mercredi 22 septembre 2021

Marie-Thérèse Reboul-Vien (1735-1805)

 

Alexander Roslin (1718-1793)
Portrait de Marie-Thérèse Reboul - avant 1757
Huile sur toile, 50,8 x 38,5 cm
Musée national des Châteaux de Versailles et du Trianon


Fille de Joseph Reboul, bourgeois de Paris et « controlleur du Roy » de son état - ce qui ne dit pas grand’ chose de son activité – et d’Anne-Elisabeth Renout, Marie-Thérèse est née rue Feydeau, le samedi 26 février 1735, contrairement à ce qu’écrivent plusieurs auteurs (et Wikipedia…).

Cette date de naissance est confirmée par le registre de son mariage avec Joseph-Marie Vien, le 10 mai 1757, qui précise qu’elle était « fille mineure ». Sous l’Ancien régime, la majorité était fixée à 25 ans et elle n’avait alors que 22 ans.

Entre ces deux dates, il est bien difficile de discerner ce qu’a été la jeunesse de Marie-Thérèse. Le Bénézit indique qu’elle fut l’élève de son mari et formée à l’Académie Saint-Luc, à Rome. Bizarre : on imagine mal un « controlleur du Roy » » laisser sa fille mineure partir seule à Rome. Il est donc assez probable qu’elle ne soit allée à Rome qu’en 1775, lorsque son mari y a été nommé directeur de l’Académie de France. Elle avait alors 40 ans, c’est quand même un peu tard pour une « formation ».

Mais alors, auprès de qui a-t-elle appris ?

On sait qu’elle a été présentée à Joseph-Marie Vien par le comte de Caylus (1692-1765), un personnage haut en couleur : arrière-petit-fils d’Agrippa d’Aubigné par sa mère, descendant d’une des plus ancienne famille de haute noblesse de France, il était amateur d’art, mécène, « antiquaire », écrivain libertin et ami du financier Pierre Crozat (souvenez-vous, celui qui invita Rosalba Carriera à Paris) qui accueillait chez lui de nombreux artistes, peintres et musiciens, dans les ateliers qu’il mettait à leur disposition.

Caylus y travailla avec Watteau, avec lequel il peignait et sculptait, et avec son ami de longue date, Pierre-Jean Mariette (1694-1774), érudit, écrivain, collectionneur d’estampes et doté d’une intelligence hors du commun.

Les deux amis ont été les principales chevilles ouvrières de la publication, voulue par Crozat, du Recueil d’Estampes d’après les plus beaux Tableaux, et d’après les plus beaux desseins [sic] qui sont en France dans le Cabinet du Roy et dans celui du Duc d’Orléans, et dans autres Cabinets… dont les deux volumes furent publiés en 1729 et 1742.

Caylus a été le protecteur de deux peintres du cercle intime de Marie-Thérèse, son mari et un ami de celui-ci, Alexander Roslin, dont il a soutenu les réceptions respectives à l’Académie royale. Le même Caylus est qualifié par Grimm de « protecteur des arts et fléau des artistes ». Il est probable qu’en tant que descendant d’une illustre famille, il ait adopté l’attitude autoritaire des aristocrates dont on rencontre souvent la manifestation à la lecture des souvenirs des contemporains. C’est pourquoi on n’est guère surpris quand on lit que « Mme Vien qui avoit du talent dans la miniature n’osa jamais entreprendre de s’attacher à peindre des têtes, ce qui lui auroit pu valoir beaucoup d’argent, dans la crainte d’irriter M. de Caylus, qui vouloit absolument qu’elle ne fit que de l’histoire naturelle. » (Mémoires inédits de Charles-Nicolas Cochin sur le Comte de Caylus, Bouchardon, les Slodtz. Publié par Charles Henry - Paris, Baur, 1880, p.67).

On ne se fâchait pas avec un protecteur, on se pliait à ses exigences et/ou sa pingrerie : « On ne peut nier qu'il aimoit les arts, qu'il les connaissoit assés bien et qu'il a beaucoup fait pour eux : mais lorsqu'on observera sa conduitte on trouvera qu'il y voulloit dominer trop impérieusement, que le plus grand nombre des services qu'il a rendus aux artistes, à l'exception de quelque favoris en petit nombre, a presque toujours été à de petits garçons qui lui étaient très-soumis ; que ces services mêmes étaient cruels, en ce qu'il mettait toujours des prix si bas aux ouvrages qu'il leur faisoit faire, qu'à peine y trouvoient-ils leur nécessaire. » (Cochin Ibid. p.66)

Nommé académicien honoraire dans la catégorie « honoraire amateur », Caylus avait même fondé un « prix de l’étude de tête et de l’expression » …

 

Charles-Nicolas Cochin (1715-1790), graveur
Concours pour le Prix de l’Étude des Têtes et de l’Expression
Musée du Louvre, département des Arts graphiques.

