Vera
Nikolaïevna Schlesinger est née à Moscou le 10 août 1896. Son père,
Nicolas August Schlesinger est russe et sa mère, dénommée Jeanne Malbranche, d'origine française. Vera commence sa formation à Moscou, dans l’atelier du peintre Ilia
Machkov, un des fondateurs du groupe Valet de Carreau :
couleurs flamboyantes, volumes déformés, directement issus de l’art populaire
russe.
Au
moment de la Grande Guerre, Vera rejoint à Kiev une autre membre du Valet de
Carreau, Alexandra Exter (voir sa notice) qui vient d’y ouvrir une école
d’art. C’est auprès d’elle que Véra s’initie au cubisme. Au début de l’année
1918, elle épouse un certain Rokhlin - mais continue à signer ses toiles de son
nom, Schlesinger - et commence à exposer à Moscou, à l’Union des peintres
russes.
Les conditions de vie liées à la révolution russe deviennent difficiles. Vera et son mari s’enfuient en Géorgie et parviennent, après un long périple, dans la capitale, Tiflis (aujourd’hui Tbilissi). Les toiles de cette époque ont été resignées ensuite mais on peut percevoir l'ancienne signature de Vera en cyrillique, à droite.
Vera et son mari vont y vivre jusqu’en 1920.
En
1920, Vera quitte son mari pour se rendre en France ; elle retrouve d’abord sa
famille maternelle, en Bourgogne, puis rejoint Paris en 1921. Elle s’installe
rue de Hambourg (8e) et saisit ses premières
découvertes parisiennes, comme ce petit café.
Elle participe au Salon d’Automne de 1922, sous le nom de Rockline. Elle y montre quatre huiles, un Paysage, un Nu, Jeune fille en rose et un Portrait de l’auteur.
Il
pourrait s’agir de ces deux œuvres.
Le
Salon d’Automne se termine le 17 décembre 1922. Les premiers articles sur Vera sont assez nombreux mais contrastés…
« Mme Vera Rockline n’a point encore de personnalité nettement affirmée. Tel paysage fait songer à Vlaminck et il s’en faut de bien peu que ses nus soient simplement "artistes français". Heureusement, Mme Vera Rockline se borne à frôler le danger, de même si parfois le goût n’est pas très sûr, s’il est ici plus de chic facile que de style et bien, bien de superficielle rapidité, on ne saurait ne point remarquer une joie certaine, une joie mal disciplinée, certes, mais dont la présence rachète bien des défauts. » (Louis Léon-Martin, « Les Expositions », Le Crapouillot, 1er janvier 1923, p.10)
« Ennemie de toute abstraction dans l'art, ainsi que de toute contrainte, Mme Vera Rockline, comme elle le dit elle-même, place avant tout la "sincérité, l'originalité du sentiment" et le désir de faire de la bonne peinture. Cette profession de foi lui fait le plus grand honneur d'autant qu'elle ne se contente pas d'énoncer ces principes. Elle les met aussi en pratique si l'on en juge par son quatuor d'envois au Salon d'Automne : Jeune fille en rose d'un sentiment délicat ; Paysage baigné dans une large ambiance ; le Portrait de l'auteur rempli de vie et un Nu d'une belle tenue académique. Quoique russe née à Moscou, Mme Vera Rockline paraît avoir certaines affinités artistiques occidentales qui lui ont été léguées sans doute par atavisme puisque si mère était française. Elève de J. Machkoff, elle débuta dans des expositions moscovites où elle remporta de nombreux succès. En 1919, par suite de la révolution russe, elle dut s'expatrier et abandonner toute l'œuvre commencée. Après un exode rempli de risques et de périls, Mme Rockline parvint à gagner la Géorgie où, travailleuse infatigable, elle refit sa toile et vécut deux ans. A Tiflis, elle rencontra les mêmes succès qu'à Moscou, mais Paris l'attirait par son "unique beauté" et depuis un an qu'elle en est l'hôte, elle semble avoir réalisé "son rêve". » (Raymond Sélig, « Mme Vera Rockline », Revue du vrai et du beau : lettres et arts, 10 janvier 1923, p.13)
Cependant,
elle est immédiatement remarquée par Paul Poiret qui lui achètera quatre œuvres
au cours des années suivantes et la présente au critique d'art et poète Charles
Vildrac qui l’intègre dès janvier 1923 dans une exposition collective dans sa
galerie :
« Galerie Vildrac : Dufresne, Othon- Friesz, Vlaminck, Hermine David, Vera Rockline, Foujita et Mayamato se montrent prodigues d'efforts divergents, pas tous heureux. » (L.M., « Beaux-Arts », Floréal : l'hebdomadaire illustré du monde du travail, 27 janvier 1923, p.58)
L’année suivante, Vera participe au Salon des Indépendants avec trois œuvres, une étude, un Portrait et un Nu puis au Salon d’Automne où elle montre une Colombine et un Nu. On ne sait pas quelle œuvre est qualifiée de « beau morceau » par Paris-midi… (4 novembre 1923, p.2). Le Nu assis que je place ici me paraît correspondre à son style de l’époque…
Pas de réactions à ses œuvres exposées lors du Salon des Tuileries de 1924, à l’exception d’une seule : « J'ai également grand plaisir à constater que mes bons confrères des quotidiens, ont passé avec ensemble à côté d'une exposante du plus haut intérêt, Vera Rockline, dont les figures de femmes, où se discerne la familiarité de Goya et de Renoir, sont une des seules révélations de ce Salon si riche en lieux communs. » (Buffalmacco, « Le Salon des Tuileries », Lyrica : revue mensuelle illustrée de l'art lyrique et de tous les arts, 1er septembre 1924, p.373)
Elle
a exposé une Femme nue, deux Paysage…
Je
propose celui-ci en raison des termes d’un article de Mathilde Dons :
« Ces couleurs si justes, cette pâte si voluptueuse dont Mme Vera
Rockline pétrit ses études de nus, elle les emploie également à peindre
des paysages qui ont un charme tout particulier, où la réalité s'embellit d’une
nuance de rêverie délicate, où les collines baignent leur pied dans l’eau douce
et molle d’un lac et leur sommet dans une atmosphère lumineuse. »
(Mathilde Dons, « Quelques expositions », La Française : journal
de progrès féminin, 28 mars 1925, p.3)
…
ainsi qu’une Femme à l’éventail qui pourrait ressembler à
celle-ci :
Sa première exposition personnelle a lieu à la galerie Vildrac l’année suivante. Paul Poiret écrit pour le catalogue une préface d'une enthousiaste concision : « 1° J'aime la peinture de Vera Rockline ; 2° je plains ceux qui ne l'aiment pas ; 3° quoi dire à ceux qui n'ont pas encore compris ? »
Il
est probable qu’elle y expose notamment cette œuvre, décrite assez
précisément dans l’article qui suit :
« A
la Galerie Vildrac, une exposition des peintures de Mme Vera
Rockline mérite de retenir tout particulièrement l’attention et fait le
plus grand honneur à l’art féminin. Mme Vera Rockline choisit des
modèles à la chair lumineuse, plantureuse et ferme, et elle sait en rendre
admirablement la vigueur et en même temps la sensualité. Telle cette femme nue,
étendue sur le dos, les jambes croisées, un éventail à la main, les cheveux
coupés en franges sur le front et à laquelle de longs yeux bridés, relevés vers
les tempes donnent une expression de chatte ; ou cette femme assise, vue de
dos, d’une ligne forte, harmonieuse et impeccable » (Mathilde Dons,
« Quelques expositions », La Française : journal de progrès
féminin, 28 mars 1925, p.3)
Après avoir participé au Salon des Tuileries à propos duquel Vauxcelles énonce cette sentence : « Vera Rockline, dont le musée paralyse encore les dons pourtant certains » (Louis Vauxcelles, « Le Salon des Tuileries », L'Ère nouvelle, 16 mai 1925, p.2) et à une « exposition d’art contemporain » chez Bernheim en mai, Vera montre au Salon d’Automne un Victuailles qui fait un peu de bruit.
Il
se trouve aujourd’hui dans les collections nationales. C’est moi qui ai ajouté
la date, le musée ne la connait visiblement pas… et ne sait pas comment
cette œuvre est entrée dans les collections.
« Je
revois encore un étal chargé de poissons,
de pommes. Ceux-ci se moquant de celles-là, comme il sied ; de choux, de litres
et de petits couteaux. Devant l’étal, un petit garçon tout rond avec des mains
tentées. Derrière l'étal une grosse jeune marchande aux beaux bras, à la mine
somnolente et fleurie. Signature : Vera Rockline.
