mardi 21 septembre 2021

Rosalba Carriera (1675 – 1757)

 

Autoportrait tenant le portrait de sa sœur – 1715
Pastel sur papier, 71 x 57 cm
Galerie des Offices, Florence

Selon les registres de l’église San Gervaso e San Protasio, Rose-Alba Carriera est née à Venise, le 7 octobre 1675.

Elle contracta ses deux prénoms en Rosalba, selon la coutume des Italiens qui « recherchent ces sortes d’élisions pour adoucir le langage. » Le père de Rosalba, Andrea Carriera de Constantino, était fils de peintre. Elle avait deux sœurs plus jeunes qu’elle, Giovanna et Angela, qui furent ses collaboratrices assidues dans la préparation de ses pastels, jusqu’à ce qu’Angela épouse Antonio Pellegrini, un peintre vénitien.

Issue d'un milieu modeste, Rosalba s’initia auprès de sa mère, dentellière de profession, aux techniques fines et délicates du fameux « point de Venise » que les princes du temps s’arrachaient à prix d’or. Mais lorsqu’il passa de mode, elles durent trouver une autre activité. Sa mère se forma à la tapisserie pour meubles et Rosalba chercha à se créer un métier grâce à la mode nouvelle du tabac, accompagnée de celle des tabatières, ornées de motifs variés.

Elle rencontra, Jean Stève, un artiste français installé à Venise, spécialisé dans les miniatures sur tabatière. Il l’initia à sa technique et l’élève égala rapidement le maître : elle fut l’une des premières à utiliser l’ivoire comme support de peinture à l’aquarelle et ses boîtes à tabac, très prisées par les voyageurs du Grand Tour de passage à Venise, lui valurent un premier succès artistique.

Elle pourrait s’être représentée elle-même en brodeuse, peut-être en hommage à sa mère, dans une palette de gris, rose et bleu. Elle joue ici sur les ombres avec une grande légèreté de façon à mettre en valeur les carnations diaphanes des deux jeunes femmes.


Jeune femme en brodeuse (Autoportrait présumé) – vers 1710
Aquarelle et gouache sur ivoire, 8,5 x 6,2 cm
The Tansey Miniature Foundation, Bomann Museum, Celle


Elle crée des scènes intimes, comme cette jeune fille qui serre un chiot contre son cœur, sous le regard probablement attentif de sa mère.


Jeune femme au petit chien – vers 1710
Aquarelle et gouache sur ivoire, ovale, 5,3 x 7,5 cm
The Tansey Miniature Foundation, Bomann Museum, Celle


Si elle peint principalement des portraits, elle s’intéresse aussi aux thèmes mythologiques, comme cette Flora, un thème qui revient aussi dans ses pastels. 


Flora – vers 1710
Aquarelle et gouache sur ivoire, ovale, 5,1 x 7,5 cm
The Tansey Miniature Foundation, Bomann Museum, Celle


L'Amour présidant le concert d'une flûte et d'un clavecin - sans date
Miniature sur ivoire, diamètre 10 cm
Musée du Louvre, Paris



Dame au masque – vers 1715
Aquarelle et gouache sur ivoire, ovale, 5,1 x 7,5 cm
The Tansey Miniature Foundation, Bomann Museum, Celle

La dame tient de la main gauche un masque noir doublé de blanc à l’intérieur et des gants. Sur son bras, un manchon blanc et rouge, peut-être en plumes de cygne. De la main droite, elle tient un éventail en écailles de tortue. Les carnations sont traitées avec la transparence de l’aquarelle, tandis que le costume est peint à la gouache, opaque.

Rosalba termine son apprentissage en 1703 dans l’atelier du graveur Guiseppe Diamantini (1620-1705) et élargit ses compétences. Elle se tourne vers l’art du portrait et commence à pratique le pastel de manière régulière.

Travaillant sans dessin préalable et avec une grande rapidité d'exécution, elle tire magnifiquement partie de la souplesse du pastel : la fraîcheur des coloris, la transparence et le velouté des matières se rapprochent de celle de la peau poudrée des aristocrates. Ses portraits en buste sont assez précis pour capter les traits des modèles et suffisamment intimistes pour évoquer leurs traits psychologiques.

