Marie-Reine
Onésime Lagut est née le 3 janvier 1893 à Sucy-en-Brie. Elle est la
fille d’Onésime Bertrand, sans profession, et d’Arsène François Désiré Lagut,
« facteur des postes ». (Archives départementales du Val-de-Marne,
registre d’actes de la commune de Sucy-en-Brie, 1893 – 1898, cote : 1MI
2578)
On aimerait sonder le cœur des Archives nationales pour en savoir davantage, mais il faut se contenter de ce qu’on trouve : on ne saura pas quand et pourquoi elle a choisi le prénom d’Irène, qu'elle jugeait probablement moins désuet que le sien, au début du XXe siècle…
Je
vais donc faire appel à Apollinaire pour en savoir davantage, en espérant que son imagination s’est
appuyée sur quelque réalité.
Nous sommes en février 1917 et, après avoir reçu un éclat d’obus sur la tempe droite, Apollinaire est réformé. De retour à Paris, il se remet au travail. Il vient de publier Le Poète assassiné, et écrit l’ébauche d’un roman, Les Clowns d’Elvire ou Les Caprices de Bellone, qui deviendra La Femme assise.
La compagne d’Apollinaire, Jacqueline Kolb, surnommée Ruby, est représentée dans La Femme assise sous le nom de Corail, la jolie rousse aux yeux noisette. Mais le personnage principal du roman s’appelle Elvire Goulot, et cette Elvire serait Irène, selon toute vraisemblance. Voyons ce qu’en dit le roman :
« Elvire Goulot est née à Maisons-Laffitte [ça commence mal !]. Elle a tiré de cette origine un goût déterminé pour les chevaux qu’elle peint d’une façon remarquable et pour l’équitation bien qu’elle n’ait plus désormais l’occasion de s’y livrer. Mais elle y songe souvent et surtout lorsqu’elle a des embêtements. Elle a vu de merveilleux chevaux dans les écuries fameuses de sa ville natale et cependant ceux dont elle se souvient avec le plus de plaisir, ce sont les trois chevaux blancs attelés à la troïka de son amant, le grand-duc André Pétrovitch » (…)
Son premier amant fut un médecin, homme marié, à la fois très gentil et très débauché. Il la prit alors qu’elle avait quinze ans. Il en avait trente-six. (…) Le premier pas étant fait, voilà Elvire livrée à l’éducation dépravée de ce Georges, le médecin. (…)
Pendant l’hiver de 1913, il l’emmena à Monte-Carlo où il la laissa seule, ayant dû revenir précipitamment à Paris. C’est au Casino que le vieux Replanoff, le premier avocat de Pétrograde, qui était alors Saint-Pétersbourg, la remarqua et lui conseilla de le suivre en Russie. » (…) aussitôt qu’Elvire fut à Pétrograde, il la vendit à une compagnie de débauchés dont il faisait partie et elle devint la maîtresse du grand-duc André Pétrovitch. Elle passa sept mois en Russie et, de ce séjour chez les Moscovites, elle me parla une fois de la façon suivante : "Le grand-duc, mon amant, avait vingt-six ans. Il était très beau. Je n’ai jamais vu d’homme aussi beau ni aussi brutal." (…) Elvire s’échappe un jour, le cœur un peu gros de quitter son bel appartement de la Pentelemongkasa. Mais elle n’en pouvait plus et elle avait beaucoup maigri. (…)
Georges la reçut comme fut accueilli l’enfant prodigue et, par l’entremise d’un de ses amis, la fit débuter dans un music-hall où elle prit l’habitude de porter monocle. Elle y rencontra une petite figurante, Mavise Baudarelle, dont les parents étaient marchands de vins, boulevard Montparnasse où elle prit pension (…) jusqu’au jour où un jeune peintre russe de bonne famille, Nicolas Varinoff, l’enleva à la famille Baudarelle. Nicolas Varinoff partageait son temps entre sa sœur, la princesse Teleschkine, et sa maîtresse Elvire, avec laquelle il s’installa dans un atelier de la rue Maison-Dieu. (…) Quand Nicolas était chez sa sœur, Elvire peignait avec une fantaisie délicate et non sans force, des bouquets éclatants où paraissaient des marguerites aux pétales noires et cette vie qu’animaient l’art, l’amour, la danse à Bullier et le cinéma, continua jusqu’au moment de la déclaration de guerre.
Au reste, l’année 1914 commença par une gaîté folle. Comme au temps de Gavarni, l’époque fut dominée par le Carnaval. La danse était à la mode, on dansait partout, partout avaient lieu des bals masqués. (…) Le type le plus caractéristique de cette époque de bals et de ballets russes, ce fut incontestablement Elvire que je revois à Bullier, avec ses cheveux lilas, ses fourrures blanches et son monocle. » (Apollinaire, La Femme assise, NRF, Paris, 1920, p.7 à17)
Qu’y
a-t-il de vrai dans tout cela ?
Irène n’est pas née à Maisons-Laffitte mais c’était une bonne idée pour introduire l’image des chevaux car, comme on le verra, les chevaux sont partout dans la peinture d’Irène, même dans le tableau placé devant elle sur la seule photographie où on la voit en train de peindre (ci-dessus). Il ressort de plusieurs analyses des textes d’Apollinaire que, comme Elvire, Irène est rentrée de Saint-Pétersbourg en 1913, après quoi elle a eu un atelier rue de la Maison-Dieu ; qu'elle a vécu à Montparnasse avec Serge Férat, un peintre russe dont le vrai nom était Sergueï Nikolaïevitch Jastrebzov (1878-1958), ce qui amusait Picasso qui l'appelait « G. Apostrophe ». Il est arrivé à Paris au début du siècle, avec sa cousine – qu’il présente parfois comme sa sœur – la baronne Hélène d’Œttingen, un personnage fantasque qui adopte divers pseudonymes : Françoise Angibout quand elle peint, Léonard Pieux pour la poésie et Roch Grey quand elle est romancière !
