Marie
Quivoron est née le 1er décembre 1840 à Landunvez, Finistère Nord.
Elle a été précédée par un garçon prénommé Ernest. Leur père, Théodore Quivoron, capitaine possédant son propre navire, fait du commerce côtier, en particulier le négoce des vins de Bordeaux. Leur mère, née Aline Pasquiou, restée tôt orpheline, est la fille d’un huissier royal, audiencier auprès du tribunal. Elle a sûrement reçu une bonne instruction et peut-être pratiquait-elle également le dessin ou l’aquarelle, comme nombre de jeunes filles de la bourgeoisie. On lit parfois que Marie aurait été orpheline. En fait, Théodore Quivoron serait parti en expédition aux Marquises peu de temps après la naissance de Marie, laissant seuls en Bretagne son épouse et leurs deux jeunes enfants. Il serait revenu des années plus tard et n’aurait jamais revu sa fille.
La mère de Marie se met alors en ménage avec Emile Langlois, marié de son côté. Selon le roman familial, les deux jeunes gens s’enfuient dans le Jura, puis en Suisse, emmenant avec eux la petite Marie, tandis qu’Ernest était confié à une tante paternelle. En 1848, le couple est en Corrèze, exploitant le domaine d’une ancienne abbaye comportant plusieurs moulins, une filature de laine et une scierie mécanique, et parait vivre dans l’aisance. Deux autres enfants sont nés. Mais, trois ans plus tard, Aline quitte le domaine et après une étape parisienne, s’installe à Étampes en 1855, avec ses trois enfants.
Cette situation particulière explique qu’en début de carrière, Marie ait signé ses toiles du nom Pasquiou – Quivoron. C’est en tout cas sous le nom d’Antonine-Marie Pasquioux (sic) qu’on la trouve dans le livret du Salon de 1859. Elle a 19 ans et expose Portrait de la famille de l’auteur. Curieusement, elle y apparaît comme étant née à Alby. Elle indique être l’élève « de MM. Vassort et Ingres » et son adresse à Etampes confirme qu’il s’agit bien de Marie Quivoron.
Le tableau n’est plus localisé mais trois dessins conservés au Louvre pourraient en être des croquis préparatoires. En voici un :
Son nom apparait ensuite dans les livrets des Salons de 1864
puis 1865 où elle montre plusieurs portraits. Deux sœurs (1864)
est apprécié par le critique Charles Asselineau dans la Revue nationale et étrangère
politique scientifique et littéraire :
« Je ne veux pas manquer non plus de mentionner un très beau portrait
de mademoiselle Marie Pasquioux ; le modèle est fort joli et la peinture a une
décision et un entrain qui manque ordinairement au talent des femmes ».
( !)
Je place ici ce portrait sous-titré « A ma mère », qui fut acquis par la ville de Paris beaucoup plus tard.
En 1867, elle expose Le Supplice de Tantale, sous le nom de Marie Pasquiou – Quivoron et se déclare l’élève de Désiré François Laugée (1823-1896), Émile Signol (1804-1892) et Hugues Merle (1822-1881), sans plus faire référence à Ingres dont elle n’a pas aimé l’enseignement qu’elle juge visiblement méprisant à l’égard des femmes :
« La sévérité de M. Ingres m'effrayait, vous dis-je, parce qu'il doutait du courage et de la persévérance d'une femme dans le domaine de la peinture. Il voulait imposer des limites. Il ne leur confiera que la peinture de fleurs, de fruits, de natures mortes, de portraits et de scènes de genre. » (cité dans : Myers, Nicole.Women Artists in Nineteenth-Century France, metmuseum.org, 2008)
En 1868, Marie est sélectionnée par le directeur du Louvre, Émilien de Nieuwerkerke (1811-1891) comme copiste professionnelle et plusieurs de ses réalisations sont acquises par l’Etat et mises en dépôt dans des établissements de province. Ainsi, en 1868, elle reçoit deux commandes, pour un Portrait en pieds de l'Impératrice Eugénie, destiné aux sous-préfectures de Vitry-le-François et de Morlaix, puis celle d’un tableau de Lesueur pour l’église Saint-Éloi de Paris, Jésus apparaissant sous la figure d’un jardinier à Marie-Madeleine.
Marie
épouse, le 5 août 1869, le peintre et graveur Félix Bracquemond, et met au
monde l’année suivante, son fils, Pierre Jacques.
