dimanche 2 novembre 2025

Andrée Karpelès (1885-1956)

 

Autoportrait– vers 1900
Huile sur toile
Rabindra Bhavan (Musée Tagore), Santiniketan, Bengale-Occidental
(Source : Andrée Karpelѐs and Santiniketan: Letters from Flora Högman)


Andrée Karpelès est née le 18 mars 1885, à Paris. Son père, Jules Karpelès, d’origine grecque, importait en France de l’indigo qu'il cultivait en Inde. Lors de la naissance de sa fille, il est domicilié avec son épouse, née Sophie Philippson, avenue du Trocadéro. (Archives de Paris, acte de naissance, V4E7262, n°311)

Andrée est l’aînée ; deux autres filles naîtront ensuite, Suzanne et Solange.

 

Photographe inconnu
Solange, Andrée et Suzanne Karpelès
© Photo : Archives communales de Grasse

Selon les sources, la famille Karpelès aurait vécu à Calcutta ou s’y serait régulièrement rendue pour les vacances. Quoi qu’il en soit, les deux filles aînées parlent couramment l’hindi et le bengali, ce qui aura naturellement une conséquence sur leurs vies d’adultes. Suzanne devenue indianiste, enseignera à l’École française d’Extrême-Orient en 1922 puis sera conservatrice de la Bibliothèque royale du Cambodge, à Phnom Penh.

Andrée, après des études secondaires au lycée Molière, se consacre à la peinture qu’elle étudie à l’Académie Julian avec deux peintres de la « Bande noire », Emile-René Ménard et Lucien Simon.

Ce groupe d’artistes postimpressionnistes, auquel appartiennent aussi René-Xavier Prinet (1861-1946) et André Dauchez (1870-1948), se réclame d’un nouveau réalisme, parfois teinté de symbolisme.

Chez René Ménard, la sensibilité symboliste est très présente, notamment dans les décors qu’il a réalisés pour la salle de travail et la bibliothèque de l'Ecole des Hautes Etudes, en 1905-1906.

Je ne suis pas parvenue à en trouver de photo mais on pourra s’en faire une idée avec ce pastel…

 

René Ménard (1862-1930)
Idylle antique – vers 1907
Pastel sur toile, 42 x 73 cm
Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la ville de Paris
© Photo : Droits réservés


… et ce projet, publié en 1928 mais qui ne semble pas avoir été réalisé (cliquer pour agrandir)

 

Pensée antique
Publié in : La Revue de l'art ancien et moderne, janvier 1928, p.145
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France

Quant à Lucien Simon, comme la plupart des peintres de la « bande », il a beaucoup travaillé en Bretagne au début du siècle et plusieurs toiles de sa main en portent témoignage. 


Lucien Simon (1861-1945)
Le Brûlage du goémon devant la chapelle Notre-Dame-de-la-Joie à Penmarc'h – 1913
Huile sur toile, 97,5 x 142 cm
Musée des Beaux-Arts de Quimper
© Photo : Droits réservés


Andrée commence à exposer, dès 1906, au Salon d’Automne où elle montre un Samovar. J’ai lu qu’elle aurait aussi bénéficié d’une exposition d’une cinquantaine de toile à la galerie Marcel Bernheim mais je n’en ai pas trouvé trace dans la presse, ce qui est assez curieux.

L’année suivante, elle est de tous les salons qui comptent : Aux Indépendants, où elle montre six toiles ; à la Société nationale des Beaux-Arts (la « Nationale ») où elle expose une nature morte intitulée Coin de table et au Salon d’Automne, avec un Goûter blanc.

Je ne sais pas si ce Coin de table pourrait être la nature morte dont le musée de Limoges a bien voulu me transmettre la photographie mais comme elle est de la même année, ne boudons pas notre intérêt.

 

Nature morte – 1907
Huile sur toile, 60,1 x 73 cm
Dépôt Fonds national d'art contemporain, Inv. P146
Musée des Beaux-Arts, Limoges
© Photo : Musée des Beaux-Arts de Limoges 

C’est bien un coin de table, d’une belle harmonie de gris et blanc, avec la cruche d’argent où une fenêtre se reflète, deux citrons bien jaunes, une cuiller pour marquer la diagonale, tandis qu’une petite branche d’eucalyptus un peu fripé, aux capsules d’étamines violettes, rappelle que le temps s’écoule.

Il ne reste pas de traces des six œuvres qu’elle présente aux Indépendants en 1908. En revanche, le musée d’Arts de Nantes conserve celle qu’elle a montrée à la « Nationale ». Un titre et une inspiration qui évoquent immédiatement Whistler dont la Symphonie en blanc a fait grande impression au Salon des Refusés de 1863.

 

Symphonie en blanc -1908
Huile sur toile 142,5 x 79,7 cm
Musée d’Arts de Nantes
© Photo : Cécile Clos/Musée d’arts de Nantes

Pour autant, la jeune femme d’Andrée, avec son sein découvert et son sourire mutin s’éloigne sensiblement du « modèle », à l’attitude et au décor intentionnellement neutre. Mais comment Andrée a-t-elle pu le connaître, puisqu’elle n’était pas née en 1863 ? La réponse est sur le site de la National Gallery :  l’œuvre a été exposée à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris en 1905.

 

James Abbott McNeill Whistler (1834-1903)
Symphony in White, No. 1 : The White Girl - 1862
Huile sur toile, 213 x 107,9 cm
National Gallery of Art, Washington DC
© Photo : Droits réservés

Il n’y a pas que des harmonies de blanc sur la palette d’Andrée : la même année, elle participe à l’Exposition industrielle internationale de Toulouse, avec une huile intitulée Sur la Terrasse, Indes. C’est le premier jalon du regard qu’elle porte sur un pays avec lequel elle entretient une relation affective et soutenue.

 

 Sur la terrasse, Indes - vers 1908
Huile sur toile, 84,8 x 103 cm
Musée du Quai Branly – Jacques Chirac, Paris
© Photo : Droits réservés

A l’époque, les jeunes artistes convoitaient très ardemment les bourses de voyage, offertes en récompense aux plus méritants d’entre eux, par le secrétariat d'Etat aux Beaux-Arts. Pour les moins chanceux, il existait aussi des « prix de mille », bien utiles pour s’acheter des tubes de peinture.

« Au nombre des heureux bénéficiaires des prix de mille, notons, à la peinture (…) et surtout Mlle Andrée Karpelès dont les qualités délicates d'harmoniste se sont manifestées depuis quelques années par des études de jeunes femmes dans des intérieurs exécutés ravissamment en des tonalités blanches et gris-perle. Mlle Karpelès est une artiste d'avenir, laborieuse et modeste, et son jeune talent est très personnel. » (« De justes récompenses. » Gil Blas, 21 juin 1908, p.1) : appréciation encore discrète !

