Thérèse
Schwartze est née le 20 décembre 1851 à Amsterdam.
Du côté paternel, la famille Schwartze est originaire de Vlotho (Westphalie). Selon l’article de H. Leonards*, d’où sont tirées la plupart des références biographiques de la présente notice, « le grand-père de Thérèse, Johann Engelbert Schwartze, fils d'un notable de Vlotho, paraît avoir été impliqué dans une conspiration contre le gouvernement du roi Jérôme. (…) averti par des amis, il eut le temps de prendre une nuit la fuite avec ses frères. Il se rendit en Hollande où il ne tarda pas à trouver une position. » Puis, après avoir épousé, à Amsterdam, Clara Eleonore Schildbach, il émigra aux Etats-Unis quelques années après son mariage. (*Les peintres néerlandais du XIXe siècle, Tome 2, édité sous la direction de Max Rooses, traduction de Georges Eekhoud, 1899-1901, p.179-203, consultable sur Gallica)
Ce qui explique que le père de Thérèse, Johann Georg Schwartze, né le 20 Octobre 1814 à Amsterdam, « n'avait que deux à trois ans quand il accompagna ses parents à Philadelphie ». Bien qu’initialement destiné à prendre la suite de son père à la tête « d'une fabrique de produits chimiques en pleine prospérité », il obtient l’autorisation de se consacrer à sa passion du dessin puis de rentrer en Europe pour suivre les cours de l'académie de Düsseldorf.
Il décide d’exposer un portrait de sa (ravissante) fiancée, Elise Hermann, à la société d’artistes Arti et Amicitiae d’Amsterdam et le tableau rencontre un tel succès que sa carrière est lancée. Les commandes affluent et, pour y faire face, Georg Schwartze décide de s’installer dans la ville pour y fonder sa famille.
Elle se compose de quatre filles et d’un garçon, Thérèse est la troisième et elle est très proche de sa sœur cadette, Georgine, qui deviendra sculptrice.
D’une personnalité décrite comme « charmante », Georg Schwartze se lie d’amitié avec les meilleurs artistes, écrivains et savants, notamment les peintres Jozef Israëls (1824-1911), Gerard Bilders (1838-1865) et Simon Opzoomer (1807-1878).
« Comme son père, Thérèse montra de précoces dispositions ; dès l'âge de huit ans la fillette ne s'amusait à rien autant qu'à dessiner (..). Bientôt son père se chargea de lui enseigner le dessin, puis la peinture, et le principal souci de la jeune fille fut de toujours satisfaire ce maître aimé et de se montrer digne de ses leçons. » (H. Leonards, op.cit. p.186)
A seize ans, Thérèse commence son apprentissage dans l’atelier de son père et lui aurait écrit pour son anniversaire : « Je m'appliquerai davantage à tout, afin, avec la bénédiction de Dieu, de pouvoir gagner ma vie en peignant. »
« En 1874, lorsque John George Schwartze fut enlevé à l'affection des
siens, Thérèse avait déjà fait beaucoup et de bonne peinture. "Elle peint
aussi bien que moi !" disait encore son père quelques jours avant la
suprême séparation. » (H. Leonards, op.cit. p.186)
Thérèse
se retrouve seule, à vingt-trois ans, pour assurer l’entretien de sa famille.
Elle décide néanmoins, pour terminer sa formation, de se rendre à Munich où
elle bénéficie des conseils du portraitiste Franz von Lenbach (1836-1904).
Revenant au bout d’un an, la jeune fille est entourée par « le bon et grand Israëls » et s’installe dans le spacieux atelier de son père, doté d'une magnifique verrière, au troisième étage de la maison familiale du 1091 Prinsengracht, au bord d’un des canaux d’Amsterdam. Assez rapidement, elle est soutenue par Gijsbert Van Tienhovens, membre du conseil municipal et amateur d’art. Il deviendra bourgmestre d’Amsterdam en 1880 et l’introduira dans son cercle amical.
S’il ne reste plus beaucoup de traces de ses œuvres de l’époque, on sait qu'elle est déjà régulièrement exposée en Hollande et citée dans un article français dès 1878 : « Fait remarquable, les meilleures études de grandeur naturelle, confinant le portrait et l'histoire, sont également l'œuvre d'une jeune fille, Mlle Thérèse Schwartze. Son Afra, vierge chrétienne sur le bûcher, ainsi que la tête de garçon qu'elle intitule Studie, sont de très intéressants morceaux de peinture. » (Victor Champier, « L’Art à l’étranger, Hollande », L'Année artistique : beaux-arts en France et à l'étranger, 1878, p.445)
Cette description succincte de son Afra pourrait-elle correspondre à ce Portrait de dame, passé sur le marché de l’art ?
En
cette même année 1878, Thérèse se rend à Paris pour l’Exposition universelle
qui l’impressionne profondément. A son retour, elle est décidée à aller y étudier
quelque temps, aussitôt que possible.
Et, dès l’année suivante, elle y retourne pour présenter deux toiles au Salon des artistes français, un Portrait et une étude, Costume flamand du XVIIe siècle.
« Avant de connaître le nom de l'auteur du Costume Flamand du XVIIe siècle, je songeais, en y admirant la vigueur de touche, l’ampleur du dessin et la réserve du coloris, je songeais aux beaux portraits de Van Dyck et de Rubens. Non pas que je veuille comparer cette œuvre à celles des grands maîtres ; mais je retrouvais là le grand sentiment, la grande école. Après avoir consulté le livret, car le tableau est placé un peu haut pour en lire la signature, j’apprends que l’auteur, Mlle Thérèse Schwartze est d’Amsterdam. Elle a, on ne peut mieux, profité du voisinage des chefs-d’œuvre et s’en est inspirée, il faut l’avouer, avec un rare bonheur. » (Arthur Bloch, « Le Salon de 1879 », Le Nain Jaune, 22 juin 1879, p.2)
Thérèse, en revanche, est beaucoup moins convaincue par ce qu’elle a vu : « L'an dernier tant de choses m'attiraient et excitaient mon admiration ; et à présent il y a tant de choses auxquelles je ne comprends rien ; dont la couleur et la technique me déconcertent, tellement qu'avec la meilleure volonté je ne parviens à les admirer. (…) On est littéralement accablé par ces excentricités. Mais peut-être jugerai-je autrement plus tard ! Il m'étonne que le jury ne se montre pas plus sévère, car il y a quantité de toiles médiocres ou insignifiantes et d'autres franchement mauvaises, quoique je convienne que dans le nombre beaucoup gagneraient à être présentées sous un jour plus favorable. » (H. Leonards, op.cit. p.192)
Mais
elle s’obstine néanmoins et, en dépit des multiples difficultés qu’elle doit
surmonter (trouver un logement et un atelier), elle s’accroche à l’idée de
rencontrer celui dont elle espère les conseils, Jean Jacques Henner
(1829-1905).
La barrière linguistique complique leur entretien. Henner « lui dit grand bien des œuvres qu'elle avait à l'Exposition » mais Thérèse ne saisit pas l’admiration qu’il a pour elle. Elle repart frustrée tandis qu’Henner, séduit, parle d’elle à tous ses amis. Quelques années plus tard, il aurait formulé une seule critique sur ses portraits : « Vous leur prêtez presque trop d'expression. » (H. Leonards, op.cit. p.191)
La suite est un peu floue : selon H. Leonards, elle aurait fait de fréquents séjours à Paris entre 1879 et 1880, d’autres sources indiquent qu’elle s’y installe pendant cette période. Ce qui est sûr, c’est qu’elle trouve finalement un atelier et surtout un modèle, une femme italienne dénommée Fortunati, dont elle aurait fait plusieurs portraits. L’un d’entre eux, Dernier regard, a été exposé à la société d’artistes Arti et Amicitiae d’Amsterdam vers 1880. Voici Fortunati :
De
cette période, j’ai aussi retrouvé cette étude, sans précisions.
Thérèse
ne participe pas au Salon parisien en 1880 et 1881. Elle travaille chez elle et
commence à être reconnue comme portraitiste. En 1880, elle est invitée au à
séjourner quelque temps au Paleis Soestdijk (palais royal) de Baarn afin
de donner des cours de peinture à la princesse Marie, nièce de la reine Emma
(1858-1934).
Thérèse raconte : « La présentation et la première leçon sont passées et passée aussi ma première anxiété. Une amusante petite demoiselle d'honneur me conduisit auprès de la princesse ; je n'avais pas même eu le temps de réparer un peu le désordre de ma coiffure. Je me suis oubliée quantité de fois, mais la princesse est vraiment charmante et très affable. Elle était si pressée de se mettre à la peinture, qu'il me fallut convertir séance tenante une des chambres en atelier. Mais où était le Nord ? Personne ne le savait et moi encore moins que les autres. J'explorai le palais de haut en bas et dans tous les sens, accompagnée d'un laquais, et je finis par découvrir une chambre très convenable située au Nord et à côté de la mienne, d'où nous étions venus. » (H. Leonards, op.cit. p.199)
A la suite de ce premier contact et alors que Thérèse est honorée de la plus haute distinction de l’Arti et Amicitiae - la Grande Médaille d'or du roi Guillaume III - elle reçoit sa première commande royale, un portrait de la reine Emma …
…
puis un second, avec la petite princesse Wilhelmine dans ses bras, destiné à
l'anniversaire du roi Guillaume III, le 19 février 1881. Il est conservé dans
les Collections royales des Pays-Bas :
La
presse est très enthousiaste et un journal de l’époque publie la critique suivante : « Ces portraits grandeur nature sont sans aucun doute
parmi les meilleurs que l'art ait produits dans ce domaine ces dernières
années. » (Notice du musée)
Sa carrière est lancée, dans une période propice à l’émergence d’une artiste de son profil. Les Pays-Bas entrent dans une période de prospérité économique, liée à l’expansion rapide du commerce, de la banque et de l'industrie. La nouvelle bourgeoisie veut manifester son prestige en commandant des portraits dont les caractéristiques s’apparentent à ceux de l’ancienne aristocratie du XVIIIe siècle.
Deux exemples de ces portraits : Catharina Josephina Biben, la fiancée de D. Cornelis Jacob den Tex, fils du maire d’Amsterdam…
…
et celui du théologien et poète Nicolaas Beets :
C’est
le portrait d’une autre célébrité hollandaise, l’ancien ministre Nicolas van Taack Tra Kranen (1819-1890) qu’elle expose au
Salon de Paris en 1882…
… avec une seconde œuvre intitulée Costume
frison que j’illustre grâce à cette Paysanne hollandaise de l’année
suivante.
Ces toiles passent relativement inaperçues à
Paris. Au Salon suivant, Thérèse expose un Portrait de M. Loudon (probablement
James Loudon, un homme politique néerlandais) qui suscite ce commentaire :
« Le portrait de M.
Loudon, par Thérèse Schwartze, est un des meilleurs du Salon ; il est
simple et franc de style et le visage, d'une touche fine, diaphane, exquise, remue,
tant il est modelé. » (Jean Alesson, « Salon de 1883 », La
Gazette des Femmes, 25 mai 1883, p.78)
Mais, juste après le Salon, c’est une nouvelle beaucoup plus inhabituelle qui agite la presse française de 1883.
