dimanche 10 avril 2022

Anna Sofia Palm de Rosa (1859-1924)

 

Anna Palm - vers 1880
(Photographe inconnu)

Anna Sofia Palm est née le jour de Noël 1859 à Stockholm. Son père, Gustaf Wilhelm Palm, était peintre de cour et paysagiste. Sa mère, Eva, était la fille du peintre d’histoire et de portrait, Johan Gustaf Sandberg (1782-1854).

 

Gustaf Wilhelm Palm (1810-1890)
Benickebrinken, Österlånggatan - 1864
Aquarelle, 30 x 46,6 cm
Stadsmuseet, Stockholm

La famille vivait au Barnhusträdgårdsgatan 19, à Stockholm (aujourd'hui Olof Palmas Gata) et la maison de la famille Palm était un lieu de rencontre du milieu artistique de l’époque.  


Intérieur de la maison à Barnhusträdgårdsgatan – vers 1880
(Dans le fond, le chevalet de son père)
Gouache sur palette
Stadsmuseet, Stockholm

 

Dès son adolescence, Anna suit des cours de dessin dispensés par son père qui occupait alors un poste d’enseignant à l’école préparatoire à l’Académie des beaux-arts de Stockholm. Il avait notamment comme élèves Anders Zorn et Carl Larsson, alors âgé de 13 ans.

C’est sans doute aussi auprès de son père qu’Anna apprend à travailler l’aquarelle sur le motif…

 

Gustaf Wilhelm Palm (1810-1890)
Vue de l’Hofrättspalatset (ancien palais Wrangelska), Stockholm, 30 août 1881
Aquarelle, 20,2 x 26,5 cm
Stadsmuseet, Stockholm

… car avant même de suivre les cours d’autres professeurs, elle a déjà acquis une bonne technicité. (n'hésitez pas à cliquer sur les images)

 

Port de pêche, province du Blekinge - 1880
Aquarelle, 32,5 × 55 cm
Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery, Helsinki


Dans les années 1880, Anna devient l’élève du peintre d’histoire Edvard Perséus (1841-1890) puis du peintre de genre et de paysage Per Daniel Holm.

Per Daniel Holm (1835-1903)
Marais de Saggat Kyikkiokk – 1861
Huile sur toile, 40 x 56 cm
Nationalmuseum, Stockholm

Ensuite, Anna part à Anvers, auprès du peintre de marines Romain Steppe. 

Romain Steppe (1859-1927)
La mer du Nord par temps gris – 1887
Huile sur toile, 44 x 85 cm
Collection particulière (vente 2012)


Anna voyage, aussi : en Suède d’abord, comme en témoigne cette vue saisie à plus de 500 km de Stockholm, où on reconnaît l’inspiration de Steppe :

 

Fjällbacka – avant 1895
Aquarelle 17 x 23 cm
Collection particulière (vente 2018)

Ou bien celle-ci, peinte dans l’ile de Gotland. Anna y est peut-être allée avec son propre voilier car elle était connue pour être une navigatrice intrépide.


Vue sur la pointe de Högklint, baie de Kopparsvik, Gotland – 1891
Aquarelle, 46 x 74,5 cm
Collection particulière (vente 2011)


Elle se rend aussi au Danemark en 1884/85, notamment à Skagen où elle séjourne quelques temps dans la colonie de peintres (voir la notice d’Anna Ancher). Elle en rapporte un de ses tableaux les plus connus, qui pourrait bien se trouver au musée de Skagen (mais sans certitude, ce musée communicant peu d'information sur sa collection). Le jeu de l’Hombre est dérivé de la Roufa, un jeu italien du début du XVIe siècle, et ressemble au jeu de Tarot.

 

Jeu de l’Hombre à l’hôtel Brøndum– 1885
Huile sur toile, 52,4 x 35,6 cm
Skagens Kunstmuseer, Skagen ?

On voit ici probablement le peintre Peder Severin Krøyer à gauche et de face Degn Brøndum, le frère d’Anna Ancher. Je n’identifie par les femmes mais je doute qu’il puisse s’agir des filles de la famille Brøndum, dont l’austérité religieuse cadre mal avec la scène. Marie Krøyer n’est sans doute pas présente non plus puisqu’elle n’est arrivée à Skagen qu’en 1887.