En 1909 et 1910, Andrée est presque absente des Salons, juste deux Natures mortes aux Indépendants. C'est qu’elle est partie en voyage en Inde, comme en témoignent ce petit pastel…

 

Femme indienne – 1909
Pastel
Collection particulière


… et ces deux paysages :

 

Vue d'une montagne à Sonarmag, région du Cachemire, Himalaya – vers 1910
Huile sur toile, 34 x 41 cm
Collection particulière


Jardin des Shlavinnen (Oudeypur) – 1910
Huile sur toile, 33 x 41 cm
Collection particulière (vente 2024)

Puis, elle fait sa rentrée, remarquée, en juin d’abord :

« Aux galeries Devambez, M. Louis Vauxcelles a réuni un certain nombre de peintures, sculptures et objets d'art, œuvres de femmes, de tempérament et de goût bien différents (…)  A signaler encore, de Mlle Andrée Karpelès, des prêtres hindous d'une peinture très serrée » (Le Gay, « Notes d’Art », L’Univers, 27 juin 1910, p.2)

Puis en novembre : « Intéressante exposition, des œuvres de Mme Andrée Karpelès à la galerie des artistes modernes, 19, rue Caumartin. Mme Karpelès applique avec bonheur la technique ganguiniste aux paysages de l'Inde. Elle note avec justesse et peint avec sentiment des scènes somptueuses sur les bords du Gange ou à l'ombre des palais sacrés de Bénarès. Cette peinture documentaire est du plus charmant effet décoratif. » (Edmond Epardaud, « Les Œuvres d’Andrée Karpelès », La Presse, 11 novembre 1910, p.2)

 

Dans le temple – sans date
Huile sur carton, 45,5 x 38 cm
Collection particulière (vente 2024)

Les commentaires sont parfois contrastés mais fournissent un indice sur les modalités de son voyage : « Mlle Karpelès a bien compris qu'en un temps où les peintres sont innombrables, le moyen le plus sûr de se sortir du rang est d'aller très loin, par exemple visiter les Indes et le Cachemire. On a plus de chances d'y être original qu'à Joinville-le-Pont. S'il est dit qu'un jour viendra, où, lassés des tableautins, nous demanderons aux artistes d'orner nos maisons avec de belles compositions décoratives, l'heure, peut-être, est venue de parcourir le monde pour y glaner les éléments qui serviront de thèmes neufs aux illustrateurs de murailles. Je vois bien, ordonnées en longue théorie, les femmes portant des offrandes au temple que Mlle Karpelès observa Bénarès. Gestes, attitudes, plissés, tonalités, s'y prêtent une possible stylisation que vraisemblablement la jeune artiste n'a pas prévue, mais qu'elle a d'instinct confusément pressentie en groupant ses figures. (…) Tout cela certes mérite éloge, mais mon rôle est de voir déjà plus loin je maintiens donc qu'après avoir, dix-huit mois durant, suivi en "maison flottante" le cours des rivières de là-bas, Mlle Andrée Karpelès, instruite par un noble ciel et de magnifiques horizons, revient plus décorateur encore que peintre. La prophétie, devant son œuvre, parait osée. Pourtant, l'expérience la confirmera assez vite, si l'artiste veut bien essayer. » (Pascal Forthuny, « Exposition de Mlle Andrée Karpelès », Le Matin, 5 novembre 1910, p.4)

Elle a donc, « dix-huit mois durant, suivi en "maison flottante" le cours des rivières de là-bas ». C’est peut-être à cette occasion qu’elle a peint ce tableau :

 

L’avant d’un bateau – sans date
Huile sur toile, 81 x 65 cm
Collection particulière

L’exposition s’intitule « Inde et Cachemire, tableaux et études » et comporte une centaine de toiles, dont un article dévoile certains titres : « Dieypour la ville rose, La fête du printemps au bord du Gange, sont d’étincelants panoramas qui, transposés à une plus vaste échelle, constitueraient de somptueux ensembles décoratifs. Quelques toiles de dimensions plus imposantes attestent une imagination et science capables d'aborder avec bonheur de grands sujets. Celui qui craint Allah est un ingénieux commentaire d’un verset du Coran, qui promet aux justes les chastes délices du Paradis de Mahomet. Mais entre toutes Profullia [Fleur de joie] dans la danse de la flûte synthétise les mérites divers de l’artiste ; c’est une œuvre complète que ne refuserait pas de signer un de nos plus illustres maîtres de l’exotisme contemporain.

Français sédentaires et amateurs blasés par les truculences, les parti-pris tapageurs des écoles, nous devons être reconnaissants à Mlle Karpelès de nous avoir présenté d’une manière si sincère des visions pleines de charme des pays chantés par Leconte de Lisle. » (Dieudonné, « Exposition Andrée Karpelès », Journal de la Manche et de la Basse-Normandie, 23 novembre 1910, p.1)

 

Moines devant le temple de la Mahabodhi à Bodhgaya, Inde – sans date
Huile sur toile
Collection particulière

Ne connaissant rien de l’Inde, je me suis promenée sur le Net, autour de ce temple de Mahabodhi. Si les tenues des fidèles ont changé, la lumière et les arbres semblent être restés tels qu’Andrée les a saisis.


Temple de Mahabodhi
(Photo trouvée sur le Net)


Une partie de ses peintures indiennes figure aux Salons des Indépendants de 1911 : Femmes allant puiser de l’eau à Oudeïpour, Sur le lac Dal et La vallée des myosotis, au Cachemire.  Tandis que Zénana, palais des reines, présenté à la « Nationale » avec deux autres toiles indiennes, est brièvement évoquée par La Vie artistique (1er avril 1911, p.53).

Mais la seule mention vraiment favorable s’adresse à l’unique toile d’inspiration plus « occidentale » : « Je n'aurai garde d'oublier la charmante figure de jeune fille nue, à qui une [femme noire] offre des fruits, œuvre de belle tenue et d'un modelé très doux, intitulé Femmes, qu'expose Mlle Andrée Karpelès. (Jean Claude, « Le Salon des Indépendants », Le Petit Parisien, 24 avril 1911, p.5) Cette œuvre sera acquise par l’Etat à l’occasion du salon. 

 

Femmes – exposé au Salon de 1911
Huile sur toile, 131,5 x 96 cm
Dépôt du Fonds national d'art contemporain, Inv. P145
Musée des Beaux-Arts de Limoges
© Photo : Musée des Beaux-Arts de Limoges 


Cette année-là, elle participe aussi à l’exposition des Peintres orientalistes au Grand Palais, où elle montre Souvenirs de Bénarès, qui lui vaut une appréciation positive d’Edouard Sarradin dans le Journal des débats politiques et littéraires (20 février 1911, p.3)

Les toiles qu’elle présente aux Indépendants de 1912 ne sont plus indiennes, même si Le turban vert pourrait évoquer le monde musulman. La Mort d’Albine fait sans doute référence à l’un des romans des Rougon-Macquart, La faute de l’abbé Mouret, et Souvenir de Hollande laisse supposer un voyage, ce qui semble avoir été une des occupations favorites d’Andrée.  Le journal humoristique L'Éclat de rire signale « les nudités sévères d’Andrée Karpelès ».

A la Société nationale des Beaux-Arts, dont elle devient associée cette année-là, elle montre une Fillette Hollandaise et un Intérieur de ferme en Zélande (confirmation du voyage) et un Bébé indou au pastel. Une seule toile est encore connue : Le Tub. Je pensais bien qu'elle devait se trouver quelque part dans les collections nationales puisque j’en ai trouvé une photo en noir et blanc sur le site de la Réunion des Musée Nationaux (RMN). Et, finalement, oui : elle est au musée de Cambray.

