dimanche 19 janvier 2025

Diana di Rosa (1602-1643)

 

Diana di Rosa (1602-1643)
Sainte Agathe – vers 1630
Huile sur toile, 61 x 52,5 cm
Collection particulière (vente 2020)


Diana di Rosa est probablement née à Naples en 1602. On sait qu’elle était la fille d’un peintre, Tommaso di Rosa et que sa mère s’appelait Caterina di Mauro. Elle avait un jeune frère, Franscesco, dit Pacecco, né en 1606.

On dispose de peu d’informations fiables concernant celle qu’on a longtemps appelée Annella di Massimo, sur la foi d’un chapitre du tome 3 du Vite dei Pittori, Scultori, ed Architetti Napolitani (Google Book, p.259), intitulé « Vita di Anna di Rosa, dette Annella di Massimo pittrice », de Bernardo De Dominici (1683-1759), un historien d’art spécialiste du baroque napolitain qui ne manquait pas d’imagination.

Je ne développe pas, sauf pour préciser que ce prénom d’Annella vient probablement du surnom « Daniella », mal compris par le biographe.

L’année de la naissance de Diana, son père, Tommaso, avait accueilli dans son atelier un certain Gaspare Del Popolo, lequel épouse en 1610 la sœur de Caterina, Isabella di Mauro. La même année, Tommaso meurt ; Caterina se remarie deux ans plus tard avec Filippo Vitale (1585-1650), peintre caravagiste napolitain. J’ai trouvé ces informations dans une étude précise et documentée.  (Giuseppe Porzio, « Ordine teatino e contesto artistico napoletano nel Seicento : Gaspare Del Popolo e una nota su Diana Di Rosa », Chierici regolari teatini le colonne del decumano, p.595-622)

Diana avait dix ans lors du remariage de sa mère, il n’est donc pas incongru de penser que c’est avec Filippo Vitale qu’elle a accompli sa première formation, tout comme son frère Pacecco, un peu plus tard.

 

Filippo Vitale (1585-1650)
Saint Pierre délivré de prison par un ange – vers 1620
Huile sur toile, 129 x 154 cm
Musée d’Arts de Nantes


Mais elle connaissait aussi, depuis son enfance, le peintre Gaspare Del Popolo, mari de sa tante. Et celui-ci l’embauche, par contrat, pour travailler dans son atelier, en novembre 1621.

En janvier de la même année, Del Popolo a également recruté un jeune homme, âgé de quatorze ans, Agostino Beltrano, lequel avait commencé sa formation chez Filippo Vitale. Autrement dit, Agostino et Diana se connaissaient probablement depuis longtemps.

Pendant ce temps, le frère de Diana, Pacecco, quitte lui aussi l’atelier de Vitale pour celui de Massimo Stanzione.

 

 Massimo Stanzione (1585-1656)
Judith avec la tête d’Holopherne – vers 1640
Huile sur toile, 199,4 x 146,1 cm
Metropolitan Museum of Art, New York

On comprend que Bernardo De Dominici, le « Vasari napolitain » né trente ans après la mort de Diana, se soit un peu emmêlé les idées entre tous ces oncles, frères, beaux-frères et professeurs…

Mais revenons à Diana. En 1626, elle se marie avec son jeune confrère, Agostino Beltrano. Le maître Del Popolo contribue pour deux cents ducats à la dot de Diana, ce qui laisse supposer qu’il était satisfait de la contribution de sa nièce à la bonne marche de son atelier.

Le nom de Gaspare Del Popolo n’apparaît nulle part sur le Net. La seule œuvre que je lui connais est reproduite dans l’étude citée plus haut mais je n’en ai trouvé aucune autre trace :

 

Gaspare Del Popolo (né vers 1589)
Vierge à l'Enfant couronnée d'anges, saint Jean-Baptiste 
et deux donateurs de la famille Moles – 1618
Huile sur toile
Eglise San Giovanni Battista, Turi
Publié in Giuseppe Porzio, op.cit., p.609


Seconde indication de la bienveillance de Gaspare à l’égard de Diana, il l’inscrit dans son testament pour le versement d’une rente.

Il est probable qu’ensuite, Diana ait exercé son art dans le même atelier que son mari, Agostino. Lui non plus n’est guère connu, même s’il bénéficie de quelques lignes dans Wikipédia. Il participe à de grands programmes dans les églises de Naples, comme Santa Maria della Sanità, où l’on trouve aussi son beau-frère, Pacecco, et un groupe de peintres choisis pour leur proximité stylistique avec Massimo Stanzione.