« Il vient de se passer en Hollande un petit fait qui n'est pas sans importance au moment où la question des aptitudes de la femme est à l'ordre du jour. Au nombre des membres choisis par le gouvernement hollandais pour faire partie du jury de peinture à l'Exposition internationale, figure Mlle Thérèse Schwartze. Cette jeune et vaillante artiste n'est point une inconnue pour les Parisiens : elle expose tous les ans au Salon, et cette année elle avait deux grands tableaux, dont l'un, portrait d'homme, a été fort remarqué. (…) Pour l'honneur de notre pays, c'est la France qui aurait dû donner cet exemple car Mlle Schwartze est, croyons-nous, la première femme qui, en Europe, ait encore fait partie d'un jury artistique. Faute de mieux, on se console en pensant que Mlle Schwartze ne laisse jamais échapper une occasion de témoigner sa sympathie pour la France et l'art français. » (« Exposition d’Amsterdam, Beaux-Arts », Le XIXe siècle : journal républicain conservateur, 12 juillet 1883, p.1)
On en trouve l’écho jusque dans le Journal officiel : « Les choses, sous ce rapport, me semblent mieux entendues à l'étranger. Aussi les femmes artistes y occupent-elles une situation proportionnée à leur mérite. Nous en avons eu un exemple il y a peu de jours, à l'occasion de l'exposition internationale d'Amsterdam. Le gouvernement Néerlandais n'avait pas hésité à nommer membre du jury de peinture une jeune artiste de beaucoup de talent, Mlle Thérèse Schwartze. Je ne veux pas dire que cette personne distinguée n'ait pas été un peu émue en se trouvant au milieu des maîtres illustres qu'elle avait pour collègues. Mais bientôt elle s'est rassurée et on a pu connaître toute la solidité et toute la délicatesse de son jugement. Je le dis à regret, nous n'en sommes pas encore à ce point ; et cependant combien l'école française ne compte-t-elle pas de femmes dont le grand talent honore les arts et qui figureraient avec autorité dans nos jurys. Mesdemoiselles, vous avez de graves devoirs à remplir. Au moment où l'Etat s'intéresse si activement à l'éducation des femmes, il faut, de votre côté, faire acte d'initiative. » (Discours d’Eugène Guillaume, inspecteur général de l'enseignement du dessin, à l’occasion de la distribution des prix aux élèves de l’Ecole nationale de dessin pour les jeunes filles de l’Ecole nationale des Beaux-Arts, Journal officiel de la République française, 10 août 1883, p.4165)
Autrement dit : « faites preuve d’un peu plus d’initiative, mesdemoiselles, si vous voulez qu’il vous arrive le même type d’honneur ». (L’administration des Beaux-Arts dans toute sa splendeur…)
« Ce fut là que les peintres de la Haye apprirent à bien la connaître, et ceux qui n'étaient pas encore ses amis ne tardèrent pas à le devenir. Crâne et pourtant très femme, elle donnait son avis sans aucune réserve et s'entendait parfaitement à le défendre. » (H. Leonards, op.cit. p.199)
En
1884, Thérèse trouve enfin le temps de s’installer vraiment à Paris et d’y
louer un atelier pour y travailler plusieurs mois. Elle retrouve sa chère
Fortunati dont elle peint ce portrait, d’abord sans le chien qui ne sera ajouté
que l’année suivante, avant son exposition à Amsterdam.
Et
Fortunati est peut-être aussi le modèle de cette charmante Femme aux
tournesols.
Elle
aura recours à d’autres modèles italiens, paysans pauvres du sud de l’Italie,
qui posaient pour gagner un peu d'argent, comme ces deux petites filles…
…
et elle exécute aussi les portraits de ses amis présents à Paris, comme la
peintre Wally Moes (1856–1918).
Au
Salon de l’année, elle expose le portrait du peintre paysagiste Henri
Harpignies (1819-1916) qui lui vaut sa première distinction française, une
mention honorable. L’œuvre est à présent conservée au musée de Valenciennes -
d’où le peintre était originaire – qui a bien voulu m’en transmettre une
photographie, ce dont je le remercie.
Thérèse
participe aussi à l’Exposition des femmes peintres et sculpteurs : « Nous
avons à plusieurs reprises remarqué les portraits exposés aux Salons annuels
par Mlle Thérèse Schwartze : la robuste Frisonne qu'elle a envoyée ici
mérite tous nos éloges. A côté, une jolie petite tête d'enfant, sous le nom
d'étude. » (« L’exposition des femmes
peintres et sculpteurs », Le Parnasse : organe des concours
littéraires de Paris, 15 mars 1884, p.6)
Puis, en 1885, nouvel envoi au Salon, deux huiles qui sont peut-être passées récemment sur le marché de l’art (mais attention : c’est moi qui suppose que ce cardinal pourrait correspondre au titre du Salon : Cardinal orateur)
La
même année, elle peint ces trois jeunes filles qu’elle ne semble pas avoir
montrées en France. Elles constituent le premier jalon d’un thème récurrent,
les Orphelines d’Amsterdam. (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
En 1885, Thérèse expose un probable portrait intitulé Musa à la Royal Academy de Londres. Cette information n’est pas sans intérêt pour la suite de notre étude…
C’est
l’époque où Thérèse commence à travailler le pastel, qui va rapidement devenir
son media préféré, probablement à cause de sa souplesse d’utilisation et
l’absence de temps de séchage. Elle utilise cette technique pour répondre à la
commande d’une amie, Mia Cuypers, fille d’un architecte très en vue (il a conçu
les bâtiments du Rijksmuseum et de la gare centrale d’Amsterdam), à l’occasion
de son mariage avec le marchand sino-britannique Frederick-Err-Toung, ce qui
explique la présence de caractères chinois en haut à gauche. Ils signifient
« longévité » et « rapprochement ».
Cet
autre portrait de Mia illustre la maîtrise de Thérèse au fusain dont elle
regrettait que sa clientèle ne soit pas plus friande…
C’est
probablement dans ces années que Thérèse exécute son autoportrait au
pastel :
Au
Salon parisien de 1886, elle expose deux pastels et une huile, dont le
catalogue donne le complément de titre suivant : « J'élève mes yeux à
toi, qui demeures aux cieux. - Aie pitié de nous, Eternel. Notre âme est foulée
de la moquerie de ceux qui sont à leur aise et du mépris des orgueilleux. »
(Psaume CXXIII, 1, 3, 4).
C’est
cet envoi qui retient l’attention de la presse.
Le
Vicomte de Saint Leu, dans Le Magasin des demoiselles, le trouve
« émouvant dans sa simplicité sévère », mais d’autres sont un peu
moins conquis : « Mlle Thérèse Schwartze, une jeune artiste
hollandaise de talent, a envoyé : A l'église. C’est vigoureusement
traité, quoique mystique. Nous espérons que Mlle Schwartze a l’humeur moins
lugubre que le sujet qu’elle traite et que son "âme n’est pas foulée de la
moquerie de ceux qui sont à leur aise et du mépris des orgueilleux", car
l’artiste a un talent véritable, et la critique entière ne lui a jamais
marchandé ses éloges. Mais, pour Dieu, mademoiselle, quittez les psaumes !
