Petite-fille du peintre et graveur parisien Nicolas Loir (1624-1769), et sœur du sculpteur et pastelliste réputé Alexis III Loir (1712-1785), Marianne (ou Marie-Anne) Loir est née le 10 décembre 1705.
Elle se forma auprès de Jean-François De Troy (1679-1752), dont le père avait été l’élève de son grand-père, Nicolas Loir. Elle fut aussi l’élève d’Hubert Drouais (1669-1767).
À la fin des années 1720 ou au début des années 1730, elle établit son propre atelier rue Neuve des Petits-Champs, près de celui de Jean-François De Troy.
Lorsque De Troy devint directeur de l'Académie de France à Rome, elle y séjourna, entre 1738 et 1746, avec son frère qui préparait le concours de l'Académie où il fut reçu en 1746.
Ses premières commandes, en 1737 et 1738, comprennent des copies d’œuvres de tableaux appartenant à Louis IV, prince de Condé, chef de la troisième et plus jeune branche de la maison de Bourbon.
À peu près à la même époque, le duc de Valentinois lui commandait les portrait de deux de ses fils, Honoré-Camille-Léonor (de Goyon de Matignon) Grimaldi, dix-neuf ans, qui avait été officiellement proclamé prince souverain de Monaco, et Marie-Charles-Auguste, comte de Matignon.
S’agissant de l'aîné, en fouillant un peu les sites en ligne j'ai trouvé sans grande difficulté le portrait ci-dessous. Il comporte une inscription, en haut à droite, où l’on déchiffre « peint par M. Loire en 1739 ».
Compte tenu de la similitude de mise en scène « musicale » entre les deux portraits ci-dessous, l’aîné jouant d’une sorte de vielle à roue (désignée par un autre nom que je ne suis pas parvenue à déchiffrer) - du dernier chic au XVIIIe siècle puisque même Louis XV en jouait et que Bach, Vivaldi et Mozart ont composé pour elle - et le cadet d’une « musette de cour », sorte de cornemuse, je ne pense pas prendre un grand risque en affirmant qu’il y a de sérieuses chances pour qu’il s’agisse de la commande en question, même si le prénom de Marianne n'apparaît pas dans la signature du premier portrait.
Le second portrait se trouve à Saint-Lô :
Le modèle porte un élégant costume de satin blanc
avec col et manche de dentelle, un chapeau orné d'un nœud et sur son épaule
gauche un manteau cape en satin gris bordé de dentelle couleur or. A
l'arrière-plan à gauche se détache un décor de paysage.
« La musette de cour portée par le modèle comprend deux outres jouées avec les doigts, un chalumeau ajustable en ébène et argent, garni de galons dorés et une frange, ainsi qu'un sac en peau de couleur bleu nuit (peut-être du daim), garni également de galons dorés et d'une frange. Ce dernier sert à contenir l'air, généré par un soufflet à plis, et contrôlé par une bande dorée autour de son avant-bras droit […] Enfin, une bourse pend de la taille du comte, elle-même appelée "musette", faite du même cuir bleu nuit, avec garniture dorée, fermeture et gland. » (J. A. S. Goode).
Il s’agit de Marie-Charles-Auguste Grimaldi, comte de Matignon et de Carladez (1722-1749), fils cadet de Louise Hippolyte Grimaldi, princesse de Monaco, et de Jacques IV de Matignon. A 22 ans, il s'engage dans une carrière militaire. D'abord colonel du Régiment de Forez, il est promu quatre ans plus tard Brigadier des Armées du Roi. Il meurt de la petite vérole le 24 août 1749, à Prats-de-Mollo-de-Preste (Occitanie) où il se trouvait avec son Régiment. » (Extrait de la notice des musées de Normandie)
Comparons leurs regards et leurs sourires, caractéristiques des portraits de Marianne, comparons aussi les mains et les jambes de ces deux portraits, les reflets sur le satin des costumes : ces deux-là font la paire, non ?
Quoi qu’il en soit, on attribue avec certitude une dizaine de portraits à Marianne, datés de la période 1745-1769. La base « Joconde » des musées de France en recense neuf qui sont conservés dans divers musées français et il en existe plusieurs à l’étranger.
Ils sont tous caractéristiques des portraits du milieu de XVIIIe siècle, qui valorisent le statut social du modèle grâce au traitement minutieux de son costume et à des références à son activité intellectuelle, livres, compas ou feuilles manuscrites.