Un des premiers portraits connus d'Irène est celui de Serge Férat, qu'elle peint probablement avant la Première Guerre mondiale.
C’est
donc avant la guerre qu’Irène a rencontré Apollinaire dont Serge Férat est un
proche. Elle le peint une première fois, blessé et décoré de la Croix de
guerre.
En 1916, Irène fait la connaissance de Picasso, avec lequel elle a une liaison. C’est probablement à cette époque qu’elle exécute cette copie du rideau de scène peint par Picasso pour le spectacle Parade, en 1917.
Mais Irène refuse d’épouser Picasso (ce qui est paraît être un bon indice de sa capacité d’autoprotection acquise de l'expérience russe)
et le portrait qu’elle en fait montre la sûreté de son trait.
Puis,
Irène retourne vivre avec Férat.
Dès cette époque, Irène est donc intégrée dans le groupe des proches d’Apollinaire, ceux qu’évoque Hélène d’Œttingen dans une composition plus tardive.
Selon les ayants droit de l’artiste, cette
composition représente (dans les sens des aiguilles d’une montre) : Eva
Gouel, Apollinaire, Marie Laurencin, l’artiste, Irène Lagut, Serge Férat et au
centre, Picasso.
Début 1917, Apollinaire organise une exposition pour deux de ses amis. Il espère ainsi relancer sa publication Les Soirées de Paris, qui avait été interrompue par la guerre. Il rédige deux préfaces pour le catalogue, dont une pour Irène :
« Irène Lagut, dont nous eûmes l’occasion de goûter les premières tentatives artistiques durant les premiers mois de 1914, dans un atelier retiré de la rue Maison-Dieu, est une de ces singulières Satanes de l’Art qu’a fait jaillir la magnifique incertitude de notre âge. Elle a un des dons les plus rares en peinture : celui de la grande mesure. En elle, se mêlent de la plus bizarre façon le talent, le mépris, la sûreté d’elle-même et le manque d'intérêt pour les dons qui lui ont été départis, la ruse, la coquetterie, le snobisme, la grâce, le goût, la modestie, l’infernale discrétion, le désir de calme et le féerique esprit de révolte. » (Peintures de Léopold Survage, dessins et aquarelles d'Irène Lagut du 21 au 31 janvier 1917 / catalogue avec deux préfaces de Guillaume Apollinaire)
Et comme Guillaume fait tout avec panache, il illustre ses préfaces de calligrammes qui sont reproduits dans le catalogue…(cliquer sur l'image pour l'agrandir)
…
où l’on voit aussi un cheval, peut-être une référence aux chevaux d’Irène…
Je ne sais pas si ce tableau était montré dans ladite exposition mais je ne vais pas rater l’occasion de placer ici un superbe portrait de la baronne !
La
seule critique de l’exposition que j’ai trouvée est signée d’initiales mais
nous savons qui se cachait derrière : Louis Vauxcelles, rédacteur en chef
de la revue. Et il a la dent un peu dure : « Chez Mme Bongard, un
futuriste, d'une ingénuité désarmante, M. Léopold Survage, présenté en liberté
par Apollinaire, et des croquetons où s'avèrent les débuts de Mlle Irène
Lagut, laquelle dessine comme un enfantelet. » (L.V., « A travers
les expositions », Le Carnet des artistes, 15 février 1917, p.18)
L’exposition avait cependant été annoncée par un autre article : « Elles ont vingt ans, l'une s'appelle Marcelle, l'autre, Irène. Irène est artiste peintre et expose, pour la première fois, l'ensemble de ses œuvres. Marcelle est écrivain et philosophe et fait paraître, demain, un petit livre, chez un grand éditeur. Jolies, toutes deux. Irène est même belle. Profil de médaille, bouche fine, la taille la plus élégante, cette Jurassienne est Parisienne jusqu'au bout de ses doigts roses. (…) Irène Lagut m'a reçue dans son atelier. Elle choisissait, dans ses cartons, les dessins qu'elle allait exposer, 5, rue de Penthièvre.
-
Aimez-vous le cirque, me demanda-t-elle.
-
Oui, répondis-je, en riant.
-
Pourquoi riez-vous ?
-
Parce que votre question me rappelle une histoire que m'a contée l’autre jour
un de mes amis : il avait conduit au cirque Médrano une petite employée, sa
facile conquête, qu'il pensait ainsi distraire. Mais celle-ci s'ennuya et
laissa voir son ennui : Elle n'aimait pas le cirque, me dit-il, elle n'avait ni
intelligence, ni sensibilité ; plébéienne aux idées courtes et au sens
artistique plus écourté encore, je la quittai bientôt ; elle me préférait
d'ailleurs un bourgeois qui avait une auto.
Irène
Lagut rit : Elle n'aimait pas le cirque, c'est ce qui a tué leur amour !