 

Skagen – 1884
Aquarelle, 12 x 24 cm
Nationalmuseum, Stockholm

La même année, Anna expose pour la première fois à l’Académie des beaux-arts de Stockholm, non sans avoir préalablement rejoint un mouvement des quatre-vingt quatre artistes qui réclamaient une modernisation de son enseignement.

Elle se spécialise rapidement dans les vues de Stockholm, notamment celles qui mettent en scène sa dimension maritime, comme le chenal qui relie la Baltique au vaste lac intérieur Mälaren, ou l’entrée du port de Stockholm, de dimension impressionnante pour une aquarelle.

 

Le chenal de Stockholm – 1885/1895
Aquarelle, 75 x 45 cm
Stadsmuseet, Stockholm


Entrée à Stockholm depuis Saltsjön – 1885/1895
Aquarelle, 122 x 48 cm
Stadsmuseet, Stockholm


De 1889 à 1891, Anna enseigne la peinture à l’aquarelle à l’Académie des beaux-arts. Elle est également impliquée dans la nouvelle association « Artistes suédoises », avec Eva Bonnier, Hanna Pauli et Mina Bredberg (qui seront accueillies un jour ou l’autre sur ce blog !).

Elle peint également des vues des principaux monuments de la ville :

 

Le vieil opéra vu depuis Helgeandsholmen - 1892
Aquarelle, 46,5 x 36,5 cm
Stadsmuseet, Stockholm

Au début des années 1890, elle fait face à une très forte demande de la part d’une clientèle friande de vetude, notamment celles qui représentent des motifs marins avec des bateaux à vapeur, des voiliers et des panoramiques du château de Stockholm.

 

Vue du château de Stockholm et de l’ile de Helgeandsholmen – sans date
Crayon et aquarelle, 7 x 18,5 cm
Nationalmuseum, Stockholm


Elle se rend à l’Exposition universelle de Chicago de 1893 (dite souvent « exposition colombienne » car elle était dédiée à Christophe Colomb : on avait fêté l’année précédente les 400 ans de sa découverte de l’Amérique). Elle est répertoriée dans la liste des femmes y ayant participé mais sans emplacement précis et son nom ne figure pas dans le catalogue du Palais des Beaux-Arts. 

Anna ne craint jamais de saisir des scènes à main levée. Elle exécute ainsi, à l'entrée de l’exposition, cette petite pochade qu’elle offre à ses hôtes de Boston où elle se rend en septembre 1893.

 

A l’Exposition universelle de Chicago – 1893
Aquarelle à  main levée
Collection particulière


 Elle peint aussi des scènes composées et décoratives, à la mode de l'époque : 

 

Les saisons – 1885/95
Aquarelle, 75 x 130 cm
Stadsmuseet, Stockholm

« Cette grande aquarelle ornait le célèbre atelier de mode d’Augusta Lundin à Brunkebergstorg. L’hiver représente le « Bal des Oscars » qui avait lieu chaque année au palais le jour de la fête du roi, le 1er décembre ; le printemps est évoqué par une promenade à Djurgården ; l’été met en scène un voilier barré par une « femme marin », peut-être Anna elle-même ; l’automne représente le parc de Kungsträdgården. » (Notice du musée) 

 

L’hiver sur la place Charles XII – 1885/1895
Aquarelle, 59 x 77 cm
Stadsmuseet, Stockholm

Je me suis demandé à quoi correspondait cette disposition inhabituelle (et qui rappelle certains travaux de Louise Abbéma), jusqu’à ce que je découvre l’existence d’un certain Axel Henrik Eliasson (1868-1932) qui, après avoir fait des études de commerce, avait fondé en 1890 une société d’édition d’art et produit les premières cartes postales suédoises, en 1891. Cette composition était-elle destinée à une carte postale ? Je n’ai rien trouvé qui le confirmait mais ce n’est pas impossible et vous allez comprendre pourquoi, un peu plus tard.

 

En 1895, les parents d’Anna sont morts et son unique frère est parti s’installer dans le Småland. Plus rien ne la retient à Stockholm. Elle emmène avec elle la servante de la famille Palm, Karin Nilsdotter et s’embarque pour Le Havre. Puis, en bateau à vapeur, elles gagnent Paris.