Mais revenons à Marie-Thérèse : comment Caylus lui-même a-t-il fait sa connaissance ? 

Dans ce contexte général, il existe une hypothèse que je trouve assez convaincante : elle a pu, comme Anne Vallayer-Coster, être l’élève de Madeleine Basseporte (1701-1780) laquelle a copié, dans sa jeunesse, des pastels de Rosalba Carriera avant de devenir la première femme « Peintre des jardins du Roy » et participé à l'enrichissement de la précieuse collection de vélins initiée par Gaston d’Orléans (1608-1660), frère de Louis XIII, aujourd’hui conservée au muséum national d’Histoire naturelle de Paris.

Avec Madeleine Basseporte, naturaliste de talent, elle aurait pu, d’une part, se former à la miniature botanique et, d’autre part, rencontrer Caylus puisqu’ils appartenaient tous deux au cercle de Crozat. Mais ce n'est qu'une hypothèse !

L’année de son mariage, parait l’Histoire naturelle du Sénégal, coquillages, avec la relation abrégée d'un voyage fait en ce pays pendant les années 1749, 50, 51, 52 et 53, de Michel Adanson (1727-1806), contenant de nombreuses planches, toutes dessinées et gravées par Marie-Thérèse, probablement les années précédentes. Le livre est consultable sur Gallica, en voici quelques copies, hélas assez mauvaises.

Michel Adanson (1727-1806)
Histoire Naturelle du Sénégal, Coquillages – 1757
Mention en pied de page : Dessiné et gravé [d’après nature] par M.TH. Reboul
Source : Gallica / Bibliothèque nationale de France



Michel Adanson (1727-1806)
Histoire Naturelle du Sénégal, Coquillages – 1757
Mention en pied de page : Dessiné et gravé [d’après nature] par M.TH. Reboul
Source : Gallica / Bibliothèque nationale de France


Michel Adanson (1727-1806)
Histoire Naturelle du Sénégal, Coquillages – 1757
Mention en pied de page : Dessiné et gravé [d’après nature] par M.TH. Reboul
Source : Gallica / Bibliothèque nationale de France


Caylus met également Marie-Thérèse à contribution pour exécuter quelques gravures de sa Dissertation sur le papyrus, de 1758.

 

Dissertation sur le papyrus 1758 - Planche 4
Mention manuscrite : Dessiné [d’après nature] et gravé par M.Th. Reboul Vien
Source : Gallica / Bibliothèque nationale de France


Elle participe aussi, modestement il est vrai, à l’illustration gravée du Catalogue systématique et raisonné des curiosités de la nature et de l’art qui composent le cabinet de M. Davila, avec figures en taille douce, de plusieurs morceaux qui n’avoient point encore été gravés. (Paris, Briasson – 1767).

Ce Davila était un naturaliste péruvien dont le cabinet « des curiosité de la nature et de l’art » a été inventorié, avant sa vente en 1767, par plusieurs contributeurs, dont l’abbé Grimaud. Ce catalogue en trois volumes in-8° comportait des planches dépliantes, dessinées et gravées par C. Bresse et, pour deux d’entre-elles seulement, par Marie-Thérèse :

 

Catalogue systématique et raisonné des curiosités de la nature et de l’art qui composent le cabinet de M. Davila, avec figures en taille douce, de plusieurs morceaux qui n’avoient point encore été gravés
Paris, Briasson - 1767 Tome Premier
Planche I Millepore à branches feuillues, formé sur une bouteille pêchée à la Barbade
Source : Gallica / Bibliothèque nationale de France

Elle devait parallèlement travailler à d’autres thèmes de la nature puisque, après avoir épousé, en mai 1757, Joseph-Marie Vien (1716-1809), de 19 ans son aîné, elle est reçue à l’Académie royale le 30 juillet de la même année, comme peintre en miniature.

Selon Caroline de Beaulieu (Les grands artistes du XVIIIe siècle, peintres, sculpteurs, musiciens. Paris – Bloud et Barral) elle aurait donné comme morceau de réception un Coq mettant la patte sur l’œuf de sa poulette.

