Née le 21 décembre 1744, Anne Vallayer passe son enfance dans la manufacture de tapisseries des Gobelins où exerce son père, l’orfèvre Louis-Joseph Vallayer et où résident ses parents.
C’est une
famille aux revenus confortables dont les quatre filles apprennent le dessin et la musique. En 1754, Louis-Joseph établit son propre
atelier d’orfèvre-bijoutier-joaillier, rue du Roule à Paris et obtient le
monopole royal pour la réalisation des médailles militaires et des Croix de
Saint-Louis, ce qui témoigne d’une faveur dans les cercles du pouvoir.
Anne est donc élevée dans la sphère artisanale des arts appliqués, base de l’industrie du luxe. Elle devient l’élève de Madeleine Basseporte (1701-1780), la marraine d’une de ses sœurs. Madame Basseporte est une des deux seules femmes à avoir assumé la charge de « peintre du Jardin du Roi ». Son activité est rattachée à l’Académie des Sciences et elle est aussi chargée d’enseigner le dessin aux filles de Louis XV.
Anne aurait peut-être aussi, dans les années 1770, suivi l’enseignement de Joseph Vernet (1714-1789), peintre de paysage.
Cette proximité de sa famille avec les cercles académiques n'est sans doute pas complètement étrangère au fait que Anne, à peine âgée de vingt-six ans, est agréée par l’Académie royale de 28 juillet 1770 et sa réception prononcée avec deux tableaux « l’un de groupe d’instruments de Musique, et l’autre de ceux des Arts de Peinture et de Sculpture. » (Procès-verbaux de l’Académie, 1648-1793, A. de Montaiglon, Paris, J. Baur, 1875-1892, p.48).
Elle est la douzième femme à recevoir cette distinction.
Les plus doués étaient nommés académiciens, un titre prestigieux qui garantissait protection et notoriété, grâce à la possibilité de participer à l’exposition de l’Académie royale, dont la première eut lieu sans public en 1665. Après plusieurs expositions dans des lieux différents, on l’installa en 1725 dans le Salon carré du Louvre, d’où son nom de « Salon ». Il commençait le jour de la saint Louis et seuls les académiciens pouvaient y exposer leurs œuvres. Au cours de ses 145 années d’existence, l’Académie n’éleva que quinze femmes au rang d’académicienne. La première est Catherine Duchemin-Girardon, reçue en 1663. Les deux dernières sont Adélaïde Labille-Guiard et Elisabeth Vigée-Le Brun, agrées en 1783, lors de la même séance. Toutefois, aucune femme n'assistait aux classes de dessin de nu masculin ou féminin d’après modèle vivant, ni à celles de géométrie ou de perspective. Aucune femme ne fut reçue en peinture d’histoire (le genre le plus prestigieux) et, par voie de conséquence, aucune n’a pu accéder à la fonction de professeur, c’est-à-dire être membre du Conseil de l’Académie, siège du pouvoir académique. L’ Académie royale fut supprimée par décret de la Convention, en 1793. |
La politique de l’Académie royale de peinture et
de sculpture est de démontrer la suprématie de l’art français ad majorem
regis gloriam (pour la plus grande gloire du roi). La doctrine de
l’Académie est fondée sur l’existence d’une hiérarchie des genres,
qui s’appuie à la fois sur la hiérarchie naturelle, de l’inanimé à l’humain,
et sur la difficulté de la tâche de l’artiste. Cette hiérarchie a été formulée par l’architecte
et historiographe André Félibien (1619-1695) dans sa Préface aux Conférences de l’Académie (1667) : elle classe, par ordre décroissant d’importance, la peinture d’histoire qui représente des
thèmes de l’histoire religieuse et antique ou encore des sujets mythologiques
; puis viennent le portrait, la scène de genre, le paysage et enfin la
nature morte. |
Les deux morceaux de réception d’Anne font évidemment penser à Chardin qui a traité ces thèmes cinq ans plus tôt, pour répondre à une commande de dessus de porte pour un salon du château de Choisy. Chardin est alors trésorier de l’Académie et c’est un maître « dans le talents des animaux et des fruits », c’est-à-dire la nature morte.
Mais Anne fait de ces deux thèmes une interprétation toute personnelle.
