Joséphine Charlotte Hélène (ou Héléna ?)
Pilate est née le 4 juillet 1825, dans une modeste famille d’artisans, au 4 de la
rue du Caire, à Paris. Comme ceux de sa contemporaine, Rosa Bonheur, ses
parents sont favorables aux thèses saint-simoniennes d’émancipation des femmes.
Hélène va à l’école jusqu’à 12 ans puis entre en apprentissage chez son beau-père, Pierre Hébert (1804-1869), sculpteur et réparateur en plâtre. Elle bénéficie avec lui de l’enseignement d’un artiste qui a été élève à l’Ecole des Beaux-Arts, a exposé plusieurs fois au Salon et y a reçu deux médailles (Bellier et Auvray, Dictionnaire Général des Artistes de l’école française depuis l’origine des arts du dessin jusqu’à nos jours, Paris Renouard 1882/85, Tome 1, p.748).
Toujours selon Bellier et Auvray (op.cit. p.77), elle devient également l’élève du sculpteur Augustin Dumont (1801-1884), ancien lauréat du Grand Prix de Rome. De quoi s’initier à la tradition académique.
Dès l’âge de quinze ans, elle réalise sur commande des sujets de décoration de pendules, ces pendules de cheminée surmontées de petits personnages en bronze ou en régule, comme on les appréciait alors. Elle attire l’attention de l’un des meilleurs bronziers fondeurs du temps, Victor Paillard (1805-1886) qui lui achète ses productions et l’introduit dans son cercle d’amis sculpteurs, dont Jean-Jacques (dit James) Pradier (1790-1852) et Antoine-Louis Barye (1795-1875). A leur contact, son style s’assure et elle améliore sa technique.
Hélène
se marie probablement assez jeune avec le sculpteur Augustin-François Allélit
puisque c’est sous son nom marital qu’elle expose pour la première fois au
Salon en 1849, une statuette en plâtre dont on n’a pas gardé trace.
Elle n’y revient que dix ans plus tard, cette fois sous le nom de Mme Léon Bertaux, alors qu’elle n’est pas remariée avec son nouveau compagnon. Le divorce est interdit ; Hélène devra attendre la mort de son premier mari pour l’épouser.
Dès
cette seconde exposition, son travail est remarqué et son bénitier en bronze,
représentant les trois vertus théologales (la foi, l’espérance et la charité)
sous la forme de trois angelots, est acheté par le ministère de la Maison de
l’Empereur. Il sera ensuite placé dans l’église de Saint-Gratien (Seine-et-Oise)
où il se trouve encore.
Au
Salon suivant (1861), elle revient avec trois œuvres, dont le pendant de son Bénitier,
un tronc à quêter qui suivra le même chemin que son prédécesseur.
Les deux autres œuvres qu'elle présente sont des bas-reliefs, l’un en plâtre l’Assomption de la
Vierge (dont une version en bronze se trouve aujourd’hui au musée des
Beaux-Arts de Vannes), l’autre en bronze, L’Hiver.
Je n’ai pas retrouvé l’Hiver mais il semblerait qu'il appartienne à un groupe de Quatre Saisons « exécutées pour la décoration d’un palais » (Maria Lamers de Vits, Les femmes sculpteurs, graveurs et leurs œuvres, Paris, Referendum Littéraire, 1905, p.23) Il pourrait donc s’agir d’un des éléments du groupe dont il existe une copie en albâtre représentant l’Eté, dans la collection en ligne de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, ce qui est en soi ravissant, au sens propre du terme, si l’on considère qu’Hélène n’y aurait pas été admise de son vivant, en tant que simple élève…
L’Assomption a été présentée dans sa version en bronze au Salon de 1863 où le directeur
de la Revue Artistique, le statuaire Louis Auvray, la remarque : « nous rencontrons du goût, du
sentiment et de jolies têtes » (Auvray, Louis, Exposition des
Beaux-Arts, Salon de 1863, Paris, Lévy fils, p.92)
La même année, Hélène présente un élément, sans doute préparatoire, d’une commande à laquelle elle a répondu l’année précédente, la réalisation du groupe sommital en bronze d’une fontaine offerte à la ville d’Amiens par un mécène, Herbet-Briez, à condition que soit pris comme modèle un dessin de son propre fils : une nymphe à la coquille en pied et sept angelots.
