Née
à Paris le 5 avril 1798, Marie-Amélie Cogniet a appris la peinture auprès de
son frère, Léon Cogniet (1794-1880), un peintre romantique, peu connu
aujourd’hui bien qu’il ait été Prix de Rome en 1817.
Elle expose de façon irrégulière aux Salons, de 1831 à 1842.
En 1831, première année où elle apparaît dans les registres du Salon du Louvre, elle expose cinq tableaux dont on n’a pas conservé trace des formats : Ali-Hamet, égyptien, ancien mameluck de la garde impériale, blessé deux fois le 28 juillet en combattant avec les Parisiens, Intérieur d’atelier, Intérieur de cuisine, un Portrait et Un bivouac.
Charles Landon
signale : « Mlle A.
Cogniet. On a remarqué un portrait de cette artiste. »
(Annales des musées et de l’école moderne des
beaux-arts, Salon de 1831, Paris, Bureau des Annales du musée,
p.212). Sans plus de commentaire…
L'Intérieur d’atelier, après avoir été présenté au Salon de Lille de 1834, a été acheté par la ville, comme en atteste le Dictionnaire général des artistes de l’école française… (Bellier de la Chavignerie, Emile et Auvray, Louis, Paris, Librairie Renouard,1882/1885, trois volumes, p.272, consultable en ligne), où elle figure ainsi que son frère et sa belle-sœur.
Ce tableau a été présenté dans l’exposition du musée Bourdelle, « Mannequin d’artiste, Mannequin fétiche », en 2015 après avoir figuré, en 2012, dans l’exposition « Royalists to Romantics, Artists from the Louvre, Versailles and other french national collections », au National Museum of Women in the Arts de Washington.
On
ne sait pas dans quel atelier ce tableau a été peint, peut-être 50, rue des
Marais Saint-Martin où Marie-Amélie est domiciliée en 1831, selon le registre du Salon.
Sur le mur du fond, derrière l’enfant qui joue avec le mannequin, figure une étude pour le Massacre des Innocents de Léon Cogniet.
Le musée Fabre conserve une autre étude d'un détail du tableau (photo personnelle) :
La scène pourrait aussi se passer dans un coin de l’atelier de son frère, qui se trouve au 9, rue de la Grange-aux-Belles, un espace de belles dimensions qui aurait abrité, selon l’historien de l’art Charles Blanc, le Radeau de la Méduse de Géricault après sa présentation au Salon de 1819.
Marie-Amélie a représenté cet atelier deux fois, vers 1831 (cliquer sur les photos pour les agrandir).
On
voit ici représentées trois œuvres de Léon Cogniet, lequel, vêtu d'une blouse, paraît avoir pris du recul pour regarder son tableau en cours : complètement à
gauche, derrière le peintre : Briséis pleurant Patrocle, un tableau
que Cogniet aurait conservé toute sa vie, peut-être parce que c’est la première
œuvre qu’il a présentée au concours du Prix de Rome et qui lui a valu la seconde
place ; au fond : Caïn et Abel et enfin, à droite, en cours
d’exécution : L’Expédition d’Egypte sous les ordres de Bonaparte (1835),
commande reçue par Cogniet pour le plafond de la salle des papyrus et des
manuscrits grecs du Louvre, le 31 octobre 1828, ce qui est compatible avec la
datation du tableau de Marie-Amélie, puisque Cogniet ne l’a livré qu’en 1835.
Au fond, sur un poêle en faïence, est posée une copie de la Venus de Medicis. A gauche, un cabinet sur le plafond duquel sont posés de nombreux modèles d'atelier en plâtre.
Dans l’atelier, deux élèves masculins travaillent, l’un au fond à droite, l’autre à gauche au premier plan. Une seule femme figure dans la scène et on sait bien qu’à cette époque, on ne mélangeait pas les jeunes gens des deux sexes dans les ateliers.
Il y a donc quelques raisons de penser que cette jeune femme est Marie-Amélie elle-même, qui s’est représentée un pinceau à la main, dans une jolie robe romantique. Tournée vers son frère, elle attend visiblement ses instructions pour intervenir sur sa toile.
