lundi 20 septembre 2021

Geneviève Boullogne (1645-1708) et Madeleine Boullogne (1646-1710)

Louis Boullogne le jeune (1654-1733)
Etude pour la tête de Sainte Anne – vers 1713

Ne disposant d’aucune représentation des deux sœurs, je suis réduite à illustrer cette notice avec un dessin de leur jeune frère. Quand vous arriverez à la fin du récit, vous comprendrez pourquoi…

Geneviève et Madeleine sont les filles du peintre Louis Boullogne (dit aussi Louis de Boulongne ou de Boulogne) qui a assuré leur formation artistique, ainsi qu’à leurs deux frères Bon et Louis.

Le fait que leur père ait été l’un des fondateurs de l’Académie royale de peinture et de sculpture, élu professeur le 6 octobre 1656, a probablement facilité leur réception à l’Académie. Celle-ci a eu lieu le 7 décembre 1669, soit 6 ans après la nomination de la première académicienne, Catherine Duchemin-Girardon.  

L’ Académie royale de peinture et de sculpture, créée en 1648, sous le règne de Louis XIV alors enfant, avait pour ambition de former et rassembler les meilleurs artistes du royaume, en les libérant de la tutelle de la « corporation », c’est-à-dire du statut d’artisan.

Les plus doués étaient nommés académiciens, un titre prestigieux qui garantissait protection et notoriété, grâce à la possibilité de participer à l’exposition de l’Académie royale, dont la première eut lieu sans public en 1665. Après plusieurs expositions dans des lieux différents, on l’installa en 1725 dans le Salon carré du Louvre, d’où son nom de « Salon ». Il commençait le jour de la saint Louis et seuls les académiciens pouvaient y exposer leurs œuvres.

Au cours de ses 145 années d’existence, l’Académie n’éleva que quinze femmes au rang d’académicienne.  La première est Catherine Duchemin-Girardon, reçue en 1663. Les deux dernières sont Adélaïde Labille-Guiard et Elisabeth Vigée-Le Brun, reçues en 1783, lors de la même séance.

Toutefois, aucune femme ne pouvait accéder aux classes de dessin de nu masculin ou féminin d’après modèle vivant, ni à celles de géométrie ou de perspective. Aucune femme ne fut reçue en peinture d’histoire (le genre le plus prestigieux) et, par voie de conséquence, aucune n’a pu accéder à la fonction de professeur, c’est-à-dire être membre du Conseil de l’Académie, siège du pouvoir académique.

 L’ Académie royale fut supprimée par décret de la Convention, en 1793.

 

Pour être admis à l’Académie, il fallait d’abord être « agréé », à la suite de quoi le récipiendaire devait présenter un « morceau de réception », c’est-à-dire une œuvre produite pour l’occasion. On était ensuite « reçu » académicien et les morceaux de réception étaient conservés dans la collection de l’Académie. Pour les femmes, la procédure est simplifiée, comme on va le voir plus loin…

Geneviève présenta « une toile représentant un grand vase rempli de fleurs et un tapis de damas » et Madeleine « une tige de pavot et quelques feuillages de chardons ».

La Description de l’Académie royale de peinture et de sculpture, par son secrétaire Nicolas Guérin et par Antoine-Nicolas Dezallier d’Argenville le fils (1715-1781), Paris, Anatole de Montaiglon – 1893 a répertorié les œuvres exécutées par les académiciens, assorties de descriptions plus ou moins précises.

Dans cet ouvrage, figurent d’abord les « noms des 12 académiciens auxquels on donna la qualité d’Anciens ou de Professeurs. » puis ceux des dix autres académiciens dont « le rang fut décidé par le sort ». Le 4e est « M. DE BOULOGNE (Louis), Peintre, né à Paris. Il fut élu Professeur le 6 octobre 1656, et est mort dans cette fonction à Paris le 13 juin 1674, âgé de 65 ans. » Suit son portrait gravé « à l’occasion de sa réception. »

 

Louis Boullogne, père
(L’un des rares académiciens dont le portrait figure dans l’ouvrage)
Description de l’Académie royale de peinture et de sculpture, planche III, p.16
Source : Gallica / Bibliothèque nationale de France

Ensuite, les tableaux appartenant à la collection de l’Académie sont énumérés, en fonction de leur emplacement dans les différents salons des appartements où ils étaient exposés, accompagnés d’une très courte biographie des auteurs.

