On
ne connaît pas la date de naissance exacte de Marie-Geneviève, il semblerait
que ce soit en 1763.
Elle était la fille unique d'un tailleur et aurait fréquenté les ateliers de Joseph-Benoit Suvée (1743-1807), un peintre néoclassique et Joseph-Siffred Duplessis (1725-1802), essentiellement portraitiste. Il est possible qu’elle ait aussi travaillé avec Jean-Baptiste Greuze (1725-1805) qui avait plusieurs élèves féminines à l’époque mais Marie-Geneviève elle-même ne s’en est jamais réclamée et les contemporains la désignent plutôt comme une élève de Duplessis.
Le premier portrait qu’on connait d’elle date de 1785. Elle a vingt-deux ans, sa formation est achevée et c’est probablement Duplessis, membre de l’Académie et portraitiste de la famille royale, qui a aidé sa jeune élève à trouver des commanditaires. En l’espèce, Léonce Bénédite dans son article sur les femmes peintres, reproduit le tableau et indique qu’il s’agit du portrait d’une comédienne. (Bénédite Léonce, Des femmes peintres en France, Londres, Hodder & Stroughton,1905)
Elle paraît avoir été très active pendant la période révolutionnaire : « Les peintres accrédités pour le portrait étaient alors Laneuville, la citoyenne Auzou, élève de Regnault, et la citoyenne Bouliar [sic], élève de Duplessis. Ils se partagèrent, avec Ducreux, les personnages de l’époque. » (Jules Renouvrier, Histoire de l’art pendant le Révolution, publication posthume par Anatole Montaiglon, Paris, Renouard, 1863, p.25)
Au
Salon de 1791, le premier ouvert aux peintres non académiciens, elle expose
deux œuvres : une Tête de femme couronnée de roses et un Portrait
de femme, son autoportrait, qui plaît à la critique (voir en
tête de notice et ci-dessous, reproduit dans Join Henry, « Marie-Geneviève
Boulard, peintre de portraits », L’artiste, revue de l’art contemporain,
1845).
J’ai retrouvé un Portrait de femme portant une couronne florale mais je ne sais pas si c'est celui qui a été présenté au Salon en 1791. Les dimensions de l’œuvre ne sont pas précisées sur le livret.
Son
autoportrait, en revanche, a été exposé ensuite au Salon de la société des amis
des arts et il y remporte un tel succès qu’elle en fait plusieurs copies :
on en connaît aujourd’hui une dizaine de versions, comme celle qu’on trouve au
musée de Pasadena.
La Société des amis des Arts est une association
fondée en 1789 par l’architecte Charles de Wailly, pour encourager les
artistes français, à une époque où l’institution académique est contestée et
qu’il est difficile, pour les artistes, de se faire connaître. Entreprise de mécénat collectif, la Société repose sur une
« souscription de douze cents amateurs, qui donneraient chacun seulement
une somme de 50 livres par année ». Elle organise des expositions de 1791 à 1798
et, grâce à la souscription de ses membres, acquiert des œuvres d’art pour sa
propre collection, puis une loterie répartit les œuvres entre les
souscripteurs. La Société des Amis des Arts connaît un réel succès, réforme
ses statuts en 1817 et conserve son activité, sous une forme renouvelée,
jusqu’à la fin du XIXe siècle. L’activité de ce type de société ne s’est pas
limitée à la capitale : comme l’a montré une étude de l’INHA de 2019,
les sociétés d’amis des arts se sont implantées sur tout le territoire au cours des
XIXe et XXe siècles. Celles de Grenoble, Vichy, Tournus, Louhans, Pau,
Amiens, Nancy, Metz et Strasbourg sont encore en activité. |
Son nom apparaît en 1793 dans le livret du Salon mais avec une autre orthographe et une autre adresse, ce qui est curieux car, en 1795, on la retrouve à sa première adresse, rue de Bailleul. Dans son article précité, Henry Jouin relève aussi cette incongruité mais l’écarte car elle paraît changer de domicile assez souvent… Si c'est bien d'elle qu'il s'agit, elle a présenté plusieurs dessins et trois portraits dont on n’a plus trace. Elle aurait, au même moment, obtenu un atelier au Louvre – ce qui prouve qu’elle disposait de soutiens importants - mais n’y loge visiblement pas.
Quoi qu’il en soit, elle a peint l’année précédente le Portrait de Monsieur Olive, trésorier des États de Bretagne, avec sa famille - ce qui confirme qu’elle avait déjà accès à une clientèle aisée - œuvre que je trouve fort intéressante pour ce qu’elle donne à voir de la représentation de la vie familiale.