Agostino Beltrano (1607-1656) 
Saint Blaise avec saint Antoine et saint Raymond - sans date
Huile sur toile
Eglise Santa Maria della Sanità, Naples


Je n’ai pas trouvé l’œuvre, intitulée Saint Thomas d'Aquin recevant la ceinture de chasteté, que Pacceco a peint pour cette église. J’en place ici une autre, conservée au musée historique de Vienne, avec une belle série d'œuvres de ce peintre.

 

Francesco di Rosa, dit Pacecco di Rosa (1606-1656)
Saint Sébastien – avant 1640
Huile sur toile, 206 x 101 cm
Gemäldegalerie, Kunsthistorisches Museum, Vienne


Diana participe aussi à des programmes de peintures religieuses : la Contre-Réforme bat son plein. Deux œuvres lui sont traditionnellement attribuées, elles se trouvent aujourd’hui sur les côtés de l’autel de l'église de la Pietà dei Turchini à Naples.


Diana di Rosa (1602-1643)
La Naissance de la Vierge – sans date
Huile sur toile
Église de la Pietà dei Turchini, Naples

Diana di Rosa (1602-1643)
La Mort de la Vierge – sans date
Huile sur toile
Église de la Pietà dei Turchini, Naples


Le musée diocésain de Naples conserve aussi deux autres œuvres de Diana dans le même registre religieux. Comme beaucoup de musées italiens, ce musée ne montre pas ses collections en ligne, ce qui me conduit à utiliser une reproduction assez peu valorisante de ce Mariage de la Vierge

 

Diana di Rosa (1602-1643)
La Mariage de la Vierge – sans date
Huile sur toile
Musée diocésain San Giovanni Maggiore, Naples


… et de la Sainte Famille, reproduite dans l’étude précitée …

 

Diana di Rosa (1602-1643)
La Sainte Famille dans l'atelier de charpentier – sans date
Huile sur toile
Musée diocésain San Giovanni Maggiore, Naples
Publié in Giuseppe Porzio, op.cit., p.619

Wikipédia montre un petit détail de l'œuvre qui confirme que Jésus n’apprécie que très moyennement d’être assigné au balayage !

 

La Sainte Famille (détail)
Source : Wikipédia

Et puisque nous sommes sur le thème de la Sainte Famille, j’ajoute ici un autre tableau conservé en collection particulière, dont je n’ai trouvé aucune autre représentation. On ne dispose pas des mesures mais la composition suggère qu’il s’agit plutôt d’une petite toile de dévotion privée.

 

Diana di Rosa (1602-1643)
La Sainte Famille - sans date
Huile sur toile
Collection particulière
Publié in Giuseppe Porzio, op.cit., p.617


Dans la catégorie des tableaux de dévotion, l’étude énumère plusieurs autres toiles. L’une d’entre elles a été acquise récemment par un musée américain, une composition séduisante où l’on retrouve la délicate palette jaune et grise de la Sainte Agathe que j’ai placée en exergue, le même dessin des mains, les joues légèrement rosées, la fine écharpe torsadée autour du décolleté.

 

Diana di Rosa (1602-1643)
Sainte Cécile avec un ange – vers 1630/1640
Huile sur toile – 97,5 x 76,5 cm
Museum of Fine Arts, Boston

Il existerait deux autres toiles de « petite sainte » :

 

Diana di Rosa (1602-1643)
Sainte Barbara – sans date
Collection particulière
Publié in Giuseppe Porzio, op.cit., p.614


Diana di Rosa (1602-1643)
Sainte Ursule – sans date
Collection particulière
Publié in Giuseppe Porzio, op.cit., p.613


Et des compositions plus complexes…


Diana di Rosa (1602-1643)
Sainte Agathe en prison miraculeusement guérie par saint Pierre - sans date
Huile sur toile, 77,5 x 99 cm
Collection particulière
Publié in Giuseppe Porzio, op.cit., p.616


Diana di Rosa (1602-1643) 
Eliezer et Rebecca au puits - sans date
Collection particulière
Publié in Giuseppe Porzio, op.cit., p.610

 

… dont cette Annonciation que j’ai bien trouvée dans le catalogue (en noir & blanc !) du patrimoine cultuel italien mais attribuée à Pacecco di Rosa.