Tout le monde n’est pas protestant, et qu’on laisse une bonne fois ces lectures
ennuyeuses aux Anglais, à qui elles communiquent le spleen. Nous préférons Béranger à tous les psaumes de
tous les testaments. » (A.M. de Bélina, « Le Salon de 1886 », Le
Mémorial diplomatique, 2 janvier 1886, p.363)
Il
n’y a sans doute pas que la dimension « protestante » dans l’intérêt
que Thérèse porte aux personnes désargentées. Leurs portraits constituent une
sorte de contrepoint à ceux des nombreuses célébrités qui font bouillir la
marmite de la famille Schwartze…
Dans
son étude, H. Leonards reproduit ce tableau avec le titre Sans père.
L’autre reproduction qui figure dans Femmes peintres du monde de Walter Shaw Sparrow est un pastel intitulé Portrait des enfants de Mr A. May. C’est le tableau qui figure au fond de l’atelier de Thérèse, ci-dessous, et représente deux petites filles en robe blanche.
Si
Thérèse n’est pas au Salon de 1887, c’est probablement qu’elle n’a pas manqué
d’occupations cette année-là. Sa production de portraits de la haute société
est intense. Ici, celui de Johanna Eugenia Theodora Schouwenburg (1866-1950), à
l’occasion de son mariage avec Pieter Theodorus van Hoorn (1860-1922), dont la
famille appartient à la classe des régents d’Amsterdam.
Et
un portrait réussi donne lieu à des commandes suivantes. Ici, le fils et la
fille des Van Hoorn, réalisé une dizaine d’années plus tard.
Pastel sur papier, 64 x 56,5 cm
C’est
aussi le moment où elle réalise le portrait de la princesse Wilhelmine, très
remarqué au Pays-Bas et qui engendre une demande décuplée de portraits au pastel,
notamment d’enfants (et une explosion du niveau de prix demandés par
l’artiste !)
L’examen
de ces différents portraits donne une indication de la technique de
Thérèse : elle apporte une précision et un soin méticuleux au visage des
modèles, tandis que fond et vêtements sont traités à grands traits, laissant
souvent apparaître la couleur du papier support de l’œuvre.
Retour de Thérèse au Salon de 1888. Elle y montre le portrait d’une petite fille qu’elle intitule Pensive (la photo du musée n'est pas très illisible) …
…
et surtout son autoportrait (celui que j’ai placé en exergue) « destiné à la
Galerie des Offices », ainsi que le précise le catalogue du Salon. Il sera
déposé aux Offices en 1895, après de multiples expositions.
Pour
dire les choses franchement, c’est cet autoportrait qui m’a donné l’idée
d’aller voir si Thérèse avait eu l’occasion de se rendre en Angleterre car – et
personne ne paraît l’avoir remarqué à l’époque – il me semble difficilement
imaginable qu’elle n’ait pas été inspirée, ne serait-ce qu’un petit peu, par le
célébrissime autoportrait de Joshua Reynolds qui se trouve à la National Portrait
Gallery depuis 1858. D’autant que, pour une portraitiste, la visite de ce musée
devait évidemment constituer un « must » !
Huile sur toile, 63,5 x 74,3 cm
La
presse française trouve l’autoportrait « excellent » et
« vigoureux », ainsi que particulièrement « original » …
« "C'est une vraie trouvaille !" proclamèrent les peintres français, quand ce portrait fut exposé au Salon de 1888 ; et il s'en fallut de deux voix que cette belle œuvre n'obtînt la médaille d'or. » écrit Leonards. (op.cit. p.200)
C’est cependant l’année suivante que Thérèse rencontre le succès à Paris, avec L’orphelinat bourgeois d’Amsterdam. J’ai d’abord pensé qu’il s’agissait de ce tableau, également très remarqué à l'exposition triennale de Rotterdam, la même année, où il est immédiatement acquis par le musée de la ville, créé en 1849 grâce à la collection d’un amateur d’art, Frans Jacob Otto Boijmans (1767-1847).
J’en
ai trouvé une description très précise dans le catalogue des collections édité
en 1892 par P. Haverkorn Van Rijsewijk, p.331) :
« Cinq orphelines de l'orphelinat, dit le "Maagdenhuis" (Maison des Vierges), d'Amsterdam. Dans une chambre, autour d'une table, les orphelines assises, vêtues du costume de l'Orphelinat : bonnet, mouchoir et fichu blanc, jaquette à pattes et jupe noire ; le bord du bonnet est attaché en face au moyen de deux épingles d'or. Deux filles sont assises vis-à-vis, l'une vue de dos, l'autre de face, travaillant à un tapis turc, à fond rouge et dessins bleus et jaunes. A gauche deux orphelines sont assises, une avec un tablier blanc, lisant un livre qu'elle tient à la main, l'autre regardant le livre et s'appuyant contre sa voisine. Vis-à-vis de ces deux, la cinquième est assise, les avant-bras étendus sur la table et les mains jointes, écoutant attentivement la lecture. Au fond le mur gris ; à droite, un rideau bleu foncé ; au milieu, en haut, un crucifix ; à gauche, un tableau à cadre noir. »
Or cette description ne « colle » pas avec celle de la presse française :
« Dans
un intérieur, sept jeunes filles, toutes vêtues de l'uniforme de l'orphelinat,
robes mi-partie noire et rouge, bonnets de linge blanc. La première, à
gauche, se tient debout, de profil, tournant les pages de la musique posée sur
un piano devant lequel est assise la seconde, vue de profil en sens inverse,
les mains sur le clavier. La troisième, en allant vers la droite, debout,
chante, un livre à la main, auprès d'une autre, plus petite, qui croise les
mains. Les trois dernières, un peu en arrière, tiennent les yeux baissés sur
leurs bibles. Au fond, un mur gris et le bas d'un cadre dans lequel on lit :
Psalm. H 6. 9. » (Le Livre d'or du Salon de peinture et de sculpture :
catalogue descriptif des œuvres récompensées et des principales œuvres hors
concours / rédigé par Georges Lafenestre, Librairie des bibliophiles,
1889)
Cinq orphelines vêtues de noir dans l’un, sept vêtues de rouge et noir, plus un piano, dans l’autre… J’ai fini par trouver :
« Salle 11 : C’est M. Roll qui règne en maître dans cette salle, avec Mlle Thérèse Schwartze toutefois, car l’Orphelinat bourgeois à Amsterdam est une de ces toiles qui consacrent la réputation d’un artiste. (…) Mlle Thérèse Schwartze aura un très grand succès aussi avec son Orphelinat bourgeois à Amsterdam. Toutes les têtes des jeunes filles sont jolies et attachantes, les allures distinguées ; il règne dans l’ensemble de la toile un excellent sentiment. La facture est large, facile, colorée et d’une harmonie caressante. » (Félix Jahyer, « Le Salon de 1889 », L'Entr'acte : revue-programme : théâtre, littérature, arts, 3 mai 1889, p.2)
« C’est
ensuite L’Orphelinat bourgeois à Amsterdam, de Mlle Thérèse
Schwartze, qui attire les regards, mais pour les retenir longtemps. C’est là
une œuvre vraiment remarquable, et qui fera parler de son auteur, déjà avantageusement
connu. » (« Le Tour du Salon », La République française,
29 avril 1889, p.1)
C’est probablement ce tableau-là - avec un Portrait de ma mère et son autoportrait - qui a été exposé à la « World's Columbian Exposition » de Chicago en 1893, car plusieurs publications le désignent sous le titre Psaume 146 : 9.