Son activité professionnelle paraît s’être alors centrée sur l’enseignement du dessin peut-être parce que, vers la fin 1871, le couple s’installe à Sèvres, 13 rue Brancas. La sœur de Marie, Louise, vit à deux pas (ou peut-être chez le couple, les avis sont partagés). Marie, qui n’a peut-être pas accès à de nombreux modèles, fait souvent poser sa sœur. C’est une « séance » de cet ordre que Félix Bracquemond représente en 1776, dans une estampe qui fut publiée dans le périodique L'Art en 1879, l'année où Marie et Félix ont participé tous deux à l’Exposition impressionniste.
Marie
ne revient au Salon qu’en 1874, avec une peinture intitulée Marguerite, puis
elle expose La lecture, en 1875 tandis que Félix abandonne la peinture
pour se consacrer à la gravure.
Elle n’expose pas en 1876 et 1877 mais peint plusieurs portraits de femmes auxquelles Louise a servi de modèle et un charmant portrait de son fils, Pierre, toiles où l'on reconnaît encore l’influence d’Ingres, son premier professeur.
Marie réapparait en 1879, à l’Exposition des impressionnistes cette fois, avec Les Muses des Arts, le carton d’un grand panneau en carreaux de céramique (disparu), un modèle réalisé pour le manufacturier Charles Haviland & Co, de Limoges.
Elle avait présenté l’original, l’année précédente, à l’Exposition universelle de 1878, où il obtint un grand succès et est mentionné comme « une innovation artistique. »
On ne dispose plus aujourd’hui que de photographies des cartons préparatoires et d’une description qui figure dans le Catalogue de l’exposition Marie Bracquemond, du 19 au 31 mai 1919, (Bernheim-Jeune & Cie, Paris, p.3) : « Une composition centrale et deux figures détachées. Au centre la Musique, la Poésie, la Peinture, l’Architecture et la Sculpture, et de chaque côté, la Danse et la Comédie. La réunion principale avait la force, l’harmonie, l’expression. Les deux figures séparées montraient une grâce particulière, la Comédie vigoureuse et saine, la Danse svelte et légère, essayant le premier pas, le premier geste rythmé. »
Le catalogue Bernheim de 1919 précise : « Ce ne fut pas, chez Haviland, la seule réalisation de ce genre : il existe un certain nombre de pièces de faïence décorées par Mme Bracquemond, et qui sont recherchées pour la forte arabesque du dessin et la beauté de la couleur. »
Après les avoir longtemps traquées sur le net, j’ai eu le bonheur de les voir également apparaître dans l’exposition « Le décor impressionniste, aux sources des Nymphéas », au musée de l’Orangerie, en juillet 2022 ! En voici donc trois photographiées à cette occasion (et le rendu des couleurs est plutôt bien…). Il en existe une autre au Philadelphia Museum of Art mais la photo est trop vilaine, je ne la montre pas !
« […] Madame Bracquemond a eu la facilité d’employer si bien les couleurs de la faïence qu’elle a produit une netteté et une richesse que d’autres artistes n’ont pas atteintes. Les progrès réalisés dans la faïence Haviland dans les années 70 étaient dus en grande partie à Madame Bracquemond, dont les pièces étaient presque toujours vendues à l’atelier avant d’être renvoyées, tant son succès était grand. » (Lettre de Ch. Haviland à Adrien Dubouché, mécène et collectionneur).
On connait également d’elle ce vase en terre cuite au profil de femme, également édité par Haviland & Co :
Et quelques dessins de projets divers, comme celui-ci :
En
1880, Marie participe à l’exposition des impressionnistes, rue des Pyramides.
Elle y présente trois toiles, dont un Portrait de femme, appelé plus
tard La Dame en blanc, qui impressionne et où l'on retrouve « la
même grâce d’attitude, la même souple tournure, la même présence de la
forme » déjà remarquées dans les Muses. Sont aussi soulignées la
délicatesse et la subtilité des harmonies du travail du blanc, déjà expérimenté
dans les précédents portraits de Louise.
Cette œuvre, après avoir été exposée depuis 1929 au musée de Cambray, est revenue à Orsay en 2019. Depuis, elle n’est pas exposée et la photographie qui figure dans les collections en ligne du musée est de très basse définition. Enfin, alors que de nombreuses publications indiquent que cette œuvre date de 1880, le musée d’Orsay se borne à une fourchette (1841-1916) qui est celle de la durée de vie de Marie, moins un an ! Pour un musée qui prétend faire un effort de mise en valeur des femmes artistes, je trouve cela un peu…moyen.
