lundi 18 octobre 2021

Anne Whitney (1821-1915)

 

Auteur inconnu
Portrait d’Anne Whitney

Anne Whitney est née le 2 septembre 1821 à Watertown, Massachusetts. Elle était la plus jeune des sept enfants d’une famille unitarienne progressiste engagées dans la riche vie artistique, musicale et littéraire de la région de Boston. Ses parents l’ont non seulement encouragée à développer ses talents artistiques mais lui ont aussi permis de s’instruire, d’abord dans une école de jeunes filles dans le Maine puis à New York où elle a appris le français.

Bien qu’elle n’ait pas fait d’études supérieures, sa formation était suffisamment approfondie pour lui permettre d’ouvrir, en 1846, une petite école à Salem, qu'elle dirigera jusqu’en 1848. Parallèlement, elle commence à écrire des vers et son travail parait dans les magazines Harper's et Atlantic Monthly, puis deux volumes de ses poèmes sont publiés en 1859.

Peu avant cette publication, Anne Whitney prend la décision de devenir sculpteur, ce qui n’a pas dû beaucoup surprendre ses parents puisque, dès son plus jeune âge, Anne passait le plus clair de son temps dans une fosse d'argile près de sa maison « modelant des chevaux, des chiens, des moutons, des hommes et des femmes ». 

Pour autant, c’était une décision difficile : les femmes sculpteurs étaient encore plus mal considérées que les femmes peintres : avec leurs matériaux sales dont la manipulation demandait des efforts, elles mettaient leurs contemporains mal à l'aise. Même son ami Nathaniel Hawthorne se désespérait du costume « répugnant » d’Anne qui se composait « d’une sorte de veste d'homme en drap violet, une chemise, un col et une cravate pour homme et un petit bonnet de velours noir ». Qu’importe, elle se lance, reçoit les conseils de plusieurs sculpteurs, s’aménage un atelier à côté de celui du sculpteur William Rimmer, étudie l’anatomie dans un hôpital de Brooklyn et c’est pendant un séjour à Brooklyn, en 1962, qu’elle rencontre, chez un ami de son frère, la sœur de celui-ci, Adeline (Addy) Manning, jeune peintre dont elle tombe amoureuse. Les deux femmes vivront ensemble jusqu’à la mort d’Addy, en 1906, parfaitement acceptées en tant que couple dans leurs familles respectives, qui prendront des dispositions pour qu’elles soient inhumées ensemble, dans la propriété des Manning.

C’est à ce stade de l’histoire que j'ai découvert moi-même le terme « mariage de Boston » qui aurait été populaire à l’époque en Nouvelle Angleterre pour désigner deux femmes financièrement autonomes et vivant ensemble (mais pas forcément en couple), un terme entré dans l’usage après la publication du roman de Henry James The Bostonians (1985). 

En 1859, Anne sculpte la première œuvre qui nous est parvenue, le buste en marbre d'une petite fille nommée Laura Brown (1859) qui fut exposé à la National Academy of Design l’année suivante. Peut-être s’agissait-il d’une des enfants de la famille Brown chez qui travaillait, à la même époque, son amie Fidelia Bridges (voir sa notice) ?

 

Laura Brown – 1859
Marbre
Smithsonian American Art Museum, Washington D.C.

La même année, elle se rend à Philadelphie pendant plusieurs mois pour assister à des conférences à la Pennsylvania Academy of the Fine Arts, la seule institution ouverte aux femmes, et chercher l’inspiration dans sa collection de moulages, avec Fidelia.

Elle sculpte également Addy et des membres de sa famille. Au cours des années 1860, son travail est régulièrement exposé à Boston, dans la galerie De Vries, Ibarra and Co.

Addy Manning  1863
Davis Museum, Westley College, Massachusetts

Peu de temps après, Anne modèle en plâtre ce que les historiens pensent être le premier nu masculin sculpté par une femme américaine. Elle exécute ensuite sa première œuvre grandeur nature, Lady Godiva, noble anglaise du XIe siècle qui aurait chevauché nue dans les rues de Coventry pour protester contre les taxes déraisonnables imposées par son mari à ses locataires.