Voici la première composition d'Anne, présentée en-dessous de celle de son illustre prédécesseur :
On peut noter, dans cette composition de Chardin - une œuvre que Diderot
admirait passionnément - beaucoup d’éléments qu’on va retrouver dans celle d’Anne :
les plans d’architecture, les cartons à dessin, les rouleaux de plans, les
livres (l’architecture est un art libéral qui fait appel aux mathématiques) et les instruments de géométrie. Le modèle en plâtre symbolise la sculpture.
La disposition des éléments est maîtrisée par les strictes verticales marquées par les livres, une branche de l'équerre dite pythagoricienne (à branches égales) et les cartons à dessin. La palette est comme reléguée au second plan et l’aiguière, purement décorative, paraît un peu incongrue. C'est le seul élément qu'Anne ne reprendra pas, avec la médaille et son cordon en satin.
Au premier plan, l’architecture est figurée à la fois par les livres et par la géométrie dont les outils sont le porte-mine, le compas, le rapporteur, les règles, l’équerre et, bien sûr, les dessins et plans étalés sur la table et les feuilles roulées mais la disposition des éléments est fluide, très légèrement désordonnée.
Presque sur le même plan, la peinture est représentée par le couteau posé sur les chiffons, à gauche, et la palette chargée de couleurs qui sont celles du tableau lui-même.
Au fond, la sculpture : un moulage du Torse du Belvédère, un nu masculin – ce qui n’est sans doute pas tout à fait innocent puisque le dessin de nu sur modèles vivants était interdit aux femmes – qui est une référence à Winckelmann qui a fait de ce Torse le canon de la sculpture. Mais il y a aussi un buste d’argile, modelé dans le style de l’époque, d'une femme au visage serein et à la tête légèrement penchée regardant vers le haut. Ce probable autoportrait d’Anne est en cours de réalisation puisqu’il porte encore le chiffon humide qui permet à l’argile de rester modelable. La présence de ce buste modifie donc la signification de la scène : au-dessus du nu antique, référence classique acceptée, l’artiste choisit d’être son propre sujet.
Enfin, pure supposition de ma part : il était fréquent qu’on demande aux jeunes académiciens de réaliser le portrait d’un académicien plus ancien. Mais personne n’a jamais commandé celui des académiciennes. Si elles voulaient que leur portrait figure sur les murs de l’Académie, elles devaient donc se débrouiller pour qu’il apparaisse dans leur morceau de réception… !
Voici à présent le second tableau présenté, il s’intitule Instruments de musique. Il fait référence aux Attributs de la Musique de Chardin présenté ci-dessous. Cette fois encore, l’interprétation d’Anne est très personnelle.
La composition de Chardin est strictement frontale ou en légère contre-plongée. La position surplombante des instruments à vent évoque un peu une revue militaire… Les deux formes courbes, celle de la théorbe posée en travers et celle du pavillon du cor viennent heureusement adoucir l’ensemble. C’est une composition contrôlée, ordonnée et sobre, soulignée par les deux livres posés strictement à la verticale comme la bougie qui n’a pas encore été utilisée.
Le tapis de velours sombre est éclairé par le même rouge profond des pages d’un des livres et du sac rouge de la « musette de cour », sorte de cornemuse très à la mode au XVIIIe siècle, que l’on retrouve presque à l’identique dans le tableau d’Anne. Un contraste est formé par le fond bleu de la scène, dans une harmonie un peu sourde.
La composition d’Anne est en légère plongée (on voit le dessus de la table). Elle présente une harmonie contrastée : le nœud en satin bleu répond au rouge du sac de la musette de cour et l’épicéa luisant du violon est magnifié par contraste avec le bleu sourd du tapis de velours. La disposition légèrement désordonnée évoque des instruments qui viennent d’être posés après un concert, comme le confirme la bougie à moitié consumée dont la position équilibre la composition triangulaire de l’ensemble.
En 1771, Anne participe à son premier Salon en exposant neuf œuvres, dont Panache de mer, lithophytes et coquilles et son pendant aujourd’hui disparu, sous le titre Deux Tableaux représentans (sic) divers Morceaux d’Histoire Naturelle qui rappellent qu’elle a été l’élève d’une peintre naturaliste de grand talent : elle y juxtapose des espèces très communes, comme la moule et la coquille Saint-Jacques, et des animaux marins exotiques : spongiaires et gorgones, panaches de mer des Antilles, lithophytes gris et rouges. Un véritable régal !
Dans le traitement de ce thème, elle montre une assurance et une exubérance qui
soulignent sa confiance en ses propres compétences.
