dimanche 29 décembre 2024

Henriette Lorimier (1775-1854)

 

Autoportrait - 1807
Huile sur toile, 92 x 72,9 cm
Musée Magnin, Dijon

Elisabeth-Henriette-Marthe Lorimier est née à Paris le 7 août 1775. Ses parents, Antoine-Jean Lorimier (1752-1842), probablement officier, et Marie Marguerite, née Gangnat, habitaient le Faubourg du Temple et appartenait à la bourgeoisie : le grand-père d’Antoine-Jean Lorimier était avocat et secrétaire du roi ; son père « maître de chambre aux Deniers », c’est-à-dire l’office chargé de payer les dépenses de la maison du roi.

Selon la généalogie établie par Neil Jeffares (Dictionnaire des pastellistes avant 1800), Henriette est aussi la nièce d’Etienne-François, dit « chevalier de Lorimier » (1759-1813), peintre de paysage et d’architecture, qui exposa au Salon de 1791 à 1812.

 

Etienne dit Chevalier de Lorimier (1759-1813)
Le Temple de la Sybille à Tivoli
Huile sur papier marouflée sur toile, 50,5 x 35,2 cm
Collection particulière

C’est probablement un peu avant le début de la Révolution qu’Henriette rejoint « l’atelier de jeunes filles » du peintre d'histoire Jean-Baptiste Regnault, comme Angélique Mongez, née la même année qu’elle. Une de leurs condisciples raconte que l’atelier réunissait « trente à quarante jeunes personnes de 14 à 25 ans (…) tous les jours, pendant sept à huit heures », sous le regard de Madame Regnault, née Sophie Meyer, peintre elle-même, « femme si bonne, si sensible, sous la protection de laquelle nous étions aussi exactement surveillées que dans le couvent le plus austère ». (Madame Clément-Hémery, Souvenirs de 1793 et 1794, Cambrai, Lesne-Daloin, 1832, p.4)

Albertine Clément-Hémery, ne parle pas d’Henriette – en tout cas pas de notre Henriette – puisque celle qu’elle décrit sous ce prénom était plus jeune et ne ressemble en rien à son autoportrait. Notre Henriette qui a 18 ans quand Albertine arrive à l’atelier, devait faire partie des « inspirées » pour lesquelles les plus jeunes n’étaient, « aux yeux de ces dames, que de petites étourdies, bien fraîches, bien gracieuses, qui fournissaient, au besoin, de charmans [sic] modèles. »

 

 

Jean-Baptiste Regnault (1754-1829)
L’Éducation d'Achille par le Centaure Chiron – 1782
« Morceau de réception » à l’Académie royale de peinture, en 1783
Huile sur toile, 261 x 215 cm
Musée du Louvre, Paris


Henriette expose pour la première fois au Salon en 1800, une Tête d’après nature dont on ne sait rien. En revanche, il reste quelques traces du tableau qu'elle présente l’année suivante, même si je reste un peu circonspecte devant ce Portrait en pied d’une jeune artiste, vendu chez Christie’s il y a près de trente ans et souvent présenté comme son autoportrait.

 

Portrait en pied d’une jeune artiste – 1801
Huile sur toile, 160 x 128 cm
Collection particulière (vente 1997)


En effet, on pense « reconnaître » ce tableau dans la fameuse Vue de Monsaldy (cliquer pour agrandir) mais je trouve la comparaison assez peu convaincante.


Antoine Maxime Monsaldy (1768-1816) et G. Devisme (actif de1800 à1806)
Vue des ouvrages de peinture du Salon de 1801
Eau-forte, 24,8 x 38 cm
Metropolitan Museum of Art, New York



Vue des ouvrages de peinture du Salon de 1801 (détail)

Dans la représentation de Monsaldy, le tabouret est clairement différent, le dessin sur la toile est beaucoup trop visible et la toile de chevalet trop petite par rapport au modèle, l’épinette placée derrière elle semble avoir disparu et l’étole qui couvre l’épaule de la jeune fille n’est pas positionnée de la même façon. Cela fait beaucoup, trop peut-être, pour assurer qu’il s’agit bien du même portrait.


Au Salon 1802, Henriette déclare habiter rue Croix des Petits-Champs, non loin de la place des Victoires, et présente un portrait et une scène de genre intitulée Une jeune fille près d’une fenêtre, pleurant sur un passage d’Atala, le roman de Chateaubriand publié l’année précédente.

 

Jeune fille près d'une fenêtre pleurant sur un passage d'Atala – 1801/1802
Huile sur toile, 152 x 124 cm
Le Domaine, La Jaille-Yvon, Maine-et-Loire (49)
Source : Base Joconde


Au Salon suivant, celui de 1804, Henriette montre Une jeune femme, un titre qui n’évoque pas grand-chose sans son complément : « N'ayant pu continuer d'allaiter son enfant, elle le regarde téter la chèvre qui la supplée, et s'abandonne aux réflexions que sa situation fait naître. »

Il ne reste que deux traces de cette scène étonnante : la première est une gravure dans les Annales de Charles Landon.

 

Planche soixante-douzième
Une jeune femme faisant allaiter son enfant par une chèvre
Publié in : Charles-Paul Landon, Annales du Musée et de l'école moderne des beaux-arts
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France


Charles Landon accompagne cette planche du commentaire suivant : « Une jeune mère, dans l'impuissance d'allaiter son enfant, le fait nourrir par une chèvre. Le regret qu'elle éprouve donne à ses traits une douce expression de mélancolie. Ce sujet convenait au pinceau d'une dame : mademoiselle Lorimier a senti et exprimé tout ce qu'il a d'intéressant, avec une grâce, une fraîcheur, et une vérité qui sont d'un bon augure pour son talent dont ce tableau est le coup d'essai. Il a été exposé au dernier Salon où il a continuellement attiré les regards des connaisseurs. Les figures sont de grandeur naturelle. » (Charles-Paul Landon, Annales du Musée et de l'école moderne des beaux-arts, Volume IX, Paris, 1805, Imprimerie des Annales, p.147)

La seconde trace de ce tableau se trouve dans l’Autoportrait que j’ai placé en exergue. C’est lui qui figure sur la toile devant la peintre… et c’est même grâce à la présence de cette petite biquette qu’on a compris qui était l’auteur dudit Autoportrait !


Autoportrait – 1807 (détail)

C’est le début de la notoriété pour Henriette, puisque la princesse Caroline Bonaparte, qui vient de donner naissance à sa première fille et doit décorer sa nouvelle résidence, le palais de l’Elysée, acquiert cette charmante scène de genre.