Je ne sais pourquoi, (peut-être même sans "pourquoi") je repense à la fois,
quand je songe à cet amas comestible, à certaines femmes au piano, de Renoir,
et à cette extraordinaire esquisse de Rubens, au Louvre, intitulée "Philopœmen
reconnu par une vieille femme" ». (Robert Rey, « Les Salons de
1925 », Art et décoration, juillet 1925, p.229-230)
Le
titre de l’œuvre en question de Rubens s’est un peu étoffé aujourd’hui mais
conserve toute sa force évocatrice !
Il
me paraît assez probable que cette autre œuvre de Vera puisse dater de la même période.
En
mai suivant, c’est à nouveau le Salon des Tuileries, lequel, comme son nom ne
l’indique pas, se déroule au Palais de Bois de la Porte Maillot, un édifice
construit par les frères Perret qui sera détruit quelques années plus tard.
Vera y montre cinq œuvres dont un Travesti qui est jugé « plein de qualité » par L’Œuvre (21 mai 1926, p.4) et qui sont globalement détestées par Le Radical qui n’y voit que des « affreux pastiches de Renoir. » (22 mai 1926, p.2)
Elle
peint aussi cette année-là un Guitariste que je n’ai retrouvé nulle part
ailleurs que dans cette publication.
Je
lui associerais volontiers cette autre guitariste dont le style relève
visiblement de la période et le modèle pourrait être la Femme à
l’éventail, vue précédemment.
Cette
Guitariste se trouve peut-être dans les collections de la ville de
Paris, puisque son Bulletin municipal en fait mention à propos d’un don
de la famille de Vera (11 janvier 1935, p.194). Mais le service responsable de
ces œuvres n’a pas répondu à ma question à ce sujet…
Enfin, au Salon d’Automne, c’est un Nu qui attire l’attention de la critique, dans des termes que je préfère ne pas reproduire, la réalité historique étant ce qu’elle est… Ce tableau a été vendu récemment, sous le titre d’Odalisque, très certainement préférable à celui qui lui avait été attribué à l’époque.
La critique la moins désagréable à lire, celle de René Brecy, dans L’Action française, lui
accorde « plein de mérites pittoresques. » (11 novembre 1926, p.2)
En avril suivant, nouvelle exposition de groupe chez Bernheim. La nouveauté du moment, c’est aussi qu’après plusieurs déménagements, Vera a trouvé l’atelier où elle s’installe de façon définitive, 2 rue Brown- Séquard (15e).
Vient
ensuite le Salon des Tuileries où Vera montre plusieurs nus et deux Compositions.
L’une d’entre-elles a été reproduite plus tard dans la presse.
Elle
en existe visiblement plusieurs versions puisque celle que j’ai trouvée sur le
marché de l’art est différente (voir le visage de la femme assise). On lui a
trouvé un titre qui n’est probablement pas d’origine et qui fait clairement référence
au Déjeuner de Manet alors que la position (et le regard) de l’odalisque
évoque bien davantage la Maja nue de Goya…
Quoi qu’il en soit, Michel Dufet qualifie ses Compositions « d’excellentes » (La Revue de la femme, 1er juin 1927, p.35), tandis qu’au Salon d’Automne, Gaston Derys se demande « Comment n’aimer pas … les nus si fermes de Vera Rockline ? » (Minerva, 11 décembre 1927, p.7)
Je
n’ai aucune information particulière sur celui-ci, à part le fait qu’il me
semble reconnaître à nouveau le modèle de la Femme à l’éventail…
…
tout comme dans ce portrait de l’année précédente.
Les
six œuvres présentées au Salon des Tuileries de 1928 sont sans titre. Il
s’agit probablement de portrait féminins auxquels Louis Gillot trouve des
« frimousses de filles de Renoir » dans Le Gaulois (3 mai
1928, p.3). On a envie de lui demander « des Renoir de quelle
époque ? »
Robert Rey paraît lui répondre : « J'approuve comme toi les grasses, les douces beautés de Vera Rockline, bien que leurs reliefs s'allument de reflets un peu crayeux et froids qui désaccordent l'ensemble. » (« Au Salon d’Automne », Les Annales politiques et littéraires, 15 novembre 1928, p.468)
Vera bénéficie d’une exposition personnelle en janvier suivant, à la galerie Le Studio.