Le premier salon, le plus prestigieux, accueille des portraits d’académiciens, exécutés par un de leurs pairs à la demande de l’Académie et des tableaux d’histoire ou de mythologie.

Dans cette pièce figure notamment un tableau de « 5 pieds de large sur 4 » dont le sujet est « le Temple de Janus, fermé par Auguste après la bataille d'Actium. » Après une description précise du tableau, vient le curriculum de l’auteur : « Ce sujet fut donné à M. Boulogne le jeune, à l'occasion de la Paix de Nimègue, à quoy il a d’autant plus de rapport que, comme ce fut pour la troisième fois depuis la fondation de Rome que le Temple de Janus fut fermé, cette Paix a aussi été la troisième que le Roy a donnée à l'Europe. M. de Boulogne, fils puisné (Louis), né à Paris, a été reçu Académicien le Ier aoust 1681, élu Ajoint Professeur le Ier juillet 1690 et Professeur le 30 octobre 1604 [sic : 1704]. Premier Peintre du Roy en 1725, mort Directeur et Recteur le 21 novembre 1733, âgé de 78 ans. Il étoit aussi Secrétaire du Roi. »

Un peu plus loin (p.36), un tableau « de 6 pieds sur 5. C'est un combat inopiné d'Hercule contre des Centaures » [longue description] « Par M. BOULOGNE fils aîné (Bon), reçu Académicien le 27 novembre 1677 ; élu Ajoint Professeur le 2 janvier 1684, et Professeur le 6 décembre 1692 ; a été déchargé de cette fonction et a passé dans la Classe des Anciens Professeurs le 24 juillet 1702. Il est mort le 16 may 1717, âgé de 68 ans. »

Voici donc les deux fils Boullogne, reçus en 1677 et 1681 et tous deux devenus professeurs, comme leur père. 

On trouve également une œuvre du père (p.40), un « tableau de 4 pieds, qui a pour sujet une jeune femme qui conserve la vie à son père, condamné à mourir de faim dans une prison, en le nourrissant de son propre lait. On y voit l'enfant dont elle est nourrice, qui semble se plaindre d'être ainsi privé de ce que la Nature luy a donné en partage. C'est ce qu'on appelle communément la Charité Romaine. Ouvrage de M. BOULOGNE le père, un des dix Académiciens qui ont commencé l'établissement de l'Académie, et dont il a fait présent à la Compagnie. »

Vient ensuite (p.50), la « deuxième salle où se tiennent ordinairement les assemblées » où sont présentés, en majorité, des portrait d’académiciens, en peinture ou buste sculptés, exécutés par d’autres académiciens (mais toujours pas d’académicienne !)

Dans le passage, « qui va de cette seconde salle à la troisième », apparaît la première œuvre d’une femme, décrite en ces termes : « Petit Tableau en Mignature représentant un pot de fleurs, sur une glace. Par Mlle Catherine PERROT, épouse de M. Horry, Notaire Apostolique, sur lequel ouvrage lui a été donnée lettre d'Académicienne, le 3l janvier 1682. » On note la distinction : les hommes sont « reçus académiciens », les femmes reçoivent une « lettre d’Académicienne ».