Elle innove aussi en combinant l’utilisation de plusieurs craies de couleur sur la même surface, afin d’obtenir une plus grande variété de tonalités et rendre compte de la sensualité des étoffes grâce aux faces et arêtes de craies.

Elle est admise à la prestigieuse Académie Saint Luc de Rome, en 1705, avec un portrait miniature.

L’Accademia di San Luca est une association d’artistes fondée à Rome en 1577 et devenue active vers 1593. Elle est nommée ainsi en référence à Saint Luc l’Evangéliste, saint patron des peintres et tenu pour être l’auteur du premier portrait de la vierge Marie. Elle s’appelle également l’Accademia di belle arti di Roma, restée l’académie la plus importante d’Italie.



Portraits d’enfants – vers 1720
Pastel sur papier gris, 33 x 27 cm, chacun
Musée de l'Ermitage, Saint Pétersbourg


Rosalba commence alors à recevoir des commandes prestigieuses, comme celles de Christian Cole, Duc de Manchester et ambassadeur à Venise. Voici un jeune noble anglais, en voyage d'agrément…


Philippe, duc de Wharton (1698-1731) vers 1718-20
Pastel sur papier, 55,9 x 44,5 cm
Royal Collection Trust / © Sa Majesté le roi Charles III


Même le roi du Danemark Frédéric IV, passant à Venise, lui commande son portrait ainsi que ceux, en miniature, des douze plus jolies Vénitiennes (!)

Rosalba sait entretenir sa clientèle en échangeant une correspondance considérable, en Italie comme en Allemagne. Le 25 juillet 1710, elle écrit même à l’Electeur palatin au sujet d’un pastel qu’il lui a commandé.

 

Le Prétendantfils de Jacques II – sans date
Aquarelle sur ivoire, 9,8 x 7,8 cm
Musée du Louvre, Paris

En 1715, Rosalba rencontre le financier Pierre Crozat qui effectue son voyage d’Italie. C'est un amateur d’art, riche et passionné, et ses collections ont déjà acquis une réputation européenne. Il l’invite à venir lui rendre visite à Paris où il lui propose de loger dans son hôtel, rue de Richelieu, une résidence placée « à l’extrémité d’un superbe jardin dont la vue s’étendait sur la campagne, qui avait pour horizon Montmartre, son groupe de moulins et ses deux églises. »


Portrait de Pierre Crozat - sans date
Pastel sur papier, 60 x 46 cm
Collection particulière 

Le 1er avril 1719, le père de Rosalba meurt brutalement. Moins d’un an plus tard, Rosalba quitte sa ville natale pour Paris, accompagnée de sa mère, de ses deux sœurs et du peintre Pellegrini.

Dès son arrivée, en avril 1720, elle tient régulièrement son journal dont la lecture permet d’imaginer la pression à laquelle elle fut soumise durant tout son séjour : les artistes, les ducs, les princesses, le Régent et même le jeune roi Louis XV, alors âgé de 10 ans, tous exigent leurs portraits dans des délais beaucoup plus brefs que ceux qu’ils mettent à rémunérer son talent. 

Toutes les citations de cette notice sont tirées du Journal de Rosalba Carriera pendant son séjour à Paris en 1720 et 1721, publié en italien par son admirateur et ami, l’abbé Vianelli puis traduit en français et annoté par Alfred Sensier (1815-1877), critique et historien d’art, en 1865 (consultable en ligne sur Gallica).

 

Antoine Watteau (1684-1721) - 1720
Pastel sur papier, 55 x 43 cm
Museo Civico Luigi Bailo, Trévise

Il reste du séjour parisien de Rosalba, un grand nombre de portraits, charmants, flatteurs et délicats.

J’avoue un petit faible pour son interprétation de la dentelle et son rendu de la transparence du teint des demoiselles aux visages poudrés mais je suis aussi touchée par ce dessin plein d’empathie pour une femme sans apprêt, qu’elle devait voir quotidiennement.