« Au Studio c'est une Russe, Vera Rockline, peintre, fixée en France depuis la Révolution, qui atteste un des plus beaux talents de femme dans une maîtrise toute personnelle en dehors de la mode comme des coteries. Elle a la forte originalité de s'attacher à la beauté des formes et à la finesse de la peau dans ses savoureuses et exquises études de nu qui sont, mieux que des études, de vrais portraits de corps. Elle a ce culte de la beauté que les hommes les plus doués ont perdu pour poursuivre la débauche des coloris et le sport du cubisme. Il faut lui prédire de ce fait le plus bel avenir et y contribuer en signalant ses expositions aux défenseurs de l'esthétique. Nous qui croyons que la beauté est en même temps que l'expression de la santé, des formes harmonieuses et des vertus d'équilibre, une leçon, une suggestion d'équilibre, d'harmonie et de santé, nous recommanderons d'autant plus les œuvres de cette artiste si probe et passionnée pour son métier qu'elle a en outre les plus riches dons de coloriste. Ses paysages amples, aérés, palpitants, gracieux prouvent l’étendue de sa sensibilité. » (« Les Arts », Les Cahiers de la santé publique, 25 janvier 1929, p.107)
Voici donc l’occasion de montrer un paysage de Vera qu’on pourrait qualifier d’ « ample, aéré, palpitant, gracieux » et d’une palette délicate !
Si
l’on s’en tient à la datation du second, le premier n’est probablement pas de
la même période.
Au début des années 30, Vera adopte des irisations un peu
étranges.
Puis elle se concentre sur les nus endormis dont elle donne
de multiples interprétations.
C’est le moment où la critique devient la plus positive :
« Vera Rockline, ou le triomphe de la féminité dans la peinture moderne. » (Maximilien Gauthier, « Le Salon d’Automne », L'Art vivant, 1er février 1931, p.661)
« Vera Rockline, des nus féminins d'une rare sensibilité » (« Le Salon des Tuileries, Le Matin, 27 mai 1932, p.6)
« Vera Rockline excelle à donner à la chair une lumière nacrée, vivante, saine, profonde, dont la contemplation ne lasse point. » (« Savignac, Vera Rockline et Corbellini à la galerie Barreiro », Le Journal, 26 juin 1932, p.5)
Si bien qu’au Salon d’Automne… « L’incident se, produisit non pas, comme on l’a dit,
devant les toiles de Bonnard, mais devant celles de Vera Rockline. Depuis
onze années qu’elle expose au Salon d’Automne, Vera Rockline avait toujours
bénéficié d’une place d’honneur. Reléguée par Savreux dans une salle
d’importance secondaire, elle menaçait de retirer ses toiles - ce qu’elle fit,
d’ailleurs - quand Camille Liausu passa. Il prit fait et cause pour la
sympathique femme-peintre. La discussion, bientôt, s’envenima. Et ce fut ainsi
que, des remarques aux injures, on en vint aux horions. » (« Le Salon
d’Automne », Le Cri du jour, 5 novembre 1932, p.14)
Si l’Etat a acquis des œuvres de Vera, il ne reste pas trace des modalités de ces acquisitions. Le Nu dormant qui se trouve à Beaubourg, comme Victuailles, est arrivé dans les collections en 1934, sans qu’on se souvienne comment…
… pourtant, Gaston
Derys affirme que Victuailles a été acheté par le musée du Luxembourg
dès les années 1920. (Mobilier et décoration, janvier 1934, p.394-400)
Vera peint aussi quelques visages, des portraits aux accents mélancoliques.
En janvier 1934, elle participe au Salon des échanges, comme
deux cents autres artistes talentueux mais en difficulté financière. « Tous sont prêts à abandonner tableaux et
statues, soit contre espèces, soit contre marchandises. Ce Salon original, qui
a été fondé il y a deux ans, a déjà rendu de grands services. Aucun des
tableaux exposés ne laisse indifférent, et beaucoup des œuvres exposées sont de
premier ordre. » (Mobilier et décoration, janvier 1934, p.39.)
Puis,
en mars, elle expose avec « Mon Club », au cercle international
féminin, en compagnie d’autres artistes féminines, parmi lesquelles Hermine
David, Marie-Anne Camax-Zoegger, Geneviève Gallibert, Chériane, Andrée Joubert…
Le
3 avril 1934, Vera Rockline a mis fin à ses jours, à son domicile de la rue
Brown- Séquard.