Pour Anne, le Salon est un succès, comme en témoigne un commentaire de Diderot :
« Mademoiselle Vallayer nous étonne autant qu’elle nous enchante. C’est la nature rendue ici avec une force de vérité inconcevable, et en même temps une harmonie de couleur qui séduit. Tout y est bien vu, bien senti ; chaque objet a la touche de caractère qui lui est propre ; enfin nul de l’Ecole française n’a atteint la force du coloris de Mlle Vallayer, ni son fini sans être tâtonné. Elle conserve partout la fraîcheur des tons et la belle harmonie. Quel succès à cet âge ! Et pourquoi faut-il que ses grands talents soient autant de reproches que son âge et son sexe font à notre faiblesse ? » (Denis Diderot, Salon de 1771, dans Œuvres T.IV : Esthétique-Théâtre, Laurent Versini, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 1996)
Elle
commence à se constituer une clientèle puisque cette œuvre, aujourd'hui au musée
du Louvre, fut acquise dès 1776, avec son pendant, par le prince de Conti pour
orner son cabinet de curiosités.
La même année, elle peint cette Nature morte au lièvre, dont le sujet n’est pas ma tasse de thé, mais dont je dois reconnaître qu’elle est criante de vérité et que la composition en triangle est superbement élaborée….
C’est peut-être aussi en 1771 qu’elle présente ce Panier de prunes où l’hommage à Chardin, qui a plusieurs fois traité le thème, est également évident. On y retrouve, réunis dans un seul tableau, les références de deux toiles célèbres de Chardin : le verre d’eau et ses reflets de l’une ; le brin de paille glissant de la corbeille sur l’entablement de l’autre et, toujours, la petite corbeille en osier… mais Anne aussi fera plusieurs paniers de prunes, il n'est donc pas facile de les répertorier. Quoi qu'il en soit, le musée de Cleveland ne fait aucune allusion à une éventuelle présentation dans un Salon.
La
proximité entre les deux artistes n’est pas sans inconvénient pour Anne. Ainsi, la superbe nature morte ci-dessous sera initialement attribuée au maître lors de son
entrée dans les collections berlinoises…
On peut admirer le traitement des reflets dans le verre et
surtout la bouteille, le luisant doux de la pomme, la surface rugueuse du pot (de
beurre ?). Une nature morte d'une élégante simplicité.
Mais Anne ne se limite pas à la nature morte comme le prouve ce délicat Portrait d’une violoniste, récemment acquis par le musée national de Stockholm et qui nous rappelle qu'elle et ses sœurs maîtrisaient les arts d’agrément, un des impératifs de l’éducation des femmes de la bonne société.
Ce portrait pourrait être celui d’une des trois sœurs de l’artiste (Madeleine, Elisabeth ou Simone).
L'année où elle peint ce portrait, Anne présente au Salon un Panier de raisins. Si la datation du musée est exacte, ce n'est pas celui-ci qui date de l'année suivante. Mais il est très beau quand même…
Au Salon de 1775, Anne présente cinq œuvres dont Le Portrait de M. l’Abbé le Monier que je n’ai pas retrouvé mais je suppose qu’il s’agit de l’abbé également portraituré par Suzanne Giroust Roslin à la même époque (voir sa notice).
En revanche, j’ai trouvé une œuvre conservée en Angleterre, aujourd’hui intitulée Nature morte dans un jardin avec les attributs de la chasse et du jardinage.
Or, cette femme coiffée d’épis de blé ferait une Cérès très acceptable d’autant qu’elle est accompagnée d’attributs qui évoquent la moisson : la faux, le râteau, la faucille (posée à droite). Elle est accompagnée des légumes qui poussent couramment dans les jardins potagers dont elle est aussi la « protectrice ».
Je me demande donc s’il ne s’agirait pas d’une œuvre présentée à ce même Salon de 1775, ainsi décrite dans le livret : Un Buste de Cerès & les attributs de la Moisson, avec différentes espèces de légumes.
C’est,
de surcroît, la seule interprétation qui donnerait un peu de sens à cette
accumulation curieuse…même si la présence de gibier évoque plutôt l’automne. La
datation du tableau est en tout cas compatible avec cette hypothèse (qui n'engage évidemment que moi !).
Au Salon de 1777, Anne montre huit œuvres dont le Portrait de M. Roettiers, ancien Graveur-général des Monnoies et Une jeune Personne, montrant à son Amie la statue de l’Amour ainsi que « Deux petits Tableaux imitant deux bas-reliefs d’enfans : l’un, l’Hiver ; l’autre, le Printemps ».