Comme
je l’indiquais plus haut, le thème des orphelines est récurrent. On pourrait
penser que leur situation faisait écho à l’expérience personnelle de l’artiste,
orpheline de père à 23 ans. Mais ce n’est pas l’opinion de W. Vogelsang, auteur
d’un article sur « Les orphelines d’Amsterdam ». (Les maîtres
contemporains : l'art et la couleur, édit. H.
Laurens, Paris, 1904, p.25-26.)
Pour lui, « les œuvres de Thérèse Schwartze sont conçues avant tout au point de vue de la couleur. De là sa prédilection pour les figures d'orphelines, avec leur uniforme si vivement contrasté : la robe mi-partie rouge vif et noir intense, le col et le bonnet blancs servant de transition entre la coloration du costume et celle du visage. »
Thérèse a largement exploré le thème dont H. Leonards donne un autre exemple dans son étude :
L’autre
grand rendez-vous de l’année 1889 était évidemment l’Exposition universelle de Paris.
Selon le catalogue, Thérèse expose son Portrait de l’artiste, le Portrait
de M.G. van Tienhoven, bourgmestre d’Amsterdam et Pensive, ainsi
qu’un Portrait de dame au pastel.
Selon
le catalogue officiel des récompenses, Thérèse a reçu une médaille d’argent,
attribuée pour son autoportrait selon H. Leonards qui ajoute qu’elle aurait
reçu « la grande médaille d’or, la distinction extraordinaire offerte aux
peintres étrangers ». Or cette distinction n’existait pas. Il existait des
« Grand Prix » et il en fut attribué un à Jozef Israëls, seul
peintre des Pays-Bas à être distingué à ce titre…
L’année suivante : « C’est une coutume, une tradition que nous raconte, en termes émus, Mlle Thérèse Schwartze, qui revient du Zuiderzee, de ce curieux pays de Hollande. » (« Le Salon de 1890 », La Revue des beaux-arts, 5 juillet 1890, p.90) Le tableau en question s’intitulait Le Père était pêcheur et représentait un costume de deuil de l’île de Marken, situé au nord de la Hollande.
Pour changer un peu de sujet, intéressons-nous à un homme dont elle a exécuté ce portrait en 1890 et qui paraît avoir pris une place importante, bien que discrète, dans la vie de Thérèse : Anton van Duyl (1829-1918). Elle l’aurait rencontré à la fin des années 1870 alors qu’il était lui-même marié. Fervent amateur de la peinture française, il serait un de ceux qui l’engagèrent à se rendre régulièrement à Paris.
Après une jeunesse un peu triste au cours de laquelle il étudia la théologie sans grande conviction, Anton s’était vu enrôler un peu par hasard par le journal Nut, comme conférencier itinérant. S’étant acquitté de cette tâche - qui lui permit de voir du pays - avec le brio attendu, il devient ensuite directeur d’une publication sur le déclin, le Rotterdamsche Courant, qui fit faillite l’année suivante. Après quelques autres péripéties, il avait rejoint en 1865, la rédaction de l’Algemeen Handelsblad (qui deviendra plus tard l’un des principaux quotidien d’Amsterdam) pour lequel il rédigeait des synthèses d’actualité étrangère et quelques éditoriaux.
En 1866, devenu officiellement membre de la rédaction du journal, il est élu directeur de publication. Il écrit de nombreux articles de politique étrangère, s’intéresse de près à la situation de l’Afrique du Sud et fonde en 1883 le Cercle des journalistes d'Amsterdam. Mais il était aussi fort intéressé par l’art et les artistes. Il a écrit quelques articles sur des peintres graveurs et lithographes comme August Allebé (1838-1927), Nicolaas Van der Waay (1855-1936) et Johannes H. L. de Haas (1832-1908).
Selon
P.J. Bloc (Revue mensuelle du Cercle des journalistes néerlandais, 6 et
20 février 1918, p.77) : « Van Duyl et Thérèse Schwartze
travaillèrent ensemble pendant de nombreuses années dans une amitié intime et
chaleureuse », avant de se marier, bien plus tard, après le décès de
l'épouse de van Duyl.
Au
deux salons suivants, Thérèse expose principalement des portraits d’enfants que
la presse évoque à de multiples reprises. La petite Presse a été séduit
par « un Portait de deux enfants avec un chien, de Mlle Thérèse Schwartze »
que j’illustre avec cette autre reproduction de l’article de H. Leonards.
Elle expose aussi le portrait d’un homme qu’elle a probablement rencontré grâce à Anton van Duyl, Piet J. Joubert, Commandant-Général de la République Sud-Africaine, sans grand écho dans la presse française.
En
revanche, à Gand, elle reçoit le diplôme d’honneur de la ville, quand elle
expose ce groupe d’enfants, qu’hélas je n’ai retrouvé dans aucun musée…
…
et en 1894, à Anvers, elle reçoit la Grande médaille pour les Néophytes
Luthériennes, aussitôt acquis pour le tout nouveau musée Stedelijk d’Amsterdam.
Il sera exposé au Salon de 1896 sous le titre Communiantes luthériennes.