Les
réactions dans la presse sont nombreuses et particulièrement louangeuses :
Cette artiste d'une culture extrêmement vaste, à qui aucun domaine de l'intelligence ne restait étranger, se considérait plutôt comme Française. Elle était simple, gaie et bonne, comme ces Bourguignonnes dont le sang coulait dans ses veines. Et cette femme au grand cœur comblée de dons si riches, si vrais, si spontanés, moissonnée en pleine force, nous aurait sûrement apporté de nouvelles raisons de l'aimer et de l'admirer. » (Gaston Derys, « Vera Rockline », Mobilier et décoration, janvier 1934, p.394-400)
« Vera
Rockline est morte. D’origine russe, elle avait à peine dépassé la
trentaine et résidait en France depuis une quinzaine d’années. On appréciait
particulièrement ses nus, d’une qualité à la fois sensuelle et pensive. Avec
Vera Rockline disparaît l'une des femmes peintres les plus remarquables
d’aujourd’hui. Elle était sociétaire au Salon d’Automne. » (Le Cousin
Pons, L'Intransigeant, 12 avril 1934, p.6)
A
l’exposition des Femmes artistes modernes (FAM), en mai, un de ses nus est
exposé.
En juin, au « Groupe Moderne » de la galerie Georges Petit, « Retiendra aussi l'attention (…) "La femme assise", au visage mélancolique, de Vera Rockline, artiste sincère dont on déplore la mort prématurée. » (Florise, « Le coin des arts », La Vie parisienne, 30 juin 1934, p.791)
Le Salon des Tuileries expose vingt de ses toiles récentes, puis le
Salon d’Automne, dont elle était sociétaire, lui accorde une rétrospective en
même temps que la galerie
Barreiro, rue de Seine. Les deux expositions ont un fort retentissement et les
critiques les plus en vue prennent la plume.
« En 1925, ses Victuailles magnifiquement composées sont acquises par le Jeu de Paume, et à partir de ce moment-là et jusqu’à sa mort, elle peint des nus, des paysages, des portraits et des natures mortes d’une beauté et d’une puissance toujours croissantes, atteignant l’apogée de son talent dans des toiles uniques telles que Femme Nue Assise (1933), Paysage, Nice (1933) et Jeune Femme Endormie (1934). Il y a tout lieu de croire que, si elle avait vécu, Vera Rockline aurait créé des œuvres encore plus parfaites que celles-ci, et que sa disparition nous a sans doute privé d’une artiste de premier ordre. » (B.J. Kospoth, « Vera Rockline show contains splendid work », The Chicago tribune and the Daily news, New York, 4 novembre 1934, p.5)
« Pauvre Vera Rockline ! Je la revois, quelques jours avant sa mort, le regard lourd d’un songe intérieur, un peu absente de la vie bruyante qui l’entourait. C’était au Musée du Louvre, à l’inauguration des nouveaux aménagements de la sculpture. Elle s’arrêtait devant les chefs-d’œuvre dont la rencontre interrompait pour quelques instants ses préoccupations, mais lorsqu’on lui adressait la parole, les réponses se faisaient attendre comme si elles venaient de loin et, courtes, un peu vagues, s’arrêtaient aussitôt. Cette attitude absorbée m’avait frappé. Comme elle contrastait avec l’art si jeune et si frais de l’artiste !
Pauvre Vera
Rockline ! Elle avait trop demandé à la Vie à laquelle elle s’était donnée
de toute son âme candide et ardente ! Dans son être hypersensible, le
chagrin imprimait ses traces profondes comme des pas dans la neige. (…) La
place me manque pour insister davantage sur une carrière et sur un talent dont
la mort fait mieux apparaître la noblesse. J’ajouterai seulement que les
tableaux de Vera Rockline demeurent le vivant témoignage de l’inclination de
leur auteur pour les substances picturales brillantes et nacrées. Ainsi, dans l’évolution
actuelle vers un plus strict respect des qualités de la matière, l’artiste
regrettée se place au nombre des précurseurs. » (Yvanhoé Rambosson,
« Le souvenir de Vera Rockline », Comœdia, 5 novembre 1934,
p.3)
« Rétrospective
de Vera Rockline, morceau capital de la peinture féminine au Salon. (…) Par
la variété et la réussite de ses recherches, elle évoque tour à tour l’anecdote
attendrissante et spirituelle d’un Degas d’intimité, l’opulence sensuelle d’une "Olympia", ou la poignante détresse morale d’un portrait de Toulouse-Lautrec,
sans que ces alliances spirituelles nuisent à sa vigoureuse personnalité. Une unité se crée par la passion, la
générosité, la franchise qui imprègnent ses œuvres. Surtout la qualité, ce goût
de la belle matière, riche, colorée, vivante, cette égalité de touche dans des
compositions simples où tout concourt à l’effet dominant recherché, est un
précieux enseignement pour une jeunesse comme celle de cette année qui semble vouloir
abandonner les formules et s’inspirer directement de la vie, du vrai. (Germaine
Loiseau, « La femme au Salon d’Automne », La Presse, 14
novembre 1934, p.6)
« Ceux
qui, comme moi, ont assisté aux débuts de Vera Rockline en France n’ont
pas oublié à l’Automne, aux Indépendants, aux Tuileries, chez Vildrac, de 1921
à 1925, ces nus ambrés et joyeux, ces compositions opulentes, prestement
brossées en quelques séances, ces toiles de musée comme Maternité et
Victuailles, où s’affirmait le goût, très bourguignon, des maîtres de Séville. Rien
d’émouvant comme l’ambition de cette frêle jeune femme, hantant les galeries
illustres et tentant de retrouver dans ses grandes compositions le souffle des
vieux maîtres. Vera Rockline aura été des premières à prêcher le retour au
tableau. Paysagistes aux visions claires, frémissantes, peintre de savoureuses
et friandes natures mortes, et surtout virtuose de cette musique incomparable
du corps féminin, Vera Rockline avait tous les dons qu’exige l’ordonnance
des œuvres de maîtrise. Il ne lui aura manqué que les vastes surfaces où se
serait épanoui son génie en fleur.