Je pense avoir retrouvé l’Hiver, qui séjourne tranquillement dans les réserves du MET…
Le Graveur-général des Monnoies a été moins difficile à trouver :
Anne a aussi montré à ce Salon deux tableaux ainsi décrits : « L’un, un vase de Porcelaine de la Chine, avec plantes marines, coquillages & différentes espèces de minéraux ; l’autre, des armures, un buste de Minerve, environné des récompenses militaires, réunies sous une couronne de laurier ». J’ai trouvé ce tableau, aujourd’hui intitulé de façon différente, qui paraît correspondre à cette description :
Vous l’aurez compris, avec Anne, il faut souvent jouer aux devinettes, en raison de l'imprécision des datations des toiles et des intitulés des œuvres dont une grande part a été conservée en collections privées.
Mais même dans les collections muséales, on est parfois un peu surpris. Ainsi, voici deux tableaux conservés par le musée de Dallas qui indique qu’ils auraient été présentés ensemble au Salon de 1777. Or la seule paire qui pourrait correspondre s’intitule, selon le livret du Salon « deux tableaux de fleurs et de fruits ». Cela fonctionne pour le premier mais pas vraiment pour le second…
Toutefois, comme les livrets des Salons ne précisaient généralement pas les dimensions des œuvres présentées, c’est difficile d’être catégorique.
La seule conclusion que j’en tire à ce stade, c’est que, visiblement, le musée de Dallas affectionne les compositions bleu-blanc-rouge… !
Au Salon de
1779, Anne expose sept œuvres, dont Un panier de
prunes, un citron & autres.
Il pourrait s’agir de ce tableau dont la datation peut correspondre. Le musée qui le conserve n’en dit mot…
Le citron est représenté à plusieurs stades de maturité : en fleur, sur la branche qui trempe dans le verre avec quelques pétales tombées sur l’entablement ; un citron encore vert, accroché à la petite branche. Enfin, déjà entamé et un peu sec, le citron du premier plan.
La pyramide de prunes est très proche de celle de 1769, dans une tonalité plus sourde.
En plus des natures mortes, Anne expose Une Vestale couronnée de roses, & tenant une corbeille de fleurs, appartenant à la reine, le Portrait de monsieur le comte de M…. et peut-être ce jeune homme, au titre d'une des deux Têtes de fantaisie qui figurent dans le catalogue !
Elle est alors surnommée « La Rosalba de ce siècle » par l’abbé Grosier, critique, probablement pour ses travaux au pastel dont il reste assez peu de traces.
On
peut en voir quelques-uns dans le Dictionnaire des pastellistes avant 1800
de Neil Jeffares (en ligne). J’en ai extrait les exemples qui suivent,
très convaincants quant à sa maîtrise de la technique !
En 1780, le talent et les succès d’Anne sont reconnus par sa nomination comme peintre de la reine Marie- Antoinette.
A Versailles et en présence de la reine, Anne épouse en 1782, Jean Pierre Silvestre Coster (1745-1824), riche avocat, receveur général du tabac et membre du Parlement de Paris. Ce mariage prestigieux est le signe de son ascension sociale et du soutien de la reine, grâce à laquelle elle pourra occuper un grand appartement au Louvre, ce qui n’est en soi pas extraordinaire puisqu’elle y avait théoriquement accès en tant qu’académicienne. Mais cette faveur ne sera pas accordée, par exemple, à Adélaïde Labille-Guiard, académicienne elle aussi.
Après son mariage, Anne change de signature, passant de l’habituel « Mlle Vallayer » à « madame Vallayer-Coster », « Mde Coster » ou simplement « V.C. ».
Au Salon de 1781, elle montre quatre œuvres dont le Portrait de Mme Sophie de France, dans l’intérieur de son Cabinet, tenant le Plan de l’Abbaye de l’Argentière et une Corbeille de raisins. Ce portrait de Madame Sophie n'est pas celui du Salon mais il permet de l'imaginer.
Quant à la Corbeille de raisins, elle sera évoquée ici par un tableau de la même époque :
Il y a très belle déclinaison de matières dans cette composition : le velouté mat des pêches, la peau luisante des grains de raisin, le pampre de vigne qui accroche la lumière. On retrouve, naturellement, les feuilles de vigne qui séparent les fruits empilés, comme dans tous les tableaux de fruits.