En 1805, pas de salon mais Henriette pratique l’art du portrait avec assiduité, notamment en réalisant celui de la « si bonne et si sensible » Madame Regnault, toile sur laquelle existent des informations éparses. Le tableau est représenté en noir & blanc dans une étude américaine, avec ses dimensions (Christophe Vend, « Un portrait de Jean-Baptiste Regnault », Bulletin de la galerie d’art de l’université de Yale, Vol.35, n° 3, p.20-21), j’ai piqué la photo couleur sur Wiki, puis vérifié que la toile se trouve bien où elle est annoncée.


Portrait de Madame Regnault – 1805
Huile sur toile, 109 x 89,2 cm
Museo Mario Praz, Rome

Comme souvent dans les musées italiens, le musée Mario Praz ne montre pas ses collections en ligne mais les photos de la visite suffisent : Madame Regnault est bien là !


Vue intérieure du musée Mario Praz


La même année, Henriette exécute aussi le portrait d’un célèbre luthier de l’époque, Nicolas Lupot, représenté avec les attributs de son métier posés sur l’établi, une âme, un compas, un diapason.

 

Portrait de Nicolas Lupot – 1805
Huile sur toile, 80 x 65 cm
Musée de la lutherie et de l’archèterie françaises, Mirecourt
 © Musée de Mirecourt, G. Abegg

C’est alors qu’Henriette rencontre celui qui va devenir son compagnon, François Pouqueville. Bien qu’âgé d’une trentaine d’années, il a déjà vécu de rocambolesques aventures. Ordonné prêtre à 21 ans, il a renoncé à ses fonctions sacerdotales pendant la Révolution pour devenir instituteur (1794) puis adjoint au maire de sa commune natale. Il étudie ensuite la médecine et embarque à ce titre avec l’armée de Bonaparte pour l’expédition d’Egypte en 1798. Malade, il est rapatrié en bateau, lequel tombe entre les mains des « barbaresques ». Prisonnier de l’empire ottoman, il devient médecin du sultan avant d’être finalement libéré en 1801, sur intervention de la France.

Résultat de ces péripéties, Pouqueville semble ne s’être jamais résolu à épouser sa compagne. Mais Henriette paraît avoir parfaitement assumé cette situation et restera à ses côtés jusqu'à la fin de sa vie. 

Henriette le représente (à droite) avec son frère Hugues dans ce dessin particulièrement expressif et d’une indiscutable maîtrise…


Portraits d’Hugues et François Pouqueville – vers 1805
Fusain, pastel et craie sur papier bleu, 44 x 58 cm
Collection particulière (vente 2022)

… et exécute aussi son portrait à l’huile (admirons au passage les bouclettes joliment arrangées du jeune homme !)

 

Portrait de François Pouqueville – 1805
Huile sur toile, 52,5 x 46 cm
Collection particulière (vente 2010)


En attendant, elle ne se laisse pas détourner de son objectif et présente au Salon de 1806 deux Portraits, dont un de femme qui pourrait stylistiquement ressembler à celui de cette belle dame dont la tenue évoque la période du Premier Empire.

 

Portrait de Mme Marjolin, née Marie Duval – sans date
Huile sur toile, 56 x 46 cm
Musée de Grenoble


Et surtout, elle expose également l’œuvre qui la fait remarquer par la critique, Jeanne de Navarre, le premier exemple féminin du style dit « troubadour », dont, quatre ans plus tôt, un certain Fleury Richard a inauguré le genre avec Valentine de Milan.


Fleury Richard (1777-1852)
Valentine de Milan pleurant la mort de son mari, le duc d’Orléans -1802
Huile sur toile, 55,1 x 43,2 cm
Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg

On peut le définir en quelques mots : un tableau de petite taille sur un sujet anecdotique ou une scène de genre, tirés de l’histoire du Moyen Âge pris au sens large (jusqu’à la Renaissance), peint dans un style précieux et porcelainé, étant précisé que la taille du tableau n’est pas un critère absolu.

Ainsi la toile présentée par Henriette n’est pas à proprement parler un « petit » tableau mais il correspond, par toutes ses autres caractéristique, à ce style très apprécié depuis l’ouverture du musée des monuments français, créé en 1795 par Alexandre Lenoir pour y présenter des vestiges de monuments et statues sauvés des destructions révolutionnaires.

Il s'agit ici de Jeanne d'Evreux-Navarre, fille de Charles II (roi de Navarre) et veuve de Jean IV, duc de Bretagne dont elle fut la troisième épouse. Elle est accompagnée de son second fils, Arthur, futur duc de Bretagne (1457) auquel elle vient montrer le tombeau de son père, devant lequel elle lui parle de lui.


Jeanne de Navarre – 1806
Huile sur toile, 191 x 168,5 cm
Musée national des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau


Toute la critique, particulièrement nombreuse, paraît s’être donné le mot.

« Cette jeune artiste se complaît dans les sujets où la grace [sic] est unie au sentiment. Je me souviens de ce charmant Tableau, où l’on voyait une jeune Mère s’affliger de ce qu’elle ne pouvait allaiter son Enfant, et de ce qu’une Chèvre remplissait à sa place : aujourd’hui, dans un tableau plus attendrissant et dans un style plus héroïque, mademoiselle Lorimier nous retrace encore une Mère affligée et s’occupant de son fils. Cette Mère sensible déplore la perte d’un époux vertueux et chéri, et déjà l’éduction de son fils fait ses plus chères délices et son unique consolation ; elle lui retrace, avec sensibilité, les malheurs et les vertus de son illustre père, et voit, avec une douce satisfaction, le jeune enfant l’écouter avec intérêt et joindre ses petites mains pour prier le ciel de lui être propice. 

Cette scène mélancolique et sentimentale se passe devant le tombeau de l’époux de Jeanne ; elle est éclairée par un jour doux et tranquille, et l’auteur l’a rendue avec tout le charme, avec toutes les graces que son sexe, et particulièrement les Françaises, savent mettre dans les Ouvrages où elles ne sortent point de leur caractère. »

Après les compliments, teintés de la satisfaction de voir une femme ne point sortir d’un art « qui parle au cœur », Chaussard passe aux critiques : l’architecture du tombeau « n’est pas exacte : il présente la confusion des deux styles grec et gothique » et « une faute plus grave est celle contre le costume : celui des personnages nous a paru postérieur, d’un siècle, à l’action ; il est vrai qu’il est beaucoup plus pittoresque. » Puis vient la menace qu’on n’adresse qu’aux femmes : « tout promet une Artiste du premier rang dans ce Genre que mademoiselle Lorimier a créé, à moins que par un abus auquel cette manière touche de près, la grace de cet aimable talent ne dégénère un jour en affèterie et en mollesse. » ((Pierre Jean Baptiste Chaussard (1766-1823) Le Pausanias français, ou Description du Salon de 1806 : état des arts du dessin en France, à l'ouverture du XIXe siècle, F. Buisson, Paris, 1808), p.261-264)

 

Jeanne de Navarre  (détail)


Confirmation de la tendance dans le Mercure de France : « Mlle Lorimier a moins d’ambition [que Mme Mongès qui a osé « s’élever aux grandes compositions historiques »] : elle ne sort point des sujets gracieux où son sexe a naturellement tant d’avantage. Elle pense avec raison qu’il est toujours glorieux d’exceller, même dans un genre secondaire, et que le public aime mieux être touché des beautés d’un ouvrage, qu’étonné des difficultés qu’il présentait. On ne saurait choisir ses sujets avec plus de goût et de bonheur que Mlle Lorimier : cette année elle a présenté [description du tableau]. Ses traits et son attitude expriment une mélancolie profonde, et non l’égarement de la douleur. La tête de l’enfant est pleine de naïveté et d’attention. L’héroïne n’est point vêtue de noir, comme un peintre ordinaire n’aurait pas manqué de la représenter. Si elle porte une couleur sombre, c’est qu’elle convient à sa tristesse habituelle ; mais le terme de son deuil est expiré depuis long-temps. Cette idée délicate et si touchante suffirait à faire deviner le sexe de l’auteur, et c’est de quoi il faut la féliciter. » (Mercure de France littéraire et politique, Volume 26, 11 octobre 1806, p. 75)

Et un peu de lyrisme ne peut pas nuire… « Lors que j’apperçus [sic] dans un coin un tableau de chevalet représentant une femme et un enfant près d’un tombeau. Je ne sais quel charme puissant fixa mon attention sur cette scène. (…) C’est Jeanne de Naples qui conduit son fils Arthur au tombeau qu’elle a fait élever à la mémoire de son époux Jean quatre et l’entretient des vertus et des malheurs de son père. Est-ce le jolie, l’intéressant enfant qu’elle presse de ses belles mains et qui lui porte une si vive attention ? (…) quoi qu’il en soit je fus entrainé comme le voyageur au milieu d’une forêt de chênes élevés, apperçoit un joli arbrisseau couvert de fleurs odorantes (…) j’oubliai tous les combats, toutes les grandes scènes d’histoire, toutes les grandes machines en un mot, pour ne plus m’occuper que de mon gracieux tableau. Ici, me disais-je, tout est vrai, tout est gracieux, tout est intéressant. C’est ainsi que s’exprime l’amour conjugal joint à l’amour maternel. (…) Jamais on n’a su réunir avec plus d’art dans une même figure les sentiments de l’admiration, de la douleur et de la tendresse. Si l’on excepte les chefs d’œuvres de l’antiquité, jamais dans aucun ouvrage de l’art on n’a vu la beauté encore embellie par l’heureux assemblage d’expressions plus vraies, plus douces et plus touchantes. On n’a jamais joint à une imagination brillante plus de jugement, plus de sagesse, plus de précision que l’auteur de ce tableau. (…) Continués [sic] Mademoiselle Lorimier, écoutés la critique, méprisés la satyre, et vous serés [sic x 3]un jour un grande peintre. » (« Salon de 1806 », Annales des sciences, de la littérature et des arts, n°20, p.64-68)

« Cette composition toute sentimentale n’avait nul besoin pour émouvoir, de se rattacher à l’histoire ; elle est digne de l’auteur de la Chèvre nourrice vue au dernier sallon [sic] et qui a intéressé toutes les mères ! (…) Ce sujet attendrissant est traité avec simplicité et devait l’être par une femme ; (…) Peut-être le costume ne rappelle-t’il point assez le 14e siècle ? Peut être ?... Mais c’est qu’à côté de ce qui est bien, nous exigeons que le même pinceau ne fasse rien de médiocre ! » (Jacques Philippe Voïart (1756-1842), Lettres impartiales sur les expositions de l'an 1806. Par un amateur, Paris, chez M. Aubry, au Palais de Justice. Et chez Petit, libraire, Galerie des Libraires, Palais du Tribunat, n° 16, 1806, p.365-366)

Bref, c’est très bien, pour une peinture de femme. Et c’est une autre femme qui acquiert cette œuvre, l’Impératrice Joséphine qui aime beaucoup les scènes de genre. 

 

A partir de ce salon, les portraits de femmes et d’enfants semblent constituer l’essentiel de la production d’Henriette. Sa clientèle est proche du pouvoir impérial mais elle n’accède à aucune commande officielle. La dame ci-dessous est l’épouse d’un chef de division de la police, sous l’autorité du ministre Joseph Fouché.

 

Portrait de Mme Desmarest, née Louise Lardy – 1807
Huile sur toile, 116 x 88 cm
Collection particulière (vente 2006)


Datant probablement de la même époque, ce portrait de petit jardinier, identifié comme Emile-Alexandre-César Le Fébure de Sancy de Parabère qui est né en 1800 et doit avoir dans les 5 ou 6 ans.

 

Portrait d’un enfant assis tenant un panier de fleurs et un râteau – sans date
Huile sur toile, 101 x 81,5 cm
Collection particulière (vente 2023)

Henriette ne participe pas au Salon de 1808 mais elle est saluée par Joachim Le Breton (1760-1819), décidément bienveillant avec les artistes féminines puisque c’est lui qui a octroyé à Adélaïde Labille-Guiard un atelier au Louvre en 1795 (voir son portrait par Adélaïde dans sa notice).

« Les tableaux de Mlle Henriette Lorimier respirent aussi la grâce, la douceur, le sentiment. Celui où une jeune femme, forcée de renoncer au bonheur d'allaiter son premier enfant, le regarde téter une chèvre, fit un extrême plaisir, à l'exposition de 1802 ; l'expression en est parfaite. La jeune artiste obtint les mêmes suffrages au salon de 1806, pour le tableau où l'on voyait Jeanne de Navarre conduisant le petit Arthur, son fils, au tombeau de son époux (le duc de Bretagne, Jean IV), pour entretenir, le jeune enfant des malheurs et des vertus de son père. » (Rapport sur les beaux-arts, discours prononcé par Joachim Le Breton, secrétaire perpétuel, lors de la séance du Conseil d'Etat, le 5 Mars 1808, p.83)

Henriette revient au Salon en 1810, avec le pendant de son tableau de 1802. L’enfant a grandi.


L’Enfant reconnaissant – 1810
Huile sur toile (dimensions non précisées)
Consulat général de France à New York

Je n’ai pas trouvé comment ce tableau est arrivé au consulat où il se trouve aujourd’hui, après avoir été vendu chez Sotheby’s en 1997. Outre cette scène de genre, Henriette expose trois portraits, de femmes et d’enfants.

Henriette participe encore à deux Salons, en 1812 et 1814, toujours avec des portraits, et expose à nouveau, en 1814, son Enfant reconnaissant qui n’avait peut-être pas trouvé preneur.

 

Portrait d’un homme de qualité - 1814
Mine de plomb et rehauts de craie blanche sur papier brun, 28 x 21 cm
Collection particulière (vente 2011)


Portrait de la marquise de Reinepont au château de Saint Privat – 1817
Huile sur toile, 112 x 92 cm
Collection particulière (vente 1997)


Ce n’est que vers 1817 qu’Henriette s’installe avec François Pouqueville qui vient de rentrer de Patras, après avoir passé une grande partie de sa carrière de diplomate en Grèce. Ayant abandonné la médecine pour se consacrer à l’archéologie et à la littérature, il est nommé à l’Institut des inscriptions et belles lettres en 1819. C’est aussi un proche d’Ingres qui lui offre en 1828 ce portrait d’Henriette.

 

Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867)
Portrait d'Henriette Lorimier – 1828
Dédicacé à François Pouqueville
Musée Pouchkine, Moscou


Henriette peint à nouveau son compagnon en 1830 et, choisissant de mettre en valeur sa carrière diplomatique, elle le représente devant Janina (au nord de la Grèce) où il a passé plusieurs années comme consul général. C’est Henriette qui lèguera au Château de Versailles ce bel exemple de ses talents de portraitiste. 


François-Charles-Hugues-Laurent Pouqueville (1770-1838) – 1830
Huile sur toile, 93,5 x 74,5 cm
Musée national des Châteaux de Versailles et du Trianon


Dernier tableau connu d’Henriette, le portrait de l’épouse de Chateaubriand, qui est un proche du couple.  Ce tableau, qui serait aujourd’hui conservé dans une maison de retraite parisienne, est décrit par l'un des biographes de la dame :

« Dans un petit salon, ou plutôt un cabinet attenant à cette chapelle, se trouve un autre portrait non moins remarquable et par lui-même et parce qu'il n'est que là ; c'est celui de la fondatrice, de la bienfaitrice, c'est celui de Mme de Chateaubriand, peint par Mlle Henriette Lorimier, en 1840.

M. Daniélo le trouve très ressemblant. "L'artiste, dit-il, a parfaitement saisi cette physionomie énergique et rare. C'est bien son air ; ce sont bien ses yeux, son nez, sa bouche, son menton ; ce sont même les boucles de ses cheveux et les barbes de son bonnet."

Mme de Chateaubriand consentit à poser, pour remercier la Supérieure du don d'un reliquaire renfermant une parcelle de la vraie Croix ; elle avait à cette époque soixante-cinq ans. Elle voulut être représentée avec ce reliquaire. On peut voir qu'en effet elle porte au cou une chaînette terminée par une large croix. » (Félix de Bona, Vie de Madame de Chateaubriand, Paris-Lille, Librairie J. Lefort, sans date, p.161)

Il reste plusieurs gravures réalisées d’après ce portrait et reproduites dans la quasi-totalité des ouvrages consacrés à madame de Chateaubriand.

 

Graveur inconnu, d’après Henriette Lorimier
Portrait de Céleste de Chateaubriand
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France


Henriette Lorimier est morte à Paris le 1er avril 1854.

Probablement moins prolifique que ses contemporaines, comme Angélique Mongez et Pauline Auzou, elle a laissé des portraits de grande qualité, notamment ceux qu'elle a dessinés, à la manière de Proudhon. Lors de son décès, l’inventaire a révélé une bibliothèque remarquable, constituée de plus de sept mille ouvrages, parmi lesquels figuraient de nombreux traités de peinture, comme l’Histoire de l’Art de l’Antiquité de Winckelmann, l’Essai sur l’histoire de la peinture italienne de Grégoire Orloff, les Réflexions sur la beauté et le goût en peinture d’Anton Raphael Mengs.

Instruite et talentueuse, elle n’a cependant pas souhaité s’affranchir des préjugés de son temps…

 

 


*

 

 

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dimanche 15 décembre 2024

Nanine Vallain (1767-1815)

 

Portrait d’une jeune femme tenant un agneau – 1788
Huile sur toile, 99 x 80,6 cm
Musée Cognacq-Jay, Paris
Photographié dans l’exposition « Femmes, naissance d’un combat 1780-1830 »
au musée du Luxembourg, Paris, en juillet 2021


On dispose de peu d’informations sur Jeanne-Louise, dite Nanine, Vallain, née un jour inconnu de 1767. Elle était la fille de Louis-Pierre Vallain, écrivain expert – peut-être auprès du prince de Condé - et de sa femme, Elisabeth-Julie d’Autrepe (ou Dautrepe).

Elle a participé au « Salon de la Jeunesse » à partir de 1785.

Cette exposition avait lieu tous les ans en plein air, depuis 1722, le jour de la grande Fête-Dieu (fin mai- début juin), place Dauphine et sur le Pont-Neuf, de six heures du matin à midi. S’il pleuvait, la manifestation était reportée à la petite Fête-Dieu de la semaine suivante et, s’il pleuvait encore, à l’année suivante. Les peintres encore élèves pouvaient accrocher leurs œuvres aux tapisseries tendues sur le passage de la procession, ce qui leur permettait de se faire connaître. Cette exposition était commentée dans le Mercure de France.

C’est dans cette publication qui paraissait tous les samedis qu’on trouve la première trace la concernant (je conserve, autant que faire se peut, la graphie du texte d’origine) :

« Parmi un assez grand nombre de dessins, j’en ai distingué un de Mlle Vallain, représentant un jeune Dessinateur le chapeau sur la tête, & appuyé sur un carton. Beaucoup de correction, d’esprit & de vérité, voilà le mérite de cette jolie composition qui donne, à mon avis, de grandes espérances. » (« Lettre aux Auteurs du Mercure », Mercure de France, 11 juin 1785, p.86)

Le Mercure de l’année suivante ne dit rien de cette exposition, peut-être n’eut-elle pas lieu à cause du mauvais temps. J’ai trouvé une petite miniature, datée et signée, qui aurait été réalisée cette année-là mais n’est pas très significative, bien que joliment dessinée.

 

Jeune femme couronnée de fleurs, tenant une rose en l'air de la main droite – 1786
Miniature à la gouache, 11,7 x 11,7 cm
Collection particulière (vente 2024)


Le Mercure de 1787 nous est, en revanche, beaucoup plus utile :

« Nadine Vallain. Cette artiste a exposé cette année six tableaux peints à l’huile, remarquables par une manière assez ferme, & un ton de couleur très-agréable. Une figure de femme représentant l’étude a principalement fixé mon attention. La pose n’en est pas neuve & les proportions en sont fautives à bien des égards. Le bras droit, par exemple, est long et maigre mais le caractère de la tête est excellent ; l’ombre qui se répand sur la figure baissée, loin de rien ôter à l’expression, y ajoute au contraire quelque chose de piquant. Le tableau est bien éclairé ; le ton de couleur est suave et harmonieux. Mais il est un peu froid & quand on pense à l’âge de l’Artiste, on en est très-étonné. » (« Lettre à MM les Rédacteurs du Mercure de France sur l’Exposition des Tableaux des Elèves de la Peinture à la Place Dauphine », Mercure de France, 23 juin 1787, p.188 et 189)

La jeune peintre a donc exposé six huiles, dont une seule est décrite, la Figure de femme représentant l’Etude, tableau qui n’est plus localisé.

Un autre article, relatif à la même exposition, évoque également la jeune artiste :

« L’exposition de de cette année à la place Dauphine, le jour de l’Octave de la Fête-Dieu était plus nombreuse [sic] que les années précédentes & généralement plus intéressante. La plus grande partie des jeunes gens de l’un et l’autre sexe qui y ont présenté des ouvrages méritent quelques éloges & tous les encouragements. » Plus loin, on trouve : « Mlle Nanine, élève de M. Suvez [Suvée], a exposé un tableau représentant l’Etude, où l’on a trouvé du style, de la correction, une couleur harmonieuse & un pinceau aimable. » (Journal de Paris, 19 juin 1787, p.752)

Deux jours plus tard, petite précision : « Dans l’article sur l’exposition des Tableaux de la place Dauphine, inséré dans la feuille de Mardi dernier, nous avons parlé avantageusement des talens [sic] de Mlle Nanine ; cette artiste, âgée de 19 ans, se nomme Nanine Vallain. » (Journal de Paris, 21 juin 1787, p.760)

On peut imaginer que Nanine a demandé qu’on établisse plus clairement son identité. Si c’est le cas, alors Nanine est née après le mois de juin 1767 puisqu’elle dit avoir dix-neuf ans. Et, quoi qu’il en soit, le document nous apprend qu’elle a été l’élève de Joseph Benoît Suvée, académicien, qui a ouvert une école de peinture pour jeunes filles. (cliquer sur les images pour les agrandir)

 

Joseph Benoît Suvée (1743-1807)
Cornélie, mère des Gracques, montre ses enfants en disant :
« Voici mes richesses et mes bijoux » - 1790/1791
Huile sur toile, 320 x 414 cm
Musée du Louvre, Paris


A ce stade, apparaît… le duc d’Enghien, fils unique du prince de Condé.

 

Louis-Antoine-Henry de Bourbon-Condé, duc d'Enghien - vers 1787/1788
Huile sur toile ovale, 64 x 54 cm
Musée Condé, Chantilly

Longtemps anonyme, ce portrait a été rendu à Nanine grâce à une gravure en couleurs d’Antoine Maxime Monsaldy, qui porte la mention « Peint au Palais-Bourbon par Mme N. Vallain. » (A cette époque, le Palais Bourbon est la demeure parisienne des princes de Condé). Dans une publication, le musée Condé précise que le duc porte « l’habit de chasse de Chantilly, de couleur ventre de biche et amarante. »

Sachant qu’il est envisagé que le père de Nanine ait été une sorte de secrétaire de Louis de Bourbon, prince de Condé, on peut penser qu’elle ait été sollicitée pour la réalisation de ce portrait.

 

Antoine Maxime Monsaldy (1768-1816), graveur, d’après Nanine Vallain
Louis-Antoine-Henry de Bourbon-Condé, duc d'Enghien – 1804/1816
Estampe, 27 x 20,3 cm
Musée national du Château de Versailles

Au sujet de ce portrait, le Journal de Paris fournit une petite précision : « Mlle Nanine Vallain, peintre, rue Guénégaud, n° 19, nous écrit qu’ayant eu l’honneur de peindre S.A. le duc d’Enghien en 1789, la famille de ce jeune prince quitta le royaume avant que le portrait eût été remis à S.A. Mgr le prince de Condé, auquel il appartient, et, depuis vingt-cinq ans, Mlle Vallain l’a religieusement conservé. Assurée d’être la seule personne en France qui ait peint Mgr le duc d’Enghien, elle invite les personnes auxquelles le souvenir de S. A. est cher, à venir chez elle reconnaître dans cette image les traits d’un prince regretté si justement. » (Journal de Paris, 26 avril 1814, p.2)

La date du journal est importante. Napoléon, commanditaire de l’enlèvement qui a conduit à la condamnation à mort du duc d’Enghien (fusillé à Vincennes le 21 mars 1804), a abdiqué le 4 avril précédent. C'est peut-être grâce à cette annonce que Monsaldy a su où trouver un modèle pour graver le portrait du jeune duc. 

Quoi qu’il en soit, Nanine aurait donc peint ce portrait à la même période que le Portrait d’une jeune femme tenant un agneau que j’ai placé en exergue, faute d’autoportrait certain. L’œuvre, datée et signée, est d’une grande qualité et on ne peut pas s’empêcher de penser qu’elle présente une maîtrise bien supérieure à celle que l’on décèle dans le Portrait du duc d’Enghien.

Mais revenons au Mercure, selon lequel Nanine aurait exposé trois œuvres au Salon de la Jeunesse de 1788 :

« Je finirai, Messieurs, par les Tableaux de Mademoiselle Nanine Vallain. L’un représente une femme qui étudie une leçon de Musique, l’autre une Elève costumée à l’antique, qui brûle un grain d’encens sur l’autel de la Peinture & le troisième son Portrait peint par elle-même. J’aime moins la femme qui étudie, que les deux autres tableaux, parce que son attitude est une peu contrainte & à la rigueur forcée. Le Portrait est très-ressemblant. La tête est pleine d’expression, & le ton de la robe est vigoureux et vrai. Mais la figure dans le genre de l’antique est digne de tous les éloges. Elle est dessinée avec une grande pureté, drapée avec grâces, la couleur en est bonne et aimable ; elle est d’un ton qui suppose une étude très-réfléchie des grands modèles, & elle annonce que Mlle Vallain profite avec beaucoup d’avantage des leçons de M. Suvée, son Maître. Je dois dire de Mlle Vallain, que d’exposition en exposition elle s’est toujours montrée supérieure à elle-même. La rapidité de ses progrès me fait présumer qu’elle deviendra une Artiste très-distinguée, si rien n’arrête l’heureux effor que ses talens [sic et re-sic !] paraissent prendre de jour en jour. » (« Lettre à MM les Rédacteurs du Mercure de France sur l’Exposition des Tableaux, dessins & esquisses des Elèves de la Peinture à la Place Dauphine, le 29 mai 1788 », Mercure de France, 7 juin 1788, p.46)

J’ai trouvé un article selon lequel le tableau ci-dessous pourrait être celui du Salon de la Jeunesse. Sans disposer de moyen de vérification, je le pose ici sous toute réserve.

 

Nanine Vallain (1767-1815) ?
Elève costumée à l’antique, qui brûle un grain d’encens sur l’autel de la Peinture – vers 1788
Huile sur toile, 88 x 117 cm
Collection particulière

Cependant, je trouve que la supposition se tient, surtout si l’on considère que le portrait ébauché sur la toile derrière la figure de l’élève pourrait être celui de son maître, Suvée. L’autoportrait de celui-ci ne dément pas cette impression, notamment la forme des sourcils et le menton pointu. (On peut voir un autre exemple de portrait de Suvée dans la notice d’Adélaïde Labille-Guiard).

 

Joseph Benoît Suvée (1743-1807)
Autoportrait 1771/1772
Huile sur toile, 63,5 x 53,8
Musée Groeninge, Bruge


En ce qui concerne le Portait peint par elle-même, l’historien de l’art Philippe Bordes pense le reconnaître dans une toile conservée au musée Marmottan.

 

Anonyme 
Portrait d'une femme peintre, élève de David – sans date
Huile sur toile, 127 x 96 cm
Musée Marmottan-Monet, Paris


A l’évidence, le portrait ébauché sur la toile est une copie de la figure éplorée de droite, Camille, dans Le Serment des Horaces.

 

Jacques-Louis David (1748-1825)
Le Serment des Horaces – 1784
Huile sur toile, 330 x 425 cm
Musée du Louvre, Paris


S’il s’agit bien d’un autoportrait de Nanine, elle aura voulu ainsi rendre hommage, lors de cette exposition, à ses deux maîtres, Joseph Benoît Suvée et Jacques-Louis David, ce qui est un peu étonnant quand on sait que le second détestait le premier qui lui avait ravi la place de Prix de Rome en 1771. Mais Nanine a peut-être fréquenté successivement leurs ateliers respectifs.

Ceci étant, selon le musée Marmottan qui a bien voulu répondre à mes questions à ce sujet, l’attribution de ce portrait reste discutée. Au dos du tableau figure la nom de Jacques-Antoine Vallin, qui est un peintre plutôt paysagiste. L’autre attribution envisagée serait Aimée Duvivier (connue de 1786 à 1824), dont le tableau Femme peintre à son chevalet, a été exposé au Salon de 1791. Enfin, d’autres historiennes de l’art, Melissa Hyde et Jennifer Milan (Women, Art and the Politics of Identity in eighteenthcentury Europe, Ashgate, 2003) ont émis l’hypothèse de Nanine Vallain ou Marie-Guillemine Benoist mais le modèle serait Mademoiselle Duchosal. En conclusion, on ne sait pas !

En 1789, le Salon de la Jeunesse dispose, pour la première fois, d’un local d’exposition.  

« Cette exposition se faisait ordinairement dans un coin de la Place Dauphine ; elle était sujette aux inconvénient de la pluie, de la poussière, des accidens [sic] en tous genre. M. Le Brun, Peintre, Garde des Tableaux de Mgr. Comte d’Artois [et époux d’Elisabeth Vigée Le Brun !], a proposé aux jeunes Artistes d’exposer leurs Productions dans la grande salle de vente qu’il a fait construire rue de Cléry, N° 96. Cette Salle, éclairée par le comble, & qui met les Tableaux dans leur jour le plus avantageux, a été acceptée avec reconnaissance. Beaucoup de Peintres qui n’auraient pas consenti à exposer leurs Ouvrages aux hasard du mauvais temps, se sont empressés de les soumettre à l’examen des Amateurs & de la curiosité publique, dans une salle fermée, & d’où le bon ordre devrait exclure, sinon la foule, au moins le tumulte & l’indécence. Il en est résulté que la Galerie a été tout ensemble plus complette [sic] & plus intéressante. On y a pourtant remarqué un grand nombre de morceaux extrêmement médiocres. (…) Je ne dirai rien de ceux-ci. »

Nous voilà prévenus. Nanine ne fait donc pas partie des peintres ayant présenté des « morceaux médiocres » puisqu’elle bénéficie d’un commentaire assez complet.

« Mlle Nanine Vallain soutient la réputation qu’elle s’est acquise par ses première Productions ; elle y ajoute même. J’ai examiné avec très-grand plaisir son Tableau représentant une jeune fille qui entoure un rosier avec une draperie pour le défendre contre les rigueurs de la saison. J’ai cru remarquer dans cette composition, une idée très-intéressante, & relative à la conservation de cette rose virginale, qu’un souffle peut flétrir. Si je ne me trompe pas, la personne de Mlle Vallain doit être aussi estimable que son talent. Les accessoires de ce Tableau sont vrais, fins, bien entendus ; mais la figure de la jeune fille est charmante, son mouvement d’observation est plein de naturel ; les extrémités du nez et du menton, ainsi que la partie supérieure des joues ont cette couleur violette que le froid rigoureux fait naître sur les visages qui en sont frappés, & on lit sur la physionomie la double expression du mal que cause le froid & et l’intérêt qu’inspire la conservation du joli arbuste.

J’ajouterai que cette figure est drapée d’un style qui tient de l’Antique, tant les plis en sont heureusement conduits. Parmi d’autres tableaux du même Peintre, j’ai remarqué le Portrait d’un homme dont la main est appuyée sur la hanche ; il est d’un ton très ferme, ainsi qu’une tête de Caracalla. J’observerai à Mlle Vallain qu’elle met souvent dans les plis de ses draperies des hachures qui ressemblent à des coups de crayon qui sentent la recherche, & qui déplaisent aux Connoisseurs sévères. Cette manière de finir touche un peu à l’afféterie ; & Mlle Vallain a trop de talent pour s’exposer plus long-temps à en mériter le reproche. » (Mercure de France, 4 juillet 1789, p.35 et 36)

Au moins trois œuvres, donc : une Jeune fille qui entoure un rosier avec une draperie pour le défendre contre les rigueurs de la saison, un Portrait d’un homme et une Tête de Caracalla, toutes ont disparu.

En 1791, elle participe à nouveau à une exposition organisée par Le Brun, où, selon le catalogue, elle montre Un petit chérubin ovale, un Portraits de grandeur naturelle, un autre portrait en pied de Mademoiselle D. contemplant le buste de sa mère et Herminie parmi les Bergers, traçant le nom de Tancrède sur l'écorce des arbres.

Un tableau attribué à Nanine a été mis en vente récemment. Le sujet est tiré d’un poème épique de le Tasse, la Jérusalem délivrée. Pour conquérir Tancrède, Herminie d’Antioche avait volé l’armure de sa rivale, Clorindre. Ayant échoué, elle se réfugie auprès de bergers, dépose les armes et commence avec eux une nouvelle vie, sensiblement plus humble.

L’œuvre correspond assez bien à une critique formulée lors de cette exposition chez Le Brun : « Mlle Nanine Vallain est déjà connue par une manière de draper simple et d'un bon stile [sic], par une couleur fraiche et agréable. Mais son tableau d'Herminie parmi les bergers le plus saillant de ceux qu'elle a exposer [sic] cette année, nous fait désirer qu'elle étudie d'avantage les formes et les proportions ; le chien qui accompagne cette bergère, ainsi que les têtes de ses brebis, sont d'une grosseur qui donne de la maigreur à leur gardienne. » (Exposition des Tableaux faits par MM. les Artistes libres le 30 juin 1791, jour de la petite Fête-Dieu jusqu'au 15 juillet dans la Salle de M. Lebrun, capitaine du bataillon de St Magloire, rue de Cléry, Collection Deloynes, XVII, n° 428, p.5).


Nanine Vallain (1767-1815) ?
Herminie parmi les Bergers – 1791
Huile sur toile, 97,6 x 126,2 cm
Collection particulière

D’une part, le critique évoque « Herminie parmi les bergers », d’autre part, il y a bien des chèvres, un chien, des bergers à l’arrière-plan et une armure abandonnée en vrac au premier plan à droite. Quant aux mesures du tableau annoncé dans le catalogue (4 pieds et demi sur 3), elles correspondent à peu près à celles du tableau final.

En outre, le catalogue en question est précédé de l’avertissement suivant : « Ce catalogue ne pourra pas être aussi bien rédigé que nous l’aurions souhaité, attendu que MM. Les Artistes donnent des notes, ou mal expliquées, ou si mal écrites, qu’il est impossible de les deviner ; &, malgré l’avis public de plusieurs Journaux, ils apportent encore leur note, ou leur ouvrage, ce jourd’hui 30, jour de l’ouverture. » (Catalogue des ouvrages de peinture, sculpture, gravure, architecture, etc. Exposés le 30 Juin, jour de la petite Fête-Dieu, jusqu’au 15 Juillet. Par MM. les artistes libres, Paris, Prault, 1791, p. 3)

Autrement dit, il est possible que Nanine ait modifié la scène qu’elle prévoyait de présenter, sans avoir le temps de faire corriger son titre dans le délai requis. Toutefois, n’ayant aucune autorité pour valider cette hypothèse, je la présente sous toute réserve également !

 

Entre ce Salon et celui de 1793, on ne sait rien de Nanine, à part le fait qu’elle a dû embrasser les idéaux révolutionnaires puisqu’elle peint La Liberté qui sera placée dans la salle des séances du Club des Jacobins (rue Saint-Honoré) à une date indéterminée. C’est encore une « figure drapée dans un style qui tient de l’Antique », comme celle décrite par le Mercure mais, par son caractère allégorique, c’est aussi une « peinture d’Histoire », le plus haut niveau de la hiérarchie des genres.

 

La Liberté – 1792/1793 ?
Huile sur toile, 128 x 97 cm
Musée de la Révolution française, Vizille

L’iconographie répond parfaitement à l’idéologie jacobine du culte révolutionnaire : la Liberté trône devant une pyramide, symbole de stabilité et d’éternité ; elle tient une pique surmontée du bonnet phrygien, emblème de la République et elle est assise sur un socle en pierre où sont gravées deux dates, 14 JUILLET et 10 AOUST, deux journées d’insurrection, ce qui tend à situer la date de sa réalisation entre 1792 et 1793 (et non 1794 comme l’indique le musée de Vizille, puisque c’est le moment où le tableau sera confisqué au club des Jacobins).

Derrière la figure est posée un urne funéraire dont l’inscription « À NOS FRÈRES / MORTS POUR / ELLE » rappelle le sacrifice des insurgés.

La Liberté tient dans sa main droite la Déclaration des droits de l’homme, dépliée devant les symboles croisés de la massue et du faisceau – les droits ont été conquis par la force – tandis que, derrière eux, pousse un lierre, symbole de la fidélité. Enfin, la figure, à l’expression calme et déterminée, a les pieds posés sur une chaîne brisée à côté des registres féodaux déchirés. Le message est clair.

Nul ne sait quand et comment cette toile se retrouva aux Jacobins, peut-être par un don de l’artiste. Elle ne figure sur aucune des gravures qui représentent la salle qui sera fermée dans la nuit du 9 au 10 thermidor de l'an II (27 juillet 1794). La Liberté fut alors saisie et affectée au Louvre à une date inconnue.

 

Henri Nicolas van Gorp (vers 1756- après 1819)
La Salle des Jacobins à Paris - 1790
Présidence de Lameth l'aîné, le discours prononcé à la Tribune par Mirabeau
Eau-forte, 15,1 x 21,9 cm
Musée Carnavalet, Histoire de Paris

Selon l’historien de l’art Philippe Bordes, Nanine a épousé un dénommé Barthélemy Piètre, le 18 janvier 1793. A partir de cette date, elle apparaît dans les catalogues du Salon comme « Vallain (Nanine), femme Piètre » et aurait habité rue Thibaut-au-Dé, près l’Arche Marion. Cette rue, qui n’existe plus, se trouvait à proximité de Saint-Germain d’Auxerrois.

Elle présente au Salon de 1793 Acconce & Cydipe (deux noms issus de la mythologie grecque), plusieurs portraits et L’Hiver cachant un pot de fleur, réinterprétation probable de la Jeune fille de 1789.

Au Salon de 1796, elle se réclame de « l’école de David », devenu chef de file de la « Commune des Arts » à laquelle on suppose que Nanine a adhéré.

Elle habite alors 5 rue Boucher, non loin de son adresse précédente, et expose un Tableau représentant Sterne et Juliette. Sujet extrait du voyage sentimental, probablement une scène de genre. Le Voyage sentimental à travers la France et l’Italie est un récit de voyage de Laurence Sterne, publié en anglais en 1768.

En 1798, elle apparaît à nouveau dans le catalogue sous le nom de Vallain. Son acte de décès précise qu’elle était veuve. Il est donc probable qu’elle a perdu son mari en 1797 ou 1798.

Elle expose un Portrait d’enfant et revient l’année suivante avec un Portrait de jeune homme peint à l’huile, Un Portrait miniature de la Citoyenne A.V. actrice du théâtre des Arts et un dessin de la Citoyenne A.G.

Pour l’illustrer, je place ici ce dessin de la même époque.

 

Portrait d’une femme assise tenant un panier rempli de feuillages -1797/1798
Craie noire et sanguine, aquarelle et gouache sur papier brun, 38,9 x 30,6 cm
Collection particulière (vente 2007)

En 1801, les rédacteurs du livret du Salon ont été un peu facétieux : Nanine apparaît sous le nom de « V. Mme N. ». Si c’est bien elle, elle a présenté plusieurs portrait sous le même numéro. C’est peut-être cette année-là qu’elle expose ce portrait de jeune homme que ses descendants désignent comme le comte d’Echauz. On a vu plusieurs fois ici quel crédit on pouvait accorder à la descendance des peintres quant à l’identité des modèles mais, faute d’en savoir davantage, acceptons-le comme tel.

 

Portrait présumé du comte d'Echauz – vers 1800
Huile sur toile, 55,7 x 46 cm
Collection particulière (vente 2023)


En 1802, revient « Vallain, Mlle Nanine », laquelle, comme l’année précédente, expose « plusieurs portraits sous le même numéro ».

En 1804, « Mme Nanine Vallain » habite 22 rue Guénégaud, se déclare élève de Suvée et David et présente un Portrait de l’auteur. Philippe Bordes propose de reconnaitre cet autoportrait dans ce Portrait de dame :

 

Portrait d’une dame (Autoportrait ?) – vers 1805
Huile sur toile, 86 x 68 cm


Nanine est censée n'avoir que 37 ans… mais si l’on place ce portrait à côté de l’Autoportrait présumé de 1787, il se pourrait que ce soit la même personne, en effet.

En 1806, Nanine a changé d’adresse pour le 19 rue Guénégaud, où elle habite encore en 1814, comme on l’a vu précédemment. Elle présente cette fois deux huiles. La première, intitulée Mme de la Vallière, est complétée par : « Agée de 23 ans, elle se résout à quitter la cour pour embrasser la vie monastique. » La seconde représente Sapho, chantant un hymne à l’amour.

Sur Mme de la Vallière, les avis sont pour le moins contrastés.

« Louer la cour de Louis XIV, et surtout ses maîtresses, tel est le ton du moment. (…) Je ne prétends pas toutefois blâmer par cette réflexion les peintres qui puisent dans son histoire les sujets de leurs tableaux. Le public les justifie. (…) c’est avec une jouissance nouvelle, que j’ai retrouvé dans le tableau de Mme Vallain, encore l’aimable la Vallière au moment où, accablée par l’infidélité du roi, elle prend la résolution de le fuir, et de se retirer aux Carmélites.  A ses pieds, un jeune amour pleure ; et son flambeau, presque éteint, ne rend plus qu’une flamme obscure et mourante ; un autre, plus âgé, présente à l’infortunée le portrait de son amant ; et tourne vers elle des regards pleins d’intérêt et de tristesse.

Ces figures sont d’un dessin facile, les contours à la fois gracieux, fuyans [sic] et bien terminés. Les trois têtes ont chacune leur expression propre. On retrouve sur celle de madame de la Vallière son âme douce et aimante : elle semble repousser le portrait du roi, et montre déjà de la main la retraite des Carmélites qu’on apperçoit [sic] dans le fond. (…) L’enfant qui tient dans ses mains le portrait du roi est d’une expression touchante (…) La couleur st douce et naturelle (…) Il est seulement à regretter que Mme Vallain ait revêtu sa principale figure d’une draperie rose-pâle, trop approchante de la couleur des chairs, et qui donne au coloris général de son tableau une teinte trop uniforme. » (La Décade philosophique, 21 novembre 1806, p. 357 à 359)

En revanche, le littérateur révolutionnaire devenu critique d’art, Pierre Jean Baptiste Chaussard, n’est pas franchement aimable : «… mais le sujet représente une femme qui n’est pas jolie, et dans le costume à-peu-près du dix-septième siècle : elle tient un médaillon renfermant un portrait d’homme du même tems, mais ne ressemblant guère à Louis XIV (…) Les deux Petits marmots assez laids, en forme d’Amours n’en disent pas d’avantage. L’exécution n’est pas mieux que la composition. Les chairs de la principale figure sont mal peintes, les bras sont roides ; les mains sèches ; le corps surtout est remarquable par sa largeur, et cela dans un siècle où l’on recherchait les tailles longues. Le Costume est d’ailleurs inexact, et la couleur est fade, grise et rose : la robe est rose, le ciel est un peu rose, les chairs sont roses et tout le reste est gris. (…) » et de conclure « Je ne puis expliquer la chute d’un aussi beau talent que celui de mademoiselle Vallain ; il y a quelques années que pendant le séjour de son maître Suvée à Paris, elle donna les plus hautes espérances. » (Pierre Jean Baptiste Chaussard (1766-1823) Le Pausanias français, ou Description du Salon de 1806 : état des arts du dessin en France, à l'ouverture du XIXe siècle, F. Buisson, Paris, 1808)

 

Aucun des deux tableaux n’est aujourd’hui localisé, et les deux œuvres que Nanine présente au Salon de 1808, Cain fuyant avec sa famille, après le meurtre d'Abel et Portrait d'un écolier venant de recevoir des prix ne le sont pas davantage.

Elle expose une dernière fois au Salon de 1810, un portrait et Tirza, femme d'Abel, pleurant sur le tombeau de son époux et implorant la miséricorde divine pour son meurtrier.

 

 

Nanine Vallain est morte le 5 août 1815, à son domicile de la rue Guénégaud. Son acte de décès indique qu’elle était âgée de quarante-huit ans.

Cette année, La Liberté de Nanine Vallain est présentée dans l'exposition « Paris, 1793-1794, année révolutionnaire » , au musée Carnavalet, Histoire de Paris. 

 

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