Eh bien, moi, je l'aime. J'y vais tous les samedis, en compagnie de mon amie,
la jolie Jacqueline Ruby, et voici mes dessins :
Des
écuyères traversant des cerceaux, des clowns aux costumes multicolores, des
chevaux caparaçonnés et rênés court, des familles d'acrobates unis dans le
péril ; une écuyère de haute école en court habit à la française ; des prestidigitateurs,
des danseurs, c'est tout le cirque qui défile, vu par de jeunes yeux que les
formes et les couleurs enchantent. Ce n'est pas tout. Voici des fleurs, un oiseau
bleu dans une cage, le portrait d'une rousse aux yeux noirs qui évoque un Fragonard.
-
Vous avez bien du talent, Mademoiselle Irène.
-
J'aime mon art et, en peignant, j'oublie un peu la guerre.
Les
pinceaux baignent dans un pot de grès. Mlle Irène s'assied. Une boule blanche
bondit sur elle. C'est Bob, le bouledogue dont j'ai vu l'image aristocratique orner
la plupart des toiles, Bob modèle et compagnon. Bob, sur les jeunes genoux qui lui servent de couchette, s'endort dans une grimace,
lèvre retroussée, crocs menaçants, tandis que Mlle Irène parle d'une voix très
douce de ses aspirations et de sa peinture qu'elle chérit par-dessus
tout. » (Louise
Faure-Favier, « Deux demoiselles et leurs chiens », Paris Midi,
10 février 1917, p.3)
L'auteur de l'article, Louise Faure-Favier, aviatrice et femme de lettres, est une amie d’Apollinaire et la mère d’une jeune peintre encore débutante, Chériane (voir sa notice).
Puis arrive la première représentation de la pièce dite « drame surréaliste », ainsi décrite par Jean de Gourmont : « Le Dimanche 24 juin 1917, en un petit Théâtre de la rue de l'Orient à Montmartre on a joué devant la phalange sacrée des critiques et des femmes de lettres, qui constitue l'opinion parisienne, la première pièce cubiste : Les Mamelles de Tirésias de M. Guillaume Apollinaire. C'est une date littéraire peut-être. La nouveauté de cette pièce, au dessin violent, est moins dans le sujet qui ne veut être qu'une intéressante fantaisie que dans le décor synthétique qui l'enveloppe et dans la formule qui rejette tout le vieux réalisme usé et perfectionné jusqu'à la photographie, du théâtre actuel ; qui rejette aussi les vieux accessoires factices du pessimisme et de la fausse psychologie amoureuse. Nous voilà initiés à l'art cubiste. N'est-il pas beaucoup plus simple, en effet, de réunir sous cette même appellation, les essais nouveaux de l'art, de la poésie, de la peinture et du théâtre. Cela permettra aussi aux bourgeois de se moquer sans effort. » (Cité dans Sic : sons, idées, couleurs, formes, juillet-août 1917, p.2)
« MM. Férat, Steinberg et Irène Lagut ont donné leurs soins les plus ahurissants aux décors et costumes "selon l'esprit nouveau" ». (Sic : sons, idées, couleurs, formes, 1er juillet 1917, p.3)
Irène a donc participé à l’aventure mais on ne sait plus ce qu’elle y fit… peut-être a-t-elle assisté Férat dans la réalisation des costumes ou du décor mais rien n’est précisé dans le livret, illustré par Serge Férat.
On
connaît la suite : après une congestion pulmonaire qui faillit l’emporter,
Apollinaire épouse Jacqueline (Ruby) Kolb en mai 1918 et succombe à l’épidémie de
grippe infectieuse, dite espagnole, le 9 novembre 1918. Cinquante ans plus
tard, Irène se souvenait : « Il n'était pas beau, mais il avait l'air d'un
empereur romain. Il faisait les pires mufleries avec beaucoup d'élégance. » (Source : catalogue
de l’exposition Apollinaire, Paris, Bibliothèque nationale, 22 octobre-30
novembre 1969, p.113)
Elle l’a portraituré de multiples fois ; en illustration d’un texte publié par la baronne d’Œttingen :
…
et à l’huile, un portrait dont elle a fait plusieurs copies :
En
1919, Irène rencontre le jeune poète, Raymond Radiguet (1903-1923) qui
lui écrit des lettres enflammées :
Isolement à la beauté je me voue
Raison de plus pour ne plus penser qu’à
vous
En plein été fallait-il que je l’avoue
Ni plus ni moins le soleil ou le courroux
En deux pêches transformera vos deux joues.
(Lettre de Raymond
Radiguet à Irène Lagut, entre le 1er et le 16 juillet 1919)
Grâce à Serge Férat et sa baronne de cousine, Irène rencontre aussi tous les artistes de l’avant-garde et, avec eux, participe à sa seconde exposition : « Dessins, gouaches et aquarelles par Maria Blanchard, Georges Braque, Csaky, Juan Gris, Henri Hayden, A. Herbin, Irène Lagut, Henri Laurens, Fernand Léger, Jacques Lipchitz, Jean Metzinger, Pablo Picasso, Gino Severini, sont réunis chez Léonce Rosenberg, 19, rue de la Baume. » (« Devant la cimaise », Le Petit Journal, 8 novembre 1919, p.2)
On
ne sait pas ce qu’elle y montre mais cette aquarelle de l’époque peut en donner
une idée.
Elle
participe à son premier Salon des Indépendants en 1920, avec cinq natures mortes…
…
et un Arlequin. Elle en a tant peint qu’on ne sait trop lequel choisir…
« "C’est
encore à Picasso qu’on pense, et à Henri Rousseau, quand on visite Irène
Lagut et ses Arlequins. Arlequin acrobate. Arlequin embrasse son cheval.