C’est probablement de cette œuvre dont on parle à l’occasion de l’ouverture du musée l’année suivante : « On vient d'inaugurer, à Amsterdam, le nouveau Musée municipal dû à la munificence de la douairière Lopez Suasso et des héritiers van Leeghen qui, non contents de céder à la ville leurs collections de maîtres modernes, ont voulu aussi donner l'édifice destiné à les recevoir. Dans la salle d'Honneur et à la place d'honneur se trouve le Noël d'Emile Breton ; puis deux toiles de Neuhuys, un tableau d'Israëls, un de Mesdag, un de Mlle Thérèse Schwartze. » (« Le nouveau Musée municipal d'Amsterdam », L'Art pour tous, 1er octobre 1895, n.p.)
A la place d’honneur en compagnie d'Israëls, voilà qui a dû faire plaisir à Thérèse ! Je ne sais pas s'il s'agissait de Jozef, le père, qu'elle admire, ou de son fils, Isaac, avec lequel Thérèse entretient une amitié complice. (J'imagine que c'était plutôt le père…)
Lorsqu’Isaac
peint ce portrait de Thérèse, il le lui envoie avec ce petit message, retrouvé
au dos du tableau : « Chère Thérèse, Que Mme Votre mère se rassure,
et ne vous inquiétez pas non plus. Je ne l'ai pas montré comme un portrait de
vous, pas même comme un portrait de Mlle Th. S. mais juste comme un "portrait" qui peut prouver qu'il s'agit d'un portrait de vous ?! D'ailleurs, quelqu'un
que vous ne connaissez pas ne pensera pas du tout à vous, et quelqu'un que vous
connaissez sait déjà que vous fumez parfois une cigarette ! Mais vos
connaissances aristocratiques, direz-vous ? Eh bien, ils ne viennent pas du
tout à une exposition d'études et de croquis, bien sûr, ils ne viennent qu'à
des expositions soignées ! Si, néanmoins, une mention perverse dans le journal
ou ailleurs attaquait votre féminité… Eh bien, alors je suis prêt à jurer ou à
me battre en duel contre n'importe qui avec l'arme que vous choisirez pour prouver
le contraire. Mais je suis convaincue que votre féminité ne sera en aucun cas mise
en cause et j'aimerais faire un portrait de vous sans fumée, pour votre mère.
Qu'en dites-vous ? Ton Isaac. 16 février 1895. »
Car,
bien sûr, Mme Schwartze mère avait toujours marqué la plus grande réprobation
pour le « débraillé moral et physique des femmes soi-disant émancipées »
et, cela va sans dire, les fumeuses… On comprend mieux pourquoi Thérèse, soucieuse
de ne pas choquer les « connaissances aristocratiques » qui
constituaient sa clientèle, privilégiait les thèmes édifiants et consensuels,
comme cette jeune fille que Leonards reproduit dans son article avec le titre Fiancée
dans la vieille Bavière.
Il
est temps à présent d’évoquer aussi les « colocataires » de Thérèse, ce
qui lui reste de famille après le décès de ses parents : sa sœur Georgine Elisabeth
Schwartze qui est devenue sculptrice, Clara Ansingh-Schwartze, son autre sœur qui
exerçait le métier de pharmacienne et les deux filles de celle-ci, toutes deux
peintres, Theresia Ansingh et surtout Maria Elisabeth Georgina
(« Lizzy ») Ansingh, dont Thérèse est particulièrement proche, à
laquelle elle a donné ses premiers cours de dessin et qui a partagé son
atelier.
Après
avoir étudié à la Rijksacademie – dans une classe réservée aux jeunes
femmes - Lizzy Ansingh s’est alliée à d’autres jeunes femmes de l’académie
pour former un groupe de femmes artistes, les Amsterdamse Joffers, qui se réunissaient chaque semaine pour
échanger leurs expériences et se soutenir mutuellement. Ces réunions se
tenaient chez Thérèse qui était leur mentor. Plusieurs de ces jeunes femmes
sont ensuite devenues des peintres reconnues. Thérèse, bien qu’assez peu
sensible aux revendications féministes, n’a cependant pas manqué à la
solidarité qui leur a permis d’émerger.
En 1897, la reine Emma demande à Thérèse de réaliser un portrait d’investiture de sa fille Wilhelmine, âgée de dix-huit ans, d’après les photos prises par le photographe Hans Richard Ferdinand Kameke (1847-1898) avant la cérémonie.
Le
tableau a été exposé en 1898 à l'Exposition nationale du travail des femmes,
qui s'est tenue dans le pavillon des arts visuels de La Haye. Le portrait de la
jeune reine, fort apprécié du public, fait l’objet de nombreuses reproductions
en couleurs.
Pour l’Exposition universelle de 1900, j’ai dû m’en remettre à la presse car le catalogue de plusieurs volumes n’a pas été entièrement numérisé. Selon Le Journal du 9 juillet 1900 (p.3), elle a présenté le Portrait du général Joubert et Orphelines d’Amsterdam.
« Mlle Thérèse Schwartze expose le portrait d'un héros, le brave général Joubert mort récemment dans la lutte acharnée du Transvaal contre l'Angleterre. Il y a des défauts dans ce portrait, des faiblesses et des naïvetés, mais néanmoins la ressemblance est exacte, et c'est l'important. » (Henri Dac, L’Univers, 1er janvier 1900, p.1)
« Mlle Schwartze expose en même temps sous le titre de A l’Orphelinat d’Amsterdam le portrait grandeur nature de deux pensionnaires de cet établissement, l’une encore petite, l’autre déjà jeune fille, dont les physionomies douces et les yeux clairs sont remarquablement rendus. Très seyante du reste est la jupe rouge qui donne à l’uniforme des pauvres enfants un aspect plutôt joyeux. » (Romain, « Les Beaux-Arts à l’Exposition », Le Progrès artistique, 11 octobre 1900, p.54)
Cette description évoque la reproduction du tableau ci-dessous intitulé God is een Vader der Weezen (Dieu est le père des orphelins).
Pour Thérèse, la décennie qui commence est une période d’intense activité que le Portrait de Wilhelmine a relancée et qu’elle entretient en veillant à ce que ses œuvres – et notamment ses autoportraits qui lui servaient de « réclame » - soient exposées chaque année, dans une grande ville d’Europe.