 

Portrait présumé de la gouvernante de Pierre Crozat - 1720
Pastel sur papier brun, 32 x 25 cm
Musée du Louvre, Paris

Portrait d’une jeune fille tenant un singe – vers 1720
Pastel sur papier, 62,5 x 48 cm
Musée du Louvre, Paris

Jeune femme à la chevelure piquée d’un bouquet blanc – 1720/1721
Pastel sur papier gris-bleu, tendu sur châssis entoilé, 58 x 44 cm
Musée du Louvre, Paris

Portrait de femme – 1720/1721
Pastel 58 x 41 cm
Collection particulière

Je vous engage à jeter un œil à la dentelle et aux cils blancs de la dame…


Louis XV - 1720
Pastel sur papier, 50,5 x 38,5 cm
Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde 


« Le 25 [juin 1720], j’allais avec mon beau-frère pour finir le portrait du Roi à qui survinrent trois petits accidents : son fusil tomba, son perroquet mourut, et il vint mal à sa petite chienne. »

Rosalba est présentée à l’Académie royale de peinture et de sculpture par le peintre Antoine Coypel (1661-1722), peintre du Régent, directeur de l’Académie et écuyer. « Le 26 octobre, je reçus la lettre de l’Académie et la nouvelle que j’étais admise à l’unanimité, personne n’ayant voulu donner une boule noire. »

L’admission officielle de Rosalba ne se fait que le 9 novembre 1720. « Elle fut agréée au vu du portrait du Roi au pastel et ce n’est que le 28 février 1722 qu’elle put envoyer le tableau d’usage pour sa réception comme membre de l’Académie. Il représentait une muse offrant une couronne à l’Académie de France. » (Journal de Rosalba, note d’Alfred Sensier).

Rosalba était la septième femme académicienne. Il fallut attendre 37 ans pour qu’une autre femme, Marie-Thérèse Reboul (1738-1806), épouse de l’académicien Joseph-Marie Vien, soit à nouveau admise.

 

Jeune fille tenant une couronne de laurier, nymphe de la suite d'Apollon - 1721
Pastel, 61,5 cm x 54,5 cm
Musée du Louvre, Paris

Morceau de réception de Rosalba à l'Académie royale de peinture et de sculpture.

 

Mademoiselle de Clermont (1697-1741) – 1721
Pastel sur papier marouflé sur toile, 55 x 42 cm
Musée Condé, Chantilly

« Le 28 janvier [1721], Mme la duchesse vint chez moi avec sa fille, Mlle de Clermont et beaucoup d’autres duchesses et cavaliers. Toute cette compagnie me mit en croix pour que je fisse le portrait de la sœur du prince de Conti et celui d’une très belle dame pour lequel on avait payé d’avance un prix excessif. »

Selon le Mercure de France du mois de mars 1721 : « La Signora Rosa Alba, dont on a admiré les portraits au pastel qu’elle a fait pendant son séjour en France, partit le 15 pour Rome. »

« Le Mercure se trompe, Rosalba rentre à Venise, en passant par la route de Strasbourg qui, depuis la peste de Marseille, était la voie habituelle pour se rendre en Italie. » (Journal de Rosalba, note d’Alfred Sensier).

Rendue dans sa maison de Venise, Rosalba ne cesse de correspondre avec ses amis de Paris. Elle est aussi entourée d’admirateurs, dont une des filles du Régent, Mademoiselle de Valois, qui a épousé le prince héritier de Modène et l’invite en 1723. Elle y fait notamment le portrait des filles de Rinaldo d’Este III.


Portrait de Mademoiselle Le Blond, dit aussi
 Petite fille au biscuit et aussi Jeune garçon au biscuit - 1725
Pastel sur papier bleu, 60 x 50 cm
Gallerie dell'Accademia, Venise

Rosalba Carriera a réalisé plusieurs versions de figures allégoriques féminines.

Le 25 mai 1726, elle enregistre dans son journal une série des Quatre Saisons « à expédier à Londres ».


Le Printemps – vers 1726
Pastel sur papier bleu, 64,1 x 50,2 cm
Royal Collection Trust / © Sa Majesté le roi Charles III




L’Hiver – vers 1726
Pastel sur papier bleu, 61,6 x 49,5 cm
Royal Collection Trust / © Sa Majesté le roi Charles III




Elle représente également les Cinq Continents dont il reste :


L’Amérique – vers 1730
Pastel sur papier marouflé sur toile (42 x 33 cm)
National Museum of Women in the Arts, Washington 


L’Afrique – vers 1730
Pastel sur papier (28 x 34 cm)
Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde 


Et diverses muses et allégories, petits tableaux d'agrément :


Allégorie de la peinture – sans date
Pastel et craie rouge sur papier monté sur toile, 44,3 x 34,1 cm
National Gallery of Art, Washington, D.C.