Arlequin pose profil, son chapeau d’incroyable appuyé sur une cuisse comme un
sceptre. Arlequin en losanges de deux couleurs, Arlequin en losanges de mille
couleurs. La grande petite fille prolonge ses jeux d’école entre les funambules
de Picasso et la Noce du douanier". Ces lignes sur Morisot, Laurencin et Lagut
sont prises dans Carte Blanche (Editions de la Sirène), le nouveau livre
de Jean Cocteau. » (Le Bulletin de la vie
artistique, 1er septembre 1920, p.536)
Dans Carte Blanche, justement, Cocteau a divulgué un petit secret à propos d’Irène : « Le plus jeune de nos jeunes poètes, Raymond Radiguet, lui consacre un poème qu'il intitule : DICTÉE. On ne pouvait mieux faire. Les enfants songent, la bouche ouverte. Leur regard s'arrête sur une armoire. Un défaut du bois éveille en eux des magies. Ils ne le disent à personne. Ensuite, ils dessinent ce qu'ils ont vu. Mais le milieu familier dirige ces imaginations sans qu'ils s'en doutent. » (Jean Cocteau, « Les Mains de Femmes », Carte blanche n°14, paru dans Paris-midi le 30 juin 1919, p.3 et dans Le Siècle du 1er juillet 1919, p.3)
Irène participe à la deuxième exposition de la Section d’Or qui « présente avec goût des œuvres cubistes. Braque, dont l’ambition est de se dégager du sujet pour être plus entièrement peintre, Léger, qui veut "au contraire" exprimer la réalité moderne, dominent par leur personnalité, font des disciples. Gleizes, Marcoussis, Angiboult [autre pseudonyme de la baronne d’Œttingen] possèdent de réelles qualités ; Irène Lagut et Vassilieff, Goutcharowa et Larionoff ont de la fantaisie. » (Claude Roger-Marx, « La vie artistique », L’Humanité, 8 avril 1920, p.2)
La même année, Le Bulletin de la vie artistique signale qu’elle fait partie d’un « atelier d’art contemporain » à Bruxelles, qui organise des expositions collectives réunissant tous les grands noms du mouvement moderne (1er septembre 1920, p.541).
Début
1921, on retrouve Irène aux Indépendants, avec deux Figure et trois Cirque.
« Citons Irène Lagut, Lewitska, Marthe Laurent, Alice Bally, Valentine Prax, vierges folles. Les vierges sages sont trop sages pour qu'on en parle. » (Vixi, « L’expression aux Indépendants », Demain, 1er janvier 1921, p.10)
« Madame Vassilieff égare dans la salle cubiste deux scènes d'un burlesque très prenant. Moins inattendues s'offrent les scènes du cirque de Mademoiselle Irène Lagut. » (Francis Carco, « La leçon des Indépendants », La Revue de Paris, 1er mars 1921, p.656)
Puis
Irène illustre de trois dessins le recueil des Devoirs
de vacances de Radiguet.
Mais
la grande affaire de l’année s’est déroulée juste avant l’été. Le 18 juin 1921, au Théâtre des Champs-Elysées, a lieu la
première des Mariés de la Tour Eiffel, une farce de Jean Cocteau,
chorégraphiée par Jean Börlin, sur un air créé par le Groupe des Six (Georges
Auric, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc et Germaine Tailleferre,
qui n’étaient donc que cinq puisque Louis Durey déclina l’invitation), avec un décor signé par Irène.
La pièce, soutenue par Rolf de Maré, mécène et créateur des Ballets suédois, raconte l’histoire des noces d’un jeune couple sur l’une des plateformes de la Tour Eiffel. La fête vire au drame en raison de l’irruption de plusieurs protagonistes, dont une autruche. Les costumes de Jean Hugo illustrent « la poésie miraculeuse de la vie quotidienne », chère à Cocteau. Il n’y eut que six représentations, dans un climat houleux mais très joyeux.
Le Musée de la Danse de Stockholm a conservé de nombreuses traces de cet
évènement :
Et
aussi, la chouette bande de joyeux drilles ayant participé à l’opération :
on reconnaît Cocteau assis au premier rang, Valentine Hugo, Irène Lagut et
Germaine Tailleferre sont là aussi mais je n’ai pas trouvé où…
La critique - à l’exception de Radiguet - n’est pas très tendre avec la prestation d’Irène.