Alors que c’est le nom du mari qui donne son titre au tableau,
c’est assez évidemment l’épouse, dont la tenue blanche attire le regard, qui en
constitue le centre et Monsieur Olive n’a d’yeux que pour elle. L'ainé(e) des enfants porte une
attention tendre au plus jeune, tandis que leur père entoure sa famille de ses bras. Une image de félicité domestique assez
nouvelle dans la peinture de l’époque qui privilégiait plutôt la relation
de la mère avec ses enfants.
C’est au Salon de 1795 qu’elle obtient son plus grand succès critique, avec son Aspasie, une courtisane célèbre pour son esprit et sa beauté, dans un format de « grandeur naturelle » comme le précise le livret du Salon.
Pour
cette œuvre, elle reçoit un prix d’encouragement.
« Aspasie est une courtisane cultivée et influente de la Grèce du Ve siècle avant J.C. Elle a connu Socrate et eut un fils avec Périclès. Marie-Geneviève réalise un autoportrait en proposant une mise en abyme d’elle-même. Aspasie, belle jeune femme, parfois accusée de prostitution, contemple son image dans un miroir. La peintre nous montre une image d’elle-même comme elle dût le faire pour peindre son visage. Ainsi, la peintre se regarde : les deux actions fusionnent sous les pinceaux de l’artiste. » (Notice du musée)
Je ne doute pas des informations détenues par le musée mais il se trouve quand même que le tableau n’est pas présenté comme un autoportrait dans le livret du Salon. Ce serait en tout cas, à ma connaissance, la première fois qu’une peintre s’y présenterait en partie dévêtue, ce qui me paraît moyennement correspondre à la personnalité de Marie-Geneviève, peintre célibataire qui n’avait pas intérêt à ce qu’on mit en doute son honorabilité.
Je pense surtout que, même si Marie-Geneviève a prêté ses traits à Aspasie, ce n’était sans doute pas pour se présenter elle-même. Peut-être souhaitait-elle simplement représenter, dans un tableau d’histoire, une femme d’influence…
En tout état de cause, le Salon de 1796 permet de vérifier sa notoriété : elle y montre notamment les portraits d’Alexandre Lenoir, médiéviste et conservateur du musée des monumens (sic) français et de sa femme, peintre elle-même, ainsi que ceux du citoyen Mazade, administrateur du théâtre des Arts, et de son épouse, portraits qui ne sont plus localisés.
Et les deux époux Lenoir portent chacun les attributs de leur activité !
C’est en 1798 que Marie-Geneviève expose au Salon Les enfants du citoyen Vernet, peintre, se tenant embrassés, en souvenir d’une fusillade qui aurait eu lieu cette année-là au Louvre et à laquelle les enfants de Vernet, son voisin d’atelier, auraient échappé de peu. L’histoire est jolie mais le tableau est introuvable…
Elle
présente aussi à ce Salon une Femme couverte d’un voile noir, demi figure
qui pourrait bien être ce tableau parti depuis à La Havane…
Elle
n’apparaît pas aux Salons de 1799 à 1801 mais continue probablement à exécuter
des portraits.
En
1802, elle est contrainte, comme tous les artistes qui y résidaient encore, de
quitter le Louvre. Elle reçoit en contrepartie de l’État une indemnité de 300
francs par an, qui lui est versée jusqu’à sa mort. Elle s’installe alors au 38
rue du Faubourg Saint Denis, adresse qu’elle fournit pour le Salon de 1802.
Elle y montre un tableau d’histoire, Herminie écrivant le nom de Tancrède sur l’écorce des arbres et un portrait de famille. Et – surprise - elle se déclare pour la première fois élève de Duplessis.
L’année suivante, elle présente plusieurs portraits dont celui de trois enfants. J’en profite pour montrer celui qui suit, qui me paraît dater de cette époque, en raison de sa tenue.
Elle
continue jusqu’en 1817 à exposer irrégulièrement au Salon, essentiellement des
portraits, puis on perd sa trace.
On
ne connaît à Marie-Geneviève ni élève ni mari.
Elle meurt à Vindecy, en Bourgogne, où elle s’était peut-être retirée, en 1825 ou plus tard - de cela non plus on n’est pas très sûr - c’était peut-être en 1832.
A sa mort, le montant de sa succession est supérieur à 30 000 francs, ce qui souligne qu’elle avait continué à vivre dans des conditions confortables mais on ne sait pas si c’était de son art.
Marie-Geneviève Bouliard, une peintre sans histoire…
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