Dans le troisième salle, une courte notice sur le portrait de Mlle Chéron (voir sa notice dans ce blog) « peint de sa main ». Puis vient enfin la description de la « salle séparée des autres » (p.93) où nos deux sœurs font leur unique apparition, avec une œuvre qui n’a visiblement aucun rapport avec leurs morceaux de réception respectifs :

« Tableau de 2 pieds 12 de haut sur 3 1/2. — Il représente un amas de plusieurs desseins de figures faits d'après le Modèle, et quelques-uns d'Architecture. Par Mesdemoiselles Geneviève et Madeleine DE BOULOGNE, sœurs, qui se sont exercées à la Peinture avec tant d'application que l'Académie, après avoir vu de leurs Ouvrages, leur fit expédier des Lettres d'Académiciennes le 7 décembre 1669. La première, épouse de M. Clérion, est morte à Aix en Provence, le 5 août 1708, à 63 ans, et la seconde à Paris, le 3 janvier 1710, à 64 ans. »

On peut difficilement être plus expéditif, surtout au regard de l’attention dont leurs frères ont fait l’objet. Citées ensemble, elles sont représentées par un « amas de plusieurs dessins » !

Quoi qu’il en soit, les deux sœurs, désormais académiciennes, font leur première apparition au Salon de 1673, celui qui eut lieu dans la Cour du Palais Royal et dont on dispose du livret, hélas peu prolixe en description des œuvres, d’autant que celles des deux sœurs n’ont même pas été numérotées…

Essayons toutefois de les distinguer, en commençant par l’aînée, Geneviève.

Dans le livret du Salon de 1673, elle est inscrite comme « Geneviève, sœur de Madelene [sic] Boullogne » avec « un autre tableau d’un Paysage » sans autre explication.

Elle réapparaît au Salon de 1704, qui se tient dans la Grande Galerie du Louvre. Elle a définitivement perdu son prénom et n’est plus que « Mlle Boullogne sœur ». Elle y présente deux tableaux, l’un de fruits, l’autre d’instruments de musique. Ce sera sa dernière exposition. Ce qu’on sait d’elle ensuite tient dans une courte rubrique de la Grande encyclopédie :

 

La Grande encyclopédie : inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts par une société de savants et de gens de lettres. Sous la direction de MM. Berthelot, Hartwig Derenbourg, F.-Camille Dreyfus... - Paris, Société anonyme de La Grande encyclopédie, 1885-1902.

Voyons à présent ce qu’il en est de Madeleine :

Sa première commande officielle portait sur quatre tableaux pour l’antichambre de l’appartement du roi aux Tuileries. Ces tableaux, s’ils existaient encore, ont probablement disparu dans l’incendie du palais en 1871.

Dès son premier Salon, en 1673, Madeleine montre sa seconde commande officielle : Six tableaux de Trophées d’Armes faits pour Versailles, et un autre Tableau de fruits. En fait, ces Trophées n’étaient que quatre, commandés pour l’antichambre du Grand Couvert qui développait une thématique militaire : Madeleine y peint des armes, des trophées, des drapeaux. Lesdits Trophées sont toujours en place :

 

Trophées d’Armes pour l’antichambre du Grand Couvert – 1673
Huile sur toile, 114 x 149 cm
Musée national des Châteaux de Versailles et du Trianon


Trophées d’Armes pour l’antichambre du Grand Couvert – 1673
Huile sur toile, 115 x 145,5 cm
Musée national des Châteaux de Versailles et du Trianon




Trophées d’Armes pour l’antichambre du Grand Couvert – 1673
Huile sur toile, 114 x 149,5 cm
Musée national des Châteaux de Versailles et du Trianon


Trophées d’Armes pour l’antichambre du Grand Couvert – 1673
Huile sur toile, 113 x 145,5 cm
Musée national des Châteaux de Versailles et du Trianon



Sur le même thème, une œuvre attribuée à Madeleine a été récemment vendue :

Attribué à Madeleine Boullogne
Trophées militaires sur un entablement
Collection particulière (vente 2020)

La seconde partie de la commande reçue par Madeleine en 1673 concernait le salon des Nobles de la reine à Versailles. Il était consacré à Mercure et le peintre Michel II Corneille y avait peint au centre du plafond le dieu « répandant son influence sur les Sciences et les Arts ».