Elle travaille vite, exécute ses portraits au pastel en moins d’une journée, tout en devisant agréablement, ce qui séduit sa clientèle fortunée, comme ici, la femme d’un chirurgien orthopédiste…
… ou ce jeune garçon, fils de banquier :
Pastel sur papier, environ 90 x 60 cm
Mais
Thérèse ne se limite pas aux portraits de commande. Elle s’intéresse aussi à
ses amis et familiers, qu’elle représente dans une grande variété de poses et
avec une liberté de style qui lui était plus difficile de s’autoriser avec des
clients. Ils sont rarement présentés de face et elle a recours à une
touche plus lâche qui les rapproche un peu de l’impressionnisme tardif, comme
on le voit sur ce portrait d’un ami de son père, le peintre paysagiste Paul
Gabriël…
…
ou celui de son propre médecin fumant une cigarette (!)
Sa sœur Georgine et sa nièce Theresia…
…
ou une amie, épouse du peintre George Hendrik Breitner (1857-1923), un proche d’Isaac
Israels.
Et
elle ne dédaigne pas non plus les étrangers de passage, comme Charles Wesley
Payne (1856-1921), l’un des chanteurs des Fisk Jubilee Singers, un groupe afro-américain
en tournée en Europe pour collecter des fonds pour la Fisk University, premier
établissement supérieur afro-américain de Nashville. Thérèse a invité le groupe
à venir se produire chez elle et leur a proposé de réaliser leur portrait. C’est
elle qui a fourni le costume du chanteur, comme elle le faisait souvent avec
les modèles qu’elle sollicitait.
« Lizzy Ansingh, raconte comment, lorsque les dépenses n'étaient pas un
problème [ce qui était assurément le cas en 1900 car Thérèse était devenue très
fortunée], elle amenait parfois ses modèles chez Hirsch pour qu'ils soient "habillés" selon son goût. Un gentleman portant un manteau rigide était une abomination
pour elle ; elle préférait une cape, une toge, une cravate flottante et
une attitude décontractée. » (P.J. Bloc Revue
mensuelle du Cercle des journalistes néerlandais, 6 et 20 février 1918, p.82)
Après l'Exposition universelle de 1900, où elle reçoit à nouveau une médaille d'argent, Thérèse revient au Salon de Paris en 1902, avec un portrait – que j’illustre avec celui de sa nièce, peint la même année…
… et une autre œuvre intitulée In angello cum libello (dans un coin avec un livre). J’avoue avoir dû chercher : l'expression vient de l'épitaphe de Thomas a Kempis, l'auteur de L'Imitation de Jésus-Christ. Il mourut à Zwolle en 1471, et sa tombe porte l'inscription suivante : « J'ai cherché le repos partout, mais je ne l'ai trouvé nulle part, sauf dans un coin avec un livre. »
La même année, elle expose à la Société des peintres de portraits de Londres. « On y admire beaucoup deux portraits, l'un du président Kruger, l'autre de M. Wolmarans, dus tous les deux au pinceau de Mme Thérèse Schwartze. » (Le Courrier de Metz, 20 novembre 1902, p.2) J’ai trouvé le portrait de Kruger, un autre de ses portraits à fond sombre qui nous séduisent assez peu aujourd’hui.
Je vais plutôt montrer celui, très expressif, de Mozes (Max) de Vries van Buuren, directeur de la maison de textile De Vries van Buuren & Co., à Amsterdam. L'entreprise était réputée pour la qualité de la gestion son personnel : elle avait créé une caisse de retraite et de santé avant même que cela ne soit légalement obligatoire. Vries van Buuren devint conseiller municipal d’Amsterdam.
Et
j’ai bien envie de montrer aussi, de la même année, le portrait d’une petite baronne nommée Maggie….
…
ainsi que cette jeune femme qui montre que Thérèse pouvait également faire preuve
de légèreté dans ses portraits à l’huile, même si la référence à la religiosité n’est
jamais très loin.
Thérèse
ne paraitra pas au Salon parisien pendant quelques années. Mais elle continue
à peindre, toujours et de plus en plus, des portraits de groupe dont elle
adopte le style à l’attente de sa clientèle. Ainsi cette famille, traitée d’une
touche rapide assez moderne, après un travail très précis sur les visages des
modèles.
1906 : année du mariage de Thérèse et d’Anton qui s’installe avec elle, en famille. « Ils vécurent ainsi ensemble leurs
dernières années : elle, travaillant assidûment chaque jour, se consacrant
à son art, lui l'observant avec une admiration sincère, son conseiller pour les
questions pratiques, la réconfortant dans les déceptions, les erreurs de
jugement et les frustrations qui l'affligeaient également, et surtout, se
réjouissant de sa réussite. Leur vie intime et chaleureuse durant ces années
rappelait Philémon et Baucis. » (P.J. Bloc Revue mensuelle du Cercle
des journalistes néerlandais, 6 et 20 février 1918, p.85)
« Quiconque
assistait régulièrement à nos réunions annuelles il y a quelques années aurait
pu apercevoir un couple remarquable assis près de la table du conseil
d'administration. Lui était apparemment de loin l'aîné, cheveux blancs et
moustache, avec l'apparence d'un soldat à la retraite, vêtu à la française avec
élégance, l'expression vive et la conversation animée ; elle, vêtue
avec élégance et délicatesse, l'air intelligent, lançant un regard ironique
autour d'elle, toujours pleine de tendresse pour son mari âgé et quelque peu
infirme. Ils étaient faits l'un pour l'autre ; ils étaient inséparables. »
(P.J. Bloc Revue mensuelle du Cercle des journalistes néerlandais, 6 et
20 février 1918, p.77)
En
1907 a lieu à Amsterdam une exposition de l’ensemble de son œuvre. « J'ai
déjà dit que le nombre des œuvres de Thérèse Schwartze est considérable [on l'évalue à plus de mille toiles].
L'Exposition qui a lieu actuellement contient une collection choisie, donne un
aperçu complet de sa carrière d'artiste. On y remarque, à côté d'hommes d'État,
de femmes du monde, et de groupes d'enfants, des portraits historiques. (…).