 

Le Tub –SNBA 1912
Huile sur toile, 141,5 x 157 cm
Musée des Beaux-Arts de Cambray
© Photo : Musée des Beaux-Arts, Cambray

L’Inde est présente mais traitée de façon anecdotique, par la jeune femme qui sert des boissons aux quatre belles qui partagent leur bain…

La même année, au Salon d’Automne, les deux toiles exposées sont probablement hollandaises, Le canal par temps gris et Le Bassin.


En 1913, Andrée retourne en Inde.

 

Vue d'une ville indienne – 1913
Huile sur toile, 67 x 81 cm
Collection particulière (vente 2019)


Jeune fille indienne – sans date
Huile sur toile, 60 x 32 cm
Collection particulière (vente 2015)


A Calcutta, elle fait une rencontre qui va bouleverser sa carrière : Abanindranath Tagore (1871-1951), neveu du poète Rabindranath Tagore (1861-1941), est un peintre qui a été formé à l’École d'art de Calcutta, mise en place par l’administration coloniale anglaise, où il a pratiqué l’étude des miniatures indiennes. Quelques années plus tôt, il a fondé avec son frère l’Indian Society of Oriental Art qui conjugue enseignement, préservation du patrimoine artistique et promotion des artistes indous, grâce à des expositions.

 

Portrait d'Abanindranath Tagore dans un atelier de Calcutta - 1917
Huile sur toile, 114 x 147 cm
Musée national des Arts asiatiques, musée Guimet, Paris
© Photo : droits réservés

Dans le contexte de lutte pour l’Indépendance, son souhait de revivifier les traditions artistiques indiennes est aussi une façon de renouer avec les valeurs spirituelles de l’indouisme. Andrée est accueillie à Thakurbari, la demeure familiale des Tagore qui dispense aussi des enseignements de peinture.

Bien plus tard, elle racontera cette rencontre : « Accroupi sur un fauteuil bas, Abanindra peint ; il trempe son fin pinceau japonais dans un ancien bol d'argent bruni ; un lotus rose parfait flotte sur l'eau, beau et pur comme les lignes et les couleurs qui coulent du pinceau de l'artiste. En phrases courtes, pleines de sens, il résume ses idées sur l'Art ; Son enseignement est riche et profond ; l'auditrice estime qu'aucune des paroles d'Abanindra ne doit être perdue. Il lui tend une petite feuille de papier, où il a écrit à la hâte quelques phrases :

"Le lotus de l'esprit (Manasa Padma) est en fleur parce que l'esprit se repose sur cela… une œuvre d'art est porteuse de ce parfum du lotus caché, de l'épanouissement invisible de l'esprit. Plus la vue est vive, plus la main est sûre ; plus l'arc est tendu, plus la flèche vole vite. Les lignes coulent sans contrôle d'un bon pinceau, de sorte que le parfum de l'esprit sort ininterrompu du bout des doigts, rapide et habile." » (Andrée Karpelès, « Abanindranath Tagore », The Aryan Path, vol. XXIII, n° 3, mars 1952, p.120 en anglais, traduction personnelle)

 

Depuis Calcutta, Andrée adresse un projet d’article à la revue Art et Décoration qui le publie. En voici quelques extraits :

« L'art indien qui était tombé en décadence depuis la domination anglaise, commence enfin à se dégager des influences qui l'avaient fait tomber assez bas pour faire dire à Maurice Maindron (à la fin de son livre sur l’Art indien) qu'il ne se relèverait plus jamais. La sixième exposition de la "Société Indienne d'art Oriental" (lndian Society of Oriental art) qui vient d'ouvrir à Calcutta donne heureusement tort à cette prédiction trop pessimiste et laisse prévoir une véritable "Renaissance Indienne".

Les artistes qui sont à la tête de ce mouvement, tous ennemis de la théorie de l'art pour l'art, cultivent les qualités idéalistes qui caractérisent l'esprit hindou. Ce renouveau dans l'art est donc intimement lié à la vie intellectuelle du pays, et coïncide avec les aspirations actuelles du peuple, avec le mouvement patriotique et nationaliste. On ne peut considérer qu'avec sympathie l'effort accompli par ces jeunes artistes pour se dégager de l'influence anglaise qui avait donné naissance à des productions hybrides et frelatées, sortant des Schools of Art, où l'on imposait aux étudiants des poncifs européens de troisième ordre.

Le président de la Société, le Maître vénéré autour duquel se groupent les disciples, c'est Abanindra Nath Tagore. (…) quelqu'un qui viendrait chercher à cette exposition une vision éblouissante de soleil en sortirait désappointé. Ce qui est représenté ici, ce n'est pas l'Inde extérieure que voient les voyageurs, l'Inde rutilante qu'essayent de rendre les peintres orientalistes, c'est une sur-Inde intime et triste, symboliste et spiritualiste, religieuse et idéale, exprimée par des lignes dont le rythme et l'arabesque concourent au maximum d'expression, par des harmonies de tons qui visent au maximum d'émotion. (…) Gorgonendra Nath Tagore, le frère du Président, moins connu en Europe, est cependant un tout aussi grand artiste. [suit une liste de jeunes artistes]. Les œuvres de ces jeunes artistes se ressentent parfois encore d'une légère empreinte anglaise qui se traduit par une certaine sentimentalité à la Dante-Gabriel Rossetti, mais le maître, en leur faisant copier des peintures anciennes leur inculque l'amour du style, et la sûreté de dessin qui caractérisaient ces œuvres. Ces disciples, tous très jeunes, donnent de grands espoirs pour l'avenir de l'art hindou et l'influence de la Société qui fait connaître leurs œuvres au public. (…)

Au réel intérêt artistique s'ajouterait celui de faire connaître en France des artistes qui admirent l'art Français, qui parlent avec enthousiasme de Puvis, de Rodin, de Besnard, de Gauguin, auxquels même les noms de Steinlen, de Maufra sont familiers. Leurs efforts pour se dégager de l'empreinte étrangère et des poncifs des Schools of art, rappellent trop, (avec tout ce que la situation de l'Inde y ajoute de poignant), les luttes de nos premiers impressionnistes contre l'influence italienne, contre un art officiel et imposé, pour que nous ne les sentions plus proches de nous qu'il n'y paraîtrait tout d'abord. Enfin, leurs aspirations idéalistes, leur simplicité de moyens, ont une parenté marquée avec les tendances nouvelles de l'art en France. » (Andrée Karpelès, « Une renaissance de l'art hindou », Art et Décoration, supplément de mai 1913, p. 3-5)


Dès son retour, revoilà Andrée aux salons : trois toiles indiennes aux Indépendants et, à la Nationale, des portraits dont « un Portrait de jeune homme d'une simplicité voulue, très réussi » selon Libre Parole (13 avril 1913, p.2) et une Femme au paon « d'une intéressante qualité décorative » pour Camille Le Senne dans Le Ménestrel du 26 avril 1913 (p.131)

 

Publié in : Catalogue illustré de la Société nationale des Beaux-Arts, 1913, p.41
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France

Andrée ne paraît pas au Salon d’Automne mais, au mois de février suivant, elle participe à nouveau à l’exposition des peintres orientalistes, où l’Etat acquiert sa Danse guerrière.

