Née
à Paris le 9 mars 1734, Marie-Suzanne Giroust était fille d’un marchand mercier
joaillier.
Orpheline de père à sept ans et de mère à onze ans, elle fut confiée à un tuteur. Le pécule laissé par son père lui permit de réaliser sa vocation d’artiste.
Son premier maître fut Maurice-Quentin de La Tour (1704-1788), pastelliste virtuose auquel elle rend un hommage un peu énigmatique dans son seul autoportrait connu (ci-dessus). Une œuvre dont l’histoire est un peu mystérieuse : elle n’a jamais été exposée du vivant de Marie-Suzanne et elle a ensuite disparu.
On
la connaît grâce à une photographie publiée en 1957 par un chercheur, un
certain Gunnar W. Lundberg. Le tableau appartenait à la collection de Maurice
de Rothschild (1881-1957), lequel a perdu sa trace, peut-être au cours de la
période de l’Occupation.
Par ailleurs, sa composition est assez étonnante, puisqu’elle représente Marie-Suzanne en train de copier un tableau déjà célèbre, L’Homme qui rit, œuvre de Quentin de la Tour. Mais, comme on est censé voir à la fois l’original et la copie, la peintre se représente elle-même, affutant son pastel, comme pour se lancer à l’attaque, alors même que l’exercice a déjà été exécuté une première fois !
Impossible de ne pas y voir au moins un soupçon de dérision : je maîtrise la technique d’un maître incontesté du pastel et je peux le prouver… deux fois.
Souvenons-nous de l’Autoportrait avec Bernardino Campi, de Sofonisba Anguissola (voir sa notice), qui représentait le maître exécutant le portrait de l’élève. C’était déjà hardi. Ici, le maître est devenu un simple « modèle » et, de surcroît, ricanant.
Autre petite chose rigolote à raconter sur ce tableau : Marie-Suzanne travaille sur un « coquillier », c’est-à-dire un meuble à layettes (tiroirs). Au Moyen Âge, ces meubles servaient aux apothicaires à ranger leurs herbes. C’est devenu ensuite un meuble de peintres, toujours à trois tiroirs, leur servant à garder leurs couleurs, pastels et pigments. Mais pourquoi « coquilliers » ? Probablement parce que l’on mélangeait les pigments dans des coquilles comme on l’apprend dans les Leçons royales ou La manière de peindre en mignature [sic] au naturel les fleurs et les oiseaux… (1686) de Catherine Perrot, une autre académicienne : « Toutes ces couleurs se délayent avec de l’eau de gomme arabique, dans des coquilles qui s’acheptent [sic] dans le même endroit que les couleurs. » (p.14)
Le second professeur de Marie-Suzanne est Joseph-Marie Vien (1716-1809). Choix heureux : l’atelier de Vien, dans les années 1750, est plutôt stimulant : elle y rencontre Marie-Thérèse Reboul, académicienne et épouse de Vien, et aussi le peintre suédois Alexander Roslin (1718-1793) qui sera académicien lui aussi et qu’elle épousera finalement en 1759, après avoir longuement attendu l’autorisation de son tuteur, un peu sourcilleux à l’égard des artistes étrangers désargentés et, de surcroît, protestants.
Sous l’Ancien régime, la majorité civile des femmes était fixée à 25 ans (et à 30 ans pour les hommes…), il fallut donc prendre patience.
Elle
aura de lui six enfants, dont il nous reste plusieurs portraits de sa main, au
pastel, son medium de prédilection. Son mari admettait d’ailleurs qu’elle l’égalait au
pastel, c’est dire !
Il ne paraît pas que la maternité ait diminué son énergie créatrice :
Et c'est dans le « genre du portrait au pastel » que Marie-Suzanne fut reçue à
l’Académie royale de peinture et sculpture, le 1er septembre 1770,
avec le Portrait de Jean-Baptiste Pigalle en costume de chevalier de l’ordre
de Saint Michel.
Ce portrait, son « morceau de réception » à l'Académie est exposé au Salon de 1771. Elle y présente aussi « plusieurs portraits sous le même numéro », sans autre précision. Peut-être y avait-il ce Portait de l’abbé Guillaume-Antoine Le Monnier :
Ou ce portrait de l'un des deux architectes (avec Charles de Wailly) du théâtre de l'Odéon :
Cette dame au sourire très doux était l'épouse de Charles-Pierre Coustou, fils du sculpteur Guillaume Coustou (1721-1797) avec lequel la famille Giroust était liée de longue date. Elle est représentée versant son chocolat chaud dans une soucoupe pour le refroidir avant de le déguster, un geste courant de la vie quotidienne des femmes de la haute société de l'époque.
*
L’histoire s’arrête ici. Marie-Suzanne est décédée d’un cancer du sein le 31 août 1772, à 38 ans.
Je
suppose que son mari, que les contemporains ont dit très affecté par sa mort
prématurée, a emporté ses toiles avec lui en rentrant au pays,
raison pour laquelle elles se trouvent aujourd’hui en Suède.
Le portrait de Jacques Dumont, en revanche, a été offert par Roslin à l’Académie royale de peinture et de sculpture, le 29 avril 1786, en souvenir de sa femme.
Je ne pouvais clore cette évocation sans montrer trois portraits de Marie-Suzanne par Alexandre Roslin qui l’a célébrée pour sa beauté, sans doute, mais aussi en tant qu’artiste (même s’il ne peut s’empêcher de se placer lui-même dans la position du professeur…)
*
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