Muse en robe rose – sans date
Pastel sur papier, 29,5 x 24,5 cm
Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde


Son dernier voyage à l’étranger, en 1730, répondait à une invitation à la cour des Habsbourg, à Vienne, où elle exécute cet impressionnant portrait de l’impératrice. C’est probablement à Vienne qu’elle fait aussi son Autoportrait en hiver et le beau Portrait du poète Pietro Metastasio qui s’était installé à Vienne cette année-là.

 

Portrait de l'impératrice Wilhelmine Amalie -1730
Pastel sur papier, 65 x 41 cm
Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde


Autoportrait en hiver – vers 1730
Pastel sur papier, 46,5 x 34 cm
Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde

Le poète abbé Pietro Metastasio (1698-1782) - 1730
Pastel sur papier, 32 x 25,5 cm
Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde


Pendant les 15 années suivantes, à Venise, elle continue à peindre les aristocrates effectuant leur Grand Tour.

Kurprinz Friedrich Christian von Sachsen (1722-1763) – 1740
Pastel sur papier, 63,5 x 51,5 cm
Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde

L’électeur saxon Friedrich Christian von Sachsen entreprit un Grand Tour à travers l’Italie et passa six mois à Venise. En avril 1740, il pose trois jours pour Rosalba qui le met en scène comme dans un portrait d’Etat : au-dessus de son armure, il porte un justaucorps brodé et un manteau d’hermine, élément central de la représentation des dirigeants. Son ruban bleu appartient à l’Ordre de l’Aigle blanc polonais. (Extrait de la notice du musée)


Portrait de Gustavus Hamilton, 2e vicomte Boyne, en costume de mascarade– 1730/1731
Pastel sur papier, marouflé sur toile, 56,5 x 42,9 cm
The Metropolitan Museum of Art, New York

Certains y reviennent plusieurs fois…


Portrait de Gustavus Hamilton, 2e vicomte Boyne – 1730/1731
Pastel sur papier, 59,7 x 47,6 cm
Barber Institute of Fine Arts, Birmingham



Posent aussi les membres de la haute société vénitienne avec, parfois, quelques figures un peu cocasses…


Jeune fille au perroquet – 1730
Pastel sur papier bleu, contrecollé sur carton, 60 x 50 cm
The Art Institute of Chicago, Illinois




Portrait d'un homme habillé en Turc et buvant du café - sans date 
Pastel sur papier, 56,5 x 44 cm
Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde



En définitive, tous les voyageurs qui transitent par Venise passent aussi dans son atelier !



Portrait de Madame Lethieullier - 1739
Pastel sur papier, 61,2 x 46,6 cm
Musée des Beaux-Arts, Montréal

Le mari de cette jolie dame, l’antiquaire Smart Lethieullier, effectuait son Grand tour et séjourna à Venise avec elle en 1739. 

 

Portrait de l’Honorable George Townshend (1724-1807), 
premier marquis Townshend – vers 1740
Pastel sur papier
Villa Necchi Campiglio, Milan

Photographié dans l’exposition « Eblouissante Venise ! Venise, les arts et l’Europe au XVIIIe siècle », Grand Palais, Paris, septembre 2018


Portrait de James Gray, - vers 1744-1745
Pastel sur papier, 56 x 45,9 cm
The J. Paul Getty Museum, Los Angeles

James Gray était diplomate et fondateur de la Société des Dilettanti, une des nombreuses sociétés savantes anglaises au XVIIIe siècle. L’une des dernières œuvres de Rosalba, peu de temps après l’arrivée de Gray à Venise, en 1744.


Rosalba, dont les yeux avaient dû souffrir de son activité de miniaturiste, fut frappée de cécité en 1746.

Je termine avec ce superbe autoportrait, probablement exécuté peu de temps avant qu’elle cesse son activité artistique…

 

Autoportrait – vers 1745
Pastel sur papier, 56,7 x 45,8 cm
Royal Collection Trust / © Sa Majesté le roi Charles III


« Sa manière était éclatante, agréable et facile, la teinte chaleureuse sans s’écarter de la nature, son dessin correct avait une grâce native et une noblesse qu’il est difficile de trouver chez d’autres peintres. »

Abbé Vianelli


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