On voit ici le
même atelier vu dans l’autre sens, face à la grande verrière qui l’éclaire. Léon
Cogniet est au centre, assis sur un pan incliné, en redingote vert foncé,
pantalon noir et cravate blanche. Ce n’est certainement pas sa tenue de
travail. A droite, on retrouve la Vénus sur son poêle, contre lequel est appuyé
un portrait d’homme. Au fond à gauche se
trouve un second cabinet, pendant de celui du premier tableau et qui sert aussi
à remiser des modèles en plâtre.
Amélie s’est probablement représentée au fond, en train de peindre.
En 1833, Marie-Amélie habite au 28, rue des Vinaigriers. Elle expose au Salon d’Arras : Tambour de la garde nationale parisienne et Tête d’étude, puis montre les mêmes toiles au Salon du Louvre de la même année, ainsi que deux études et quatre tableaux : Un Religieux, Un Physicien, Un Portrait d’homme en pied et une nature morte.
Cette année-là, elle reçoit une médaille de 2de classe au Salon du Louvre.
Ce Religieux, c’est peut-être ce tableau non daté dont le musée d’Orléans m’a très obligeamment transmis une belle photographie. C’est un moine de l’ordre de la « Sainte Trinité pour la rédemption des captifs », un « Trinitaire », reconnaissable à sa croix rouge et bleue. Cet ordre très ancien a été fondé en 1198, à l’origine pour racheter aux Maures leurs captifs chrétiens et qui a été voué, ensuite, au soutien des malades et des prisonniers.
Ce
tableau raconte probablement une histoire que je ne suis pas arrivée à découvrir…
Léon
Cogniet est un enseignant réputé qui a formé près d’un millier d’élèves entre
1822 et 1876. En 1834, il ouvre un atelier de jeunes filles, au 50 rue des
Marais Saint-Martin, qu’il confie à sa sœur, comme le confirme Michael Vottero : « Le choix et la
réflexion d’un enseignement pour jeunes filles sont liés à sa première
élève : sa sœur Marie-Amélie. C’est elle qui encadre l’enseignement de
l’atelier féminin, comme il était de coutume, les peintres délaissant à
d’anciennes élèves la charge de suivre à la semaine l’atelier, ces derniers ne venant
que ponctuellement corriger et conseiller les travaux des jeunes filles. La
deuxième femme à avoir secondé Léon Cogniet dans la mise en place d’un atelier
pour jeunes filles est une de ses élèves : Caroline Thévenin (1813-1892),
qui devient sa femme en 1865. » (Michael Vottero « Le cri
de la conscience : Léon Cogniet et ses ateliers », Territoires contemporains 4, Image de l’artiste.
Consultable en ligne.)
Catherine Caroline Thévenin a exécuté une Vue d’atelier de jeunes filles, en 1836, peut-être celui où elle a été l’élève de Marie-Amélie, sous l’égide de Léon Cogniet.
Ce
tableau est particulièrement intéressant pour l’image
qu’il donne à voir d’un atelier de jeunes filles de l’époque. Bien sûr, pas de
modèles vivants mais des copies d’antiques, sur l’étagère à droite, des gravures
classées dans des portfolios comme celui qui est feuilleté par deux jeunes
femmes, en bas à droite ; c’est aussi, visiblement, un lieu de rencontre
et d’échange, autour du poêle, au fond de l’atelier. L’ensemble dégage une
impression de décontraction, encore accentuée par la jeune femme qui arrange sa
coiffure, face au miroir du fond.
Marie-Amélie est peut-être l’enseignante, au centre, penchée sur une élève en train de charger une palette ?
De
temps à autre, l’atelier de jeunes filles recevait la visite du
« maître », visite décrite en ces termes dans le Journal de
Marie-Edmée Pau (1845-1871), venue étudier chez Cogniet en juin
1865 : « M. Léon Cognet [sic], mon professeur, est venu au cours pour
la quatrième fois depuis mon arrivée. […] On tremble tant soit peu, lorsque la
première porte de l’atelier s’ouvre, et quand il s’arrête sur le seuil de la
seconde, on entendrait voler une mouche. Alors je me retourne, et je vois près
de moi un homme de taille moyenne, à cheveux gris, des traits fins, le regard
et le front d’un homme supérieur. Il examine le modèle, puis vient s’asseoir
devant chaque étude tour à tour. » (cité par Michael Vottero, op. cit.)
Il existe, au musée d’Orléans, un autre tableau de Catherine-Caroline sur le même thème, peut-être la même pièce vue dans l’autre sens…
Mais
revenons à Marie-Amélie.