La fontaine est inaugurée en 1864 sur la place Longueville à Amiens. Elle sera ensuite déplacée puis détruite en exécution de la loi du 11 octobre 1941 qui imposait « l’enlèvement des statues et monuments en alliages cuivreux (…) qui ne présentent pas un intérêt artistique ou historique ». Loi scélérate puisqu’il a été prouvé plus tard que le cuivre ainsi récupéré n’avait, en fait, représenté que 0,16 % de la production française de la période… mais passons, là n’est pas le sujet !
Il ne reste aujourd’hui de cette fontaine qu’une méchante photo de carte
postale :
Et aussi une belle photographie où l'on voit son modèle préparatoire. Elle a été prise par Étienne Carjat qui a parfaitement saisi le
regard déterminé et concentré d’Hélène au travail !
L’année suivante – le Salon est devenu annuel – Hélène expose une seule
œuvre, en plâtre, Le jeune Gaulois prisonnier des Romains.
C’est une œuvre importante pour plusieurs raisons, dont la moindre n’est pas d’être le premier nu représenté par une femme. Et ce n’est pas n’importe quel nu : c’est un nu héroïque dont la perfection plastique constitue une référence à l’idéal antique, pour lequel la beauté est l’expression des vertus.
Ce faisant, Hélène inscrit son œuvre dans une dimension académique - celle d’un enseignement auquel elle n’a pourtant pas eu accès – et place son Gaulois dans le genre de la sculpture d’histoire.
Du fait de ce choix délibéré, le Gaulois est ainsi beaucoup plus proche d’une œuvre néo-classique de Canova que de celle de Frémiet, présentée pourtant la même année mais qui s’inscrit, elle, dans une dimension dite « historique ».
Chef gaulois - 1864
Exemplaire d’édition d’après la statue monumentale
Bronze - 36 x 29 x 11 cm
Musée des Beaux-Arts, Dijon
Seul le visage du Jeune Gaulois exprime la colère de la défaite et le désespoir d’être à la merci des vainqueurs.
Hélène donnera à cette œuvre, quelques années plus tard, le titre Jeune
prisonnier Vae Victoribus (malheur aux vainqueurs), détournement du
fameux Vae Victis (malheur aux vaincus). On peut peut-être y voir l'expression d’une malédiction à l’encontre des troupes prussiennes… ?
Quoi qu’il en soit, Louis Auvray a apprécié : « Le Jeune Gaulois est une bonne figure d’étude de Madame Bertaux ; la tête est d’un joli caractère, le modelé de cette statue est large et nature. » (Auvray, Louis, Exposition des Beaux-Arts, Salon de 1867, Paris, Renouard 1867, p.75)
Avec la médaille de 1e classe qu’Hélène reçoit pour cette œuvre, elle s’affirme comme statuaire professionnelle. La statue est achetée par l’Etat et des commandes publiques vont suivre.
Dès l’année suivante, elle expose au Salon, dans la catégorie des œuvres monumentales, un fronton commandé pour la nouvelle façade des Tuileries, qui se trouve aujourd’hui sur la Grande Galerie occidentale du Louvre : La Navigation.
La commande sera suivie, en 1878, par celle d'un autre fronton, La
Législation, et de deux bas-reliefs Moïse et Charlemagne.
Mais n’allons pas trop vite. En 1866, Hélène a enfin pu épouser Léon
Bertaux, souvent considéré comme son élève – y compris dans le Dictionnaire Général des Artistes de
l’école française et qui,
lui-même, se déclarait l’élève de sa femme dans le livret du Salon où il
expose à partir de 1861. Pourtant, dans le registre des mariages du 17 juin
1866, si Léon est bien déclaré comme « sculpteur », Hélène, elle, est
« sans profession » …
Au Salon de 1868, elle présente pourtant deux statues en pierre, saint Mathieu et saint Philippe, dont elle a reçu commande pour l’église Saint Laurent de Paris (10e).
Lorsque la guerre de 1870 arrive, les Bertaux sont installés à Boury, dans l’Oise. Ils vont cependant rentrer à Paris pendant la Commune car Léon fait partie de la Garde nationale.
Hélène reçoit de nombreuses commandes publiques : le tympan de la porte principale de l’église Saint François-Xavier à Paris (7e) et l’allégorie de La Sculpture, pour la façade de l’ancien musée des Beaux-Arts de Grenoble (devenu depuis un lieu d’exposition).