Diana di Rosa (1602-1643)
Annonciation – sans date
Huile sur toile
Eglise Santa Maria la Porta, Palo del Colle
Publié in Giuseppe Porzio, op.cit., p.615


Et trois œuvres qui ne sont pas citées dans l’article mais dont la composition et les visages féminins laissent penser qu’elles pourraient relever du corpus de Diana :

 

Diana di Rosa (1602-1643)
Sainte Cécile et des anges – sans date
Huile sur toile, 151 x 127 cm
Collection particulière (vente 2023)


Diana di Rosa (1602-1643)
Noli me tangere – sans date
Huile sur toile, 146 x 123 cm
Collection particulière (vente 2018)


Diana di Rosa (1602-1643)
Samson and Dalila – sans date
Huile sur toile, 101 x 155,5 cm
Collection particulière (vente 2021) 


Je termine avec les toiles d’inspiration historique ou mythologique. Giuseppe Porzio en signale une qui, lors de son passage sur le marché de l’art, a été attribuée à son frère, Pacecco di Rosa, ce qui confirme les difficultés d’attribution.

 

Diana di Rosa (1602-1643)
L’Enlèvement d’Europe - sans date
Huile sur toile, 128,5 x 185 cm
Collection particulière (vente 2017)
Publié in Giuseppe Porzio, op.cit., p.611


Et pour finir, trois grands tableaux d'histoire qui ne me convainquent pas vraiment. Ils auraient été peints à la fin de la carrière de Diana. Je les montre sous réserve mais, même sans y ajouter ces trois toiles, l’œuvre de Diana témoigne assez de son habileté et de son talent.

 

Lucrèce – sans date
Huile sur toile, 129 x 103 cm
Collection particulière (vente 2018)


La Mort de Didon – sans date
Huile sur toile, 128 x 103 cm
 Collection particulière (vente 2022)


Sophonisba à la coupe de poison – sans date
Huile sur toile, 129 x 103 cm
Collection particulière (vente 2022)


Enfin, pour en finir avec la légende racontée par Bernardo De Dominici : non, Diana n’a pas été tuée par son mari jaloux de la proximité de son épouse avec le peintre Massimo Stanzione, avec lequel rien ne prouve qu’elle ait jamais travaillé, sauf peut-être comme modèle car sa beauté est restée dans les annales. Toutes ses « petites saintes » paraissent avoir le même visage, c'était peut-être le sien. 

Ce qui est sûr, en revanche, c'est qu'on a retrouvé l'acte de décès de Diana, qui précise qu'elle est morte de maladie, à Naples, le 7 décembre 1643.

Quant à Massimo Stanzione, Pacecco di Rosa et Agostino Beltrano, tous trois sont morts en 1656, année funeste de la grande peste de Naples qui décima plus de la moitié de la population de la ville. 

 

 

*

 

 

N.B : Pour voir d’autres notices de ce blog, si elles n’apparaissent pas sur la droite, vous pouvez cliquer sur « Afficher la version Web » en bas de cette page.

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dimanche 12 janvier 2025

Claudine Bouzonnet Stella (1636-1697)

 

Anonyme XVIIIe
Portrait de Claudine Bouzonnet Stella tenant un pinceau et une palette 
Sanguine sur papier vergé crème, 22,4 x 22,5 cm
The Ashmolean Museum of Art and Archaelogy, Oxford University

La famille Stella, vaste affaire ! Il y a d’abord le grand-père, François Stella (1563-1605), peintre d’origine flamande et « auteur de toute la famille », comme on disait à l’époque. Son épouse, Claudine de Masso, lui donna cinq enfants, deux garçons et trois filles, tous nés à Lyon.

Le plus connu est l’aîné, Jacques Stella (1596-1657), peintre comme son père mais, orphelin à neuf ans, il n'a guère pu profiter de son enseignement.

La plus importante pour le sujet qui nous occupe est Madeleine, dont on ne connaît pas la date de naissance, qui épousa un maître orfèvre lyonnais, Etienne Bouzonnet. Le couple eut aussi cinq enfants, Claudine (1636-1697), Antoine (1637-1682), Françoise (1638-1692), Antoinette (1641-1676) et Sébastien (1644-1662).

Commençons par leur oncle Jacques, lequel part en Italie vers sa vingtième année. Il s'installe d’abord à Florence pendant trois ans et travaille surtout la gravure. Il arrive à Rome en 1623, où il rencontre Nicolas Poussin, son aîné de deux ans avec lequel il devient intime. Il acquiert une certaine renommée, notamment grâce à ses gravures, dont on peut se faire une idée avec ce petit chef d’œuvre (cliquer pour agrandir) :


Jacques Stella (1596-1657)
Saint Georges et le dragon - 1623
Eau-forte, 18,4 x 23,9 cm
Bibliothèque nationale de France, Paris


Rentré à Lyon vers 1635, il devient un peintre réputé.

