dans une lettre qu’elle envoie à Elsbeth, le 27 février 1907. C’est une petite immigrante qui vient d’arriver d’Italie avec sa famille et qui, probablement, pose pour elle contre rétribution. Elle est sage, presque placide mais on sent sa tristesse, comme l'ombre de la dureté de la vie des familles italiennes en France où on ne leur fait pas le meilleur accueil…
Au moment de rentrer - et alors qu’elle s’était promis à elle-même de commencer vraiment sa carrière parce qu’à trente ans, il était temps - Paula écrit à sa mère pour lui annoncer qu’elle est enceinte.
Les tableaux de la dernière période révèlent sa proximité stylistique avec Gauguin. Elle est évidente dans ce portrait de la femme d'un de ses amis, le sculpteur Bernhard Hoetger.
Huile sur toile
Et aussi dans l’un de ses derniers autoportraits. Elle en réalise une
vingtaine entre 1906 et 1907 et ils sont depuis toujours le support de ses expériences
formelles.
Et
revoilà « la mère Schröder », sa lippe dubitative et ses mains comme des
battoirs mais elle se dresse à présent dans la lumière du soir, au milieu de
pavots exubérants, accompagnés d’une curieuse boule de verre dont je viens tout
juste d’apprendre qu’elle était un ornement typique des jardins de Worpswede ! Il y en avait une dans le jardin de Paula, un jardin excentrique, avec des pergolas où elle faisait grimper des courges.
Deux autre œuvres
assez proches, qui combinent enfant et nature morte, confirment cette évolution.
On retrouve la digitale en fleur, la fleur unique tenue au bout des doigts, la couronne de fleurs et le rideau rouge, présent dans beaucoup de portraits. Mais la couleur devient beaucoup plus dense, avec des contrastes très appuyés, le corps de l’enfant paraît illuminé.
Tout ce qui n'est pas essentiel a disparu.
Quelques
semaines encore et tout sera terminé. Sa fille, Mathilde (Tille), nait
le 2 novembre 1907. Dix-neuf jours plus tard, Paula meurt, probablement d’une
thrombose veineuse. Sa dernière phrase a été « Wie Shade ! »,
Quel dommage !
*
Au
cours des quatorze années durant lesquelles Paula a exercé son art, elle a réalisé
750 toiles, 13 estampes et environ un millier de dessins.
Le musée Paula Modersohn-Becker a été inauguré le 2 juin 1927 à Brême, grâce à l’action d’un mécène. Il regroupe aujourd’hui une collection d’environ cent trente œuvres de la peintre, acquises en 1988 par la ville de Brême et l’Allemagne fédérale.
En 1978, Tille Modersohn (1907-1998), sa fille, a créé la Fondation Paula Modersohn-Becker à Brême-Mitte.
Mais
ce n’est qu’à partir des années 2000 que les expositions sur Paula se sont
multipliées en Allemagne.
En France, elle est restée inconnue du grand public jusqu’à l’exposition organisée par le musée d’art moderne de la ville de Paris, en 2016 : « Paula Modersohn-Becker, l’intensité d’un regard. » Connaissant l'attachement de Paula pour Paris, on se dit qu'il était temps.
Pour écrire cette synthèse, je me suis inspirée notamment du livre de Marie Darrieussecq :
« Être ici est une splendeur, Vie de Paula M. Becker » (Éditions
P.O.L, 2016), ainsi que du catalogue publié à
l’occasion de l’exposition consacrée à Paula par le musée d’art moderne de la
ville de Paris.
N.B : Pour voir
d’autres notices de ce blog, si elles n’apparaissent pas sur la droite, vous
pouvez cliquer sur « Afficher la version Web » en bas de cette page.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire