Giulia
Lama est l'une des figures les plus énigmatiques du début
du XVIIIe siècle à Venise.
Elle est née le 1er octobre 1681, fille aînée des cinq enfants de Valentina dell’Avese et d’Agostino Lama, mathématicien, peintre et marchand d’art qui avait étudié la peinture avec Pietro della Vecchia (1603-1678). Giulia fut baptisée cinq jours après sa naissance à l’église de sa paroisse, Santa Maria Formosa.
Giulia ne s’est jamais mariée et est restée étroitement liée à sa famille, pratiquant le discret métier de brodeuse qui lui assurait sans doute des revenus plus réguliers que sa peinture.
La première personne à avoir évoqué son talent dans ses écrits est une élève de Rosalba Carriera, Luisa Bergalli-Gozzi (1703-1779), native de Venise comme elle. Peintre, poétesse, autrice de drame musicaux et de traductions, notamment de Racine, elle indique que Giulia rencontre un grand succès en tant que peintre de retables et admire son érudition.
Les autres appréciations sur Giulia sont issues d’une lettre, datée du 1er mai 1728 et adressée par l’abbé Antonio Schinella Conti (1677-1749) à la marquise de Caylus, où il lui raconte sa rencontre avec elle. Il considère que, pour la qualité de ses œuvres, elle surpasse à la célèbre Rosalba Carriera et décrit une personnalité très différente de celle de la célèbre portraitiste vénitienne : insaisissable et retirée, d’une grande spiritualité. Il indique également qu’après avoir étudié les mathématiques avec son père, elle était connue comme poète, parlant avec grâce et intelligence « de sorte qu’on lui pardonne facilement son visage », ce qui fait référence au fait qu’elle était affligée d’un bec-de-lièvre…
Giulia admirait le travail de Giambattista Piazetta, son contemporain qui a peint un portrait d’elle qui se trouve aujourd’hui dans la collection du musée Thyssen-Bornemisza, à Madrid où il a été identifié grâce à un l’autoportrait des Offices de Florence (ci-dessus). Selon ce musée, elle aurait également servi de modèle au Suzanne et les vieillards de Piazzetta conservés aux Offices de Florence qui ne le montrent pas en ligne… dommage.
Il est évident que Giulia avait acquis des capacités techniques qui lui
permettaient de rivaliser avec ses collègues masculins d’autant qu’elle ne
s’est pas limitée aux productions considérées comme « féminines »,
portraits, miniatures et natures mortes.
Ses études de nus d’hommes et de femmes, conservées au Cabinet des dessins et des estampes du Musée Correr, à Venise (12 d’entre eux ont été exposés pour la première fois en 2018 dans l'exposition « Giulia Lama, peintre et poétesse »), démontrent, en plus d’une pratique indépendante et non conformiste, de réelles connaissances en anatomie, ce qui lui a permis d’aborder des compositions puissantes et expressives.
Les
premières œuvres attribuées à Giulia Lama datent du début des années
1720, alors qu'elle avait près de 40 ans. C'est à cette époque qu'elle a
été chargée de peindre les représentations des quatre évangélistes des écoinçons situés au-dessus
de deux autels de l'église de San Marziale, nouvellement reconstruite.
La
peinture est recouverte d’une épaisse couche de crasse… Le lion, attribut de
saint Marc qui se trouve à sa droite, est à peine visible…
Ses
peintures vont des représentations religieuses pour de grands retables,
aux scènes mythologiques. Elles se caractérisent par des compositions
dépouillées mais élaborées, avec des vues en contre-plongée, des positions de
personnages marquant les diagonales très dynamiques et de forts effets lumineux.
Son utilisation de la couleur est proche de celle de Giambattista Piazetta à la même période, des gris-brun un peu rougeâtres, parfois rehaussé d’un élément de couleur franche.
Son catalogue est incomplet car beaucoup d'œuvres ont été perdues ou, comme cela est arrivé à d'autres artistes, ont été attribuées à d'autres peintres.
Il a été reconstitué à partir d'autres sources : un guide vénitien de l'année 1733, qui mentionne trois retables de Giulia Lama dans les églises vénitiennes, dont deux survivent, Crucifixion avec des saints à San Vitale et Madonna en gloire avec deux saints à Santa Maria Formosa ; son autoportrait et le portrait peint par son contemporain, Giambattista Piazzetta.
Sur la seule base de ces quatre œuvres identifiées, les chercheurs ont finalement rendu à Giulia Lama 26 peintures précédemment attribuées à d'autres artistes connus, notamment à Tiepolo, comme ce Saturne dévorant son enfant :
Les deux toiles qui suivent, également passées récemment en vente, dépeignent des épisodes de la vie de Job et Joseph. Elles montrent la complexité anatomique avec laquelle Giulia représentait les corps humains, dans des poses sinueuses et théâtrales qui n’ont rien de décoratif.
Les
œuvres de Giulia ne sont pas en lignes sur les sites des musées italiens. Je n'en ai que deux à montrer : Judith et Holopherne
de la Gallerie dell' Accademia de Venise et le Martyre de Saint Jean du
musée de Quimper, qui présentent une similitude : les deux scènes se
situent « juste avant », avant le martyre et avant la décapitation, à
la dernière minute, celle où Jean peut encore abjurer sa foi, celle où Judith
peut encore choisir de renoncer…
« Magnifique pièce de l’ancienne collection Silguy, cette toile ne représente pas à proprement parler le martyre de saint Jean mais le moment qui le précède. L’accent est mis sur le dépouillement et l’audace de contrastes lumineux marqués à grandes taches. La narration est ainsi réduite à l’essentiel : ne sont représentés que le bourreau qui ligote les mains du saint et le grand prêtre qui tente, une dernière fois, de lui faire adorer une idole païenne. Une masse noire au premier plan rappelle le sort qui sera réservé à saint Jean ; on devine dans cet accessoire la cuve d’huile bouillante dans laquelle il sera plongé. L’ensemble forme un groupe compact, sorte de figure tricéphale vue en contre-plongée. Le dépouillement de la composition n’a d’égal que l’intelligence de l’ordonnance des formes, disposées avec dynamisme par un jeu de diagonales et d’obliques. L’impression d’énergie ainsi créée est renforcée par de saisissants effets lumineux. D’une manière tranchée, le saint inondé de lumière ressort avec vigueur, comme une tache d’une grande clarté plastique, sur un fond aux tonalités brunes et roussâtres. » (Extrait de la notice en ligne du musée – texte de Mylène Allano, historienne de l'art)
Un
second tableau a été acquis par la Gallerie dell Accademia de Venise en 2023,
où l’on retrouve la même dramatisation que dans les autres œuvres :
Dalila, comme surprise par le groupe de soldats à gauche, tient encore une
mèche de cheveux à la main. Cette fois, c'est trop tard, le « mal est fait »…
Huile sur toile, 106 x 154 cm
Voilà, c’est bien peu. Mais, chaque fois qu’une peintre est redécouverte, des œuvres sortent peu à peu des collections privées. Espérons et attendons…
Giulia
Lama est morte le 7 octobre 1747 et a été inhumée à la basilique de San
Giovanni et Paolo.
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