 

Jacques Stella (1596-1657)
Sémiramis appelée aux armes - 1637
Huile sur ardoise, 36,1 x 53,5 cm
Musée des Beaux-Arts, Lyon

Jacques Stella part à Paris vers 1637 et, grâce à l’appui de Richelieu, obtient une pension royale et un atelier au Louvre. J'apprécie particulièrement sa Clélie passant le Tibre et pas seulement parce qu’il est question d’une jeune femme, gardée en otage, qui décide de s’enfuir en traversant un fleuve à cheval ! Je ne suis d'ailleurs pas la seule à avoir remarqué ce tableau puisqu'il a fait partie de la collection du régent, Philippe d’Orléans.


Jacques Stella (1596-1657)
Clélie passant le Tibre - vers 1640
Huile sur toile, 137 x 101 cm
Musée du Louvre, Paris

En 1647, après la mort de son jeune frère, François, également peintre et resté à Lyon, Jacques Stella fait venir à Paris sa mère et, probablement l’année suivante, les deux aînés de sa sœur Madeleine, Claudine et Antoine.

 

Jacques Stella (1596-1657)
Portraits de Jacques Stella et de sa mère, Claudine de Masso
Huile sur toile - 65 x 55 cm
Musée départemental Georges de La Tour, Vic-sur-Seille


Vers 1653, Claudine peint un ex-voto pour Notre-Dame de Fourvière, où elle se représente peignant la Vierge. C’est à partir de ce tableau, aujourd’hui disparu, que le célèbre « amateur » et historien de l’art, Pierre-Jean Mariette (1694-1794) a demandé à un peintre inconnu de relever l’autoportrait - celui que j’ai placé en exergue - et d’effectuer un croquis du tableau :

 

Anonyme XVIIIe
Claudine Bouzonnet Stella peignant une composition de la Vierge à l'Enfant 
Croquis d’après un ex-voto peint en 1653 pour Notre-Dame de Fourvière
Craie rouge sur papier crème, 14,9 x 22,4 cm
The Ashmolean Museum of Art and Archaeology, Oxford University

Pierre-Jean Mariette était un admirateur de Claudine. Je me suis en partie fondée sur ses écrits, son Abecedario édité avec d’autres notes par J.B. Dumoulin en 1851 (Source : Université d'Oxford,  Internet Archive).

En 1654, il semble que Stella ait accueilli au Louvre le reste des enfants Bouzonnet, sauf peut-être Sébastien qui n’est cité nulle part. Selon Mariette, au sein de l'atelier de Stella, les trois filles sont formées à la gravure, Françoise au burin, Antoinette à l’eau-forte et Claudine, qui enseigne à ses deux jeunes sœurs, maîtrise les deux techniques. Garçon et filles accolent le nom de leur oncle à leur patronyme. 

On dispose de peu d'informations sur les deux sœurs cadettes. 

On connaît encore quelques œuvres d’Antoinette, assez peu car elle est morte accidentellement à 25 ans :


Antoinette Bouzonnet Stella (1641-1676)
 d’après Antoine Bouzonnet Stella (1637-1682), d'après Giulio Romano (1499-1546)
Frontispice de l'ouvrage L'entrée de l'empereur Sigismond à Mantoue - 1655
Gravure, 16,3 x 39,8 cm
Fogg Art Museum, Harvard University, Cambridge, Massachusetts


Antoinette Bouzonnet Stella (1641-1676)
 d’après Antoine Bouzonnet Stella (1637-1682), d'après Giulio Romano (1499-1546)
Soldats avec femmes, enfants et équipement militaire - 1655
 Série de L'entrée de l'empereur Sigismond à Mantoue
Gravure 16,3 x 39,9 cm
Fogg Art Museum, Harvard University, Cambridge, Massachusetts


Antoinette Bouzonnet Stella (1641-1676), d’après Antoine Bouzonnet Stella (1637-1682)
Le berger Faustulus découvre Romulus et Remus – 1676
Gravure au point tillé, 37,4 x 48,4 cm
Nationalmuseum, Stockholm


Quant à Françoise, elle « peignoit et gravoit à son exemple, mais dans un moindre degré d'habileté » écrit Mariette. Elle a gravé les estampes du Livre des Vases, d’après Stella, dont on trouve quelques planches dans les collections mais rien de plus.

 

Françoise Bouzonnet-Stella (1638-1692) d’après Jacques Stella (1596-1657)
Gravure, 27,9 x 20,3 cm
Livre des Vases, édité en 1667 par Claudine Bouzonnet Stella
Victoria & Albert Museum, Londres


En revanche, les deux ainés, Claudine et Antoine, deviennent des artistes accomplis. Privilège masculin, Antoine effectue son voyage italien, continue sa formation auprès de Nicolas Poussin et copie un grand nombre de dessins, dont ceux de Giulio Romano. Comme on vient de le voir, c’est sa sœur Antoinette qui les traduira ensuite en gravure.

De retour à Paris en 1664, il est admis à l’Académie royale de peinture et de sculpture deux ans plus tard, avec le morceau de réception ci-dessous, …

 

Antoine Bouzonnet Stella (1637-1682)
Jeux Pythiens - 1666
Huile sur toile, 145 x 170 cm
Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, Paris

… et, poursuivant sa carrière en réalisant d’immenses compositions religieuses comme celle-ci (qui aurait bien besoin d’une petite restauration !), il devient professeur-adjoint à l’Académie royale.

 

Antoine Bouzonnet Stella (1637-1682)
La Mise au tombeau – 1673
Huile sur toile, 357 x 265 cm
Musée des Beaux-Arts, Anger

Antoine a lui aussi été graveur puisque : « Dans la collection Mariette figuraient "Les Œuvres de Jacques Stella, d'Antoine Bouzonnet Stella, son neveu, de Claudine et Antoinette Stella, ses nièces", composé de 460 pièces représentant différents sujets de Vierges, de bas-reliefs, de jeux d'enfants, pastorales, vases ; le tout contenu dans un grand volume in-folio, relié avec une longue table manuscrite et le catalogue des pièces de ces artistes. » (Charles Blanc, Le Trésor de la Curiosité, tome I, 1858, p. 302.) Cela ne doit pas simplifier les attributions !

 

Mais venons-en enfin à Claudine. Elle a une douzaine d’années lorsqu’elle s’installe chez son oncle et démontre rapidement ses qualités artistiques, puisque ses premières gravures d’après Stella datent de 1654.

C’est l’époque où elle commence à graver Les Jeux, une suite de 52 pièces, représentant des jeux d’enfants, chacun commenté de six vers. Mariette indique que quelques planches sont de la main de François de Poilly (1623-1693) et de Jean Couvay (1605-1663) mais ne précise pas lesquelles.

 

Claudine Bouzonnet Stella (1636-1697), d’après Jacques Stella (1596-1657)
Les Jeux et Plaisirs de l’Enfance - 1657
Planche 6 : Le Jeu des Espingles
Estampe de gravure sur cuivre, 11,6 x 14,2 cm
Collection particulière (vente 2023)


Claudine Bouzonnet Stella (1636-1697), d’après Jacques Stella (1596-1657)
Les Jeux et Plaisirs de l’Enfance - 1657
Planche 27 : La Paume
Estampe de gravure sur cuivre, 18,5 x 23,5 cm
Collection particulière (vente 2019)


Claudine Bouzonnet Stella (1636-1697), d’après Jacques Stella (1596-1657)
Les Jeux et Plaisirs de l’Enfance - 1657
Planche 45 : L'Arbaleste, trois jeunes garçons tirant avec des arcs et des flèches
Estampe de gravure sur cuivre, 12, 2 x 14,4 cm
The Ashmolean Museum of Art and Archaeology, Oxford University


Claudine est une des rares artistes française à avoir rédigé son testament de sa main et y avoir compilé la totalité des œuvres qui étaient en sa possession à l’époque. (« Testament et inventaire des biens, tableaux, dessins, planches de cuivre, bijoux, etc. de Claudine Bouzonnet Stella, rédigés et écrits par elle-même, 1693-1697, Document communiqué et annoté par M. J. J. Guiffrey », Nouvelles archives de l'art français : recueil de documents inédits publiés par la Société de l'histoire de l'art français, J. Baur et Charavay frères, Paris, 1877)

Grâce à cet inventaire, on sait par exemple qu’elle détenait encore en 1697(n°9, p.54) : un « petit livre de dix pouce de haut, couvert de parchemin où sont relié cinquante six feuille de papier bleu dans lesquelles sont cinquante deux petit dessein, de la main de mon oncle, représentant les Jeux d’enfans » (je respecte la graphie d’origine).

Ces charmants petits Putti ont probablement rencontré un certain succès auprès des faïenciers, puisqu’on en trouve encore quelques exemples, gambadant dans les meilleures collections !

 

D’après une gravure de de Claudine Bouzonnet Stella, d’après un dessin de Jacques Stella
Assiette creuse – vers 1765/1770
Porcelaine, D. 23,5 cm
Manufacture de Meissen 
Metropolitan Museum of Art, New York



D’après un modèle de Claudine Bouzonnet Stella
Plat octogonal – 1700/1760
Faïence, 40,5 x 29 cm
Musée du Louvre, Paris


Ensuite, Claudine commence la traduction des Pastorales de Stella. Elles seront éditées en 1667.

 

Claudine Bouzonnet Stella (1636-1697), d’après Jacques Stella (1596-1657)
Page de titre d'un ensemble de 17 gravures de scènes pastorales – 1667
Gravure et eau-forte sur papier vergé, 24,4 x 31 cm
The Ashmolean Museum of Art and Archaeology, Oxford University


En avril 1657, Jacques Stella meurt et, situation exceptionnelle, son atelier - logement du Louvre est attribué par décision royale, à « Anthoine Bouzonnet Stella son nepveu, et Claude Bouzonnet Stella sa niepce, frère et sœur, qu’il a rendus capables de mériter par leur intelligence et capacités digne rang parmi les plus vertueux. »

Antoine doit partir pour Rome, c’est donc Claudine qui assume la charge de l’atelier et trois mois plus tard, le 10 août 1657, le roi lui accorde le privilège de graver les œuvres de son oncle. La même année, elle publie une première série des Pastorales. Ces estampes ont dû rencontrer un grand succès car on en retrouve de nombreuses traces dans les musées comme sur le marché de l’art, sans doute parce que « il règne dans les sujets champêtres qu'elle a gravé d'après les desseins de son oncle, un caractère naïf et de simplicité que l'on ne trouve point ailleurs. » (Mariette, op.cit., p.254)

 

Claudine Bouzonnet-Stella (1636-1697) d’après Jacques Stella (1596-1657)
Les Pastorales : Le Jeu de Quille et de l’Escarpolette – 1667
Eau-forte et gravure, 24,5 × 30,8 cm
Metropolitan Museum of Art, New York

Claudine Bouzonnet-Stella (1636-1697) d’après Jacques Stella (1596-1657)
Les Pastorales : La Balançoire
Estampe, 24 x 30 cm
Collection particulière (vente 2022)


Claudine Bouzonnet-Stella (1636-1697) d’après Jacques Stella (1596-1657)
Les Pastorales : La Vendange
Eau-forte et burin sur papier vergé gris, 24,5 x 31,3 cm
Musée des Beaux-Arts, Orléans


Claudine Bouzonnet-Stella (1636-1697) d’après Jacques Stella (1596-1657)
Les Pastorales : La Culture des jardins et la greffe des arbres
Eau-forte et burin sur papier vergé gris, 24,6 x 31 cm
Musée des Beaux-Arts, Orléans

 

Claudine Bouzonnet-Stella (1636-1697) d’après Jacques Stella (1596-1657)
Les Pastorales : Les Fiançailles – 1667
Gravure et eau-forte sur papier vergé, 24,4 x 31 cm
The Ashmolean Museum of Art and Archaeology, Oxford University


Et une dernière que je vous conseille d'agrandir car elle permet de bien voir le travail de gravure.


Claudine Bouzonnet-Stella (1636-1697) d’après Jacques Stella (1596-1657)
Les Pastorales : La Veillée à la ferme pendant l’hiver – 1661/1667
Gravure au burin, 24 x 30,6 cm
Bibliothèque nationale de France, Paris


Mariette cite une autre série : « Vingt trois petites pièces de sainteté ; toutes inventées et gravées au burin en 1660 par Cl. B. Stella. Elles sont gravées en partie au burin et en partie à l'eau forte, j'y vois peu d'eau forte s'il y en a, et elles ont été faites pour le missel romain de Voisin ; elles sont très-difficiles à trouver belles épreuves et surtout avant d'avoir été imprimées dans le livre, Le missel romain traduit en françois avec l'explication de toutes les messes. A Paris, 1660. » (Mariette, op.cit., p.268)

Des dessins « inventés », donc. J’en ai retrouvé deux qui datent de l’année de ses vingt-deux ans et qui sont peut-être des dessins préparatoires de la série évoquée par Mariette.

 

Claudine Bouzonnet Stella (1636-1697)
Entrée du Christ à Jérusalem - 1658
Lavis gris, rehaut de blanc, aquarelle, 21,6 x 29,5 cm
Musée du Louvre, Paris



Claudine Bouzonnet Stella (1636-1697)
Noli Me Tangere  (Ne me touche pas) – 1658
Lavis brun, graphite et gouache blanche sur pierre noire sur papier vergé, 23 x 25,2 cm
Fogg Art Museum, Harvard University, Cambridge, Massachusetts

 

Mariette avait raison, ces « pièces de sainteté » sont rares : je n’ai trouvé qu’un seul exemple de ces gravures :

 

Claudine Bouzonnet Stella (1636-1697)
La Naissance de la Vierge – 1660
Gravure au burin, 11,7 x 7 cm
Série : Le missel romain
Bibliothèque municipale, Lyon


Claudine dessine aussi des scènes « d’actualité », si l’on peut dire. Ici, le dauphin est dans les bras de son père, Louis XIV pour une cérémonie qui a lieu le 6 novembre 1661, dans la confrérie du Rosaire à laquelle Claudine appartient.

 

Claudine Bouzonnet Stella (1636-1697)
Cérémonies observées à la réception du dauphin dans la confrérie du Rosaire – 1662
Encre noire, lavis gris et pierre noire, 58,8 x 43,4 cm
Musée du Louvre, Paris

La BNF conserve aussi une gravure d'interprétation du dessin de Claudine.

 

Pierre Landry (1630-1701), d'après Claudine Bouzonnet Stella (1636-1697)
Louis XIV et Marie Thérèse consacrent le Dauphin au Rosaire
Estampe, 60,9 x 44,1 cm
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France


Claudine peint, également, et probablement depuis son plus jeune âge. Mais si les anciens biographes évoquent le « nombre considérable de tableaux » qu’elle aurait réalisés (Octave Fidière, Les femmes artistes à l’Académie royale de peinture et de sculpture, Charavay frères, Paris, 1885, p.12), on n’en connaît plus que deux aujourd’hui. Ce sont évidemment des scènes religieuses.


Claudine Bouzonnet-Stella (1636-1697)
L’apparition du Christ à saint Martin – 1666
Huile sur toile, 81 x 64 cm 
Musée de l'Ermitage, Saint Pétersbourg

Ce tableau pourrait être celui qui figure dans la liste établie par Claudine dans son testament car les mesures correspondent : « 82 : De moy, un tableau de 2 pied et demi de haut sur 2 : un St Martin qui dors et un Christ luy aparoit entouré d’Anges ».

Le second tableau, en revanche, n’y figure pas.

 

Claudine Bouzonnet-Stella (1636-1697)
La Naissance de la Vierge - sd
Huile sur toile - 71 x 56 cm
Collection particulière

« Elle peignit ensuite avec des progrès qui firent concevoir de ses talents les plus grands succès ; mais l'inclination qu'elle eut pour la gravure lui fit préférer cet art, où elle excella. » écrit l’abbé Louis-Abel de Fontenay dans son Dictionnaire des artistes (1776) et il ajoute : « il est rare de voir une femme dédaigner les amusements de son sexe, et travailler à s'immortaliser dans un âge où l'on ne respire que les plaisirs et les jeux » (sans commentaire !)

Entre 1668 et 1687, Claudine crée six gravures « d'après les merveilleux tableaux du Poussin qui luy appartenoient, elle s'est particulièrement attachée à en conserver le caractère, et, ce qui ne se peut presque jamais dire des graveurs et en général des imitateurs, bien loin d'affoiblir les beautés de ses originaux, elle leur en a prêté de nouvelles, de façon que le Poussin, quelque grand, quelque majestueux, quelque correct qu'il soit, le paroit peut-être encore davantage dans les estampes de Claudia Stella que dans ses propres tableaux. » (Mariette, op.cit., p.254)

 

Elle en produit deux en 1668 (la première estampe est inversée, ce que je ne m'explique pas bien. Autant cela n'a pas d'importance quand on reproduit son propre dessin, autant c'est assez curieux s'agissant d'un tableau que l'on veut traduire fidèlement) :

 

Claudine Bouzonnet Stella (1636-1697), d’après Jacques Stella (1596-1657)
Ego Mater pulchrae dilectionis, Eccl. 24. (Je suis la mère d’un bel enfant) – 1668
Eau-forte et gravure, 43,5 × 53,6 cm
Metropolitan Museum of Art, New York



Nicolas Poussin (1594-1665)
La Sainte Famille avec les saints Anne, Elisabeth et Jean Baptiste - 1649
Huile sur toile, 79 x 106 cm
National Gallery Of Ireland, Dublin



Claudine Bouzonnet-Stella (1636-1697) d’après Nicolas Poussin (1594-1665)
Vere tu es Deus absconditus (Tu es vraiment le Dieu caché) - 1668
Eau-forte et gravure, 37,2 x 49,5 cm
Metropolitan Museum of Art, New York


Nicolas Poussin (1594-1665)
La Sainte Famille à l'escalier – 1648
Huile sur toile, 73,3 x 105,8 cm
The Cleveland Museum of Arts

 

Deux autres, en 1672 et 1674 :

Claudine Bouzonnet Stella (1636-1697), d’après Nicolas Poussin (1594-1665)
 Moïse exposé sur les eaux du Nil – 1672
Estampe, 55 x 75 cm
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France


« Se peut-il rien de plus beau que le paysage qui sert de fond au sujet ? » écrit Mariette dans son Abecedario (mais, à nouveau, l'estampe est inversée)

 

Nicolas Poussin (1594-1665)
L’Exposition de Moïse – 1654
Huile sur toile, 149,5 x 204,5 cm
The Ashmolean Museum, Oxford



Claudine Bouzonnet-Stella (1636-1697) d’après Nicolas Poussin (1594-1665)
Crucifixion – 1674
Gravure à l’eau-forte et au burin sur papier, 57 x 79 cm
National Gallery of Scotland, Edimbourg


Nicolas Poussin (1594-1665)
La Crucifixion – 1644/1646
Huile sur toile, 148,5 x 218,4 cm
Wadsworth Atheneum, Hartford, Connecticut


Et les deux dernières, en 1679 et 1687 :

 

Claudine Bouzonnet-Stella (1636-1697) d’après Nicolas Poussin (1594-1665)
Saint Pierre et saint Jean guérissent le boiteux - 1679
Eau-forte sur papier vergé, 51,8 x 69 cm
Collection particulière (vente 2022)


La reproduction n'est pas excellente, j'ai heureusement trouvé un détail plus lisible (image copiée dans Connaissance des arts de janvier 2016 à propos de l’exposition de la BNF, « Images du Grand Siècle, l’estampe française au temps de Louis XIV (1660 - 1715) » où cette estampe était exposée).

 

Saint Pierre et saint Jean guérissant le boiteux (détail) 


Nicolas Poussin (1594-1665)
Saint Pierre et saint Jean guérissent le boiteux – 1655
Huile sur toile, 125,7 x 165,1 cm
Metropolitan Museum of Art, New York


Claudine Bouzonnet Stella (1636-1697), d’après Nicolas Poussin (1594-1665)
Moïse faisant jaillir l'eau du rocher – 1687
Eau-forte, 52,5 x 77,9 cm
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France



Nicolas Poussin (1594-1665)
Le Frappement du rocher – 1649
Huile sur toile, 122,5 x 191,5 cm
Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg

La notice du musée de l’Ermitage indique que ce tableau a été peint par Poussin pour son ami, Jacques Stella. Il n’a pas été difficile de le vérifier, grâce au testament de Claudine. On y retrouve, effectivement, « Moyse qui frappe le rocher, un tableau de 6 pied de long et près de 4 de haut. » (p.42)

Dans les dernières années de sa vie, Claudine transcrit une série de tableaux de son oncle Stella, La Passion du Christ. 

« Une suite de dix sujets de la passion de Jésus-Christ, gravés au burin par Claudine Stella d'après les tableaux de son oncle ; ce sont les derniers ouvrages de cette illustre fille ; les planches en sont demeurées entre les mains de ses héritiers, qui ne les ont pas encore mis au jour, de sorte que le peu d'épreuves qui en sont répandues sont extrêmement rares à trouver. Il doit y en avoir douze. (…) Ces douze pièces sont des plus belles choses de M. Stella, et sa nièce luy a fait honneur en les gravant. Ces douze pièces, avec d'autres qui n'ont pas été encore gravées, devoient composer une suite de la passion, mais la mort de Mlle Stella l'a interrompue. » (Mariette, op.cit., p.263)

Impossible de retrouver les « tableaux de son oncle », sauf à penser que cette huile en faisait partie.

 

Jacques Stella (1596-1657)
L’Embaumement du Christ – vers 1655
Huile sur toile, 50,5 x 61,2 cm
Musée des Beaux-Arts, Montréal


En outre, j’ai trouvé des planches identiques, dites parfois « d’après Poussin » et parfois, « d’après Stella », comme celle-ci. Qu'importe, ce qui est sûr, c'est qu'elle a été gravée par Claudine !

 

Claudine Bouzonnet Stella (1636-1697), d’après ?
Le Christ devant Pilate
Gravure, 53 x 40,5 cm
Collection particulière (vente 2022)

Le Christ devant Pilate (détail)


Claudine Bouzonnet Stella est morte au Louvre, le 1er octobre 1697.

En 1885, Octave Fidière s’interrogeait : « Claudine Bouzonnet Stella semble avoir toujours mené une vie retirée. Est-ce cette circonstance, jointe à son excessive modestie, qui l'empêcha de se présenter à l'Académie, ou même lui fit refuser les avances que l'on put lui faire ? Rien ne peut nous fixer à cet égard. » (Les femmes artistes à l'Académie royale de peinture et de sculpture, Charavay frères, Paris, 1885, p.14)

Quoi qu’il en soit, Mariette, auquel on peut faire crédit d'un savoir distingué en ce domaine, l’avait placée « au rang des plus excellens graveurs » !


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