« Si le décor d'Irène Lagut n'est qu'un gracieux ouvrage de dame, les costumes de Jean Hugo étaient très drôles, parfaitement réussis. » (Jean Bernier, « Les Mariés de la Tour Eiffel », Comœdia illustré, 1er juillet 1921, p.498)
« La Tour Eiffel ne pourra être que reconnaissante à Irène Lagut d’avoir fait de sa laideur une grâce. Les découpures de l’acier deviennent la plus ravissante dentelle, ouvrage de dames aussi délicat que la feuille de papier à compliments de nos enfances, sur laquelle nous voudrions pouvoir exprimer notre reconnaissance à Jean Cocteau et ses collaborateurs, ainsi qu’à la compagnie des Suédois et M. Jean Borlin qui montèrent cette œuvre. » (Raymond Radiguet, « La mythologie nouvelle », La Gazette du bon ton, 1er juillet 1921, p.180)
« Grâce
à Jean Hugo, dont le sens du monstrueux "réel" nous émerveille, et
à Irène Lagut, dont la Tour est ce qu'elle devrait être en réalité :
la cage de ces oiseaux bleus que sont les dépêches, Les Mariés de la Tour
Eiffel ne perdent pas un instant cette allure de carte postale en couleurs,
véritable "souvenir de Paris" que MM. Rolf de Mare et Jean Borlin promèneront
dans le monde entier. » (Raymond Radiguet, « Article de Paris », Le
Gaulois littéraire et politique, 25 juin 1921, p.4)
« J'ai vu un joli décor de Mlle Irène Lagut auquel je ne reprocherai que d'être un peu trop joli. » (J.C., L'Esprit nouveau n°7, 1921, p.1085)
« Le rideau se lève et laisse voir le premier étage de la Tour Eiffel, aux larges mailles métalliques, naïvement peinturlurées en bleu par Mlle Irène Lagut ; derrière, la Seine avec ses bateaux, et des maisons alignées en perspective "cubiste". Un amusement d'enfants pour grandes personnes. Nous voulons bien. » (Maurice Brillant, « Les œuvres et les hommes », Le Correspondant, janvier 1921, p.363)
Début 1922, ses propositions aux Indépendants ont un certain écho dans la presse :
« Irène Lagut expose une toile charmante bien qu'un peu fade. Le Cirque des Grâces, où des enfants adorables et pomponnés, groupés autour d'un poney et d'un chien, servent de prétexte à des rapprochements inattendus de roses et de mauves, de jaunes paille et de verts amande qui ne manquent pas d'être amusants. » (P. Landry, « Le théâtre au Salon des Indépendants », La Rampe, 11 février 1922, p.13)
« Puisque nous parlons des femmes artistes, nous reviendrons un moment à la peinture, pour dire (…) que les fantaisies de Mlles Irène Lagut et Hélène Perdriat, malgré leur maniérisme, sont agréables à regarder. » (J.-L. V., « La sculpture aux Indépendants », L’Echo de France, 16 février 1922, p.4)
Et
c’est Vogue qui lui offre son premier long article personnel, qui nous
apprend qu’elle expose aussi aux Etats Unis.
« Le tableau qui est reproduit en haut de cette page est d'une artiste : Irène Lagut. Son œuvre est plus décorative que picturale. Ce ne sont pas des tableaux de chevalet qu'elle fait et ce n'est pas tant l'expression du visage féminin qu'elle essaye de traduire qu'une sensation de grâce et de coloris apte à décorer un mur. Les deux têtes reproduites ici sont une jolie chose, délicate et fine qui rappelle certaines fresques du début de la Renaissance italienne, certaines peintures de Luini, ou peut-être les naïvetés de Benozzo Gozzoli. L'expression des yeux, aux sourcils hauts et fins comme un trait d'encre de Chine, la guirlande de fleurs qui souligne l'onde des cheveux pâles, le cou languide, l'attitude, évoquent l'âme de ces délicieux imagiers qu'étaient les artistes du somptueux XVe siècle.
Il s'en dégage une douceur et un charme un peu ambigu, comparables aux sensations que procurent certains lieder de Robert Schumann, ou pour rester dans des œuvres modernes, semblables aux imprécisions tonales du grand musicien français, Gabriel Fauré.
Irène Lagut a remporté d'ailleurs un grand succès aux États-Unis, lorsqu'elle
y ouvrit des expositions ; on constata que rarement Française avait réuni un
tel ensemble décoratif. Il va sans dire qu'Irène Lagut n'emporte pas à
Paris le même enthousiasme : nul n'est prophète dans son pays. Mais, cependant
tout le monde est, d'accord pour rendre justice à la valeur de cette jeune
femme, pour affirmer qu'elle continue le grand mouvement artistique du XIXe
siècle et qu’elle procède des Manet, des Cézanne, des Van Gogh dont elle a,
pendant longtemps, étudié le style et la manière. (« Quelques
portraitistes féminins d’aujourd’hui », Vogue, 15 février 1922, p.37 et 50)
Une
des œuvres d’Irène est également reproduite dans L’Amour de l’art, à
propos du même salon.
Elle
participe ensuite à l’exposition « Un groupe de Femmes peintres »,
avec Maria Blanchard, Odette Chauvet. Marguerite Crissay, Elisabeth Fuss-Amoré,
Odette des Garets, Alice Halicka, Marie Laurencin, Hélène Perdriat et Valentine
Prax, à la galerie La Licorne. (Le Populaire, 19 mars 1922, p.2)
Cette année-là, Berthe Weill lui donne aussi sa
chance, dans une exposition de groupe (19 juin au 8 juillet 1922) avec notamment Herbin, Metzinger et G. Severini. Ce
sera la seule fois.
« Les "Mariés de la Tour Eiffel" que monta Jacques Hébertot et que décora Irène Lagut, ont fait connaître cette excellente artiste au grand public. A la Galerie Weill elle expose actuellement plusieurs figures d'une grâce très tendre et d’un charme suranné pourtant plein de savoir-faire. » (Maurice Raynal, « Les Arts », L'Intransigeant, 3 juillet 1922, p.2)
Mais les avis restent contrastés :
« Mmes Chériane, Hélène Perdriat, Irène Lagut et Alice Bailly excellent à traduire une sorte de perversité moderniste ». (Yvanoë Rambosson, « Le mouvement des arts », La Revue politique et littéraire, 16 décembre 1922, p.66)
Le Salon des Indépendants de 1923 suscite les mêmes commentaires contradictoires. Alors que Charles Fegdal la classe dans les artistes femmes qui « apportent des qualités de compréhension toute virile, d’exécution volontaire » (L'Indépendance littéraire et artistique, 1er mars 1923, p.6), Roger Allard, dans La Revue universelle supplie une autre peintre de « fuir les traces de Mlles Perdriat et Irène Lagut » (1er mars 1923, p.689).