Insatisfaite comme doivent l’être toujours les vrais artistes, sans doute voulut-elle, avant de tenter le destin, avenir à l’étude plus stricte de la nature. De belles chairs nacrées, d’une facture plus serrée, plus sage aussi, surprirent un peu les admirateurs de la Femme à la guitare et de Victuailles. Le Nu assis de 1933 marque le dernier stade de cette période naturaliste ; mais tel paysage d’alors atteste le goût persistant de Vera Rockline pour la libre interprétation de la nature. » (Raymond Escholier, « Vera Rockline », La Dépêche, 20 novembre 1934, p.8)
« (…)
très vite elle se libéra d’une contrainte sans doute pesante et son art évolua
vers un réalisme puissant qui trouve son point culminant avec ses Victuailles
(1925) tableau qui est actuellement conservé au Musée du Jeu de Paume. Et
soudain l’artiste, continuant son évolution, sembla vouloir laisser s’épanouir sa
sensibilité trop longtemps contenue. Et se mirent à naître sous son pinceau de
délicates têtes de jeunes filles, des nus charmants, ambrés tout d’abord, puis
de plus en plus nacrés. Et Vera Rockline prit place tout d’un coup
parmi nos meilleurs peintres de nus et figures. En même temps, la pâte de ses
tableaux devenait onctueuse ajoutant par la qualité de sa matière, je ne sais
quelle mollesse précieuse qui enrichissait l’harmonie générale de ses œuvres.
Harmonies un peu grises, parfois, laissant
transparaître la nostalgie de vivre qui hantait l’artiste à certaines heures et
interposait comme un fin réseau de voile entre son pinceau et sa joie de
peindre. Harmonies plus chaudes, plus dorées, plus vibrantes contenant, à
d’autres heures, comme un peu du soleil
d’amour qui lui chauffait le cœur. En possession d’un beau métier et d’un
dessin sûr qu’elle utilisait mais qui ne l’asservissaient pas, Vera Rockline
pouvait prétendre, à l’heure où la vie lui apparut soudain trop lourde à
porter, à prendre une des premières places parmi les artistes d’aujourd’hui. Sa
Femme assise, son Torse au médaillon, et sa Femme à la
toilette suffiront, avec quelques souples et lumineux Paysages de
Paris et de Provence à la lui conserver pour toujours. » (Georges Turpin,
« Exposition rétrospective Vera Rockline », La Griffe, 25
novembre 1934, p.13)
En février 1937, elle est encore présente au Jeu de Paume qui
présente ses dernières acquisitions. Dans
la partie rétrospective, elle côtoie Maria Blanchard, Jacqueline Marval, Jane
Poupelet et Béatrice How. « Vera Rockline est digne de la place qui lui a
été assignée à côté d'elles. » souligne The New York Herald tribune,
le 13 février 1937 (p.2).
Et puis plus rien, jusqu’à une exposition collective en 2002, « Elles de Montparnasse », au Musée du Montparnasse à Paris, où elle apparaît aux côtés de Tamara de Lempicka, Marie Laurencin, Chana Orloff, Sonia Delaunay et Natalia Gontcharova.
Auprès
de toutes ces artistes, aujourd’hui reconnues, Vera est sans conteste la plus
oubliée. Quelques natures mortes pour rester encore un peu à ses côtés…
*
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