Car tout ce qui a un nom ou des qualités picturales a posé pour elle, depuis
notre reine, jusqu'à des femmes arabes de passage à Amsterdam, depuis le
président Kruger, jusqu'aux jolies orphelines des institutions de sa ville
natale qui portent encore le distingué et original costume du XVIIe siècle,
blanc, et mi-partie rouge et noir. » (Zilcken, « L’exposition Thérèse
Schwartze à Amsterdam », L'Art et les artistes, avril 1907,
p.42-43)
En
1909, Thérèse est de retour au Salon, avec « un morceau ravissant de sentiment,
de discrétion, de souple modelé, une Guitariste » (Arsène
Alexandre, « Salon de la Société des Artistes français », Le
Figaro, 1er mai 1909, p.5). Faute de guitariste…
La
naissance de la princesse Juliana relance le cycle des portraits royaux. Juliana en bébé …
« La petite princesse d'après un portrait du photographe Guy de Coral. Le portrait était un cadeau au prince Hendrik pour son anniversaire. De nombreuses commandes que Schwartze a reçues ont été livrées en plusieurs versions et copies. Les études de pastel ont également souvent été conservées. C'est sans doute aussi le cas de cet attachant portrait de la princesse aux cheveux courts roux qui tient entre ses mains une orange à portée symbolique. » (Notice du musée)
… Juliana « en
majesté » …
…
et Wilhelmine, royale.
En 1911, Thérèse expose au Cercle d’Art de La Haye puis elle est invitée à Vienne :
« La saison d’hiver a repris avec l’exposition d’un groupe nouveau, la
Société des femmes artistes plastiques d'Autriche. Cette exposition, qui a eu
lieu à la galerie de la Sécession, a été à la fois intéressante et instructive,
car elle représentait l’œuvre de femmes artistes de divers pays, et contenait
quelques-uns des meilleurs travaux d’autrefois et d’aujourd’hui.
Parmi les noms des artistes qui y figuraient, beaucoup nous sont familiers :
Angelica Kauffmann, Vigée-Le Brun, Rosa Bonheur, Marguerite Gerard, Catherine
Sanders, Elisabeth Sirani, Rachel Ruijsch, Rosalba Carriera, Sofonisba
Anguisciola [sic], Geertruda van Veen, Anna Dorothea Liszewska (peintre attitré
de Frederic le Grand), Mary Beale, Diana Beauclerc, Kate Greenaway, Eva
Gonzales et Thérèse Schwartze. Une artiste importante à cet égard est Mme Thérèse
Schwartze, qui est peut-être la plus recherchée parmi les portraitistes
hollandais de ces dernières années et la plus connue. (…) Grâce à cette qualité
dont parlait Henner en disant : "Il y a presque trop d’expression", elle
était tout à fait apte à représenter l’élégance séduisante des femmes du monde
et des enfants de familles riches ou nobles, avec tous les signes de leur
position sociale, et aussi, quoique plus rarement, à rendre les
caractéristiques plus sévères de quelques personnages en vue. En un mot, elle
possédait toutes les qualités qui pouvaient faire d’elle le peintre de "la
société", et finalement - de fait, il n’y a guère longtemps – de la reine
Wilhelmine elle-même. Si l’observation d’Israels au sujet de l'œuvre de Thérèse
Schwartze - il trouvait qu’elle avait perdu à séjourner à Munich - est
juste, il est également vrai que le monde à l'éclat superficiel, où elle a été poussée,
a arrêté le sort de ses facultés de création. Malgré tout cela, cependant, elle
n’a jamais cessé d’être une artiste dont le talent et le fin sentiment, qui
sont bien au-dessus de la moyenne, ont porté le portrait sur commande au niveau
élevé où il se trouve maintenant en Hollande. » (M.E., « La peinture
hollandaise moderne de portraits », The Studio. An illustrated magazine
of fine and applied art, Édition spéciale avec traduction française, 15
janvier 1911, p.34 et 52)
La suite, ce sont bien sûr d’autres portraits royaux…
… d’autres grands portraits de groupe, de sa famille, ses « colocataires » comme elle disait ;
De
gauche à droite, sa sœur Georgine assise, son autre sœur Clara Ansingh-Schwartze, debout à côté d’Anton
assis devant un livre, et ses deux nièces peintres, Theresia et, appuyée contre
sa sœur, Lizzy Ansingh.
Et
enfin, ce portrait des filles de Charles Boissevain, un fabricant d’ammoniaque, et
de Maria Boissevain-Pijnappel qui présidait la Ligue pour le suffrage des
femmes et fut élue, lorsque les femmes obtinrent le droit de vote en 1919, au
Conseil provincial de Hollande-Septentrionale. La bourgeoisie libérale et
éclairée qui ne dédaignait pas une expression artistique un peu… classique.
Et
pour finir, ce portrait de la famille royale en costume du XVIIe siècle,
inspiré par Van Dyck, il fallait oser…
La
mort d’Anton, le 22 juillet 1918, porte un coup définitif au bonheur
de peindre de Thérèse. Elle continua bravement, par habitude, mais la foi n’y
était plus.
Thérèse
Schwartze est morte le 23 décembre 1918, à Amsterdam.
Les premiers reportages sur sa mort parurent dans les journaux le jour même. Deux ans plus tard, Georgine Schwartze commence à travailler à la réalisation d'un monument dédié à sa sœur. Achevé en 1922, le monument fut exposé dans le hall du Stedelijk Museum puis transféré à la Fondation Thérèse Schwartze, créée en 1921. Aujourd’hui installé dans un cimetière, il a été protégé au titre des Monuments nationaux en 2002.
Ensuite,
l’œuvre de Thérèse n’a plus été étudié pendant des années. Ses portraits de salon, destinés
à faire impression dans une pièce richement décorée, étaient passés de mode.
Mais l’intérêt renaît puisque son travail a été exposé au Museu de Arte de São
Paulo (São Paulo) et au musée Van Gogh d’Amsterdam en 2019.
Puis, en 2022, une exposition rétrospective « Thérèse Schwartze, haar klant was koning » (le client est roi), a été organisée au Musée Paul Tetar van Elven de Delft.
Enfin,
une rue d’Amsterdam porte son nom et aussi son prénom, à la demande de Lizzy Ansingh,
qui tenait à ce que tout le monde sache bien que « Schwartze était une
femme » !
*
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