Irène
fait preuve de sa fidélité à la mémoire d’Apollinaire : « Une
exposition d'art est organisée dans une galerie de la rue La Boétie, qui a pour
but de récolter des fonds pour un monument à Guillaume Apollinaire. Ce poète
avait consacré une grande partie de son effort artistique à battre le tambour
pour l'art moderne, il est donc approprié que les peintres modernes honorent
ainsi sa mémoire. Parmi les exposants, on retrouve Matisse, Vlaminck, Dufy,
Irène Lagut, Derain, Laboureur, Friesz et Alice Halicka. » (Artur Moss, « Over
the River », The Paris Times, 19 juin 1924, p.7)
En 1925, Irène bénéficie d’une exposition personnelle à la galerie Percier. Les commentaires sont très positifs :
« C'est dans cette féminité accusée qu'il faut chercher la cause de la séduction qu'exercent les tableaux de certaines artistes. On la trouve chez Mlle Irène Lagut, en la grâce, sœur cadette de Marie Laurencin, plus soucieuse que cette dernière de détails véridiques, dont l'imagination est moins fulgurante, plus timide, mais qui, elle aussi, aime les amazones, les chevaux, et les biches aux yeux langoureux et les appelle. Ses tableaux, conçus sur une même gamme de couleurs doucement gaies, récréent l'œil et le reposent. Quand Mlle Irène Lagut se plaît aux jeux du cubisme décoratif, elle le fait avec une telle simplicité que le résultat semble naturel et non point calculé en son arrangement. Avec Mlle Lagut, on est aux antipodes de la peinture qui recherche l'attrait savoureux et sensuel de la couleur savamment modelée, comme chez Mme Suzanne Valadon, ou étendue en touches épaisses et onctueuses, comme chez Mlle Charmy. » (René-Jean, « Expositions féminines », Comœdia, 15 février 1925, p.4)
« Irène
Lagut apporte un message. II annonce le simple plaisir de la lumière, des feuilles
nouvelles, des gracieux animaux, des femmes. Jean Cocteau la fait sortir d'un
rêve d'enfant, elle paraît dans le filet de ses rêves, elle retient les plus
subtiles illusions, et la certitude de la poésie, dont la fin est de se voir
rêver soi-même et oser le dire, de se quitter pour se mieux trouver. La poésie
a l'avantage sur l'action de connaître le monde des fées et la vérité du
mystère. Dans ces écharpes de couleurs douces et nuancées, j'ai vu ces signes,
comme les enfants lisent dans la forme des nuages le destin de leur
journée. Irène Lagut peint, et les fées sont en liberté, c'est leur
heure. Au mur, une petite toile sera un centre de clarté. Les frondaisons, les
jeunes filles et les fontaines ne seront qu'un motif à rêverie. Irène
Lagut, un peintre pour Ronsard. (Fels, « Les expositions », Les
Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 7 février 1925, p.4)
« Une
ingénuité apparente avec des dessous pervers ; de l'élégance et de la sveltesse,
et aussi de la naïveté voulue dans le dessin des couleurs tendres ; des "sujets" plus cérébraux que picturaux, voilà qui fait toute la saveur des œuvres d'Irène
Lagut. Elles nous attirent comme l'âme mystérieuse des jeunes filles : si
on n'y trouve parfois que le vide, on y découvre parfois des richesses, et
toujours leur jeunesse nous enchante. » (Charles Fegdal, « Galerie Percier,
exposition Irène Lagut », La Revue des beaux-arts,
1er mars 1925, p.5)
Mais
parfois, tout de même, on s’interroge :
« Le délice de cette peinture est fait de friandises à la fois aigrelettes et sucrées, d'une saveur inexprimable. Irène Lagut a peint, notamment, un nu ravissant, inspiré de la Nymphe surprise de Manet. » (L’Imagier, L’Œuvre, 14 février 1925, p.6)
Même si ce buste n’est
pas le Nu dont on parle, on est quand même assez loin de Manet…
L’art vivant
n’est pas en reste et Cocteau arrive en renfort :
« Pourquoi
ne pas m’avoir demandé ces lignes à l’époque heureuse ? (Disons l’époque rose).
Tes
pigeons voyageurs portaient leurs lettres au colombier d’Apollinaire, Faubourg
Saint-Germain ; Radiguet cachait ton nom dans ses poèmes ; je l’écrivais en or
sur les guipures de la Tour Eiffel.
Hélas
! nous prîmes pour des bergeries la mer qui moutonne avant la tempête. Après la
tempête que reste-t-il ? Un arc-en-ciel : ces toiles mates, mais si fraîches
qu'on les croit peintes avec un pinceau d’aquarelle gros et pointu comme le rouge-gorge.
Mais
sans doute ai-je tort, et suis-je maintenant mieux apte à comprendre ton charme
; car quelque chose de hagard dénonce l’origine de tes images. Elles sortent du
rêve. J'ai dit : le rêve et la mer se ressemblent. Les phrases que l’on retient
de l’un et les plantes qu’on retire de l’autre perdent instantanément leur
beauté.
Toi
seule sembles savoir t’y prendre pour rapporter intactes au plein jour les
figures un peu folles du sommeil.
Ajouterais-je
combien tu es consciencieuse et qu’il y a dans ta grâce quelque chose d'une
écolière penchée tirant la langue. Sans une seconde de distraction Orphée
serait peut-être remonté à la surface des ténèbres, suivi d'une Eurydice toute nue,
assise sur un cheval blanc. » (Jean Cocteau, « A propos d’une exposition des
œuvres récentes d’Irène Lagut », L’Art vivant,
n°3, février 1925, p.6)
« Pour
un succès, c’est un succès… Mlle Irène Lagut avait exposé, voici
une quinzaine de jours, vingt-trois toiles à la Galerie Percier, rue de La Boétie
; elle en a vendu dix-sept… Encore ne lui resta-t-il que de petites choses auxquelles elle-même n’attachait qu’une mince importance. Qui osera dire, après
cela, qu’une femme peintre ne peut pas vivre de son travail ? Si ce résultat a
donné quelque joie à la jeune et charmante artiste, il ne l’a point, à vrai
dire, exagérément surprise ; elle est accoutumée de voir les amateurs acheter à
bon prix ses œuvres.
Mais
connaissez-vous Mlle Irène Lagut ? Oh ! ne la cherchez pas au Salon des
Artistes français ou de la Nationale, ni même chez les Femmes Peintres. Cette
jeune artiste est d’une école trop avancée - son principal maître fut Picasso -
pour exposer en des Salons aussi classiques. Sa dernière exposition date de
deux ans ; elle eut lieu chez Rosenberg. Mais, sans doute, vous souvenez-vous mieux
des curieux décors des Mariés de la Tour Eiffel, ce ballet suédois qui fut
donné, l’an dernier, au théâtre des Champs-Élysées. Ces décors, dont parla tout
Paris, étaient l’œuvre de Mlle Irène Lagut ; elle les traita en collaboration
avec Jean Cocteau et Jean Hugo. (…) » (Suzanne Balitrand, « Après
l’exposition Irène Lagut », Eve, 15 mars 1925, p.3)
Au
cours de l’année 1925, les expositions se succèdent. Celle de Bruxelles est
accompagnée d’un texte de l’ami Paul Morand :
« Dès 1914, surtout après 1919, Irène Lagut s’en remettait, sous des dehors naïfs, à nos obscures puissances, au soin de guider son pinceau. Jamais l’expression "le cœur sur la main" n’a valu comme pour elle. Il y a, c’est entendu, les pommes de Chardin, mais l’univers moderne n’est pas un fruitier. Et il faudrait dire aujourd’hui de peindre ce qu’une jeune femme "révélée" - pour rire d’un horrible barbarisme - disait un jour de l’amour : "quoi, n’est-ce pas seulement comme boire et manger ?" Peindre, ce n’est plus seulement copier, même au sens pur, réaliste, primitif ; c’est donner, simplement, de l’essentiel.
Servie par une
technique chaque année plus claire, plus serrée, plus forte de matière en même
temps que moins matérielle, Irène Lagut atteint en ce moment le meilleur de son
talent. Les jeux des amies, la perversité des vaches, le vice latent des
fromages à la crème, le symbolisme freudien des sucres d’orge ou des bâtons de
cerceaux qui nous enchantèrent au cours des années 1919-1924 a fait place, il y
a un an, à une excellence qu’il me paraît impossible de contester. Moi qui
connais et qui admire Irène depuis longtemps, je sais que cette amélioration,
et pour certaines toiles cette transfiguration de son talent, correspond à une
libération intérieure, à une sorte de conversation secrète et modeste dont elle
recueille aujourd’hui des fruits d’autant plus beaux qu’avec un cœur simple,
elle ne les attendait pas. Le public ne s’y est pas trompé qui a fait, il y a
deux mois à son exposition de la rue de la Boétie, le succès qu’elle méritait.
Je sais trop l’intelligence "actuelle" de mes amis Belges, leur goût de la
grâce humaine et divine, le mysticisme réaliste qui sommeille aux cœurs de la
Flandre pour douter un instant de l’accueil que rencontreront à Bruxelles les
œuvres d’Irène Lagut. » (Paul
Morand, « Les expositions, Irène Lagut, galerie Manteau à
Bruxelles », Le Crapouillot, 1er novembre 1925, p.10)
Après celle de « L’Effort Moderne », la galerie de Léonce Rosenberg, elle participe à une autre exposition en décembre : « Un grand paysage sévère et mouvementé de Mme Chériane, des coquetteries de Marie Laurencin, de Mme Perdriat, de Mme Irène Lagut, éprises de tons veloutés. » (Gustave Kahn, « Exposition d’un groupe de femmes peintres françaises, Galerie Hodebert », Le Quotidien, 7 décembre 1925, p.5)
Au
milieu de ce maelström, elle trouve le temps d’exécuter ce portrait délicat de
son amoureux presque adolescent, mort quelques mois plus tôt.
A la galerie Barbazanges, où elle expose en janvier suivant, les Cahiers d'art la trouvent « tendre et botticellienne » (1er janvier 1926, p.18), puis elle expose à nouveau à Bruxelles, avec un « Groupe de femmes ».
En
1927, elle participe une dernière fois au Salon des Indépendants, avec un Nu
et des Fleurs.
En
décembre 1927, de nombreux journaux (Le Matin, La Presse,
Le Temps) font état de l’information suivante : « Nous
apprenons le mariage du docteur F.M. Cadenat, professeur agrégé, chirurgien de
l'hôpital Saint-Louis, avec Mlle Irène Lagut. La cérémonie a eu lieu dans la
plus stricte intimité. »
Surprise : dans l’acte de naissance mentionné au début de cette notice, figure la mention : « mariée à Saint-Maur-des-Fossés, le 7 septembre 1939 avec Firmin Marc Cadenat ». C’est bien le même monsieur Cadenat mais le mariage a eu lieu douze ans plus tard… et sera « dissous par divorce le 21 juin 1961 ».
En 1928, nouvelle exposition chez Percier, nouveaux succès, toujours un peu troublants par leurs sous-entendus :
« Irène Lagut, qui expose en ce moment à la Galerie Percier, 58, rue La Boétie, est le peintre des adolescentes aux candeurs inquiétantes. Que ce soit têtes accotées et singulièrement langoureuses, "Clarisse et Aurore", la brune aux longues nattes et la blonde aux mèches folles, ou ces anges aux longs, yeux rêveurs tout près sans doute de glisser dans un enfer rose, ou ces nus dans lesquels la naïveté révèle des charmes tentateurs…, ces toiles sont trompeuses comme femmes elles-mêmes… Irène Lagut peint des apparences… et parfois qui sembleraient très près de keepsakes [un album de poésie illustré de gravures de l'époque romantique]. Le miracle est que derrière ces apparences, transparentes - et la technique même du peintre s’y prête, - stagnent des âmes troublées, étranges, désirables, inquiétantes, des féminités en instance de voluptueux assauts. (…) J’aime moins ses paysages et surtout ses animaux d’une maladresse et d’une naïveté trop voulues. La personnalité d’une telle artiste est rien moins que négligeable. Elle attire et elle retient, elle aguiche, énerve et prend… Féminité ! » (A. du Bief, « Irène Lagut », Le Journal du peuple : politique, littéraire, artistique et social, 28 février 1928, p.3)
« Irène Lagut, à la galerie Percier, flatte gracieusement l'œil avec ses tableaux et dessins d'une tendre facture féminine. » (Le Petit Parisien, 16 février 1928, p.2)
Du 3 au 20 mai 1929, elle participe à la 5° exposition du « Groupe de femmes
peintres françaises » où sont présentées des œuvres de Berthe Morisot,
Mary Cassatt, Marie Alix, Chériane, Marguerite Crissay, Hermine David, Suzanne
Duchamp, Geneviève Gallibert, Marie Laurencin, Ghy-JLemm, Valentine Prax,
Rij Rousseau, Maria Blanchard, Caradek, Lily Converse, Zina Gauthier, Louise
Hervieu, Suzanne Phocas, Mariette Mills) de la galerie Hodebert mais elle ne participe pas à l’exposition des FAM. (L’Europe
nouvelle du 11 mai 1929, p.605)
Elle
réapparaît dans un article en 1933 :
« (…) trop
souvent l’ingénuité et la naïveté ne sont qu’un "truc" prémédité, une malice
étudiée, un tour de passe-passe destinés à masquer une faiblesse tandis que la
dureté, voire même la brutalité ne sont que des réactions, des revanches
ignorées, de cette même faiblesse. (…) Irène Lagut, pure, cérébrale, et qui
dans sa distinction un peu froide a des
accents de douce fraîcheur. (Louis
Chéronnet, « La peinture féminine », L’Amour de l'Art, 1933,
p. 203-206)
En 1937, elle
participe à une exposition collective, organisée sous le patronage du journal L’Intransigeant :
« Un joli titre,
prometteur, pour l'exposition organisée par un groupe de peintres aux "Archives
internationales de la Danse". Avouons qu'il a médiocrement inspiré les
artistes. Il est curieux de constater d'ailleurs qu'il en est presque toujours
ainsi des motifs empruntés aux spectacles par les contemporains. A vrai dire,
Henri Matisse, André Lhote, Chagall, Irène Lagut, Valentine Prax n'ont
guère envoyé que des cartes de visite et le beau portait de Van Dongen ne se
rattache que d'assez loin au thème choisi, bien qu'il ait pour modèle une danseuse. »
(René Chavance,
« Ballerines, coryphées, funambules », La
Liberté, 1er août 1937, p.4)
Dans les années 1940 et 50, son nom s’insère parfois dans un article décliné au passé : « Marie Laurencin et Irène Lagut, qui soutinrent les droits de la poésie d’un pinceau un peu mince, mais d’un tempérament novateur. » (M.L. Sondaz, « La peinture féminine », L’Ordre, 5 février 1946, p.2)
Et, une fois, dans une exposition : « de peinture d'inspiration méditerranéenne et arts appliqués : 17 février-19 mars, Kursaal de Menton / Ville de Menton… » où elle a présenté un Paysage marin.
Elle a
visiblement continué à dessiner jusqu’à un âge avancé.
Irène
Lagut est morte le 4 août 1994 à la Maison russe de Menton, dans sa cent-deuxième année.
Personnalité probablement très attachante, elle a visiblement fasciné nombre d’hommes qu’elle a rencontrés, Guillaume Apollinaire, Picasso, Raymond Radiguet, Paul Morand. Manifestement douée, notamment pour le portrait, elle s’est cependant cantonnée à des thèmes considérés comme éminemment « féminins ».
Vous avez dû le sentir, je suis peu sensible à son expression artistique. Mais elle n’a presqu'aucune œuvre dans les collections publiques et je n’ai jamais rien vu de sa main. Ceci explique certainement cela…
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