Le regard franc et vif, tourné vers le spectateur, tous arborent le petit sourire engageant et la position détendue d’un interlocuteur bienveillant, le coude négligemment appuyé sur un bureau, un panier, etc… ce qui crée une impression un peu répétitive que vient heureusement tempérer des traits qu’on imagine parfois ressemblants - bien que sans aspérité ni réelle profondeur psychologique - et une technique virtuose dans le traitement des étoffes, des fourrures et des dentelles.
Le
plus célèbre de ces portraits est celui de la Marquise du Châtelet :
Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil,
marquise du Châtelet (1706-1749), brillante mathématicienne, fut notamment
renommée pour sa traduction des Principia Mathematica d'Isaac Newton,
écrit qui fait encore référence aujourd’hui. Pour connaître sa vie et son
œuvre, je vous recommande de lire Emilie, Emilie d’Elisabeth Badinter,
sur le destin de deux grandes dames du XVIIIe siècle, Madame du Châtelet et
Madame d’Epinay.
Le statut scientifique du modèle est mis en évidence par le compas qu’elle tient dans sa main droite, tandis que sa féminité s’exprime dans l’œillet de la main gauche et la gorge découverte, réchauffée de fourrure et d’une dentelle délicate.(Pour être une intellectuelle surdouée, on n’en est pas moins femme !)
Les autres portraits exécutés par Marianne se trouvent dans les musées les plus divers :
« Beau et débonnaire, il est l'image du charme et de la nonchalance français du milieu du XVIIIe siècle. Bien que son identité reste un mystère pour le moment, force est de constater qu'il est un homme de savoir et de mode. Il porte un luxueux justaucorps de velours gris-violet bordé de fourrure de guépard, un gilet de soie richement brodé et un fin jabot de dentelle à la gorge. Assis à un bureau, il lève les yeux de sa lecture pour engager le spectateur. Ses yeux grand ouverts, son regard direct et son sourire doux projettent un air de chaleur et d'accessibilité rare à une époque où les hommes étaient principalement représentés avec une sobriété détachée. Il apparaît comme quelqu'un que nous aimerions rencontrer. » (Extrait de la notice du musée)
Ce portrait a longtemps été attribué à Alexander Roslin puis à Jacques Aved, avant d’être rendu à Marianne pour le traitement des yeux, de la dentelle et les rehauts lumineux sur le velours. La comparaison avec le portrait précédent est, sur ce point, assez convaincante.
« Pour souligner l'importance de Mme Geoffrin, la peintre Marianne Loir a rendu en détail la somptuosité du costume de la dame. Elle a soigneusement dépeint le motif compliqué de la robe de satin, les perles décorant les cheveux et le manteau rouge garni de fourrure. Des passages encore plus riches et plus picturaux sont visibles dans les plis du manteau tombant sur les épaules et les hanches du modèle. Le traitement du délicat voile rayé est particulièrement impressionnant.
Ce qui distingue ce portrait des autres exemples contemporains, c'est la décision de ne pas idéaliser son sujet. Bien que Mme Geoffrin soit une femme séduisante et réfléchie, la chair douce sous son menton fait allusion au début de l'âge mûr, un détail que la plupart des portraitistes masculins et féminins auraient pu omettre. » (Extrait de la notice du musée)
Née en 1699, Marie-Thérèse Rodet, épouse Geoffrin, apprit l’art de la conversation avec sa grand-mère maternelle, Mme Chemineau. Elle vécut toute sa vie au numéro 372 de la rue Saint-Honoré où elle organisa les « dîners du mercredi » (à cette époque, le dîner correspondait au déjeuner), puis les « dîners du lundi » par l’intermédiaire de M. de Caylus, artiste et archéologue. De 1749 à 1770, elle y accueillit des gens de lettres et des philosophes comme Fontenelle, Marivaux, Montesquieu, Diderot et d’Alembert (dont elle subventionna l’Encyclopédie) mais aussi des artistes (Greuze, Van Loo, Boucher) auxquels elle commanda de très nombreuses toiles. La renommée de Mme Geoffrin dépassait les frontières puisqu’elle entretenait des liens avec les souverains de Russie, d’Autriche et de Pologne.