En 1873, Hélène revient au Salon avec une œuvre qui ne passe pas inaperçue, Sarah la baigneuse, d’un style plus enlevé. Elle est inspirée du poème éponyme de Victor Hugo (Les Orientales) dont elle illustre la septième strophe :
© Photo : Blog « Visite des musées des Beaux-Arts de province » / Jean-Louis Gautreau
Grâce à cette œuvre, Hélène remporte une médaille de 1ère classe et devient artiste « Hors concours » au Salon, ce qui signifie qu’elle n’a plus à obtenir l’accord du jury d’admission pour y exposer ses travaux. Un statut rarissime pour une femme !
Lorsqu’elle présente la version en marbre de la Jeune fille, au Salon de 1876, le commentaire de Théodore Véron n'est que louanges : « Avouons que Mme Bertaux ne faiblit pas, au contraire ! quelle gracieuse figure que cette jeune baigneuse ! comme Mme Bertaux comprend bien Victor Hugo ! Cette artiste distinguée doit être poëte [sic] elle-même pour interpréter aussi bien le maître des maîtres ! Je ne connais rien de plus suave, de chair et de beauté avec ondulations et grâce des poses que les types sortant de ce ciseau magistral, un vrai ciseau de poëte et quelle couleur ! car Mme Bertaux est sculpteur coloriste par excellence. – Sa chair frémit, palpite, vous enivre la vue et les sens ; il y a bien peu d’hommes sculpteurs qui aient aujourd’hui cet élan, ce génie de l’amour ! […] Pradier était un ciseau sensuel ; Mme Bertaux sculpte l’innocence, et la virginité voisine de l’amour naissant. En somme, Mme Bertaux est un grand sculpteur original. » (Véron, Théodore, Mémorial de l’art et des artistes de mon temps, janvier 1876, p. 238)
Une version en pierre de Sarah la baigneuse se trouvait encore récemment dans le village de La Française mais il semblerait qu’elle ait été retirée depuis, pour une restauration, peut-être…
Sur le revers dans un cartouche : ET ROUGE POUR UNE MOUCHE / QUI LA TOUCHE / COMME UNE GRENADE EN FLEUR
Hélène, qui a obtenu la consécration officielle du Salon, n’oublie pas pour autant les difficultés auxquelles les
femmes sont confrontées pour accéder à l’enseignement artistique et crée la
même année un atelier de
dessin et de modelage, 233 rue du Faubourg-Saint-Honoré. Six ans plus tard,
elle transformera cet atelier en Ecole de sculpture pour femmes, dans une hôtel
particulier qu’elle a fait construire, 147 avenue de Villiers.
L’année 1881 constitue une étape supplémentaire dans son combat pour l’enseignement artistique des femmes. Alors que Marie Bashkirtseff, sous le pseudonyme de Pauline Orell, écrit dans le journal féministe La Citoyenne, le tout premier article sur la situation désastreuse de l’enseignement artistique des femmes, Hélène fonde l'Union des Femmes Peintres et Sculpteurs (UFPS). Le contexte est favorable : l’Etat a abandonné son contrôle sur le Salon l’année précédente. C’est à présent la nouvelle Société des artistes français qui organise le salon parisien, selon ses propres règles. Avec la fin du monopole d’Etat, d’autres salons vont pouvoir être organisés.
L’idée d’Hélène est de regrouper l’ensemble des artistes féminines, professionnelles comme débutantes, pour les faire connaître du grand public et défendre leurs droits. Elle assure pendant quelques années la présidence de l’Union, crée une exposition spécifique ouverte à toutes (françaises comme étrangères) et un prix de l’Union pour récompenser les plus méritantes.
L’UFPS obtiendra un vrai succès dans les années qui suivent : sa première exposition de 1882 ne regroupe qu’une trentaine d’exposantes mais elles seront cent trente en 1885 et plus de quatre cents en 1889.
Mais surtout, l’Union va permettre à Hélène de porter une requête pour l'ouverture des Beaux-Arts aux femmes, demandant « qu'il soit créé, à l’École des beaux-arts, une classe spéciale, séparée des hommes, où la femme pourra, sans blesser les convenances, recevoir le même enseignement que l'homme, avec la faculté (dans les conditions qui règlent cette école), d'être admise à tous les concours d'esquisses ayant pour conséquence l'obtention du prix du Rome », une motion approuvée et signée à l'unanimité des quatre cents membres de l’UFPS, lors de son Assemblée générale du 8 décembre 1889.