Là encore, je m’interroge : Nicolas Guérin, dans les Descriptions de l'Académie royale de peinture et de sculpture, 1715-1781 (Paris, Montaiglon, 1893, p.147) cite un seul tableau : « Deux Pigeons huppés qui se becquètent, peints en miniature par Mme Vien. »

La seule œuvre de Marie-Thérèse conservée au Louvre est datée « vers 1762 » et la notice précise que l’œuvre appartenait à la collection de l’ancienne Académie. On dirait bien qu’il s’agit de la même. Dans ce cas, et même si elle n’a été présentée au Salon qu’en 1763, elle a probablement été peinte plusieurs années avant 1762.

 

Deux pigeons sur une branche d’arbre – vers 1762 ?
Aquarelle, plume, rehauts de blanc, 36 x 30 cm
Musée du Louvre, Paris

En tout état de cause, le mystère restera entier sur ce qu’ont pu devenir ce Coq, sa poulette et son œuf !

Marie-Thérèse, devenue académicienne, est présente au Salon de 1757 avec « Différens [sic] morceaux de l’Histoire Naturelle sous le même Numéro ».

En 1759, elle montre : Deux grands papillons et un petit, « deux tableaux de treize pouces de hauteur, l’un représente une perdrix morte, l’autre une corbeille de fleurs. Un tableau de sept pouce et demi représentant des fleurs dans une bouteille. »

J’ai trouvé deux tableaux qui lui ont été attribués lors d’une vente, qui font penser à cette description, même s’ils sont légèrement plus grands (je ne suis pas très sûre de savoir faire la conversion des pouces d’Ancien régime !) et qu’il y a non pas une mais deux perdrix mortes. En outre, je les trouve bizarrement composés, comme s’ils avaient été découpés et, enfin, ils sont datés de 1798.

Je ne les montre donc ici que sous réserve :

 

Panier de fruits, anémones et plumes de paon sur un entablement – 1798
Gouache – 38,4 x 53,2 cm
Collection particulière


Nature morte avec gibier – 1798
Gouache – 38,4 x 53,2 cm
Collection particulière

Diderot chronique aimablement ses œuvres mais sans plus. Il écrit en 1759 :

« Les morceaux d’histoire naturelle de Mme Vien ont le mérite qu’il faut désirer la patience et l’exactitude. Un portefeuille de sa façon instruirait autant qu’un cabinet, plairait davantage et ne durerait pas moins. » (Octave Fidière – Les femmes artistes de l’Académie royale de peinture et de sculpture – Paris, Charavay frères, 1885, p.28)

En 1763, Marie-Thérèse montre au Salon un Emouchet terrassant un petit Oiseau, Deux Pigeons et « plusieurs tableaux représentant des Oiseaux, des Fleurs et des Fruits », comme il est dit dans le catalogue.  

Le commentaire de Diderot est plutôt flatteur :

« Cette femme peint à merveille les oiseaux, les insectes et les fleurs. Elle est juste dans les formes et vraie dans l’exécution ; elle sait même réchauffer des sujets assez froids. Ici, c’est un Émouchet qui terrasse un petit oiseau ; là, Deux Pigeons qui se baisent. Si elle suspend par les pattes un oiseau mort, elle en détachera quelques plumes qui seront tombées à terre et sur lesquelles on serait tenté de souffler pour les écarter. Ses bouquets sont ajustés avec élégance et goût. J’aimerais bien autant un portefeuille d’oiseaux, de chenilles et d’autres insectes de sa main, que ces objets en nature rassemblés sous des verres dans mon cabinet. »

Pour ce même Salon, l’Année littéraire écrit : « Mme Vien augmente l’étendue de son talent. Elle a peint une perdrix dont le fini et le moelleux du pinceau enchante ; aussi bien que les fleurs qui sont d’une grande vérité. Les papillons qu’elle a faits tromperaient ceux qui ne sont pas prévenus. »  (Octave Fidière, Ibid. p.30)

Fréron remarquera aussi chez elle « un pinceau le plus flatteur & le moèlleux le plus agréable » ou un « travail le plus précieux » joint à « un effet large » et, comme les autres contemporains, louera le talent de cette artiste chez qui « les connaisseurs y ont trouvé une fermeté rare dans les ouvrages de son sexe ». (SØRENSEN, Madeleine Pinault. Élie-Catherine Fréron et le dessin In : Élie Fréron : Polémiste et critique d'art. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2001, consultable en ligne).


En 1765, Marie-Thérèse expose « Trois petits Tableaux, sous le même numéro ; l’un Un Oiseau qui veut attraper un Papillon, les autres des Fleurs » et Un pigeon qui couve.