 

Danse guerrière, Ceylan – 1913
Huile sur toile, 81,5 x 60,5 cm
Centre national des arts plastiques, Paris - FNAC 4795
© Photo : Droits réservés

A propos de guerriers, je place ici une autre toile, trouvée sur le Net au moment d’une exposition récente où Andrée figurait et sur laquelle je reviendrai.

 

Sentinelle – sans date
Huile sur toile
Collection particulière


Une partie de l’exposition des peintres orientalistes est réservée à « l’Ecole de Calcutta », Abanindra et son frère Gogonendra Tagore, ainsi que plusieurs de leurs « disciples » sont présents avec de nombreuses œuvres. Il est assez probable qu’Andrée ait participé au choix des participants.

Le même mois, Andrée est citée à propos de l’exposition « Quelques », aux galeries Lévesque et Cie. « Elles sont vingt et une femmes peintres et sculpteurs, qui se sont groupées sous ce nom un tantinet prétentieux pour nous présenter des œuvres un peu moins banales, un peu plus originales que l'on en voit d'ordinaire dans les grandes exhibitions d'art féminin. Ces œuvres méritent l'attention. Plusieurs renferment des qualités de sincérité, de vision et même de sentiment. » (La Renaissance, 28 février 1914, p.26)

A la Nationale, elle expose quatre huiles dont deux sont toujours connues : Maître et disciple, acquise par l’Etat et L’Ascète qui se trouve aujourd’hui au musée Guimet.

 

Maître et disciple, Bénarès – 1914
Huile sur toile, 97,2 x 130 cm
Centre national des arts plastiques, Paris - FNAC 4900
© Photo : Yves Chenot


Il y a un mignon perroquet, posé près du disciple.



Je l’ai retrouvé plusieurs fois dans des œuvres d'Andrée, comme ici :

 

Voyage du marchand arabe Sulaymân en Inde et en Chine
Bois gravé d’Andrée Karpelès, p.131
Editions Bossard, Paris, 1922


L’Ascète constitue une autre expression de l’intérêt d’Andrée pour toutes les manifestations de la spiritualité indoue.

 

L'Ascète – vers 1914
Huile sur toile, 80 x 97 cm
Musée Guimet - musée national des Arts asiatiques, Paris
© Photo : droits réservés


Homme accroupi – sans date
Eau-forte, 18,5 x 13,5 cm
Bibliothèque de l’INHA, Paris
© Photo : Droits réservés

Le Bonze – sans date
Fusain et pastel, 46 x 32 cm
Bibliothèque de l’INHA, Paris
© Photo : Droits réservés


Andrée disparaît des gazettes pendant la Grande Guerre, sauf en 1917 quand elle illustre un ouvrage de Marie Dugard, Ames françaises, Pages vécues. « Ce bel Album, édité sur papier de choix, est orné de jolies illustrations d'une jeune artiste de talent, Mlle Andrée Karpelès. Nous le signalons avec empressement. Il apporte un véritable réconfort, et on le lira avec plaisir en famille. Il survivra, sans nul doute, à bien des publications de guerre, et sera un durable bouquet de nobles fleurs françaises. » (Paul Fargues, Revue chrétienne, 1er juillet 1917, p.379)

 



En 1919, elle revient à la galerie Marcel Bernheim, avec un groupe de peintres dénommé « l’Essor », sans grand écho dans la presse. Et les Salons reprennent en 1920.

Aux Indépendants, elle expose six toiles, dont Le matin.

Le matin – 1919
Huile sur toile, 100 x 80 cm
Collection particulière (vente 2019)


… et diverses toiles indiennes que j’illustre avec cet Attelage colonial dont on ne connaît pas la date exacte.


Attelage colonial – avant 1931
Huile sur toile, 64,5 x 81 cm
Musée des Beaux-Arts de Rouen
© Photo : Musée des Beaux-Arts de Rouen


A la Nationale, ses « excellents portraits » sont remarqués par Comœdia (14 avril 1920, p.1) et Maurice Hamel cite « Mlle Karpelès, poète délicat de l’Offrande » dans Les Arts : revue mensuelle des musées (janvier 1920, p.10) qui reproduit ce panneau décoratif.

Publié in : Les Arts : revue mensuelle des musées, janvier 1920, p.8
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France


Au Salon d’Automne, elle expose un portrait de Tagore, qui figurait déjà aux peintres orientalistes de 1913, ce qui laisse supposer qu’elle l’a rencontré lors de son voyage de cette année-là.

 

Portrait de Rabindranath Tagore (1861-1941)
Exposé au Salon d'Automne de 1920
Publié in : L’Egyptienne, féminisme, sociologie, arts, 1er mars 1928, p.35
© Photo : Réunion des Musée Nationaux, n°VZC8924

Tout le monde n’est pas conquis : « Andrée Karpelès a eu la bonne fortune de portraiturer Rabindranath Tagore, le mélancolique poète du Jardinier d'Amour. Elle n'a malheureusement pas eu celle de signer un chef-d’œuvre. » (Léon Plée, « Le Salon d’Automne », Les Annales politiques et littéraires, 24 octobre 1920, p.333)

 

Louis Vauxcelles la cite à l’occasion du Salon des Indépendants de 1921, où elle a présenté quatre toiles dont Le Ruban jaune, acquis par l’Etat.

 

Le Ruban jaune – vers 1921
Huile sur toile, 99,5 x 80,2 cm
Centre national des arts plastiques, Paris - FNAC 7275
© Photo : Yves Chenot


« Mentionnons tout spécialement les envois d’Andrée Karpelès, c'est toute la délicieuse intimité de Chardin que l'auteur a traduite en peinture moderne, ses intérieurs sont d'un goût parfait et d'une tonalité exquise. » (G. de Pawlowski, « 32e Salon des Indépendants », Le Journal, 22 janvier 1921, p.2)

Sa nouvelle exposition d’une cinquantaine d’œuvres chez Bernheim, en février 1921, est commentée par plusieurs journaux. « Double exposition chez Marcel Bernheim : André Wilder et Andrée Karpelès.  Mlle Andrée Karpelès nous promène d’Auteuil à Bénarès, en passant par la Bretagne. Son art atteint fréquemment au style et ne connaît jamais la médiocrité. » (L’Imagier, « Quelques expositions particulières », L’Œuvre, 28 février 1921, p.3)

 

Autheuil l’été – sans date
Huile sur toile, 46 x 55 cm
Collection particulière (vente 2024)


Temple indien – sans date
Huile sur toile, 38 x 46 cm
Collection particulière (vente 2024)

Et André Salmon lui consacre un long article.

« Mlle Andrée Karpelès présente en ce moment quelques-unes de ces œuvres les plus récentes. Cette artiste distinguée, sensible, n'est certes pas du nombre des peintres qui abusent de la facilité d'exposer donnée aux modernes ! On regrette même sa discrétion. (…) Elle renouvela l'orientalisme quand les orientalistes nous en avaient lassés, à ne rechercher au pays du soleil qu'un pittoresque de bazar dans de faciles oppositions de lumière. Mlle Karpelès, visitant les Indes, les admirant d'un regard tout neuf, recherchait dans les paysages et les modèles surgis de toutes parts comme les thèmes ingénus d'une éternelle jeunesse du monde. Elle les traduisit avec un rare bonheur de sensibilité et son dessin, par ces exemples, acquit très vite cette fermeté que donne l'étude, aujourd'hui trop dédaignée, de l'antique, mais enrichi de cette audace d'expression que permet seul l'amour de la vie profonde du jour même, du jour qu'on vit intensément.

J'ai souvent cité ici le nom de Mlle Karpelès et, tout récemment, lorsque j'évoquais la petite phalange de ces peintres coloniaux dont l'art, mieux mis en valeur, serait un si efficace moyen de propagande. Entre tous ces peintres, Mlle Andrée Karpelès est, je pense, le plus certain poète. Elle nous en convainc mieux encore par ses illustrations qui sont de subtiles interprétations de quelques poèmes sacrés de l'Inde, mère des religions. Moderne par l'attitude que j'ai tenté d'indiquer, Mlle Karpelès n'est pas dangereusement obsédée du souci d'innover à tout prix elle se renouvelle en demeurant elle-même, traditionnaliste mais soumise au rythme de la vie. (André Salmon, « Les Arts », L'Europe nouvelle, 5 mars 1921, p.314)

 

Plusieurs articles citent des œuvres précises : « à Bénodet : Le village, Un bouquet d'arbres, à Saint-Marine : Le village, Les filets, L'Odet, à Kandy : Intérieur de temple, Les fleurs sacrées, Le vieux musicien et Le monastère d'Anuradhapura. » (E.H., « Exposition Andrée Karpelès », La Revue des beaux-arts, mars 1921, p.9)

 

Le Bouddha – sans date
Fusain et pastel sur papier gris, 50,5 x 32,1 cm
Bibliothèque de l’INHA, Paris
© Photo : Droits réservés

« Mlle Andrée Karpelès, une des rares femmes orientalistes de l’Ecole française. Ses tableaux, rapportés des Indes, quoique étant de petites dimensions, sont des visions très complètes et des représentations fidèles des spectacles magnifiques que ces pays offrent aux yeux des voyageurs, La Baie des Cocotiers à Colombo, Le Gange à Bénarès, Les Voiles Rouges séduiront par leurs chaudes harmonies. » (« Mlle Andrée Karpelès », The New York Herald, 23 février 1921, p.3)

 

Voyage du marchand arabe Sulaymân en Inde et en Chine
Bois gravé d’Andrée Karpelès, p.29
Editions Bossard, Paris, 1922

Andrée est aussi présente à la Nationale, puisque La Dépêche du Berry, du 20 avril 1921, y a remarqué « la ravissante Suzanne, de Mlle Andrée Karpelès ».  Et ses portraits de personnalités indiennes sont parfois repris dans la presse :

 

Publié in : Sciences et voyages, 5 mai 1921, p.13
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France


Et surtout, Andrée commence à être régulièrement citée au titre de ses illustrations d’ouvrages, notamment Contes et légendes du Bouddhisme chinois d’Edouard Chavannes qu’elle illustre de bois gravés :

 

Edouard Chavannes (1865-1918)
Contes et légendes du Bouddhisme chinois 
Bois gravé d’Andrée Karpelès – introduction
Editions Bossard, Paris, 1921

Edouard Chavannes (1865-1918)
Contes et légendes du Bouddhisme chinois 
Bois gravé d’Andrée Karpelèsp.109
Editions Bossard, Paris, 1921


Aux Indépendants de 1922, figure Le Miroir, en compagnie de deux autres toiles…

 

Le Miroir – 1920
Huile sur toile, 80 x 64 cm
Collection particulière (vente 2019)

… et à « Exposition toulousaine des artistes latins », elle montre à nouveau Le Tub et aussi La jeune fille au chat.

Au Salon d’Automne, dont elle est à présent sociétaire, elle n’expose d’un portrait mais elle est citée plusieurs fois dans la catégorie « Sélection du livre » du salon, avec l’éditeur Bossard et sa collection « les classiques de l’Orient ».

Le premier s’intitule Voyage du marchand arabe Sulaymân en Inde et en Chine, un texte rédigé en 851, qu’Andrée a illustré de très nombreux bois gravés, dont voici deux exemples.

 

Voyage du marchand arabe Sulaymân en Inde et en Chine
Bois gravé d’Andrée Karpelès, p.65
Editions Bossard, Paris, 1922


Voyage du marchand arabe Sulaymân en Inde et en Chine
Bois gravé d’Andrée Karpelès, p.69
Editions Bossard, Paris, 1922

Et elle a assuré la traduction de plusieurs autres : Les mains dans les fresques d'Ajanta de Samarendranath Gupta, et deux textes d’Abanindranath Tagore, L’Alpona et Sadanga ou les Six Canons de la peinture hindoue.

 




« Sadanga, ou les Six canons de la peinture indienne, a répandu à l'étranger la compréhension de l'art indien. Abanindra dit à la fin de son livre : "En mêlant les couleurs de notre âme avec le noir de notre encre, nous pouvons obtenir l'échelle de toutes les teintes… Ce n'est pas notre œil, mais notre esprit qui mélange les couleurs." » (Andrée Karpelès, « Abanindranath Tagore », The Aryan Path, vol. XXIII, n° 3, mars 1952, p.122)

 

En 1920, Andrée et sa sœur Suzanne avaient rejoint l’Association française des Amis de l’Orient (AFAO) qui participe à l’accueil à Paris de Rabindranath Tagore, lequel vient chercher des soutiens financiers pour son université de Santiniketan. En 1922, Andrée va rejoindre le poète à Santiniketan et enseigne à Kala Bhavan, l’école d’art associée à l’université de Tagore. Elle en profite pour portraiturer les membres de la famille, comme ce musicien, décrit ainsi : « Dinendranath assis sur un canapé tandis que son cerf de compagnie jette un coup d'œil à l'intérieur. » Un portrait qu’elle a peint et laissé sur place et qui s’y trouve probablement encore aujourd’hui.

 

Dinendranath Tagore (1882-1935)
Huile sur toile
Rabindra Bhavan (Musée Tagore), Santiniketan, Bengale-Occidental
(Source : Andrée Karpelѐs and Santiniketan: Letters from Flora Högman)

Andrée envisage alors de s’établir en Inde.

Mais, dans le bateau du retour, elle rencontre Carl Adalrik Högman, un éditeur suédois qu’elle épouse le 3 octobre 1923 (selon la mention portée sur son acte de naissance précité) et non en 1932, comme je l’ai lu presque partout. Cette date me paraît exacte pour une raison simple : c’est un portrait de Carl Högman qu’elle expose aux Indépendants de 1923, ce dont la presse porte témoignage :

« Le kimono du portrait de Mme Karpelès est traversé de rayures vert-pâle charmantes mais bien sages. » (« La mode aux indépendants », Monsieur : revue des élégances, …, janvier 1923, p.309) et je ne peux m’empêcher de penser que, surtout à l’époque, on ne peint pas un monsieur en kimono si on ne partage pas avec lui une certaine intimité…

 

Publié in : Monsieur : revue des élégances, …, janvier 1923, p.308
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France

Les deux autres œuvres présentées sont un Nu et une Nature morte, jugée « très solide » par Gustave Kahn (« Les Indépendants », Le Rappel, 9 février 1923, p.3).

