Anne
Whitney est née le 2 septembre 1821 à Watertown, Massachusetts. Elle était la plus
jeune des sept enfants d’une famille unitarienne progressiste engagées dans la
riche vie artistique, musicale et littéraire de la région de Boston. Ses
parents l’ont non seulement encouragée à développer ses talents artistiques
mais lui ont aussi permis de s’instruire, d’abord dans une école de jeunes
filles dans le Maine puis à New York où elle a appris le français.
Bien qu’elle n’ait pas fait d’études supérieures, sa formation était suffisamment approfondie pour lui permettre d’ouvrir, en 1846, une petite école à Salem, qu'elle dirigera jusqu’en 1848. Parallèlement, elle commence à écrire des vers et son travail parait dans les magazines Harper's et Atlantic Monthly, puis deux volumes de ses poèmes sont publiés en 1859.
Peu avant cette publication, Anne Whitney prend la décision de devenir sculpteur, ce qui n’a pas dû beaucoup surprendre ses parents puisque, dès son plus jeune âge, Anne passait le plus clair de son temps dans une fosse d'argile près de sa maison « modelant des chevaux, des chiens, des moutons, des hommes et des femmes ».
Pour autant, c’était une décision difficile : les femmes sculpteurs étaient encore plus mal considérées que les femmes peintres : avec leurs matériaux sales dont la manipulation demandait des efforts, elles mettaient leurs contemporains mal à l'aise. Même son ami Nathaniel Hawthorne se désespérait du costume « répugnant » d’Anne qui se composait « d’une sorte de veste d'homme en drap violet, une chemise, un col et une cravate pour homme et un petit bonnet de velours noir ». Qu’importe, elle se lance, reçoit les conseils de plusieurs sculpteurs, s’aménage un atelier à côté de celui du sculpteur William Rimmer, étudie l’anatomie dans un hôpital de Brooklyn et c’est pendant un séjour à Brooklyn, en 1962, qu’elle rencontre, chez un ami de son frère, la sœur de celui-ci, Adeline (Addy) Manning, jeune peintre dont elle tombe amoureuse. Les deux femmes vivront ensemble jusqu’à la mort d’Addy, en 1906, parfaitement acceptées en tant que couple dans leurs familles respectives, qui prendront des dispositions pour qu’elles soient inhumées ensemble, dans la propriété des Manning.
C’est à ce stade de l’histoire que j'ai découvert moi-même le terme « mariage de Boston » qui aurait été populaire à l’époque en Nouvelle Angleterre pour désigner deux femmes financièrement autonomes et vivant ensemble (mais pas forcément en couple), un terme entré dans l’usage après la publication du roman de Henry James The Bostonians (1985).
En 1859, Anne sculpte la première œuvre qui nous est parvenue, le buste en marbre d'une petite fille nommée Laura Brown (1859) qui fut exposé à la National Academy of Design l’année suivante. Peut-être s’agissait-il d’une des enfants de la famille Brown chez qui travaillait, à la même époque, son amie Fidelia Bridges (voir sa notice) ?
La même année, elle se rend à Philadelphie pendant plusieurs mois pour assister à des conférences à la Pennsylvania Academy of the Fine Arts, la seule institution ouverte aux femmes, et chercher l’inspiration dans sa collection de moulages, avec Fidelia.
Elle sculpte également Addy et des membres de sa famille. Au cours des années 1860, son travail est régulièrement exposé à Boston, dans la galerie De Vries, Ibarra and Co.
Peu de temps après, Anne modèle en plâtre ce que les historiens pensent être le premier nu masculin sculpté par une femme américaine. Elle exécute ensuite sa première œuvre grandeur nature, Lady Godiva, noble anglaise du XIe siècle qui aurait chevauché nue dans les rues de Coventry pour protester contre les taxes déraisonnables imposées par son mari à ses locataires.
De
mars 1867 à juillet 1868, Anne et Addy entreprennent un grand voyage :
après un débarquement au Havre, elles visitent Rouen et, à Paris, l'Exposition
Universelle d'Art et d'Industrie qui a ouvert le 1er avril. Elles traversent la
France en diligence « emballées comme du hareng en boîte » et les Alpes en
traîneau couvert, puis la Suisse pour arriver à Rome et retour par le même
chemin.
Au cours de ces dix-huit mois, Anne écrit près d’une centaine de lettres - transportées en 15 jours par des navires à vapeur ! - qui décrivent les paysages, les dizaines de sites qu’elles ont visité, les œuvres qu’elles ont créées. Des lettres qui constituent non seulement un témoignage de la vie en Italie en pleine période du Risorgimento mais aussi une description d’une communauté de femmes cultivées (et qui partageaient un certain nombre de préjugés à l’égard des Européens !). Elles referont ensemble le même voyage dans les années 1875/76.
A Rome, lors de leurs deux voyages successifs, elles s’installent au sein d’une communauté d’artistes américains, essentiellement des femmes, décrite par Henry James comme « cette étrange fraternité de sculpteurs américaines qui, à un moment donné, se sont installées sur les sept collines dans un troupeau blanc et marmoréen. » (…!)
Pendant son séjour romain, Anne commence à étudier une nouvelle figure, le berger ou Astronome chaldéen. La première version était complètement nue. Elle avait mis à profit, sans doute, l’observation des statues romaines, ainsi que la disponibilité des nombreux modèles désireux de poser. Elle en fera plus tard une deuxième version avec pagne, qui est la seule à avoir survécu.
Enfin,
elle crée Roma, vieille femme triste et bossue qui, dans son esprit, illustre
la pauvreté et la décadence de la ville. Les autorités romaines interdisent sa
sortie du territoire et elle doit l’emporter clandestinement. La statue sera
exposée ensuite à Londres, Boston et Philadelphie.
A
son retour de Rome, en 1871, Anne reçoit la commande d’une sculpture représentant le patriote
américain, Samuel Adams, pour le Capitole de Washington. La statue est admirée
par la ville de Boston qui en commande une copie en bronze.
Quatre ans plus tard, Anne participe à un concours national pour représenter le sénateur abolitionniste Charles Sumner. Le concours se déroule à l’aveugle et le modèle d’Anne est retenu. Mais lorsque les juges découvrent qu’il est l’œuvre d’une femme, ils déclarent « qu'une femme ne pouvait pas sculpter avec précision les jambes d'un homme » et lui retirent le bénéfice du concours.
Ce n'est que 24 ans plus tard qu’Anne a finalement pu sculpter la
statue en taille réelle, à partir de son modèle en plâtre. Achevée en 1902,
alors qu’Anne a 80 ans, la statue en bronze de Charles Sumner sera la dernière
œuvre de l'artiste, considérée comme l'une de ses plus représentatives. Aujourd'hui, la statue se trouve à Harvard Square près de
la première église paroissiale de Cambridge.
Anne et Addy
installent ensuite leurs ateliers à Boston.
Politisées et abolitionnistes, elles soutenaient activement le mouvement d’égalité des femmes.
Anne sculpte en 1893, le buste en pierre de Lucy Stone, première femme à obtenir un diplôme universitaire, aujourd’hui exposé à la Boston Public Library.
En
1914, Anne, alors âgée de 93 ans, participe à la Boston Suffrage Parade. Elle s’éteindra le 23 janvier 1915, à Boston,
après avoir créé plus de 200
œuvres d’art qu’on peut voir aujourd’hui dans de nombreuses universités et
musées américains.
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