Elle expose aussi « Trois petits tableaux ovales, de fleurs et de fruits ». Compte tenu de sa datation et de ses dimensions, je choisis d’illustrer ce thème avec un tableau du MET qui ne peut pas être le bon puisqu'on y voit une coquille…
En revanche, il ne semble pas que le tableau ci-dessous, daté de 1781 ait été exposé au Salon. Je le montre tout de même à cause de la très belle soupière en argent qui accompagne le homard et ce qu’il faut pour le déguster…
Au Salon de 1783, Anne montre un Tableau de Gibier, avec des attributs de chasse. En voici
un de la même année qui a depuis et comme le tableau précédent, traversé l’Atlantique.
Huile sur toile,108,5 x 89,5 cm
Cette œuvre, récemment acquise par la National Gallery de Washington pourrait être l’une des huit qu’Anne a exposées au Salon de 1783, avec la description suivante : « Un Tableau représentant un Vase d’albâtre rempli de fleurs ; sur une table sont plusieurs espèces de fruits, comme ananas, pêches & raisins. »
Au Salon de 1785, elle expose trois portraits à l’huile : M. l’Evêque de ***, Madame de Sainte-Huberty sous l’habit de Didon et Mademoiselle de Coigny cueillant des fleurs dans son Jardin qui font l’objet d’assez vives critiques.
L’un de ces tableaux est visible au musée consacré aux femmes dans l’art de Washington. On peut regretter ce choix du musée car ce n’est vraiment pas son œuvre la plus représentative (ni la meilleure, à mon humble avis…)
Voici la notice qui accompagne la présentation de cette œuvre :
« Sa représentation de Madame de Saint-Huberty dans le rôle de Didon révèle sa profonde connaissance de son célèbre modèle. En 1783, Anne-Antoinette Clavel (dite Saint-Huberty, 1756-1812) interprète le rôle principal dans l'opéra Didon de Niccolò Piccinni. Selon Elisabeth-Louise Vigée-Le Brun, qui a représenté Saint-Huberty dans un pastel de 1780, « Mme Saint-Huberti possédait non seulement une voix superbe mais était aussi une très grande comédienne ».
Placée contre un rendu en grisaille d'une arche architecturale et de reliefs, Huberty est représentée en train de chanter le vers : ''Ah que je fus bien inspiré/ Quand je vous reçus dans ma Cour !''
Dans
son choix de sujet (l'opéra dérive de l’Énéide de Virgile) et
l'utilisation d'éléments de composition qui s'inspirent de l'architecture
ancienne, Vallayer-Coster a embrassé les principes du néoclassicisme.
Au Salon de 1787, Anne présente, entre autres natures mortes, un petit bijou de virtuosité coloriste alors intitulé : Une Verrière d’argent avec des verres, des Maquereaux, un Huilier, &c, d’une dominante argentée assez inhabituelle dans son travail.
Le musée Kimbell où il est aujourd’hui conservé l’intitule plus sobrement « Nature morte aux maquereaux » et ne signale pas qu’il a été présenté au Salon. En revanche, il est justement dithyrambique sur sa récente acquisition !
« Ce tableau est sans aucun doute l'un des plus raffinés réalisés par l'artiste. Les natures mortes de poissons étaient rares dans la France du XVIIIe siècle, où les images de viande, de fruits ou de fleurs étaient plus abondantes. La composition charmante et originale de Vallayer-Coster célèbre l'arrivée du maquereau à Paris au printemps, lorsque les Parisiens aisés dégustaient les spécimens les plus frais de ce poisson délicieux. Disposés sur un entablement de pierre recouvert d'une toile de lin, un huilier-vinaigrier à support d’argent, une verrière en argent remplie de verres à pied en cristal, un citron, un brin de fleurs d'oranger et une brioche (une pâtisserie riche). La nature morte aiguise l'appétit du spectateur pour un festin simple mais somptueux avec des accessoires qui évoquent une opulence élégante et sobre qui marque la fin du siècle.
La virtuosité et la sophistication de Vallayer-Coster en tant que coloriste sont évidentes. Les formes rondes et ondulantes de la composition sont tempérées par sa tonalité froide et argentée dominante. L'artiste explore la variation de ces tons en fonction du matériau et des reflets de la lumière - du verre et du métal à la peau du poisson dodu, rendu éblouissante par des touches non mélangées de vermillon et d'ocre brillants près des branchies, indiquant sa fraîcheur. Les reflets sont observés avec sensibilité - un demi-citron qui se reflète dans le récipient d'argent incurvé prend une double forme inattendue - et la serviette ou la nappe blanche participe également aux nuances de la lumière, toutes suggérées par la délicatesse de toucher de la peintre. » (Notice du musée Kimbell, traduction par mes soins).