Quant à son Nu, exposé à la Nationale, il a l’honneur d’une publication dans le catalogue illustré.

 

Publié in : Catalogue illustré de la Société nationale des Beaux-Arts, 1923, p.61
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France


Il a changé de titre aujourd’hui et se trouve, lui aussi, à Cambray.


Sur la véranda – SNBA 1923
Huile sur toile, 98 x 130,5 cm
Musée des Beaux-Arts, Cambray
© Photo : Musée des Beaux-Arts, Cambray


Enfin, au Salon d’Automne, ce sont deux Paysages du Bengale qu’expose Andrée et, plus précisément, de Santiniketan, des paysages à nouveau salués par Gustave Khan, dans La Lanterne du 1er novembre 1923.

Je les « illustre » avec trois paysages et une petite scène de village, peints par Andrée et représentant la campagne autour de Santiniketan, que sa fille aurait peut-être offerts à l'université après le décès d'Andrée (mais ce n'est pas très clair).

 

Paysage de Santiniketan – 1913
Support, technique et dimensions non précisés
Source : Andrée Karpelѐs and Santiniketan: Letters from Flora Hogman


Paysage de Santiniketan – 1913
Support, technique et dimensions non précisés
Source : Andrée Karpelѐs and Santiniketan: Letters from Flora Hogman


Paysage de Santiniketan – 1913
Support, technique et dimensions non précisés
Source : Andrée Karpelѐs and Santiniketan: Letters from Flora Hogman


Cette petite pochade représente différents personnages en train de puiser de l’eau dans un puit.

 

Scène de Santiniketan – 1913
Support, technique et dimensions non précisés
Source : Andrée Karpelѐs and Santiniketan: Letters from Flora Hogman

L’affection réciproque d’Andrée et des membres de la famille Tagore s’exprime dans une lettre que lui envoie Rabindranath Tagore, le 14 mai 1935 : « … bien que j'aie un grand amour pour votre grand scandinave, je ne peux pas lui pardonner de vous avoir enlevé à notre voisinage. Au fur et à mesure que mon âge avance, le désir en moi s'intensifie d’un contact proche avec les individus sur l’amour desquels je peux absolument compter. Le temps a été assez long dans mon cas pour que le processus d'élimination ait atteint sa finalité et que les quelques amis qui restent, comme les meilleurs cadeaux de la vie, deviennent immensément précieux. » (Source : Andrée Karpelès and Santiniketan: Letters from Flora Hogman, traduction personnelle)

 

A Paris, la vie continue avec son bal incessant de publications et salons divers.

Elle a ainsi assuré la traduction de Sous les manguiers, (légendes du Bengale) de Tapanmohan M. Chatterji, qu'elle a illustré de dessins d'après des miniatures anciennes. Deux d’entre eux sont reproduits dans L’Humanité du 30 décembre 1923, p.4.

 

Tapanmohan Chatterji, Sous les manguiers
Dessins d'Andrée Karpelès, p. 16, 33 et 42
Editions Bossard, 1923

Tapanmohan Chatterji, Sous les manguiers 
Dessins d'Andrée Karpelès, p.73, 81 et 97
Editions Bossard, 1923

Le Populaire du 1er janvier 1924 (p.4) publie une annonce pour « Un Doigt de la Lune, conte d'amour indou, mis en anglais d'après un manuscrit sanscrit par F.-W. Bain, traduit de l'anglais par Suzanne Karpelès et orné de frises et culs-de-lampe d’Andrée. »

En 1924 et 1925, elle participe aux Indépendants avec des toiles peintes en Inde et expose à nouveau avec la Société des Peintres Orientalistes Français, à la Galerie Georges Petit.

 

Village en Inde – sans date
Huile sur toile, 73 x 60 cm
Collection particulière (vente 2024)

Paysage indien – sans date
Huile sur carton, 37 x 45 cm
Collection particulière (vente 2024)


Jeune Indienne – sans date
Huile sur toile, 73 x 60 cm
Collection particulière (vente 2023)


Andrée participe aussi à l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de Paris en 1925. Je n’ai pas trouvé ce qu’elle y a montré mais il est certain, en revanche, qu’elle y a reçu une médaille de bronze. (Liste des récompenses, p.104)

En 1926, l’adresse qui apparaît sur le catalogue des Indépendants comporte la mention « Chitra », 20 rue Mahias à Boulogne-sur-Seine. Chitra, c’est le nom de la maison d’édition qu’Andrée et son mari créent alors qu’ils sont encore en région parisienne. Mais, pour l’heure, Andrée continue sa collaboration avec les éditions Bossard.

« Les larmes du Cobra, Le cobra était préposé à la garde d’un trésor caché au fond d’une caverne. Il fallait, pour s’en rendre maître, offrir en ce lieu le sacrifice de quatre-vingt-dix-neuf êtres vivants. Le sol était rouge du sang versé, mais vainement : nul n’atteignait le chiffre prescrit avant d'être massacré à son tour. (…) Mademoiselle Enid Karounaratné est une jeune institutrice cinghalaise qui, chaque jour, se rend de Colombo dans un village des environs, pour apprendre à lire aux enfants bronzés. Elle les a interrogés, ainsi que leurs parents et leurs grands-parents. Des légendes qu’elle a ainsi apprises, elle a fait un petit livre dont Mme Andrée Karpelès nous donne une délicate traduction française. Je viens de résumer la première, qui donne son titre au recueil. » (Louis Laloy, L'Ère nouvelle, 10 mars 1926, p.3)

 

Illustration d’Andrée Karpelès pour « Les Innocents de Tumpané »
Extrait des Larmes du Cobra
Publié in : Une semaine de Paris, 26 février 1926, p.100
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France

Mais cette année-là, on entend surtout parler d’un autre ouvrage, édité chez Bossard : « Ghazels, traduits du Persan par Marguerite Ferté, et ornés par Andrée Karpelès. Ce petit volume est une chose parfaitement harmonieuse. Ces Ghazels ont une grâce tendre, spirituelle, exquise dans leur passion mélancolique. Il leur fallait une présentation discrète, enveloppante, de pur style persan. Les dessins d’Andrée Karpelès ont réussi à ajouter au charme du texte le charme d’un accompagnement véritablement musical. Ce petit livre est un enchantement typographique. » (« Conseil de lecture », Alger-mondain : revue de la quinzaine : arts, littérature, théâtre, sports et tourisme, 18 décembre 1926, p.16)