Un dessin préparatoire est conservé au Louvre, présenté sans référence au portrait peint. Il permet d’apprécier la qualité du dessin de Marie et permettrait aussi d'interroger l'identification donnée par Orsay, puisque le dessin porte une mention qui fait référence à la mère de Marie et non à sa sœur Louise. (Bref, il faudrait approfondir un peu…)
Dans la même exposition, elle présente une « Etude d’après nature » qui pourrait être ce tableau, ainsi intitulé (en néerlandais !) dans la thèse de Mariska Jansen (op.cit. en fin de notice). On ne dispose ni de la description, ni des mesures du tableau présenté dans l’exposition. Il est donc impossible d’être affirmatif…
Plusieurs
autres œuvres sont datées de la même année :
« Louise
Quivoron, la sœur de l'artiste, est représentée assise, vêtue d'une délicate
tenue blanche à plumetis. Les yeux baissés et détournés de son livre, elle
est appuyée sur une table sur laquelle sont disposées tasse, pot à lait et
grappe de raisins présenté dans une assiette. Derrière elle, le jardin de
la villa Brancas à Sèvres laisse entrevoir à gauche un grand édifice. »
(Notice du site des collections Paris-Musées)
N.B. : Pour le musée d’Orsay, cette œuvre est un « tableau », sans autre précision, il est daté de 1880 dans plusieurs publications mais le musée n’a pas d’avis sur la question et, pour finir, j’ai choisi une autre reproduction que celle présentée sur le site des collections du musée, dont les couleurs sont absurdes, même si celle-ci n'est pas idéale non plus…
Décidément, Marie n'a pas eu de chance avec la postérité : j'avais lu que ce tableau se trouvait au Petit Palais de Genève mais ce musée est fermé depuis plusieurs années. Je viens de voir que le tableau figure dans une exposition intitulée « Selections from the Ishibashi Foundation Collection, The Impressionists : Tales of Painterly Friendships », à l’Artizon museum de Tokyo, jusqu’au 10 janvier 2022. En fait, s’il était à Genève initialement, il semble bien qu’il ait été vendu. Résultat : impossible de trouver une photo convaincante, j'ai choisi la moins moche…
A
l’Exposition impressionniste de 1881, alors que Mary Cassatt et Berthe Morisot
exposent respectivement onze et sept numéros, Marie est absente. Le catalogue
Bernheim de l’exposition de 1919 donne une explication pour le moins curieuse :
le destin !
« Après les deux expositions de 1879 et de 1880, Mme Bracquemond resta chez elle. Elle n’abandonna pas l’art, mais ne recourut à lui pour lui confier ses goûts passionnés de la nature et de la vie que par intermittences. Son destin fut ainsi. » (Catalogue de l’exposition Marie Bracquemond, du 19 au 31 mai 1919, Bernheim-Jeune & Cie, Paris, p. 5.)
En fait, il semble bien que son mari, décrit dans le même catalogue (p.6) comme « discuteur et autoritaire » ait pris ombrage du succès de sa femme et que celle-ci ait été contrainte de limiter son activité à ses devoirs d’épouse et d'exercer son talent au sein du cercle familial et amical.
Pour autant, elle continue à apparaître discrètement, notamment grâce à des dessins pour La Vie Moderne. En voici deux exemples que je trouve particulièrement réussis mais j’en ai trouvé quatorze, publiés entre janvier 1880 et août 1882 (et me ferai un plaisir de les transmettre à qui les demandera en commentaire !) Cette publication est consultable sur le site Gallica/BNF.
On se prend à regretter de ne pas voir ces dessins en couleur… j’ai l’impression qu’ils pourraient exhaler le charme de cette Allée :
Ce tableau représente une allée de rosiers, en automne, dans la propriété de sa sœur Louise. « Là encore, dans cette belle étude aux couleurs fraîches et raffinées à la fois, on pense à l’« impressionnisme » d’un Manet autour de 1880… » (Catalogue Félix et Marie Bracquemond, Mortagne-Chartres, 1972).
On peut rattacher à la même période, me semble-t-il, plusieurs toiles passées sur le marché de l’art en 2024.
Marie
ne perd pas contact avec la scène artistique parisienne puisque celle-ci défile
sur la terrasse de Sèvres : Degas, Fantin-Latour, Gauguin, Rodin, Sisley (et
même Clemenceau dont on connaît l'intérêt qu'il portait à l'art de son époque). Sur les conseils de Gauguin, elle modifie sa technique et
prépare ses toiles de façon à obtenir des couleurs plus soutenues.