Michel Corneille (1642-1708)
Mercure répandant son influence sur les Sciences et les Arts
Salon des Nobles de la reine
Musée national des Châteaux de Versailles et du Trianon

Madeleine y peignit à nouveau des dessus de portes, quatre natures mortes sur le thème des arts et des sciences, présentées dans des cadres sculptés et dorés.

 



La Musique, l’Architecture, les Sciences mathématiques et l’Astronomie – 1673
Dessus de portes pour le Salon des Nobles de la reine
Musée du Louvre, en dépôt au Château de Rambouillet

Le salon des Nobles fut entièrement transformé en 1785 et les quatre dessus-de porte de Madeleine furent déposés et rangés en réserve, puis décorèrent le nouveau salon du Conseil du roi en 1787, atterrirent au Louvre après la Révolution pour être enfin installés à Rambouillet lors des travaux de 1820/22. Déposés à nouveau en 1856, ils furent redéposés au Louvre pour revenir à Rambouillet en 1861 où ils décorent aujourd’hui le salon de réception du président de la République.

Tout cela n’empêcha pas la postérité d’attribuer ces œuvres à Alexandre-François Desportes (1661-1743). Ils ont été cependant rendus à leur véritable auteur grâce à la description détaillée que le peintre Nicolas Bailly en fit dans son Inventaire des tableaux du roi au château de Versailles (1709).

Toutes ces informations sont données dans l’article de Renaud Serrette, De Versailles à Rambouillet : quatre dessus-de-porte de Madeleine Boullogne retrouvés, Versalia. Revue de la Société des Amis de Versailles, n°19, 2016. p.89

Dès lors, on comprend mal que le Louvre continue à attribuer ces œuvres à Desportes sur son site Collections…

 

Un des dessus de porte réinstallé à Rambouillet

Au Salon de 1704, Madeleine présente des natures mortes, quatre « de fleurs et autres mets » et un dont le thème suggère une vanité « une pensée sur la mort. » 

Il aurait pu s'agir de ce tableau mais l'attribution est contestée. Attendons, donc, pour en savoir davantage…

 

Attribué à Madeleine Boullogne
Vanité – 1674
Huile sur toile, 59 x 79 cm
Musée des Beaux-Arts de Mulhouse

Lors du même Salon, elle présente aussi un Petit Jupiter enlevé à Saturne et trois portraits, dont celui de Mallebranche que j'aurais bien aimé retrouver mais la quasi-totalité de ses portraits sont d'auteurs anonymes…

Proche des jansénistes, Madeleine fréquente avec assiduité l’Abbaye de Port Royal des Champs, installée à Paris à cette époque. Elle en aurait peint de nombreuses scènes de la vie quotidienne.

Le Louvre conserve 15 gouaches qui aurait été attribuées à Madeleine par leur ancien propriétaire, donateur. Ces tableaux auraient servi de modèles pour des scènes gravées par Louise Magdeleine Hortemels (1686-1767) en 1709.

Le Louvre paraît dubitatif sur cette attribution et j’avoue avoir également du mal à y voir des œuvres de Madeleine tant le dessin est maladroit et la qualité d’exécution bien loin de son art …

J’en reproduis trois ici à titre purement informatif. 



Gouaches sur parchemin collé sur bois représentant des scènes de Port Royal
Musée du Louvre, Paris


A sa mort, en 1710, son nécrologue indiquait que Madeleine « ne peignait que des tableaux de piété, pour honorer les mystères, pour peindre en elle-même l’image de Jésus-Christ souffrant et mourant, et pour s’animer de l’imitation des Saints et des Saintes, faisant sans y penser son propre portrait. » 

L'image que j'ai placée en exergue pour évoquer Madeleine ne me paraît trahir celle qu'elle est devenue … 

De bien maigres traces, finalement, des deuxième et troisième académiciennes.





*

 

N.B : Pour voir d’autres notices de ce blog, si elles n’apparaissent pas sur la droite, vous pouvez cliquer sur « Afficher la version Web » en bas de cette page. 





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire