lundi 19 mai 2025

Vera Rockline (1896-1934)

 

Mme Vera Rockline dessinée par elle-même – 1932
Publié avec ce titre in : Le Petit Journal, 13 mars 1932, p.5
Photo Marc Vaux
Centre Pompidou/MNAM-CCI/Bibliothèque Kandinsky, Fonds Marc Vaux, MV-10502-008
© Bibliothèque Kandinsky, MNAM/CCI, Centre Pompidou – Dist. RMN-Grand Palais

Vera Nikolaïevna Schlesinger est née à Moscou le 10 août 1896. Son père, Nicolas August Schlesinger est russe et sa mère, dénommée Jeanne Malbranche, d'origine française. Vera commence sa formation à Moscou, dans l’atelier du peintre Ilia Machkov, un des fondateurs du groupe Valet de Carreau : couleurs flamboyantes, volumes déformés, directement issus de l’art populaire russe.


Ilia Ivanovitch Machkov (1881-1944)
Portrait de Varvara Vinogradova – 1909
Huile sur toile, 144 x 128 cm
Galerie nationale Tretiakov, Moscou


Au moment de la Grande Guerre, Vera rejoint à Kiev une autre membre du Valet de Carreau, Alexandra Exter (voir sa notice) qui vient d’y ouvrir une école d’art. C’est auprès d’elle que Véra s’initie au cubisme. Au début de l’année 1918, elle épouse un certain Rokhlin - mais continue à signer ses toiles de son nom, Schlesinger - et commence à exposer à Moscou, à l’Union des peintres russes.

 

Les joueurs de cartes – 1919
Huile sur toile, 64 x 50,2 cm
Collection particulière (vente 2008)



Autoportrait – vers 1919
Huile sur papier, 32,4 x 26,5 cm
Collection particulière (vente 2014)


Les conditions de vie liées à la révolution russe deviennent difficiles. Vera et son mari s’enfuient en Géorgie et parviennent, après un long périple, dans la capitale, Tiflis (aujourd’hui Tbilissi). Les toiles de cette époque ont été resignées ensuite mais on peut percevoir l'ancienne signature de Vera en cyrillique, à droite.

 

Vue de Tiflis – vers 1919
Huile sur toile, 76,2 x 49,5 cm
Collection particulière (vente 2020)

Environs de Tiflis – vers 1919
Huile sur toile, 89 x 65,5 cm
Collection particulière (vente 2020)

 

Vera et son mari vont y vivre jusqu’en 1920.

 

Paysage – sans date
Huile sur toile, 88,5 x 66,5 cm
Collection particulière (vente 2008)


Femme à l’éventail bleu – vers 1919
Huile sur toile, 80 x 60 cm
Collection particulière (vente 2011)
Présente dans le Fonds Marc Vaux : MV-10502-004



Nu dans un intérieur bleu – vers 1919/1920
Huile sur toile, 100 x 81,2 cm
Collection particulière (vente 2005)


En 1920, Vera quitte son mari pour se rendre en France ; elle retrouve d’abord sa famille maternelle, en Bourgogne, puis rejoint Paris en 1921. Elle s’installe rue de Hambourg (8e) et saisit ses premières découvertes parisiennes, comme ce petit café.

 

La terrasse de café – 1921/1922
Huile sur toile, 62 x 51 cm
Collection particulière (vente 2021)
Présent dans le Fonds Marc Vaux : MV-10502-003

Elle participe au Salon d’Automne de 1922, sous le nom de Rockline. Elle y montre quatre huiles, un Paysage, un Nu, Jeune fille en rose et un Portrait de l’auteur.

Il pourrait s’agir de ces deux œuvres.

 

Jeune fille en rose – vers 1922
Huile sur toile, 100 x 81 cm
Collection particulière (vente 2023)



Autoportrait en robe rose – 1922
Huile sur toile, 65 x 50 cm
Collection particulière (vente 2000)


Le Salon d’Automne se termine le 17 décembre 1922. Les premiers articles sur Vera sont assez nombreux mais contrastés…

« Mme Vera Rockline n’a point encore de personnalité nettement affirmée. Tel paysage fait songer à Vlaminck et il s’en faut de bien peu que ses nus soient simplement "artistes français". Heureusement, Mme Vera Rockline se borne à frôler le danger, de même si parfois le goût n’est pas très sûr, s’il est ici plus de chic facile que de style et bien, bien de superficielle rapidité, on ne saurait ne point remarquer une joie certaine, une joie mal disciplinée, certes, mais dont la présence rachète bien des défauts. » (Louis Léon-Martin, « Les Expositions », Le Crapouillot, 1er janvier 1923, p.10)

« Ennemie de toute abstraction dans l'art, ainsi que de toute contrainte, Mme Vera Rockline, comme elle le dit elle-même, place avant tout la "sincérité, l'originalité du sentiment" et le désir de faire de la bonne peinture. Cette profession de foi lui fait le plus grand honneur d'autant qu'elle ne se contente pas d'énoncer ces principes. Elle les met aussi en pratique si l'on en juge par son quatuor d'envois au Salon d'Automne : Jeune fille en rose d'un sentiment délicat ; Paysage baigné dans une large ambiance ; le Portrait de l'auteur rempli de vie et un Nu d'une belle tenue académique. Quoique russe née à Moscou, Mme Vera Rockline paraît avoir certaines affinités artistiques occidentales qui lui ont été léguées sans doute par atavisme puisque si mère était française. Elève de J. Machkoff, elle débuta dans des expositions moscovites où elle remporta de nombreux succès. En 1919, par suite de la révolution russe, elle dut s'expatrier et abandonner toute l'œuvre commencée. Après un exode rempli de risques et de périls, Mme Rockline parvint à gagner la Géorgie où, travailleuse infatigable, elle refit sa toile et vécut deux ans. A Tiflis, elle rencontra les mêmes succès qu'à Moscou, mais Paris l'attirait par son "unique beauté" et depuis un an qu'elle en est l'hôte, elle semble avoir réalisé "son rêve". » (Raymond Sélig, « Mme Vera Rockline », Revue du vrai et du beau : lettres et arts, 10 janvier 1923, p.13)


Cependant, elle est immédiatement remarquée par Paul Poiret qui lui achètera quatre œuvres au cours des années suivantes et la présente au critique d'art et poète Charles Vildrac qui l’intègre dès janvier 1923 dans une exposition collective dans sa galerie :

« Galerie Vildrac : Dufresne, Othon- Friesz, Vlaminck, Hermine David, Vera Rockline, Foujita et Mayamato se montrent prodigues d'efforts divergents, pas tous heureux. » (L.M., « Beaux-Arts », Floréal : l'hebdomadaire illustré du monde du travail, 27 janvier 1923, p.58)

 

L’année suivante, Vera participe au Salon des Indépendants avec trois œuvres, une étude, un Portrait et un Nu puis au Salon d’Automne où elle montre une Colombine et un Nu. On ne sait pas quelle œuvre est qualifiée de « beau morceau » par Paris-midi… (4 novembre 1923, p.2). Le Nu assis que je place ici me paraît correspondre à son style de l’époque…

 

Nu assis – sans date
Huile sur toile, 65 x 46 cm
Collection particulière (vente 2016)
Présent dans le Fonds Marc Vaux : MV-10503-009

Pas de réactions à ses œuvres exposées lors du Salon des Tuileries de 1924, à l’exception d’une seule : « J'ai également grand plaisir à constater que mes bons confrères des quotidiens, ont passé avec ensemble à côté d'une exposante du plus haut intérêt, Vera Rockline, dont les figures de femmes, où se discerne la familiarité de Goya et de Renoir, sont une des seules révélations de ce Salon si riche en lieux communs. » (Buffalmacco, « Le Salon des Tuileries », Lyrica : revue mensuelle illustrée de l'art lyrique et de tous les arts, 1er septembre 1924, p.373)

Elle a exposé une Femme nue, deux Paysage

 

Titre inconnu
Centre Pompidou/MNAM-CCI/Bibliothèque Kandinsky, Fonds Marc Vaux, MV-10503-008
© Bibliothèque Kandinsky, MNAM/CCI, Centre Pompidou – Dist. RMN-Grand Palais


Je propose celui-ci en raison des termes d’un article de Mathilde Dons : « Ces couleurs si justes, cette pâte si voluptueuse dont Mme Vera Rockline pétrit ses études de nus, elle les emploie également à peindre des paysages qui ont un charme tout particulier, où la réalité s'embellit d’une nuance de rêverie délicate, où les collines baignent leur pied dans l’eau douce et molle d’un lac et leur sommet dans une atmosphère lumineuse. » (Mathilde Dons, « Quelques expositions », La Française : journal de progrès féminin, 28 mars 1925, p.3)


… ainsi qu’une Femme à l’éventail qui pourrait ressembler à celle-ci :

 

Jeune fille à l’éventail rouge – vers 1925
Huile sur toile, 116,5 x 80,5 cm
Collection particulière (vente 2021)


Sa première exposition personnelle a lieu à la galerie Vildrac l’année suivante. Paul Poiret écrit pour le catalogue une préface d'une enthousiaste concision : « 1° J'aime la peinture de Vera Rockline ; 2° je plains ceux qui ne l'aiment pas ; 3° quoi dire à ceux qui n'ont pas encore compris ? »

Il est probable qu’elle y expose notamment cette œuvre, décrite assez précisément dans l’article qui suit :

 

Femme à l’éventail – 1924
Huile sur toile, 81,5 x 117 cm
Collection particulière (vente 2009)
Présente dans le Fonds Marc Vaux : MV-10503-008

« A la Galerie Vildrac, une exposition des peintures de Mme Vera Rockline mérite de retenir tout particulièrement l’attention et fait le plus grand honneur à l’art féminin. Mme Vera Rockline choisit des modèles à la chair lumineuse, plantureuse et ferme, et elle sait en rendre admirablement la vigueur et en même temps la sensualité. Telle cette femme nue, étendue sur le dos, les jambes croisées, un éventail à la main, les cheveux coupés en franges sur le front et à laquelle de longs yeux bridés, relevés vers les tempes donnent une expression de chatte ; ou cette femme assise, vue de dos, d’une ligne forte, harmonieuse et impeccable » (Mathilde Dons, « Quelques expositions », La Française : journal de progrès féminin, 28 mars 1925, p.3)

 

Titre inconnu
Centre Pompidou/MNAM-CCI/Bibliothèque Kandinsky, Fonds Marc Vaux, MV-10503-009
© Bibliothèque Kandinsky, MNAM/CCI, Centre Pompidou – Dist. RMN-Grand Palais


Après avoir participé au Salon des Tuileries à propos duquel Vauxcelles énonce cette sentence : « Vera Rockline, dont le musée paralyse encore les dons pourtant certains » (Louis Vauxcelles, « Le Salon des Tuileries », L'Ère nouvelle, 16 mai 1925, p.2) et à une « exposition d’art contemporain » chez Bernheim en mai, Vera montre au Salon d’Automne un Victuailles qui fait un peu de bruit.

Il se trouve aujourd’hui dans les collections nationales. C’est moi qui ai ajouté la date, le musée ne la connait visiblement pas… et ne sait pas comment cette œuvre est entrée dans les collections.

 

Victuailles – 1925
Huile sur toile, 130 x 97,5 cm
Musée national d’Art moderne, Paris
© Photo : Centre Pompidou, MNAM-CCI/Bertrand Prévost/Dis. GrandPalaisRmn


« Je revois encore un étal chargé de poissons, de pommes. Ceux-ci se moquant de celles-là, comme il sied ; de choux, de litres et de petits couteaux. Devant l’étal, un petit garçon tout rond avec des mains tentées. Derrière l'étal une grosse jeune marchande aux beaux bras, à la mine somnolente et fleurie. Signature : Vera Rockline.
Je ne sais pourquoi, (peut-être même sans "pourquoi") je repense à la fois, quand je songe à cet amas comestible, à certaines femmes au piano, de Renoir, et à cette extraordinaire esquisse de Rubens, au Louvre, intitulée "Philopœmen reconnu par une vieille femme" ». (Robert Rey, « Les Salons de 1925 », Art et décoration, juillet 1925, p.229-230)

Le titre de l’œuvre en question de Rubens s’est un peu étoffé aujourd’hui mais conserve toute sa force évocatrice !

 

Pierre-Paul Rubens (1577-1640)
Philopœmen, général des Achéens, pris pour un valet
puis reconnu dans une cuisine par ses hôtes de Mégare – 1609/1610
Huile sur bois, 50 x 67 cm
Musée du Louvre, Paris


Il me paraît assez probable que cette autre œuvre de Vera puisse dater de la même période.

 

Le Bonheur maternel – sans date
Huile sur toile, 130 x 89 cm
Collection particulière (vente 2007)
Présent dans le Fonds Marc Vaux : MV-10503-013


En mai suivant, c’est à nouveau le Salon des Tuileries, lequel, comme son nom ne l’indique pas, se déroule au Palais de Bois de la Porte Maillot, un édifice construit par les frères Perret qui sera détruit quelques années plus tard.

Vera y montre cinq œuvres dont un Travesti qui est jugé « plein de qualité » par L’Œuvre (21 mai 1926, p.4) et qui sont globalement détestées par Le Radical qui n’y voit que des « affreux pastiches de Renoir. » (22 mai 1926, p.2)

Elle peint aussi cette année-là un Guitariste que je n’ai retrouvé nulle part ailleurs que dans cette publication.

 

Publié in Mobilier et décoration, janvier 1934, p.397
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France


Je lui associerais volontiers cette autre guitariste dont le style relève visiblement de la période et le modèle pourrait être la Femme à l’éventail, vue précédemment.

  

Titre inconnu
Centre Pompidou/MNAM-CCI/Bibliothèque Kandinsky, Fonds Marc Vaux, MV-10503-011
© Bibliothèque Kandinsky, MNAM/CCI, Centre Pompidou – Dist. RMN-Grand Palais


Cette Guitariste se trouve peut-être dans les collections de la ville de Paris, puisque son Bulletin municipal en fait mention à propos d’un don de la famille de Vera (11 janvier 1935, p.194). Mais le service responsable de ces œuvres n’a pas répondu à ma question à ce sujet… 

Enfin, au Salon d’Automne, c’est un Nu qui attire l’attention de la critique, dans des termes que je préfère ne pas reproduire, la réalité historique étant ce qu’elle est… Ce tableau a été vendu récemment, sous le titre d’Odalisque, très certainement préférable à celui qui lui avait été attribué à l’époque.

 

Odalisque - 1926
Huile sur toile, 113,9 x 146,3 cm
Collection particulière (vente 2024)
Publié in : Gazette des beaux-arts, 2e semestre 1926, p.327
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France


La critique la moins désagréable à lire, celle de René Brecy, dans L’Action française, lui accorde « plein de mérites pittoresques. » (11 novembre 1926, p.2)

En avril suivant, nouvelle exposition de groupe chez Bernheim. La nouveauté du moment, c’est aussi qu’après plusieurs déménagements, Vera a trouvé l’atelier où elle s’installe de façon définitive, 2 rue Brown- Séquard (15e).

 

Vue de l’atelier de l’artiste – 1933
Huile sur toile, 60 x 73 cm
Collection particulière (vente 2012)


Vient ensuite le Salon des Tuileries où Vera montre plusieurs nus et deux Compositions. L’une d’entre-elles a été reproduite plus tard dans la presse.

 

Publié in Mobilier et décoration, janvier 1934, p.398
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France


Elle en existe visiblement plusieurs versions puisque celle que j’ai trouvée sur le marché de l’art est différente (voir le visage de la femme assise). On lui a trouvé un titre qui n’est probablement pas d’origine et qui fait clairement référence au Déjeuner de Manet alors que la position (et le regard) de l’odalisque évoque bien davantage la Maja nue de Goya… 

 

Le déjeuner sur l’herbe des deux amies – 1927
Huile sur toile, 114 x 147 cm
Collection particulière (vente 2017)

 

Francisco de Goya (1746-1828)
La maja desnuda – vers 1795/1800
Huile sur toile, 97,3 x 190,6 cm
Musée du Prado, Madrid

 

Quoi qu’il en soit, Michel Dufet qualifie ses Compositions « d’excellentes » (La Revue de la femme, 1er juin 1927, p.35), tandis qu’au Salon d’Automne, Gaston Derys se demande « Comment n’aimer pas … les nus si fermes de Vera Rockline ? » (Minerva, 11 décembre 1927, p.7)

Je n’ai aucune information particulière sur celui-ci, à part le fait qu’il me semble reconnaître à nouveau le modèle de la Femme à l’éventail

 

Nu assis au collier bleu – sans date
Huile sur toile, 92 x 74 cm
Collection particulière (vente 2008)
Présent dans le Fonds Marc Vaux : MV-10502-013


… tout comme dans ce portrait de l’année précédente.

 

Portrait d’élégante – 1926
Huile sur toile, 81 x 65 cm
Collection particulière (vente 2018)


Les six œuvres présentées au Salon des Tuileries de 1928 sont sans titre. Il s’agit probablement de portrait féminins auxquels Louis Gillot trouve des « frimousses de filles de Renoir » dans Le Gaulois (3 mai 1928, p.3). On a envie de lui demander « des Renoir de quelle époque ? »

Robert Rey paraît lui répondre : « J'approuve comme toi les grasses, les douces beautés de Vera Rockline, bien que leurs reliefs s'allument de reflets un peu crayeux et froids qui désaccordent l'ensemble. » (« Au Salon d’Automne », Les Annales politiques et littéraires, 15 novembre 1928, p.468)

Vera bénéficie d’une exposition personnelle en janvier suivant, à la galerie Le Studio.

« Au Studio c'est une Russe, Vera Rockline, peintre, fixée en France depuis la Révolution, qui atteste un des plus beaux talents de femme dans une maîtrise toute personnelle en dehors de la mode comme des coteries. Elle a la forte originalité de s'attacher à la beauté des formes et à la finesse de la peau dans ses savoureuses et exquises études de nu qui sont, mieux que des études, de vrais portraits de corps. Elle a ce culte de la beauté que les hommes les plus doués ont perdu pour poursuivre la débauche des coloris et le sport du cubisme. Il faut lui prédire de ce fait le plus bel avenir et y contribuer en signalant ses expositions aux défenseurs de l'esthétique. Nous qui croyons que la beauté est en même temps que l'expression de la santé, des formes harmonieuses et des vertus d'équilibre, une leçon, une suggestion d'équilibre, d'harmonie et de santé, nous recommanderons d'autant plus les œuvres de cette artiste si probe et passionnée pour son métier qu'elle a en outre les plus riches dons de coloriste. Ses paysages amples, aérés, palpitants, gracieux prouvent l’étendue de sa sensibilité. » (« Les Arts », Les Cahiers de la santé publique, 25 janvier 1929, p.107)

Voici donc l’occasion de montrer un paysage de Vera qu’on pourrait qualifier d’ « ample, aéré, palpitant, gracieux » et d’une palette délicate !

 

 

Sentier boisé – sans date
Huile sur toile, 92,1 x 73 cm
Collection particulière (vente 2006)


Si l’on s’en tient à la datation du second, le premier n’est probablement pas de la même période.

 

Paysage – vers 1930
Huile sur toile, 50 x 61 cm
Collection particulière (vente 2019)


Au début des années 30, Vera adopte des irisations un peu étranges.

 

Nu au bracelet vert – vers 1930
Huile sur toile, 92 x 65 cm
Collection particulière (vente 2023)


Nu assis – sans date
Huile sur toile, 72,7 x 59,7 cm
Collection particulière (vente 2007)


A gauche : photo Marc Vaux, MV-10502-014
© Bibliothèque Kandinsky, MNAM/CCI, Centre Pompidou – Dist. RMN-Grand Palais

A droite : Danseuse au chapeau rouge – sans date
Huile sur toile, 96 x 65 cm
Collection particulière (vente 2008)



La Toilette, modèle au béret – sans date
Huile sur toile, 72,1 x 52,7 cm
Collection particulière (vente 2010)


Puis elle se concentre sur les nus endormis dont elle donne de multiples interprétations.

 

Nu endormi – sans date
Huile sur toile, 54,7 x 45,8 cm
Collection particulière
Présent dans le Fonds Marc Vaux : MV-10502-017



Nu endormi – sans date
Huile sur toile, 39 x 55 cm
Collection particulière (vente 2015)



Jeune femme endormie – 1934
Huile sur toile, 60 x 73 cm
Collection particulière (vente 2009)
Présent dans le Fonds Marc Vaux : MV-10502-018



Etude de Nu – vers 1934
Photo Marc Vaux, MV-10503-010
Publié in : La Revue de l’art ancien et moderne, 1er décembre 1934, p.407 et
Art et industrie : revue générale des industries de luxe, décembre 1934, p.31
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France

 

C’est le moment où la critique devient la plus positive :

« Vera Rockline, ou le triomphe de la féminité dans la peinture moderne. » (Maximilien Gauthier, « Le Salon d’Automne », L'Art vivant, 1er février 1931, p.661) 

« Vera Rockline, des nus féminins d'une rare sensibilité » (« Le Salon des Tuileries, Le Matin, 27 mai 1932, p.6)

« Vera Rockline excelle à donner à la chair une lumière nacrée, vivante, saine, profonde, dont la contemplation ne lasse point. » (« Savignac, Vera Rockline et Corbellini à la galerie Barreiro », Le Journal, 26 juin 1932, p.5)

Si bien qu’au Salon d’Automne… « L’incident se, produisit non pas, comme on l’a dit, devant les toiles de Bonnard, mais devant celles de Vera Rockline. Depuis onze années qu’elle expose au Salon d’Automne, Vera Rockline avait toujours bénéficié d’une place d’honneur. Reléguée par Savreux dans une salle d’importance secondaire, elle menaçait de retirer ses toiles - ce qu’elle fit, d’ailleurs - quand Camille Liausu passa. Il prit fait et cause pour la sympathique femme-peintre. La discussion, bientôt, s’envenima. Et ce fut ainsi que, des remarques aux injures, on en vint aux horions. » (« Le Salon d’Automne », Le Cri du jour, 5 novembre 1932, p.14)

 

Si l’Etat a acquis des œuvres de Vera, il ne reste pas trace des modalités de ces acquisitions. Le Nu dormant qui se trouve à Beaubourg, comme Victuailles, est arrivé dans les collections en 1934, sans qu’on se souvienne comment…

 

Nu dormant – vers 1934
Huile sur toile, 50 x 61 cm
Musée national d’Art moderne, Paris
© Photo : Centre Pompidou, MNAM-CCI/Georges Meguerditchian/Dis. GrandPalaisRmn


… pourtant, Gaston Derys affirme que Victuailles a été acheté par le musée du Luxembourg dès les années 1920. (Mobilier et décoration, janvier 1934, p.394-400)


Vera peint aussi quelques visages, des portraits aux accents mélancoliques.

 

Jeune fille aux nattes – sans date
Huile sur carton, 40,5 x 33 cm
Collection particulière (vente 2019)
Publié in : La Dépêche, 20 novembre 1934, p.8
Présente dans le Fonds Marc Vaux : MV-10502-012



Titre inconnu
Centre Pompidou/MNAM-CCI/Bibliothèque Kandinsky, Fonds Marc Vaux, MV-10502-016
© Bibliothèque Kandinsky, MNAM/CCI, Centre Pompidou – Dist. RMN-Grand Palais


Femme au collier – 1933
Huile sur toile, 41 x 33 cm
Collection particulière (vente 2022)
Publié in Mobilier et décoration, janvier 1934, p.395
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France


En janvier 1934, elle participe au Salon des échanges, comme deux cents autres artistes talentueux mais en difficulté financière. « Tous sont prêts à abandonner tableaux et statues, soit contre espèces, soit contre marchandises. Ce Salon original, qui a été fondé il y a deux ans, a déjà rendu de grands services. Aucun des tableaux exposés ne laisse indifférent, et beaucoup des œuvres exposées sont de premier ordre. » (Mobilier et décoration, janvier 1934, p.39.)

 

Puis, en mars, elle expose avec « Mon Club », au cercle international féminin, en compagnie d’autres artistes féminines, parmi lesquelles Hermine David, Marie-Anne Camax-Zoegger, Geneviève Gallibert, Chériane, Andrée Joubert…

 

Le 3 avril 1934, Vera Rockline a mis fin à ses jours, à son domicile de la rue Brown- Séquard.

 

Les réactions dans la presse sont nombreuses et particulièrement louangeuses :

Cette artiste d'une culture extrêmement vaste, à qui aucun domaine de l'intelligence ne restait étranger, se considérait plutôt comme Française. Elle était simple, gaie et bonne, comme ces Bourguignonnes dont le sang coulait dans ses veines. Et cette femme au grand cœur comblée de dons si riches, si vrais, si spontanés, moissonnée en pleine force, nous aurait sûrement apporté de nouvelles raisons de l'aimer et de l'admirer. » (Gaston Derys, « Vera Rockline », Mobilier et décoration, janvier 1934, p.394-400)

« Vera Rockline est morte. D’origine russe, elle avait à peine dépassé la trentaine et résidait en France depuis une quinzaine d’années. On appréciait particulièrement ses nus, d’une qualité à la fois sensuelle et pensive. Avec Vera Rockline disparaît l'une des femmes peintres les plus remarquables d’aujourd’hui. Elle était sociétaire au Salon d’Automne. » (Le Cousin Pons, L'Intransigeant, 12 avril 1934, p.6)

 

A l’exposition des Femmes artistes modernes (FAM), en mai, un de ses nus est exposé.

En juin, au « Groupe Moderne » de la galerie Georges Petit, « Retiendra aussi l'attention (…) "La femme assise", au visage mélancolique, de Vera Rockline, artiste sincère dont on déplore la mort prématurée. » (Florise, « Le coin des arts », La Vie parisienne, 30 juin 1934, p.791)

 

 

Nu assis – 1934
Huile sur toile, 92 x 73 cm
Collection particulière (vente 2015)
Publié in Mobilier et décoration, janvier 1934, p.398
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France
 

Le Salon des Tuileries expose vingt de ses toiles récentes, puis le Salon d’Automne, dont elle était sociétaire, lui accorde une rétrospective en même temps que la galerie Barreiro, rue de Seine. Les deux expositions ont un fort retentissement et les critiques les plus en vue prennent la plume.

« En 1925, ses Victuailles magnifiquement composées sont acquises par le Jeu de Paume, et à partir de ce moment-là et jusqu’à sa mort, elle peint des nus, des paysages, des portraits et des natures mortes d’une beauté et d’une puissance toujours croissantes, atteignant l’apogée de son talent dans des toiles uniques telles que Femme Nue Assise (1933), Paysage, Nice (1933) et Jeune Femme Endormie (1934). Il y a tout lieu de croire que, si elle avait vécu, Vera Rockline aurait créé des œuvres encore plus parfaites que celles-ci, et que sa disparition nous a sans doute privé d’une artiste de premier ordre. » (B.J. Kospoth, « Vera Rockline show contains splendid work », The Chicago tribune and the Daily news, New York, 4 novembre 1934, p.5)

« Pauvre Vera Rockline ! Je la revois, quelques jours avant sa mort, le regard lourd d’un songe intérieur, un peu absente de la vie bruyante qui l’entourait. C’était au Musée du Louvre, à l’inauguration des nouveaux aménagements de la sculpture. Elle s’arrêtait devant les chefs-d’œuvre dont la rencontre interrompait pour quelques instants ses préoccupations, mais lorsqu’on lui adressait la parole, les réponses se faisaient attendre comme si elles venaient de loin et, courtes, un peu vagues, s’arrêtaient aussitôt. Cette attitude absorbée m’avait frappé. Comme elle contrastait avec l’art si jeune et si frais de l’artiste !

Pauvre Vera Rockline ! Elle avait trop demandé à la Vie à laquelle elle s’était donnée de toute son âme candide et ardente ! Dans son être hypersensible, le chagrin imprimait ses traces profondes comme des pas dans la neige. (…) La place me manque pour insister davantage sur une carrière et sur un talent dont la mort fait mieux apparaître la noblesse. J’ajouterai seulement que les tableaux de Vera Rockline demeurent le vivant témoignage de l’inclination de leur auteur pour les substances picturales brillantes et nacrées. Ainsi, dans l’évolution actuelle vers un plus strict respect des qualités de la matière, l’artiste regrettée se place au nombre des précurseurs. » (Yvanhoé Rambosson, « Le souvenir de Vera Rockline », Comœdia, 5 novembre 1934, p.3)

 

« Rétrospective de Vera Rockline, morceau capital de la peinture féminine au Salon. (…) Par la variété et la réussite de ses recherches, elle évoque tour à tour l’anecdote attendrissante et spirituelle d’un Degas d’intimité, l’opulence sensuelle d’une "Olympia", ou la poignante détresse morale d’un portrait de Toulouse-Lautrec, sans que ces alliances spirituelles nuisent à sa vigoureuse personnalité.  Une unité se crée par la passion, la générosité, la franchise qui imprègnent ses œuvres. Surtout la qualité, ce goût de la belle matière, riche, colorée, vivante, cette égalité de touche dans des compositions simples où tout concourt à l’effet dominant recherché, est un précieux enseignement pour une jeunesse comme celle de cette année qui semble vouloir abandonner les formules et s’inspirer directement de la vie, du vrai. (Germaine Loiseau, « La femme au Salon d’Automne », La Presse, 14 novembre 1934, p.6)

 

« Ceux qui, comme moi, ont assisté aux débuts de Vera Rockline en France n’ont pas oublié à l’Automne, aux Indépendants, aux Tuileries, chez Vildrac, de 1921 à 1925, ces nus ambrés et joyeux, ces compositions opulentes, prestement brossées en quelques séances, ces toiles de musée comme Maternité et Victuailles, où s’affirmait le goût, très bourguignon, des maîtres de Séville. Rien d’émouvant comme l’ambition de cette frêle jeune femme, hantant les galeries illustres et tentant de retrouver dans ses grandes compositions le souffle des vieux maîtres. Vera Rockline aura été des premières à prêcher le retour au tableau. Paysagistes aux visions claires, frémissantes, peintre de savoureuses et friandes natures mortes, et surtout virtuose de cette musique incomparable du corps féminin, Vera Rockline avait tous les dons qu’exige l’ordonnance des œuvres de maîtrise. Il ne lui aura manqué que les vastes surfaces où se serait épanoui son génie en fleur.

Insatisfaite comme doivent l’être toujours les vrais artistes, sans doute voulut-elle, avant de tenter le destin, avenir à l’étude plus stricte de la nature. De belles chairs nacrées, d’une facture plus serrée, plus sage aussi, surprirent un peu les admirateurs de la Femme à la guitare et de Victuailles. Le Nu assis de 1933 marque le dernier stade de cette période naturaliste ; mais tel paysage d’alors atteste le goût persistant de Vera Rockline pour la libre interprétation de la nature. » (Raymond Escholier, « Vera Rockline », La Dépêche, 20 novembre 1934, p.8)

 

« (…) très vite elle se libéra d’une contrainte sans doute pesante et son art évolua vers un réalisme puissant qui trouve son point culminant avec ses Victuailles (1925) tableau qui est actuellement conservé au Musée du Jeu de Paume. Et soudain l’artiste, continuant son évolution, sembla vouloir laisser s’épanouir sa sensibilité trop longtemps contenue. Et se mirent à naître sous son pinceau de délicates têtes de jeunes filles, des nus charmants, ambrés tout d’abord, puis de plus en plus nacrés. Et Vera Rockline prit place tout d’un coup parmi nos meilleurs peintres de nus et figures. En même temps, la pâte de ses tableaux devenait onctueuse ajoutant par la qualité de sa matière, je ne sais quelle mollesse précieuse qui enrichissait l’harmonie générale de ses œuvres. Harmonies un peu grises, parfois, laissant transparaître la nostalgie de vivre qui hantait l’artiste à certaines heures et interposait comme un fin réseau de voile entre son pinceau et sa joie de peindre. Harmonies plus chaudes, plus dorées, plus vibrantes contenant, à d’autres heures, comme un peu du soleil d’amour qui lui chauffait le cœur. En possession d’un beau métier et d’un dessin sûr qu’elle utilisait mais qui ne l’asservissaient pas, Vera Rockline pouvait prétendre, à l’heure où la vie lui apparut soudain trop lourde à porter, à prendre une des premières places parmi les artistes d’aujourd’hui. Sa Femme assise, son Torse au médaillon, et sa Femme à la toilette suffiront, avec quelques souples et lumineux Paysages de Paris et de Provence à la lui conserver pour toujours. » (Georges Turpin, « Exposition rétrospective Vera Rockline », La Griffe, 25 novembre 1934, p.13)

 

En février 1937, elle est encore présente au Jeu de Paume qui présente ses dernières acquisitions. Dans la partie rétrospective, elle côtoie Maria Blanchard, Jacqueline Marval, Jane Poupelet et Béatrice How. « Vera Rockline est digne de la place qui lui a été assignée à côté d'elles. » souligne The New York Herald tribune, le 13 février 1937 (p.2).

 

Et puis plus rien, jusqu’à une exposition collective en 2002, « Elles de Montparnasse », au Musée du Montparnasse à Paris, où elle apparaît aux côtés de Tamara de Lempicka, Marie Laurencin, Chana Orloff, Sonia Delaunay et Natalia Gontcharova. 

Auprès de toutes ces artistes, aujourd’hui reconnues, Vera est sans conteste la plus oubliée. Quelques natures mortes pour rester encore un peu à ses côtés… 

 

 

 

Nature morte avec pichet et fruits – sans date
Fusain sur papier, 32,3 x 48,8 cm
Collection particulière (vente 2016)


Nature morte aux lys blancs – sans date
Huile sur toile, dimensions non communiquées
Collection particulière (vente 2006)


Titre inconnu
Centre Pompidou/MNAM-CCI/Bibliothèque Kandinsky, Fonds Marc Vaux, MV-10503-007
© Bibliothèque Kandinsky, MNAM/CCI, Centre Pompidou – Dist. RMN-Grand Palais



Nature morte à la baguette – sans date
Huile sur toile, 38 x 46 cm
Collection particulière (vente 2024)



Nature morte aux poissons – sans date
Huile sur toile, 46 x 60 cm
Collection particulière (vente 2006)


 

 

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