Lady Godiva – 1861/1864
Marbre
Dallas Museum of Art, Texas


De mars 1867 à juillet 1868, Anne et Addy entreprennent un grand voyage : après un débarquement au Havre, elles visitent Rouen et, à Paris, l'Exposition Universelle d'Art et d'Industrie qui a ouvert le 1er avril. Elles traversent la France en diligence « emballées comme du hareng en boîte » et les Alpes en traîneau couvert, puis la Suisse pour arriver à Rome et retour par le même chemin.

Au cours de ces dix-huit mois, Anne écrit près d’une centaine de lettres - transportées en 15 jours par des navires à vapeur ! - qui décrivent les paysages, les dizaines de sites qu’elles ont visité, les œuvres qu’elles ont créées.  Des lettres qui constituent non seulement un témoignage de la vie en Italie en pleine période du Risorgimento mais aussi une description d’une communauté de femmes cultivées (et qui partageaient un certain nombre de préjugés à l’égard des Européens !). Elles referont ensemble le même voyage dans les années 1875/76.

A Rome, lors de leurs deux voyages successifs, elles s’installent au sein d’une communauté d’artistes américains, essentiellement des femmes, décrite par Henry James comme « cette étrange fraternité de sculpteurs américaines qui, à un moment donné, se sont installées sur les sept collines dans un troupeau blanc et marmoréen. »  (…!)

Pendant son séjour romain, Anne commence à étudier une nouvelle figure, le berger ou Astronome chaldéen. La première version était complètement nue. Elle avait mis à profit, sans doute, l’observation des statues romaines, ainsi que la disponibilité des nombreux modèles désireux de poser. Elle en fera plus tard une deuxième version avec pagne, qui est la seule à avoir survécu.

Le Berger chaldéen - 1868
Plâtre
Archives du Wellesley College,, Massachusetts

Enfin, elle crée Roma, vieille femme triste et bossue qui, dans son esprit, illustre la pauvreté et la décadence de la ville. Les autorités romaines interdisent sa sortie du territoire et elle doit l’emporter clandestinement. La statue sera exposée ensuite à Londres, Boston et Philadelphie.

 

Roma – 1869
Bronze
Museum du Wellesley College, Massachusetts

A son retour de Rome, en 1871, Anne reçoit la commande d’une sculpture représentant le patriote américain, Samuel Adams, pour le Capitole de Washington. La statue est admirée par la ville de Boston qui en commande une copie en bronze.

Samuel Adams - 1871
Bronze et granit
Ville de Boston, Massachusetts

Le Modèle – 1875
Museum of Fine Art, Boston, Massachusetts

Quatre ans plus tard, Anne participe à un concours national pour représenter le sénateur abolitionniste Charles Sumner. Le concours se déroule à l’aveugle et le modèle d’Anne est retenu. Mais lorsque les juges découvrent qu’il est l’œuvre d’une femme, ils déclarent « qu'une femme ne pouvait pas sculpter avec précision les jambes d'un homme » et lui retirent le bénéfice du concours.

Modèle en plâtre de Charles Sumner 
Aujourd’hui exposé dans la salle des périodiques de la station de radio de Louisville.

Ce n'est que 24 ans plus tard qu’Anne a finalement pu sculpter la statue en taille réelle, à partir de son modèle en plâtre. Achevée en 1902, alors qu’Anne a 80 ans, la statue en bronze de Charles Sumner sera la dernière œuvre de l'artiste, considérée comme l'une de ses plus représentatives. Aujourd'hui, la statue se trouve à Harvard Square près de la première église paroissiale de Cambridge. 

 

Charles Sumner
Bronze
1442 Massachussetts Avenue, Cambridge

Anne et Addy installent ensuite leurs ateliers à Boston.

Politisées et abolitionnistes, elles soutenaient activement le mouvement d’égalité des femmes. 

Anne sculpte en 1893, le buste en pierre de Lucy Stone, première femme à obtenir un diplôme universitaire, aujourd’hui exposé à la Boston Public Library.

 

Lucy Stone - 1893


 

En 1914, Anne, alors âgée de 93 ans, participe à la Boston Suffrage Parade. Elle s’éteindra le 23 janvier 1915, à Boston, après avoir créé plus de 200 œuvres d’art qu’on peut voir aujourd’hui dans de nombreuses universités et musées américains.

 

 

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