Qu’on ne s’y trompe pas : si Hélène ne demande pas de cours commun avec les hommes, qu’elle sait impossible à obtenir, elle précise que « ce que nous demandons, […] c'est le même enseignement, les mêmes maîtres, les mêmes programmes, et les mêmes récompenses que les hommes, à mérite égal, bien entendu. » (Source : Marina Sauer, L’entrée des femmes à l’École des Beaux-Arts, 1880-1923, Paris, ENSBA, 1991, p. 10 à 15)
Une revendication qui ne va pas manquer de faire grincer quelques dents. N’ayant aucune intention de changer ses pratiques, l’Ecole va invoquer l’exiguïté de ses locaux et ses moyens financiers insuffisants pour créer de nouveaux ateliers. C’est un certain Adolphe Tétreau, maître de requêtes au Conseil d’État et membre du Conseil supérieur des beaux-arts, qui, en faisant valoir que l'admission des femmes est déjà effective « en Angleterre, Suède et en Amérique, où pas la moindre atteinte à la bienséance ne fut constatée », paraît avoir été le seul à la soutenir.
Les élèves masculins ne furent pas les derniers à manifester contre l’entrée des femmes dans leur école mais la réforme sera cependant pleinement effective en 1897. Pour la mixité du Prix de Rome, en revanche, il faudra attendre 1903…
Hélène n’en poursuit pas moins sa carrière.
En 1881, elle présente au nouveau « Salon des artistes français » le buste de l’auteur et traductrice féministe Louise Swanton Belloc et celui de la comédienne Sophie Arnould (1819-1897), dont il reste une copie au musée de Picardie :
Au Salon de 1882, elle montre une statue de Chardin, commandée par la
ville de Paris pour la façade de son hôtel de ville :
La
dernière œuvre importante d'Hélène fait sa première apparition à l’exposition de l’UFPS
en 1888, puis figure au Salon de 1889.
Psyché sous l’emprise du mystère allie l’idéal de beauté classique de la tradition académique à une simplification formelle qui annonce la sculpture moderne. Elle témoigne d’une profonde évolution stylistique et, probablement, d’une longue recherche de la part de son auteur.
Il existe plusieurs versions de cette œuvre : en bronze au Petit Palais, en plâtre au musée Paul Valéry de Sète et, en marbre, au Luxembourg à Paris (jardin des Questeurs).
C’est Armand Silvestre qui en parle le mieux, après l’avoir vue à l’exposition des
femmes peintres et sculpteurs, au Palais de l’Industrie :
« Elle est debout, dans sa blancheur de statue […]. Elle est debout dans une pose qui est celle du recueillement subit et du réveil encore obscur de la pensée. Sa belle tête, dont l’ingénieuse coiffure rappelle deux ailes prêtes à se déployer pour quelque vol de l’esprit vers l’infini, est doucement inclinée […]. La ligne du ventre est d’une simplicité qui respire le même néant d’impression douloureuses ou violentes, un ventre comme un lac paisible que fleurit un nénuphar […]. Les deux jambes, qu’aucune contraction ne défigure, pour ainsi parler, soutiennent presque également le corps, semblables aux deux colonnes blanches d’un temple. Un de ses mains est ramenée le long du flanc, qui semble palpiter à peine, et l’autre soutient une lampe. C’est Psyché, c’est l’âme en qui s’éveille la vie. […] Cette belle statue, qui vaut pour la science de la plastique, […] me charme peut-être plus encore par des qualités psychologiques et le monde d’idées qu’elle soulève. […] Elle est d’une femme dont le talent est déjà représenté au Luxembourg par une œuvre populaire, madame Léon Bertaux, et elle semble avoir été inspirée par ce noble vers d’André Chénier : Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques. » (Armand Silvestre, « En pleine fantaisie », Gil Blas, mercredi 22 février 1888).
Pour cette œuvre, Hélène reçut une médaille d’or à l’Exposition universelle de 1889 et fut la première femme à être élue membre du jury de sculpture du Salon des artistes français, en 1896. En revanche, elle n’obtiendra jamais son admission à l’Institut, en dépit de ses deux candidatures, en 1890 et 1892 et de ses titres d’Officiers d’Académie (1881) et de l’Instruction publique (1888).
Hélène s’est retirée de l’Union des femmes en 1894
et a pris sa retraite en 1897, à soixante-douze ans.
Depuis sa mort, en 1909, Hélène Bertaux paraît avoir disparu de l’histoire de l’art … mais l’écho de ses combats n’est pas encore éteint !
L’Eté (à droite) a décoré le centre
d’une fontaine inaugurée en 1908, place Davout à Savigny-sur-Orge.
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