Elle se lie d’amitié avec le couple Sisley qui lui sert de modèle pour plusieurs tableaux comme, par exemple :
N.B. : selon les sources, il s’agirait du couple Sisley
ou bien des Bracquemond eux-mêmes, bref, on n'en sait rien… !
Elle
devint aussi l’élève de son mari pour étudier la gravure et exécuta elle-même une série
d’eau-forte, divers portraits et autoportraits.
En dépit du « destin », Marie participe à nouveau, en 1886, à l’exposition des impressionnistes, rue Laffite, avec 6 œuvres, dont deux aquarelles et le portrait de Félix dans son atelier.
Faute
d’en savoir davantage sur les aquarelles en question, j’ajoute celle-ci, que je
trouve très attachante et qui a été présentée au Fine Arts Museum de San Francisco
en 2008, dans une exposition sur les quatre femmes impressionnistes :
Morisot, Cassatt, Gonzales et Bracquemond.
L'exposition de 1886 sera la dernière de Marie, de son vivant.
Elle continue de peindre mais pour ses proches uniquement. Ce portrait de sa sœur dans son jardin décline tous les effets possibles de la lumière…
Quant à ce portrait de son fils, il montre bien l’évolution de son style, les touches sont visiblement plus courtes et plus nerveuses.
Elle
peint aussi des natures mortes dont la qualité et l’originalité me frappent,
même s’agissant de ces charmantes Crevettes, dont l’histoire est plutôt
drôle et illustre les nombreux différends artistiques que connurent les
époux Bracquemond. Marie avait tout d’abord peint un coquillage rempli de
bijoux ce qui lui fut sévèrement reproché par Félix pour qui un chef d’œuvre
devait se concevoir avec des objets plus modestes. Selon lui, les bijoux
étaient une manifestation de vanité, contraire aux attentes du public. C’est
ainsi que Marie aurait corrigé son sujet et remplacé les bijoux par… des crevettes !
(Source : catalogue Artus 2008)
Les Iris présentent une touche à la fois rapide et très maîtrisée…
…
mais je suis encore plus admirative des Pots de fleurs à Sèvres. Le cadrage est
incroyablement moderne et la compréhension de l’image n’est pas immédiate,
comme si Marie s’était surtout attachée à montrer un fouillis joyeux qui exprime
parfaitement l’idée d’une « impression » de plantes !
Presque une nature morte, cet Intérieur d'un salon où les traits de la Dame en blanc ont disparu. Il s’en dégage une légère impression d’enfermement, comme si la vue était prise par l’entrebâillement d’une porte…
…
et c’est la même impression de mélancolie qui se dégage de cet autoportrait plus
tardif.
Marie
Bracquemond est morte à Sèvres, le 17 janvier 1916, à 56 ans.
*
Trois ans après sa mort, la galerie Bernheim-Jeune & Cie, Boulevard de la Madeleine à Paris, présente une rétrospective majeure de son œuvre : 83 tableaux et sept projets, 34 aquarelles, 22 dessins, 8 eaux-fortes (catalogue consultable en ligne mais sans reproductions).
Il semblerait que cette Femme lisant ait figuré dans l'exposition :
Ainsi que cette Partie de jaquet :
On mesure le nombre d’œuvres qui restent à découvrir, probablement en collections particulières, ce qui n’aide pas à la faire connaître. Ses œuvres figurent ponctuellement dans des expositions thématiques, comme Le Goûter dans « L’heure du thé » à Limoges en 2001 ou « Côté jardin. De Monet à Bonnard » à Giverny en 2011 et il a fallu attendre 2008 pour que son nom figure à nouveau dans une grande exposition « Femmes impressionnistes. Berthe Morisot, Mary Cassatt, Eva Gonzalès, Marie Bracquemond » qui a été montrée à San Francisco et Francfort…mais pas en France.
Pourtant, beaucoup d’experts estiment qu’elle est, à part entière, l’une des quatre peintres féminines majeures de l’impressionnisme (et j’espère avoir montré ici sa capacité d’innovation en matière de nouvelles techniques).
Bien des raisons, en
somme, pour redécouvrir cette artiste, injustement tombée dans l’oubli.
Pour rédiger cette notice, je me suis notamment appuyée sur la
thèse de Mariska Jansen, Marie
Bracquemond, 1840-1916, De vergeten impressionist (l’impressionniste oubliée),
Radboud Universiteit Nijmegen, 2020 (consultable en ligne, en néerlandais).
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