En 1834, elle ne montre qu’une seule œuvre au Salon, La petite vielleuse, c’est-à-dire une musicienne jouant de la vielle à roue, peut-être une artiste de rue.
Après avoir participé avec une toile aux Salons de 1835 (Tête d’étude) et 1836 (Une pèlerine) Marie-Amélie reste absente du Salon pendant cinq ans et réapparaît en 1842 avec La Confession, une toile qui se trouve également au musée d’Orléans.
Comme
souvent à l’époque (voir Sophie Rude), l’explication du tableau est à
rechercher à la fois dans les œuvres de même thème et dans la littérature.
Il pourrait s’agit ici du Giaour, un poème de Byron qui raconte l’histoire d’une belle esclave circassienne Leila, punie de mort et jetée à la mer pour avoir préféré se donner à un « Giaour » (terme méprisant pour désigner un « infidèle ») plutôt qu’au sultan Hassan. Celui-ci est ensuite attaqué et tué par ledit Giaour, lors d’un duel.
Le Giaour se retire dans un monastère pour expier son crime et, avant de mourir, raconte son histoire lors d’une ultime confession « Sa mort [celle de Leïla] n'est pas mon ouvrage, bien que j'en aie été la cause. Néanmoins il ne fit que ce que j'aurais fait si elle eut été infidèle à un autre que lui. Elle le trahit, il l'immola. Elle m'aimait, je le fis tomber sous mes coups. Quelque mérité que pût être son sort, elle m'était fidèle en le trahissant ; elle me donna son cœur, la seule chose que la tyrannie ne puisse soumettre ; et moi, hélas ! venu trop tard pour la sauver, — je donnai tout ce que je pouvais donner alors : [...] je donnais un tombeau à notre ennemi. »
Le thème du combat du Giaour et d’Hassan est traité plusieurs fois par Géricault et Delacroix, lequel a représenté également une Confession du Giaour :
On ne peut s'empêcher de remarquer que le religieux qui reçoit la Confession est, à nouveau, un moine trinitaire…
Après cette incursion dans la peinture d’inspiration littéraire, on espère découvrir d’autres tentatives de sa part mais elles ne viendront apparemment pas. Amélie participe pour la dernière fois au Salon de 1843 avec Une tête de femme.
J’ai
également trouvé ce portrait, réapparu récemment dans une vente :
Scène de genre qui, elle aussi, raconte une histoire : cette mère a le regard bien triste et absent, malgré les efforts déployés par l’enfant pour l’intéresser…
Enfin,
elle a exécuté cette copie qui se trouve au musée Condé, ainsi qu’un portrait
du maréchal de France Louis de Marillac, en 1833, dont j’ai retrouvé la trace
dans la base Joconde mais sans photographie.
Ce tableau a été représenté dans l’ouvrage collectif, Femmes Peintres du Monde, du temps de
Caterina Vigri, 1413-1463, à Rosa Bonheur et à nos jours, Walter Shaw
Sparrow, Londres, 1905 - Chapitre V, Léonce Bénédite, Des femmes peintres en
France, p. 189
Marie-Amélie Cogniet est décédée le 29 avril 1869.
Elle n’a pas été une immense peintre mais une artiste de scènes de genre dont les travaux peuvent présenter un intérêt au moins documentaire. Elle est visiblement restée dans l’ombre de son frère auquel elle a apporté sa collaboration et son activité d’enseignement a probablement entravé son travail personnel.
Sa Confession montre cependant qu’elle n’est pas restée étrangère à l’art « d’imager l’histoire » des artistes de sa génération.
A l’évidence, au moins une dizaine de ses tableaux ont disparu ou se trouvent entre mains privées.
Je l’ai fait figurer dans ce blog parce que son Intérieur d’atelier de 1831 m’avait touchée et que je n’avais jamais rencontré son nom auparavant, pas plus que celui de sa belle-sœur, Catherine-Caroline Thévenin que j'ai découvert à l'occasion de cette recherche.
N.B : Pour
voir d’autres notices de ce blog, si elles n’apparaissent pas, vous pouvez
cliquer sur « Afficher la version Web » en bas de cette page.
Et si vous souhaitez
laisser un commentaire, c’est aussi en bas de page !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire