Mathilde
Angèle Delasalle est née le 15 février 1867 dans une famille parisienne. Elle
est, selon l’article qui parut sur elle en 1902, « fille de Parisiens de
la classe moyenne qui vivent dans un univers d’où toute prétention artistique
est bannie. Il faut le souligner, elle a dû tout découvrir par elle-même. Elle
s’est cultivée et a développé son goût grâce à ses efforts, comme une fleur du
désert qui doit tout arracher à une Nature jalouse. » (B. Dufernex,
« Mme Angèle Delasalle », The Magazine of Art, 1902, p.349 à
354, en anglais, traduction personnelle).
« Enfant, elle adorait les enluminures et les images, et déjà se développait en elle, l'amour du dessin et du coloris. Elle fit ses études chez les Dames Anglaises de Neuilly, le fameux couvent de George Sand, qu'elle ne quitta que pour s'adonner complètement à la peinture. » (Marie-Louise Néron, « Chez Mlle Delasalle », La Fronde, 4 juin 1902, p.1)
Voici le premier tableau, daté et signé, que j'ai trouvé d'elle, elle a donc 23 ans :
On ne sait pas en quelle année elle a intégré l’académie Julian où elle suit l’enseignement de Benjamin-Constant (1845-1902) et Jean-Paul Laurens (1838-1921), les deux peintres dont elle se réclame en s’inscrivant au Salon des artistes français, en 1894 où elle expose deux toiles, Illusion perdues et Portrait de Kam-Hill, un chansonnier en vogue. Elle habite alors 17 rue Chevert (7e), peut-être encore chez ses parents.
Dès
l’année suivante, elle devient membre de la société des artistes français et
l’une de ses deux toiles reçoit une mention : « Mlle Angèle Delasalle, élève de MM. Lefebvre, Laurens
et Benjamin-Constant a fait une sérieuse étude de nu très importante : Caïn
et les filles d'Hénoc, une mention a couronné ses efforts. C'est très
remarquable pour une si jeune personne. » (Topédo, Le Pays, Journal des
volontés de la France, 17 juin 1895, p.3)
Dès lors, Angèle expose tous les ans quelques peintures auxquelles elle ajoute des sanguines ou des pastels, puis des estampes.
Son tableau présenté au Salon de 1897, Diane au repos, est le premier dont on a gardé trace dans les collections nationales. Acquis par Alphonse de Rothschild, il a été ensuite offert aux musées nationaux.
« Diane au repos est une œuvre de jeunesse dans laquelle le corps de la déesse gréco-romaine incarne un idéal de beauté finalement propre à la divinité, alors que les deux femmes au second plan présentent des poses naturelles et moins ostentatoires. Diane est ici reconnaissable grâce à son carquois et son arc qu’elle tient du bout des doigts ; à ses pieds gît le fruit de sa chasse. Cette scène pourrait être rapprochée de la tragique histoire d'Actéon relatée notamment par Ovide dans ses Métamorphoses. Diane et ses suivantes aimaient se délasser après la chasse dans une grotte boisée où bruissait une source dans laquelle elles se baignaient à l'abri des regards indiscrets. Un jour, par hasard, le jeune Actéon pénétra dans ce bois sacré. À la vue de cet homme, la panique gagna les femmes et Diane courroucée métamorphosa Actéon en cerf. Ce dernier fut bientôt pris en chasse par ses propres chiens qui, ne l'ayant pas reconnu, le mirent à mort. Bien que la réaction des suivantes de Diane semble beaucoup plus mesurée dans ce tableau, le regard d'une d'entre elles indique clairement au spectateur qu'il n'est pas le bienvenu. Quant à Diane, elle apparaît ici comme une femme sûre d'elle, à la beauté fatale, dont la pose et la rousseur exaltent la sensualité. » (extrait de la notice INHA)
Dès
l’année suivante, la carrière d'Angèle s’accélère grâce à la médaille de troisième
classe qu’elle reçoit pour Le Retour de chasse, toile immédiatement
acquise par l’Etat puisqu’elle entre au Fonds national d’art contemporain dès
1898.
La
presse est au rendez-vous : « Nous sommes à l'âge de la pierre. Tandis que
les hommes sont partis à la chasse, les vieillards, les femmes, les enfants
sont restés devisant entre eux, vaquant aux soins du ménage, rallumant d'un
souffle patient les charbons enfouis dans le foyer sous les cendres. Et tout
d'un coup des cris de joie, des hourras furieux retentissent. Les enfants
s'interrompent dans leurs jeux, les femmes suspendent leurs travaux, les
vieillards se hâtent, trottinant, vers l'entrée de la caverne où, déjà, la
silhouette des hommes, ramassée dans un puissant effort, apparait, traînant la
dépouille d'un aurochs. Tel est le motif qu'a traité, dans son Retour de la
chasse, Mlle Angèle Delasalle. Et
l'intérêt du tableau ne réside pas, comme il arrive si souvent, tout entier
dans le choix du motif. Il réside dans le rendu des formes, retracées avec une énergie
toute virile, avec un accent d'une belle âpreté, sans autre souci que de
faire juste et de donner l'exacte sensation de ce que dut être, en ces époques
reculées, l'être humain. Ce que la représentation de ce sauvage primitif eût eu
pour nos yeux de trop pénible, Mlle Delasalle l'a masqué en ne nous montrant
les formes que de dos, et en noyant dans une ombre propice leurs duretés. Œuvre
intelligente, adroite, personnelle, d'un artiste d'avenir. »
(Thiebault-Sisson, « Les Salons de 1898 », Le Temps, 30 avril
1898, p.4)
Un début de carrière assez fulgurant et le commencement de sa réputation de « peintre viril », qualificatif qu’on retrouve dans tous les articles la concernant, même et surtout sous la plume des peintres eux-mêmes… « Angèle Delasalle a, de même que Marthe Abran, un métier viril, et son tableau Retour de chasse le prouve bien. Nous sommes au temps des Cavernes, vers l'Age de pierre. Les hommes rentrent, traînant un sanglier ; les femmes et les enfants se lèvent : c'est la pâture qui arrive ! Et tout cela est empreint d'un grand amour du caractère, bien construit, bien en toile, bien composé. Plus loin, un portrait de vieille femme d'un dessin soutenu, avec une tête et des mains d'une exécution attentive, et des beaux noirs faisant la suite des portraits qui valurent à cette jeune artiste ses premières récompenses. » (Benjamin-Constant, « Promenades de peintre aux Salons de 1898 », Le Figaro, 17 juin 1898, p.2)
Lestée de sa première médaille, nouvellement installée rue Duplex (15e) qu'elle ne quittera plus, Angèle se désintéresse des thèmes mythologiques et préhistoriques pour se tourner résolument vers l'observation de ses contemporains. Je laisse Raymond Escholier raconter la suite :
« Désormais,
ses yeux s'ouvriront à la vie présente, pour ne plus se reporter vers un passé
imaginaire, et nécessairement artificiel. Un jour, comme la jeune artiste
rentrait chez elle, à Grenelle, elle dut traverser le Champ-de-Mars, qu'on
déblayait pour préparer l'Exposition Universelle. Le soir tombait. Les équipes
de travailleurs quittaient les vastes espaces crevassés de rigoles. Soudain, à
quelques pas de la promeneuse, sur le ciel jaune où se profilaient le Trocadéro
et la tour Eiffel, une robuste silhouette de terrassier s'avança. La main
gauche dans la poche du large pantalon de velours, l'autre main retenant sur
l'épaule la pioche et la pelle, un foulard noué autour du cou, veste de coutil
et gilet de velours ouverts sur la chemise, l'homme aux traits rudes, aux joues
creuses, au front têtu ombragé par le feutre, apparaissait gigantesque clans le
contre-jour. Son costume - celui de tous les terrassiers - était, en somme,
infiniment plus pittoresque que le vêtement des bourgeois, étriqué et
volontairement dépouillé de tout caractère. Qui n'a remarqué, parmi les
artistes, que, de nos jours, seuls les gens de métier savent s'habiller ? »
(Raymond Escholier, « Angèle Delasalle », Gazette
des Beaux-arts : courrier européen de l’art et de la curiosité, juillet
1912, p. 319)
Hélas, aucun des tableaux de ce salon-là n’a été reproduit nulle part. Ils lui ont pourtant valu une belle reconnaissance : « Le Conseil supérieur des Beaux-Arts a voté en première ligne, une bourse de voyage à Mlle Angèle Delasalle dont les deux toiles "le Terrassier" et "le Pont de Saint-Cloud" ont été si remarquées à l’Exposition de 1899. L’Académie des Beaux-Arts lui a décerné le prix Piot pour son tableau Baby dort. Enfin la ville de Paris vient de faire l’acquisition du ‘’Terrassier’’ ». (Journal des Femmes, 1er septembre 1899, n.p.)
Si le Terrassier a été acquis par la ville de Paris, on n’en trouve aucune trace dans ses collections en ligne… On peut voir cependant un Mineur assis, dans les collections du Louvre :
Qu’importe !
En ce début de siècle, Angèle va profiter de sa bourse de voyage. Ecoutons à
nouveau Dufernex : « De son voyage d’étude, Madame Delasalle a
rapporté de Hollande quelques exquises études d’Amsterdam…
[…] Sa visite en Angleterre où elle a étudié les maîtres anciens, l’a profondément influencée. La majesté de Londres a vivifié son amour des masses et des formes colorées et la cinquantaine d’œuvres qu’elle a rapportées d’Angleterre atteste de son étonnante capacité de travail, sans effort apparent. Sa série de peintures représente les aspects les plus pittoresques de la Tamise, entre Greenwich et le Parlement. Les vues sont envisagées de façon originale, soulignant à nouveau la particularité piquante de cette artiste […]
[…] L’exactitude de sa peinture est indéniable mais possède aussi la richesse
d’interprétation qu’apporte au paysage le fait d’avoir infusé l’esprit du
paysagiste. L’œil d’un peintre est un instrument affuté qui voit plus et mieux
que celui d’une personne ordinaire. L’œil de Madame Delasalle est naturellement
amplificateur et ses vues de Londres sont plus anglaises que l’Angleterre
elle-même. Ce n’est pas un reproche, au contraire, nous prenons cela comme un
cadeau. » (B. Dufernex, ibid.)
L’année de son voyage, Angèle a tout de même exposé son Terrassier à l’Exposition universelle de Paris où il reçoit une médaille d’argent. Et elle présente au Artistes français La Forge que Albert Wolf, dans le Figaro Salon, qualifie de « remarquable ». (1er avril 1900, p.58)
Le tableau se trouve aujourd’hui au musée des beaux-arts de Rouen :
« C'est une peinture assez peu féminine que celle de Mademoiselle Angèle Delasalle. Quel vigoureux tableau que cette Forge, où parmi les fers, les aciers et les chaînes qui montent jusqu'au plafond, quatre ouvriers se tiennent près du métal en fusion, la figure couverte d'un masque protecteur. Au milieu d'eux le fer qui flambe jette sa fauve clarté, tandis qu'au premier plan un ouvrier s'est assis dans une attitude très naturelle de fatigue. Il y a chez Mademoiselle Angèle Delasalle et particulièrement dans cette œuvre de vraiment belles qualités, et nous aimons la voir ainsi à la recherche de domaines nouveaux, alors que tant de femmes peintres se complaisent dans des sujets trop mièvres et trop doucereux. » (Henri Franz, « Le Salon de 1900 », Paris, Goupil & Cie, p.35/36).
Son talent est si « vigoureux » qu’on pense devoir assurer qu’elle est bien restée « féminine » : « J’espère ne pas avoir laissé entendre que Madame Delasalle, aurait ainsi abandonné les grâces de son sexe. C’est une jeune, charmante et élégante jeune femme, dotée d’une vive intelligence, vivant retirée dans son atelier, tout entière dévouée à son art qui la motive passionnément. Le contraste entre la personne du peintre et son propre travail est parfaitement rendu par l’admirable portrait qu’a fait d’elle M. Benjamin-Constant. » (B. Dufernex, ibid.)
Le portrait en question est celui que j’ai placé en exergue. Une jeune femme aux traits doux, sagement assise devant son chevalet, les mains croisées et, si un pétillement dans l’œil laisse entendre qu’elle n’a pas dit son dernier mot, Benjamin-Constant n'a pas jugé séant de la représenter un pinceau à la main…
A
propos de féminité, Dufernex raconte aussi une histoire édifiante : « La
caractéristique particulière du talent de cette artiste est une force d’énergie
telle qu’il est impossible de déterminer son sexe en regardant une de ses
œuvres. Il n’y a aucune trace de féminité dans le nombre déjà considérable des
œuvres qu’elle a produites. Cette vérité a été curieusement illustrée par le
fait que Mme Delasalle est la première et seule femme à être devenue membre de
l’Association internationale des peintres. Ses toiles ont été présentées sous
le nom de A. Delasalle et ont retenu l’attention de membres de l’association.
M. Delasalle a donc été gracieusement invité à rejoindre l’association. Quand
l’erreur a été découverte, il n’était plus possible de respecter la coutume qui
prévoyait de fermer la porte à toute candidature féminine. » Angèle est
donc devenue membre d’une association réservée aux hommes parce qu’ils n’ont
pas sur reconnaître une œuvre de femme. C’était donc avant 1902 mais je n’ai pas
trouvé la date exacte de la bévue.
A son retour en France, Angèle montre des souvenirs de voyage, une Vue d'Amsterdam, une Voie Appia et un Souvenir du Jubilé à Saint-Pierre de Rome, « trois œuvres d'une réelle maitrise de peintre et de coloriste », selon Le Figaro.
Elle obtient un nouveau succès au Salon de l’année suivante avec un portrait de son maître, immédiatement acquis par l’Etat.
« Voici
bien la finesse de son regard ; la vive expression du regard derrière les
verres de lorgnon du myope, la bouche spirituelle du gai conteur qui a trouvé
l'éloquence dans le langage le plus familier. Mlle Angèle
Delasalle fait honneur à son maître ; les leçons de celui-ci ont
profité à l'élève. » (Anonyme, Le Constitutionnel, 2 mai 1901, p.2)
Je préfère pourtant la seconde œuvre qu’elle présente, un panneau décoratif de grand format, avec « effet de soir », représentant cinq chevaux s’abreuvant dans la Seine et quatre hommes, au pont de Saint-Cloud :
« Dans
une autre toile, l’une des plus remarquables du Salon, celle-ci a prouvé
qu'elle savait composer également, et rendre les beautés de la nature. Son abreuvoir
du Pont de Saint-Cloud charme les yeux par ses belles colorations, la
vérité qui règne dans cette page de la vie quotidienne. Elle peint aussi bien
les bêtes que les gens ; elle ne sacrifie pas non plus le paysage. Encore
une femme de grand talent. » (Le Constitutionnel, ibid.)
La même année 1902, elle expose à la Grafton Gallery de Londres, une trentaine de toiles « dont l'originalité affirme le succès. Le visage rayonnant de jeunesse, sous les cheveux prématurément gris, Mlle Delasalle, dont le féminisme s'honore, est sympathique à tous. » (Marcel Adam, « Mlle Angèle Delasalle », Gil Blas, 27 novembre 1903, p.1)
Avec Hilda Flodin (1877-1958), une sculptrice et graveuse finlandaise, Angèle est la seule femme à faire partie des sociétaires du premier Salon d’automne, en 1903. Elle partage l’affiche avec Bonnard, Cézanne, Delaunay, Matisse, Marquet et Vallotton. Elle y montre trois huiles, dont un portrait et une Vue du Pont-Marie et trois dessins. Je n'ai trouvé aucune des ces œuvres qu’on peut tenter d'illustrer avec ses vues de la Seine, à la même époque :
Eh non, l'huile ci-dessus n'a pas été peinte en grisaille, c'est juste un tableau que personne n'a jugé utile de photographier en couleur… !
Cette seconde vue du Pont-Neuf permet
d’évoquer le talent d’aquafortiste d’Angèle qu’elle développe dans les
premières années du siècle, notamment avec ses portraits d’animaux, « découverts
dans la solitude matinale du Jardin des Plantes […] dessins précis et rudes, d’une
vérité, d’une maîtrise, qu’à l’exception de Delacroix on ne retrouve guère que
dans Saint-Marcel. » (Raymond
Escholier, ibid., p. 330)
« Nulle peine ne la rebute. Sous le toit de la ménagerie Pezon, elle prend aujourd'hui les fauves pour modèles. Le froid raidit les doigts qui tiennent le pinceau, et l'on allume un brasero pour rendre possible la tâche pénible. Elle possède un talent multiple : "Tout est si beau dans la nature !" Elle expose, au Salon d'automne, un portrait d'homme, dont la tête expressive arrête le visiteur. Ses paysages aux riches coloris séduisent les connaisseurs. Ses animaux, d'un dessin hardi, la firent parfois comparer à Rosa Bonheur. » (Marcel Adam, ibid.)
Ses animaux sont difficiles à trouver alors qu’elle en a exposé beaucoup. Aux Artistes français de l’année suivante, pas moins de quatre : un Lion mangeant, des Lionnes, une Tête de lion, un Tigre buvant.
Il reste un dessin au musée du Louvre…
…
et quelques épreuves originales vendues en ligne :
Jusqu’à la guerre de 14, l’eau-forte était à la mode et très appréciée du public. Angèle Delasalle ou Käthe Kollwitz (voir sa notice), nées la même année, ont porté témoignage de la force de ce moyen d'expression.
D’autres
eaux-fortes d’Angèle seront saluées par la presse, comme sa Vue de l’abside
de Saint-Germain l’Auxerrois « si colorée dans son jour de
vitrail », publiée en 1905. Hélas, la reproduction est peu lisible.
Et
Le Couvreur, une figure qu’elle a représentée dans une huile, dès 1902 :
Tous
les ans, Angèle expose aussi des portraits, au Salon d’automne comme à celui
des artistes français. Peint la même année que celui de Benjamin-Constant, son Portrait
de Clémence Royer est évidemment salué par les journaux féministes.
« Mlle Delasalle me parle de Mme Clémence Royer, notre éminente collaboratrice, dont la place demeure toujours douloureusement vide parmi nous, et elle me conte comment elle put faire le portrait de cette femme si remarquable. C'était quelques jours avant la mort de Mme Clémence Royer et l'œuvre de Mlle Delasalle est d'autant plus intéressante, que c'est un document unique. C'est M. Benjamin Constant qui se chargea de demander à Mme Clémence Royer une pose de faveur pour l'élève qu'il admirait. » (Marie-Louise Néron, « Chez Mlle Delasalle », La Fronde, 4 juin 1902, p.1)
Elle
réalise aussi de nombreux portraits d’artistes : les peintres Désiré Lucas
en 1905 et Pierre Prin en 1907, le sculpteur Leopold Bernstamm en 1909. Je n’ai
trouvé que ceux du peintre Fernand Legout-Gérard et du peintre et sculpteur
Antonin Mercié, tous deux fort peu documentés et dont les reproductions en
ligne laissent à désirer…
Et, à nouveau … « Mlle
Angèle Delasalle a un robuste portrait
d’homme ; Mlle Delasalle continue à peindre pour les musées mais, en ce temps
où les hommes peignent comme les femmes Mlle Delasalle a le mérite de peindre
comme un homme, et un homme de talent. » (Pierre Veber, « Le Salon de la Société nationale des Beaux-Arts », The
New York Herald Paris, 14 avril 1906, p.2)
En 1911, elle peint deux portraits de Ferdinand d’Orléans, duc de Montpensier. Celui où il est représenté en chasseur de tigre est présenté au Salon des artistes français en 1912. Ils sont tous les deux conservés au domaine royal de Randan (63).
Quant aux portraits anonymes, ils sont introuvables et c’est bien dommage si on s’en tient aux descriptions : « celui, si merveilleusement brossé de Mme de B…, souple dans son "tailleur" de campagne, le regard sérieux et gai à la fois sous le vase feutre masculin, retenant à deux mains les superbes chiens loups qui l’accompagnent ; les portraits de Louis et Serge K… garçonnets à la bouche charnue, aux fortes oreilles, au nez retroussé, aux grands yeux où brille la flamme étrange de l’âge ingrat. » (Raymond Escholier, ibid., p. 323)
Vers
le milieu des années 10, Angèle commence à montrer des nus féminins :
« le nu féminin, elle n’avait jamais cessé de l’étudier dans ses sanguines
appliquées et dans ses peintures, tout d’abord nacrées de reflets puis,
bientôt, maçonnées en pleine chair. Ce qui caractérise ces nus, c’est qu’ils
sont bien modernes. Sans que l’artiste y ait songé, ils sont autant des
déshabillés que des nus. C’est que Mlle Delasalle n’obéit à aucun souci
d’idéalisation académique et qu’elle peint simplement la femme qu’elle a sous
les yeux. Or, la femme moderne – même le modèle – a tellement perdu l’habitude
de la nudité que, dépouillée du dernier voile, elle paraît encore dans sa
gaucherie de civilisée, réclamer le fourreau de la robe. Un seul regard sur le Repos,
cette belle figure nerveuse et pleine, de femme couchée, exposée en 1909,
suffit à fortifier cette remarque. » (Raymond Escholier, ibid., p. 328)
Le
même Escholier, critique d’art qui deviendra conservateur au musée Victor Hugo, l’interroge quelques années plus tard, ainsi que d’autre
artistes féminines, sur la question de l’entrée des femmes à l’Académie des
beaux-arts : « "Je devrais ne pas répondre. Il est des questions
trop impertinentes ! Est-ce que l’œuvre d’Art ou l’œuvre littéraire a un sexe ?
Est-ce que le radium est féminin ou masculin ? Quelle sottise !" Les
yeux rieurs, en dépit de l’indignation qui y pétille, le teint animé sous le
catogan poudré, vive et robuste, Mlle Angèle Delasalle s’exprime
avec une généreuse véhémence. Alentour, des portraits solides, des nus
puissants, des vues de fleuves, d’une lumière un peu rembranesque, — et un
grand et beau portrait de Mme Paulette del Baye, en simple tailleur, tenant en
laisse deux grands lévriers, que nous verrons, sans doute, au prochain Salon. "Sérieusement,
poursuit Mlle Delasalle, cet ostracisme est révoltant. Je ne vous ferai point
l’apologie des femmes de lettres ou de science, voire des femmes artistes. Je
ne vous citerai point Mme Vigée-Lebrun ou Mme Sand. On me répondrait que ce
sont là des exceptions. Comme si le génie n'était pas, chez l’homme, également,
une exception !... Non, je vous dirai ceci simplement. Il n’y a que l’œuvre, il
n’y a que le résultat qui importe. C’est ce que manifestèrent jadis, de façon
éclatante, les membres de l’Académie royale de peinture, en élisant la Rosalba
et Mme Vigée-Lebrun. Mais Bonaparte alors ne régnait point. Il paraît, en
effet, que c’est au Premier Consul que les femmes doivent d’être proscrites de
l’Institut. Comment s’en étonner ? Chacun sait que Bonaparte n’aimait pas les
femmes, il leur devait trop de choses… Tout de même, avouez qu’il est
plaisant de voir les académiciens de la Troisième République servir, avec un si
beau zèle, les petites rancunes du Premier Consul…" » (Raymond Escholier,
« Les femmes à l’Académie des Beaux-Arts, l’opinion des
intéressées », Le Monde illustré, 7 janvier 1911, p.6)
Dans
les années qui précèdent la Grande guerre, Angèle multiplie les petites scènes
de vie parisienne, comme les fameux bouquinistes des quais.
En 1914, elle expose au Salon des artistes français, des Baigneuses remarquées par Comœdia du 30 avril et par Henri Reyers, dans la Revue des Beaux-Arts, pour leurs « lignes souples et leur belle matité ». (1er mai 1914, p.2)
Puis, pendant la guerre, Angèle continue de croquer ses contemporains lors d’évènements patriotiques :
Elle participe en 1918 à l’Exposition des femmes artistes au Pavillon Marsan. Louis Vauxcelles, qui en fait la chronique, après avoir souligné le talent de Berthe Morisot, indique que « après elle, viennent Marval et Dufau, Marie Bracquemond, Paule Gobillard, Emilie Charmy, Lucie Cousturier, Angèle Delasalle, Louise Hervieu. » (Excelsior, 12 mai 1918, p.5)
Dans
les années 20, elle continue à exposer au Salon d’automne où elle présente notamment
ce nu, acquis par l’Etat au Salon de 1921 :
Se succèdent alors plusieurs expositions personnelles d’Angèle à la galerie La Palette française, boulevard Haussmann, qui sont assez peu relayées par la presse, à l’exception de celle de mars 1926 où elle montre « …certains aspects de Paris, la Porte Dauphine, Notre-Dame, le pont Marie, le pont Saint-Michel ». Elle y porte, indique Camille Mauclair, « la lumière, le charme, et cet attrait d'un art logique et sain qui émane de tout ce qu'elle fait. » (« Les expositions », La Renaissance de l’art français et des industries de luxe, année 1926, p.242)
Elle est nommée chevalier de la Légion d’honneur en juillet 1926 et expose à nouveau en septembre avec plusieurs artistes sur le thème du sport, avec La Saint Hubert.
Puis, en 1929 : « Mlle Angèle Delasalle, dont plusieurs œuvres ont été acquises par des musées, dont celui de San Francisco, expose au Palais de Marbre, 77 avenue des Champs-Elysées, quelques vues charmantes de Paris, rendues dans leur véritable atmosphère. L’artiste a reproduit des vues de la Seine, de la cathédrale Notre-Dame et de la terrasse du jardin des Tuileries à différentes heures de la journée, avec les effets de lumière spéciaux de la capitale. Mlle Delasalle a été particulièrement heureuse dans ses vues de Paris le jour des funérailles du maréchal Foch. L’artiste, qui a gagné sa réputation par ses portraits et ses nus, possède aussi quelques aquarelles au sens large : traitées et construites avec une belle simplicité. » (Anonyme, « Notes d’Art de Paris, The New York Herald Paris, 27 novembre 1929, p.4)
Vous vous doutez bien que j’ai été voir si un « musée de San Francisco » possédait l’une de ses œuvres, mais non. La seule œuvre d’elle qui paraît conservée dans une collection américaine est un don qu’elle a fait « à l’Amérique généreuse » et qui se trouve au Smithsonian :
« Mlle Angèle Delasalle est une victime des caprices extrémistes du temps présent. Parce qu’elle a modelé dans une pâte solide des portraits et des figures bien établis, on n’a pas tenu compte de ses recherches de clarté, de sa finesse d’œil, qualités qui peuvent pourtant s’accommoder de quelque science. Dans cette artiste bien douée, il y a un fort délicat paysagiste comme le révèlent les quelque cinquante peintures réunies au Palais de Marbre. On aimera ses notations de Bennerville d’une fine perspective aérienne, et surtout ses paysages parisiens, visions du fleuve et de la merveilleuse île Saint-Louis, traitées dans des gris délicats et sous de grands ciels, mouvants et légers. » (Charles Saunier, « Les Beaux-Arts », Revue politique et littéraire, 5 janvier 1929, p. 763)
Dans cet effacement progressif, on est à peine étonné par le compte rendu qui suit :
« Lecture
est donnée de douze lettres de candidature au fauteuil du peintre Ernest
Laurent, celles de MM. Adler, Bompard, Maurice Denis, Desvallières, Grün,
Leroux, Pierre Laurens, Le Sidaner, Prinet, Renard, Roger et Sabatté.
L'Académie a en outre reçu une lettre de candidature qui n'a pas été
communiquée, celle de Mlle Angèle Delasalle, lauréate de la Société des
artistes français, qui reçut une médaille d'argent en 1900 et fut décorée de la
Légion d'Honneur, il y a quatre ans. Le fait que cette candidature n'a pas été
communiquée à la presse semble indiquer qu'elle ne sera pas classée. » (Journal
des débats politiques et littéraires, Compte rendu d’une séance de
l’Académie des Beaux-Arts, 20 janvier 1930, p.2)
En effet, comme le confirment plusieurs journaux, : « l'Académie, après en avoir délibéré, a résolu de suivre la tradition établie par l'Académie Française à l'égard des candidatures féminines c'est-à-dire que la candidature de Mlle Delasalle n'a pas été enregistrée. » (Anonyme, « Une femme pose sa candidature à l'Académie des Beaux-Arts mais la candidature est repoussée », Ouest Eclair, 19 janvier 1930, p.2). Sans commentaire…
Dans
les années 30, elle n'est presque plus citée et si on trouve encore quelques œuvres d'elle, c'est presque incidemment.
Pourtant,
c’est l’époque où la ville de Paris acquiert plusieurs œuvres d’elle.
Ses tableaux se trouvent aussi dans de petits musées qui ne disposent pas d’un site assez élaboré pour montrer leur collection en ligne…
…
et beaucoup d’œuvres sont en collections privées.
Même le décès d’Angèle n’a pas été précisément documenté. La base Joconde indique 1941, d’autres sources 1939 ou 1940. Elle a donc peint jusqu’à la fin de sa vie.
Aujourd'hui complètement oubliée, Angèle Delasalle me paraît avoir été une artiste importante, pas seulement pour son trait vigoureux et ses talents d’aquafortiste comme de coloriste. Elle s’est réellement intéressée au monde qui l’entourait, notamment aux conditions de vie et de travail de la classe ouvrière, aspect de son œuvre qui paraît avoir été occulté par sa production de portraitiste, sans doute plus lucrative.
Mais pour le vérifier, il faudrait lui consacrer une vraie recherche…
*
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