Le musée Fabre m’a très obligeamment transmis la photographie d’une œuvre, autrefois présente dans ses collections et qui a été perdue. Elle s’intitule Chardonneret cherchant à prendre un papillon et sa fiche précise qu’elle a été exposée en 1765. C’est donc probablement la bonne.

 

Chardonneret cherchant à prendre un papillon – vers 1765
Aquarelle et pastel, ovale 24,7 x 21 cm
Musée Fabre, Montpellier

Et puisqu’il est aussi question de fleurs dans le catalogue de ce salon, je montre ici la seule œuvre d’elle, non datée, encore conservée par le musée Fabre :

 

Fleurs dans un vase de cristal
Aquarelle et pastel, 35 x 24 cm
Musée Fabre, Montpellier

« Sur une table ocrée, dans un vase de cristal pourvu d’une anse et gravé de marguerites, un bouquet fait d’une rose, de violiers blancs, de trois renoncules roses, de deux renoncules jaunes et de deux brins de jasmin blanc. Fond gris » (Description du dossier d’œuvre du musée)

En 1767, sont présentés au Salon : « trois petits tableaux sous le même numéro : des Serins dont l’un sort de sa cage pour attraper un papillon ; les deux autres tableaux sont des fleurs » Un Coq-Faisan doré de Chine et Une Poule huppée veillant sur ses petits. Il s’agit de tout petits tableaux de moins de 30 cm de long.

Qu’ont bien pu devenir ces œuvres dont on ne trouve plus trace ? Trois auteurs sont d’accord pour dire que les plus réussis ont été acquis par Catherine II et « ont fini en Russie. »

Hélas, la collection en ligne du musée de l’Ermitage ne connaît pas Marie-Thérèse et Le Coq-faisan doré de la Chine, indiqué dans le livret de 1767 comme étant la propriété de l’impératrice de Russie, n’est pas conservé au Cabinet des Dessins du musée…

 

Après 1767, Marie-Thérèse n’apparaît plus au Salon.

A l’évidence, elle travaillait avec son mari, lui dessinant, elle gravant. Le MET de New York conserve quelques exemplaires d’une Suite de Vases Composée dans le Goût de l'Antique (1760), fruit de leur collaboration dont il est dit que l’invention du « dessein » de plusieurs vases pourrait revenir à Marie-Thérèse :

 

Suite de vases au goût de l’Antique, page titre – 1760
Eau-forte, 22,9 x 17,2 cm
Metropolitan Museum of Art, New York


Suite de vases au goût de l’Antique – 1760
Eaux-fortes, 22,9 x 17,2 cm
Metropolitan Museum of Art, New York

Au moins un vase a été fabriqué d’après cette Suite, il se trouve au Victoria & Albert Museum… !

Vase et couvercle en faïence, couvert d'émail d'agate – vers 1769/80
Amphore à panse ovoïde et anses dorées en forme de têtes de satyres à longues cornes,
Socle carré en jaspe, mouluré d'une bordure en œuf et fléchette
Forme basée sur une gravure de Marie Thérèse Reboul Vien (1729-1805)
dans Suite de vases au goût de l’Antique, Paris, 1760
Fabriqué à l'usine de Josiah Wedgwood, Etruria, Staffordshire
Victoria & Albert Museum, Londres

En 1775, Joseph-Marie Vien devient directeur de l’Académie de France à Rome et le restera jusqu’en 1781.  « Mme Vien accompagna son mari à Rome, pendant son directorat à l’école française, et justement appréciée des artistes italiens, elle fit partie de l’Académie Saint-Luc. » (Caroline de Beaulieu, op.cit.)

Une circonstance qui intervient logiquement dans la vie de cette artiste qui avait mis sa carrière entre parenthèses au profit de celle de son époux. En tout état de cause, la collection en ligne de l'Académie Saint-Luc d'aujourd'hui ne connaît plus Marie-Thérèse Reboul…

« Elle sera l’amie de votre cœur et la compagne de vos glorieux travaux » avait prédit Roslin, le peintre suédois, à son ami Vien. C’est évidemment un peu réducteur mais le peu de traces qui subsiste de son travail permet difficilement de contredire cette prédiction.

Comme le suggère le musée Fabre, dans ce charmant portrait peint par son mari, rien ne nous interdit de penser que Marie-Thérèse se soit chargée des fleurs et des coquillages… 

 

Joseph-Marie Vien (1716-1809)
Portrait de Madame Vien – 1760
Huile sur toile, dimensions non communiquées
Musée Fabre, Montpellier


Encore une fois, la récolte est mince…



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