En 1837, la duchesse d'Abrantès, qui avait connu les salons d'Ancien Régime, disait à son sujet : « Parmi les personnes remarquables de ce temps, de 1730 à 1780, Madame Geoffrin est sans doute une des plus dignes d'attention. C'est un type à étudier que cette femme qui, n'étant ni noble, ni belle, ni excessivement riche (…) fut cependant connue comme l'étaient alors les personnages les plus distingués de cette époque. »
On commence à se dire que Marianne savait choisir ses modèles féminins…
Autre femme remarquable pour la diversité de ses talents, poète, épistolière et dramaturge, traductrice de Milton, amie de Marivaux, hôtesse d’un célèbre salon et reçue, comme Emilie du Châtelet, aux Académies des arcades de Rome et de Bologne, voici Anne-Marie Le Page, dite Madame du Boccage :
Ce
portrait n’est visiblement pas le seul que Marianne a peint de cette dame,
puisqu’il existe une gravure d’après un autre de ses tableaux :
Et, toujours grâce à l'estampe, on sait aussi qu'elle a exécuté le portrait de Nicolas-Jean Regnault, curé de Saint-Etienne du Mont :
J’ajoute
aussi ce Portrait de Madame de Seyne, sans avoir trouvé de précisions sur ce modèle. Le tableau, qui avait été « acheté » par un agent de Göring
pendant la seconde guerre mondiale, est revenu en France à la Libération.
Œuvre récupérée à la fin
de la Seconde Guerre mondiale, déposée par l'office des biens et intérêts
privés, en attente de sa restitution à ses légitimes propriétaires.
Maurice de Saxe (1696-1750) est le fils adultérin
de Marie-Aurore, comtesse de Königsmarck et de l’électeur de Saxe
Frédéric-Auguste 1er. Il apprend très jeune le métier des armes. Après une vie aventureuse
et dissipée, il est éloigné par son père et intègre finalement l’armée
française où il est nommé lieutenant général par Louis XV en 1734. En 1741, il
devient maréchal de France et se distingue lors de la guerre de succession
d’Autriche (1740-1748) : à la tête de l’armée française, il remporte les
victoires de Fontenoy (1745) et de Rocourt (1746).
« Maurice de Saxe reçoit Chambord des mains de Louis XV en 1745 en récompense de ses exploits militaires. Il y séjourne ‘’comme un souverain’’, avec sa cour et ses régiments, occupant ses journées par des manœuvres militaires, des chasses ou des divertissements. Il supervise également de grands travaux dans le château et son parc. Il aménage ainsi un théâtre au second étage du donjon ou remet au goût du jour l’appartement de parade avec un riche décor mobilier.
Le maréchal achève également l’aménagement d’un jardin à la française et fait percer de nombreuses routes dans le parc pour faciliter les chasses à courre. Il meurt au château le 30 novembre 1750. » (Notice du musée)
Selon l’historien de l’art Xavier Salmon, Marianne aurait également peint le portrait de cette noble Allemande, portrait précédemment attribué à Jean-Marc Nattier. On peut toutefois s’interroger sur le point de savoir comment ces deux dames se sont rencontrées puisqu’il paraît peu probable que Marianne ait fait le voyage jusqu’à Mayence, où vivait Maria Clara Philippine… mais la proposition reste d'autant plus séduisante que la pose, la présence de la guirlande, le regard et la forme des yeux évoquent Marianne …
… même si l'on sait que, vers 1755, et bien que visiblement bien introduite auprès de l’élite intellectuelle parisienne, Marianne quitte Paris pour le sud de la France et mène une vie itinérante liée aux commandes de portraits de la noblesse de province. Elle semble avoir séjourné à Pau, Toulouse et Marseille, dont elle devient membre de l’Académie en 1762.