« En arabe ghazel veut dire « propos de galanterie, poésie érotique », mais dans la rhétorique persane le terme a un sens plus étroit : un ghazel sert d'habitude à exprimer l'amour mystique, et il est toujours assujetti à certaines exigences de forme. D'abord le poète est tenu de faire résonner la même rime à travers toute la pièce. Cette règle, quelque importune qu'elle nous paraisse, n'embarrasse aucunement les versificateurs orientaux et la constance de la syllabe chantante revenant à la fin de chaque vers fait les délices des aficionados. Une autre loi imprescriptible veut que le poète mentionne à la fin son "nom de plume" comme une sorte de garantie d'origine. (…) L'ornementation de ce petit recueil est parfaitement réussie ; les vignettes de Mme Andrée Karpelès, couvrant toute la marge, et exactement équilibrées avec le texte, témoignent d'une étude approfondie des chefs-d'œuvre de la miniature persane et démontrent qu'on peut faire un livre admirable avec des procédés très simples : il n'y faut que du goût et de la hardiesse. C'est assurément un des plus jolis livre de l'année ; je dirai même, de beaucoup, le plus joli des livres à bon marché. » (V. Minorsky, Revue des Arts asiatiques, 1er mars 1926, p.107)

 


« Ghazels : Un bijou de bibliophiles » (Les Tablettes d'Avignon et de Provence, 7 janvier 1927, p.5)

Et puis, il y a les Indépendants où Andrée expose six toiles anciennes. L’une d’entre elles, datée de 1912 dans le catalogue, s’intitule Femme au chat


Femme au chat – avant 1931
Huile sur toile, 130,5 x 90 cm
Musée des Beaux-Arts de Rouen
© Photo : Musée des Beaux-Arts de Rouen


… et une autre, datée de 1920, Femme au perroquet. En voici une qui n’est peut-être pas la bonne. Mais je remarque qu’on y voit le même petit perroquet vert et rouge qui figurait déjà dans Maître et disciple, Bénarès… 

 

Femme nue au perroquet – sans date
Huile sur toile, 87 x 75 cm
Collection particulière (vente 2023)


En 1927, Andrée participe au Salon du Franc (pour soutenir la monnaie nationale) avec une huile intitulée Marin qui sera acquise par l’Etat (et se trouve aujourd’hui à la Maison franco-japonaise de Tokyo).

Une autre publication fait couler beaucoup d’encre :

Publié in : L'Hygiène par l'exemple, 1er mars 1927, p.100
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France

« Cet ouvrage est non seulement nouveau mais unique ; sous une forme extrêmement simple, il résout un des problèmes les plus complexes de l'éducation des tout petits. Pour la première fois, en effet, dans un livre d'enfant, les auteurs substituent aux contes du passé sur le chou et la cigogne, l'histoire beaucoup plus merveilleuse du petit créé par la mère, uni à elle par des liens de reconnaissance et d'affection antérieurs à sa vie même. Les fraîches aquarelles d'Andrée Karpelès complètent heureusement le texte et donnent à l'album une valeur artistique. » (L'Hygiène par l'exemple, 1er mars 1927, p.100)

Dans l’illustration qui suit, c’est moi qui ai remplacé l’image de la chatte en n&b par la même, en couleur, trouvée sur un autre site.

 

Publié in : Vers la santé / Ligue des Sociétés de la Croix-Rouge, 1er mai 1927, p.183
Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France

« D'une façon digne et élevée, avec une pureté qui n'exclut pas une certaine audace, Madame le Dr Montreuil-Strauss a, dans « Maman, dis-moi... », cherché à donner aux mères de famille le moyen de répondre comme il convient à la curiosité de leurs enfants. Son album constitue un essai louable de substituer au conte du passé sur le chou et la cigogne, l'histoire vraie et beaucoup plus merveilleuse du petit être créé par la mère. Nous donnons ici la reproduction de deux des aquarelles qui illustrent l'album, accompagnés du texte qui leur fait vis-à-vis. » (Vers la santé / Ligue des Sociétés de la Croix-Rouge, 1er mai 1927, p.183)

Ne croyez pas que ce fut si simple. Des années plus tard, les bibliothèques municipales ne plaçaient toujours pas le volume en accès direct, pour ne pas scandaliser les familles…

 

Les Indépendants de 1928 nous apprennent qu’Andrée a probablement décidé d’aller découvrir le pays de son mari. Elle y expose de nombreuses toiles de Suède et de Laponie. Sur ce thème, ma moisson est un peu mince…

 

Les meules n°2, Suède – sans date
Huile sur panneau, 44 x 53 cm
Collection particulière (vente 2024)

C’est aussi cette année-là que paraît le premier volume de la collection Feuilles de l’Inde des éditions Chitra, dont Andrée réalise les illustrations. Il s’intitule L'Inde et son âme : écrits des grands penseurs de l'Inde contemporaine et constitue le premier jalon de la démarche du couple : donner la parole aux penseurs de l’Inde contemporaine et soutenir leur combat émancipateur. On y trouve des textes de Rabindranath Tagore…

 

L'Inde et son âme : écrits des grands penseurs de l'Inde contemporaine…, p.53
Editions Chitra, Boulogne-sur-Seine, 1928


… d’Abanindranath Tagore…

 

 

L'Inde et son âme : écrits des grands penseurs de l'Inde contemporaine…, p.71
Editions Chitra, Boulogne-sur-Seine, 1928


… et des textes sur les arts et la littérature indous.

L'Inde et son âme : écrits des grands penseurs de l'Inde contemporaine…, p.94
Editions Chitra, Boulogne-sur-Seine, 1928

 

« Claude-Fayard vous parlera prochainement ici de l'Inde et son âme. Le premier cahier - un gros volume de très parfaite présentation - vient de paraître ; il s'agit d'un choix d'écrits des grands penseurs de l'Inde contemporaine. Cet ouvrage est rehaussé de quarante compositions décoratives de Mme Andrée Karpelès. Il fait partie des publications Chitra. Je tiens à signaler cet effort qui fait honneur, à l'édition française. » (La Semaine à Paris, 10 août 1928, p.31)

 

A partir de 1929, Andrée ne paraît plus aux Indépendants et il devient manifeste que la peinture n’est plus centrale dans son existence, même si elle participe ponctuellement au Salon d’Automne, souvent avec des paysages, qu’elle signe parfois, comme celui-ci, Karpelès Högman.

 

Paysage avec promeneur – après 1923
Gouache sur papier, 24 x 33 cm
Collection particulière (vente 2024)


Elle s’investit de plus en plus dans le soutien à l’indépendance indienne :

« Dans La Paix par le droit (septembre 1930), on lit avec un vif intérêt, de Mme Andrée Karpelès-Hogman, une "Lettre sur l’Inde", où elle signale un certain nombre de travaux récents relatifs au soulèvement actuel des Hindous contre le gouvernement britannique, « cette machine inhumaine, ses fautes, ses injustices et ses cruautés » (« Histoire de la Grande Bretagne », Revue historique, 1er septembre 1930, p.393)

La fin de la lettre est reproduite dans la Revue spirite : journal d'études psychologiques, du 1er novembre 1930 (p.517) : « Aujourd’hui, l’Inde est prête à donner au monde une leçon encore plus grande : le triomphe de la force morale sur la force armée. L’Europe la laissera-t-elle donner cette leçon ? (…) Une femme travaille actuellement en silence, aux Indes (…) c’est Mira Baï (en Angleterre Miss Madeline Slade), fille de l’amiral qui commandait la flotte en guerre anglaise. Elle veille sur l’ermitage de Gandhi, en l’absence du Mahatma. Dans un des derniers numéros de la Modern Review, de Calcutta, l’on peut voir une petite photographie d’elle, drapée dans son simple sari blanc, et le visage illuminé par un sourire de Sainte de vitrail… Parmi les rocher arides de Saint-Guénolé se dresse le grand phare d’Eckmül, élevé par la fille du Général Davout, afin que sa lumière puisse sauver les marins en péril pour compenser un peu toutes les vies détruites par son père, pendant les guerres napoléoniennes. »

 

Andrée et son mari quittent Paris vers 1933, date à laquelle les publications de Chitra changent d’adresse : Mouans-Sartoux, une petite ville entre Cannes et Grasse où ils s’installent au mas Dalkôta, selon les catalogues.