A Paris, Anna peint de nombreuses scènes de genre et des autres vues dont les plus intéressantes, surtout au plan documentaire, ne sont pas forcément situées dans les quartiers les plus huppés.

 

Paris, Place de la Concorde – sans date
Aquarelle 43 x 72 cm
Collection particulière (vente 2008)

Boulogne sur Seine - 1899
Aquarelle, 21 x 34 cm
Collection particulière (vente 2020)

Port de Clichy – sans date
Aquarelle, 32 x 44 cm
Collection particulière (vente 2021)


Elle a peint aussi le bord de mer en Bretagne…

Saint Marc-sur-Mer – 1896
Aquarelle, 27,2 x 46,1 cm
Bibliothèque de l’Université d’Uppsala


Scène en BretagneSaint Marc-sur-Mer– sans date
Aquarelle, 57 x 95,5 cm
Collection particulière


Et remplit les pages d'un carnet de dessins sur les ostréiculteurs du bassin d’Arcachon…

Images côtières de Gujean-Mestras dans le sud de la France– vers 1897
Dessin à la plume, 42 x 27,5
Bibliothèque de l’Université d’Uppsala


En 1897, se tient l’Exposition universelle de Stockholm où il est avéré qu’Anna n’a pas mis les pieds. C’est alors que nous retrouvons Axel Henrik Eliasson, lequel lui commande 11 petites aquarelles de très petit format qu’elle exécute probablement d’après des croquis qu’il lui transmet, voire d’après des clichés du célèbre photographe de Stockholm, Frans G. Klemming.

 

Frans G. Klemming (1859-1922)
L’opéra de Stockholm en construction – 1895
Tirage argentique moderne, 24 x 18 cm
Stadsmuseet, Stockholm


Les aquarelles d’Anna deviendront les cartes postales officielles de l’Exposition. La plus recherchée est la vue du « Hall de l’industrie », avec son dôme et ses quatre minarets, dont deux avec ascenseur. Avec ses 27.000 m2, c’était alors le plus grand bâtiment en bois qui ait jamais été construit.

Et, bien sûr, la carte postale de ce hall a été la plus vendue de l’Exposition. Elle a même fait l’objet d’un tirage spécial annonçant la 100.000e carte mise en vente !

Tirage spécial pour la 100.000e carte postale du Hall de l’Industrie

Les cartes postales d’Anna ont tant de succès qu’on en fait même un tirage spécial, sur feuilles de cartons en forme… de palette !

Palette de onze feuilles de carton représentant chacune des aquarelles d’Anna Palm de l’Exposition de 1897


Ce qui n’empêche pas Anna de réaliser d’autres vues de l’exposition :


Vue de l’exposition de Stockholm – 1897
Aquarelle, 55,4 x 24,1 cm
Stadsmuseet, Stockholm

Le Hall des machines de l’exposition de Stockholm - 1897
Aquarelle, 25,6 x 21,2 cm
Stadsmuseet, Stockholm


Il n'empêche que certaines de ces vues, manifestement peintes d'après document, ont perdu la spontanéité de ses premières œuvres. Celle-ci, par exemple, présente des personnages qu'on dirait dessinés vite-fait par un architecte

Vue sur la place Gustav Adolf et [le pont] Norrbro, Stockholm – sans date
Aquarelle, 52 x 73 cm
Collection particulière (vente 2019)

Ensuite, le pli est pris et les cartes de toutes sortes se succèdent :

Carton d’invitation aux noces d’argent du baron et baronne Carl Klingspor en 1904

 

Cartes postales de pays divers, Finlande, Allemagne et même Palestine, pas toujours du meilleur goût, ce qui n'est jamais bon pour l'image d'un artiste

« Bons baisers de Hambourg »


Le filon sera aussi exploité à la gloire de l’armée française, en 1905, avec une série de 50 cartes postales :

Carte n°20 : Capitaine de Hussards et carte n°44 Clairon de l’infanterie.

N.B : La source de tous les éléments relatifs aux cartes postales d’Anna est une étude réalisée par M. Göran Heijtz, rédacteur en chef de Facit Postal, responsable des collections de cartes postales au sein de l’Association des collectionneurs Saint-Erik et président de l’Association suédoise des marchands de timbres.