La période révolutionnaire a sans doute été difficile pour Anne. Les commandes sont devenues rares et sa proximité avec Marie-Antoinette était probablement dangereuse mais je n’ai pas trouvé d’information précise sur sa situation de l’époque. Son travail, qui comportait peu de portraits royaux, l’exposait peut-être moins que ne l’étaient ses consœurs Vigée-Le Brun et Labille-Guiard.
Sa production semble cependant s’être ralentie entre 1789 et 1784. Elle n’expose pas aux Salons de 1791 et 1793 et de façon moins soutenue ensuite. Bizarrement, elle figure sous le seul nom de Coster dans le livret de 1798…
En 1804, Anne montre au Salon deux œuvres de commandes à l’aquarelle, réalisées pour l’impératrice Joséphine. La seconde n’est hélas pas visible aujourd’hui, sauf peut-être au musée Napoléon III, château d'Arenenberg (en Suisse), dont les collections ne sont pas numérisées.
« Les aquarelles comme celle-ci, peintes
d’après nature, servaient généralement de modèle de référence pour l’exécution
postérieure de bouquets, hors saison ou pour mélanger des fleurs de saisons
différentes.
Ici, nous sommes devant une commande, ce
qui explique que le nom de la peintre ait remplacé celui de la fleur, en-dessous
du bouquet. Joséphine aimait le dessin botanique et commanda de nombreuses
planches à Pierre-Joseph Redouté. Elle fit appel à Anne Vallayer pour
l’exécution de deux bouquets, l’un de roses et l’autre de reines marguerites.
Ces deux œuvres furent présentées ensemble
au Salon de 1804. Présentes dans l’inventaire établi après la mort de
Joséphine, elles furent alors séparées : le Bouquet de reines marguerites
revint à la reine Hortense et se trouve à présent dans sa maison d’Arenenberg,
en Suisse, l’autre au prince Eugène.
Vendu par sa veuve, le Bouquet de roses a été conservé en collection particulière puis a réintégré les collections de la Malmaison en 2017. » (Extrait de la notice du musée)
Comme
c’est un peu frustrant, je vous montre ci-dessous un autre très beau dessin
qui, lui aussi, somnole dans les réserves du MET… (ne pas hésiter à cliquer sur l'image pour mieux apprécier la qualité du dessin !)
Anne
participe au Salon pour la dernière fois en 1817, un an avant son décès, avec
deux tableaux dont celui ci-dessous, qu’elle aurait, selon le Louvre, offert à
Louis XVIII.
J’ajoute,
pour finir, quelques tableaux d’Anne qu’on peut voir dans les musées
français ainsi qu’une œuvre séduisante, conservée en collection particulière. Elle est intitulée Les fruits défendus, titre dont
je doute un peu qu’il ait été donné par son auteur…
Œuvre récupérée à la fin
de la Seconde Guerre mondiale, déposée par l'office des biens et intérêts
privés, en attente de sa restitution à ses légitimes propriétaires.
Il s'agit peut-être de l’œuvre
présentée au Salon de 1817, décrite comme Fleurs dans un vase de porcelaine
de la Chine, enrichi de bronze doré ?
Cet autoportrait, dont la présentation s’apparente à celui d’une médaille, fait d’Anne la seconde académicienne à avoir réalisé son autoportrait en tant que telle (après Elisabeth Sophie Chéron, en 1672) mais celui-ci, destiné à la reproduction en gravure, est sans doute le premier à avoir été vu par un large public. Contrairement à Elisabeth Chéron, elle représente ses attributs de peintre à l’extérieur du médaillon au-dessus de l’inscription « Anne Vallayer-Coster de l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture en 1770, dessiné par elle-même ».
*
Au
cours de sa carrière, Anne a participé à 18 Salons, de 1771 à 1817, avec
quelques brèves interruptions, ce qui représente plus d’une centaine d’œuvres
exposées.
Anne Vallayer est morte en 1818, à l’âge de 74 ans, laissant plus de 400 toiles, essentiellement des natures mortes et tableaux de fleurs, après avoir mené une des plus longues carrières des peintres féminines de sa génération.
C’est
peu dire que son œuvre reste encore insuffisamment valorisé dans les musées
*
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