Quelques exemples de ces portraits :
« Ce portrait charmant et attachant, du jeune Antoine Duplàa, peint le 1er septembre 1763 par Marianne Loir, est tout à fait caractéristique de la manière délicate et raffinée de cette artiste. Antoine-Vincent-Louis-Barbe Duplàa est né le 4 décembre 1753 à Pau. Sa famille appartenait à la noblesse béarnaise, son père le baron de Duplàa était seigneur d’Escou. (…)
Cette œuvre a été réalisée par Marianne Loir l’année suivant sa réception à l’Académie de Marseille. Le minois attendrissant du petit garçon, aux joues rebondies et rosies par le bon air de la campagne, fait oublier l’aspect artificiel de ce type de portrait. La position très figée de l’enfant, la mise en scène organisée pour valoriser ce petit jardinier de théâtre sont représentatives de l’art de Marianne Loir, mais également de cette production de la deuxième moitié du XVIIIe siècle prônant les plaisirs bucoliques et les vertus campagnardes. (…)
Si l’on a parfois reproché à Marianne Loir le répertoire très restreint qu’elle utilise pour les attitudes de ses personnages, empruntant assez régulièrement des schémas à Pierre Gobert, on lui reconnaît une recherche toujours élégante des coloris, Xavier Salmon souligne à ce titre des rapprochements avec l’art de Jean-Marc Nattier. Dans ce portrait d’Antoine Duplàa, dominé par le beau rouge de la veste et de la culotte portées par l’enfant, l’artiste décline toute une gamme de couleurs fraîches en harmonie avec le sujet. »
Texte
extrait du catalogue raisonné Peintures françaises du XVIIIe s. Musée
des Beaux-Arts de Tours / Château d'Azay-le-Ferron, par Sophie Join-Lambert.
C'est encore en Angleterre que j'ai trouvé ce second portrait d'enfant :
« Ce portrait d'une femme inconnue (qui ne saurait être celui de l'une des filles de Louis XV, comme a pu le proposer le catalogue de 1894), âgée semble-t-il d'une trentaine d'années, nous présente le modèle en buste, la tête légèrement tournée vers la gauche, les yeux fixant le spectateur et les lèvres esquissant un léger sourire. Des algues garnissent ses cheveux et un double rang de perles s'enroule dans sa coiffure pour descendre en tresse sur son épaule droite. Le nœud de sa ceinture s'orne de feuilles de roseaux. Cette même végétation compose l'unique décor qui apparaît derrière le personnage. L'utilisation des perles et des roseaux comme ornements de la figure fonctionne comme un attribut et incite à penser que l'artiste a voulu conférer à son sujet la tournure d'une divinité aquatique. On sait la fortune de ces portraits où le modèle se travestit en une figure mythologique : Largillière, puis surtout Nattier ont beaucoup pratiqué ce genre. (…) Jadis attribué à Nattier, ce que le thème de l'œuvre, son caractère plaisant et suave peuvent aisément faire comprendre, la toile doit évidemment être exclue aujourd'hui du catalogue du fameux portraitiste. Elle reviendrait plutôt, selon l'hypothèse de Jean-Pierre Cuzin (communication orale, 1999), à Marianne Loir. (..)
La manière de ces différentes œuvres se caractérise par une palette proche de Nattier, une certaine rigidité dans le traitement des personnages, qui tous arborent un même inexorable sourire. Cette toile aux coloris acidulés, à l'iconographie séduisante, si représentative des charmes de l'art français au XVIIIe siècle, qui nous offre l'image d'une femme d'esprit appartenant à la société du temps (…) » (Notice de Matthieu Pinette – Base Joconde)
« Louis de Fontaine était, en 1746, maître d'hôtel d'ordinaire du roi, puis receveur général des finances de Limoges (1755-75), et à partir de 1778 locataire à vie de la seigneurie et du château de Plaisance à Nogent-sur- Marne avec les revenus d'un tiers du domaine. Le château de Plaisance avait été reconstruit en 1735, doté d’un système hydraulique pour alimenter les fontaines dans les jardins qui comprenaient un jardin botanique. Parmi ceux qui séjournèrent au château dans les années 1740 figurent Voltaire, Emilie de Châtelet et la duchesse du Maine.
Fontaine est présenté comme un homme jeune et attachant, au menton marqué par une fente distinctive et arborant un léger sourire, ce qui ajoute de l'intérêt et du charme à sa beauté. Cependant, les caractéristiques les plus remarquables de ce portrait sont peut-être les textures magnifiquement rendues du luxueux costume de Fontaine, le doux velours rouge de son manteau avec sa doublure d’hermine blanche, la dentelle délicate et mousseuse à ses poignets et son gilet de soie blanche richement brodé de fleurs rouges et de mouchetures noires. » (Extrait de la notice du musée)
Et, pour finir, ce charmant portrait à la guirlande qui fait écho à celui que j’ai placé en exergue…
Marianne a été active jusqu’en 1769.
A la fin de sa vie, elle est revenue s'installer à Paris où elle est décédée en 1783.
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