 

Il est assez probable que ces « activités postales », qui nous paraissent bien désuètes aujourd’hui, aient assuré à Anna une partie de ses revenus pendant sa période parisienne.

Mais Anna est aussi aux premières loges pour découvrir l’Exposition universelle de Paris en 1900. Comme à Chicago en 93, elle croque à main levée quelques scènes du Pavillon suédois, aujourd’hui conservées au musée national de Stockholm. Je ne sais pas si elles ont aussi servi à la préparation de cartes postales mais pour ce qui est notamment de la troisième, ça ne me parait pas impossible !

 

Intérieur de l’Exposition universelle de Paris – 1900
Dessin à main levée et aquarelle, 11,6 x 16,3 cm
Nationalmuseum, Stockholm
© Photo : Anna Danielsson / Nationalmuseum

Intérieur du Pavillon de la Suède à l’Exposition universelle de Paris - 1900
Dessin à main levée et aquarelle, 11,8 x 16,4 cm
Nationalmuseum, Stockholm
© Photo : Anna Danielsson / Nationalmuseum

 
La laiterie du Pavillon de Suède à l’Exposition universelle de Paris – 1900
Dessin à main levée et aquarelle, 11,6 x 16,2 cm
Nationalmuseum, Stockholm
© Photo : Anna Danielsson / Nationalmuseum


Après quelques années en France, Anna et sa compagne visitent l’Italie. C’est à Capri qu’Anna rencontre son futur mari, le lieutenant d'infanterie Alfredo de Rosa. 

Villa Salimento, Capri – 1898
Aquarelle, 56,5 x 39 cm
Collection particulière (vente 2019)


Ils se marient à Vaucresson, le 9 septembre 1901 (à partir de cette date, Anna signe Palm de Rosa) puis retournent en Italie vers 1905, habitent quelque temps à Capri avant de s'installer dans le petit village de Madonna dell'Arco près de Naples, en 1908.

Anna n’abandonne pas la petite industrie suédoise qui fait vivre sa famille, surtout pendant la Première Guerre mondiale où son mari est appelé. Mais à présent, elle exerce aussi son talent en Italie (ces images viennent de sites de vente et sont, hélas, d'assez mauvaise qualité…) :

 

Escaliers de la Trinité-des-Monts, à Rome – sans date
Aquarelle, 18.9 x 29.3cm
Collection particulière


Vue de Rome depuis la colline du Pincio – vers 1920
Aquarelle, 28,2 x 39,3 cm
Collection particulière (vente 2011)

 

Et bien sûr, elle peint diverses vues du golfe de Naples, notamment à Baïes :

La baie de Baïes – sans date
Aquarelle, 29 x 59 cm
Collection particulière (vente 2017)


En 1957, le magazine suédois Idun a réalisé un reportage sur Anna. Le journaliste a retrouvé sa maison, perdue dans la campagne, et son fils, le chirurgien Francesco de Rosa, alors très âgé mais dont la haute et massive stature rappelait celle de son grand-père, Gustav. Il parlait un suédois hésitant, autrefois enseigné par sa mère à ses deux fils. Il a montré, dans un coin de l’immense propriété qui ressemblait « à un zoo paisible rempli d’animaux », une vieille maison en bois délabrée, construite sur un modèle suédois : l’atelier d’Anna. Selon son fils, la plupart des œuvres italiennes d’Anna avaient disparu pendant la Seconde Guerre mondiale.

Anna est morte le 2 mai 1924, à 64 ans. Aujourd’hui, à Madonna dell'Arco, il ne reste sans doute plus trace de son passage.

Elle a fait l’objet d’une seule exposition à Stockholm, en 2005.

Anna était une aquarelliste de talent ; sans révolutionner l’histoire de la peinture elle a été « une des artistes les plus productives de l’ère oscarienne » (c’est-à-dire pendant le règne d’Oscar II, entre 1837 et 1901) et, dans les années 1890, une des artistes les plus recherchées de Suède.

Elle a surtout vécu sa vie d’artiste et de femme comme elle l’entendait et à ce titre, aussi, il m’a semblé que son histoire méritait d’être racontée. 

 


Paysage au clair de lune sur un lac – sans date
Huile sur toile, 42 x 57,5 cm
Collection particulière (vente 2007)


 

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