C’est là qu’ils éditent la troisième « Feuilles d’Inde » : Poupée de Fromage d’Abanindranath Tagore.

« Tous ceux qui s'intéressent aux choses de l'Inde connaissent le grand talent de Mme Andrée Karpelès, qui a donné déjà de nombreuses et excellentes traductions (…) tous ces ouvrages sont illustrés de dessins dont le caractère purement hindou montre la perfection avec laquelle Mme Andrée Karpelès a su se pénétrer de la manière orientale, où elle nous paraît surpasser tous les autres artistes européens. L'illustration de la Poupée de Fromage consiste en délicieux bandeaux et culs-de-lampe placés au début et à la fin des trente-huit courts chapitres. » (G. H. Monod, Bulletin de l'Agence économique de l'Indochine, janvier 1933, p.245)

 

A l’évidence, au cours de ces années, c'est principalement la situation de l’Inde qui mobilise Andrée « Je viens d’avoir la bonne fortune de rencontrer, chez Mme Andrée Karpelès, Rabhindranath Tagore, le fils de l’illustre poète de l'Inde. Il a bien voulu me donner lecture du rapport qu’il venait de rédiger sur l'œuvre accomplie par son père et ses collaborateurs à Santiniketan et à Sriniketan afin de le remettre à quelques parlementaires anglais sympathiques à la cause de l’Inde. (…)

Pour bien comprendre les résultats obtenus par Tagore à Santiniketan et à Sriniketan, m'explique Mme Andrée Karpelès, il faut, comme moi, avoir connu à leurs débuts ces fondations lorsque le poète voulut bien me demander de venir enseigner à ses élèves les procédés européens de la gravure sur bois : je suis confondue par tout ce que l’on y a accompli au cours de ces dix dernières années. Santiniketan était une sorte de désert situé dans la plaine du Bengale à la terre fendillée par la sécheresse après la saison des pluies infestée de moustiques. (…)

Tagore ne s’est pas contenté d’être un poète aussi célèbre en Europe et en Amérique que dans son propre pays, il a voulu travailler de toutes ses forces au relèvement de l'Inde, mais il est trop imprégné de la culture de l’Occident pour la rejeter en bloc. S’il ne veut pas faire des Hindous les singes des Anglais, tout en essayant de les maintenir dans leurs traditions, il s'efforce de leur inculquer notre esprit d'organisation, de discipline et notre énergie. Il a consacré toute sa fortune et ce que lui rapportaient la vente de ses livres et les conférences qu’il faisait en Europe et en Amérique à ces deux créations : l'Université de Santiniketan (Séjour de la Paix), et l’Ecole de reconstruction rurale de Sriniketan (Séjour de Cérès). (…)

Mais c’est surtout Sriniketan qui a pris un développement considérable. On y a créé des laboratoires où des hommes de science hindous étudient la malaria et font des prélèvements pour les analyses : les étudiants pauvres sont admis. Un dispensaire pour six lits a été fondé avec des dons généreux : il a reçu plus de 5. 000 malades. (…)

Grâce aux efforts de Mme Pratina Divi et de quelques femmes hindoues éminentes, l’âge du mariage pour les filles a été retardé jusqu’à quinze ans. Les écoles villageoises ne se proposent pas seulement d’instruire les enfants, mais de faire d’eux des artisans rendus indépendants par le travail de leurs mains ; un peu à la manière de la Russie soviétique, ils apprennent à se gouverner eux-mêmes et acquièrent une grande liberté d’action ; ils accomplissent ainsi un travail d’exploration et font une riche récolte d’expériences nouvelles. On développe en eux le sentiment de la maîtrise, de l’organisation, de la préservation individuelle, en même temps que le sens de la vie de famille et de la communauté. On leur apprend à tisser leurs vêtements, leurs tapis, leurs couvertures, à tailler les habits, à construire les maisons, à modeler des pots, faire des briques aussi bien que des instruments de musique, à jardiner, cultiver non seulement à la main, mais en employant les machines. On les initie aussi aux affaires commerciales et bancaires dans la mesure compatible avec l’existence villageoise à laquelle ils sont destinés. Cet enseignement vivant, expérimental est infiniment supérieur à l’enseignement primaire et purement livresque auquel sont soumis les petits Français. (…)

Bien entendu, à l’Université de Santiniketan, comme à la grande Ecole de reconstruction villageoise de Sriniketan, il n’est pas question de castes ; il n’y a plus d’intouchables, de rivalité de race et de religion. Ainsi qu’il est chanté dans l’hymne bengali Jana Gava Mana, dont les paroles et la musique ont été composées par Tagore et qui est devenu le chant national de l’Inde :

Jour et nuit, ta voix parcourt le pays /Appelant hindous, bouddhistes, siks et janis auprès de ton trône. Et aussi les Parsis, les musulmans et les chrétiens.

La vrai vie de la communauté hindoue avait disparu depuis longtemps ! Tagore essaye de la reconstituer sur les mêmes bases, mais avec un esprit et des moyens nouveaux :

La nuit s’efface, le soleil se lève vers l’Orient / Effleurée par les rayons dorés de ton amour / L’Inde s'éveille et s'incline vers tes pieds / O Roi des rois, ô protecteur des destinées de l'Inde / Victoire, victoire, victoire à toi ! » (Claire Charles-Geniaux, « Le réveil de l'Inde », Le Petit Marseillais, 6 juin 1935, p.1)

Jusqu’à la fin des années 1930, Andrée ne participe plus qu’au Salon d’Automne. La dernière toile que j'ai trouvée d’elle, ce portrait de jeune femme, y fut présentée en 1935.

 

 

Rita – 1934
Huile sur toile, 81,5 x 65 cm
Collection particulière (vente 2021)

Andrée est entièrement concentrée sur la vie du mas Dalkôta où elle a ouvert une école de gravure tout en continuant à illustrer les ouvrages édités par son mari, comme Vieilles ballades du Bengale, signalés par Les Cahiers du Sud, le 1er février 1940.

La ville de Grasse, via sa médiathèque Villa Saint-Hilaire, conserve aujourd’hui les archives des travaux d’Andrée de cette période.

 

© Photo : Collection Villa Saint-Hilaire, Grasse


© Photo : Collection Villa Saint-Hilaire, Grasse


© Photo : Collection Villa Saint-Hilaire, Grasse


Pendant la Seconde Guerre mondiale, Andrée et son mari recueillent une enfant juive nommée Flora Hillel, qu’ils sauvent ainsi de la déportation auxquels ses parents n’ont pas échappé. Ils l’adopteront après le conflit. Il semble qu'elle ait fait beaucoup pour entretenir la mémoire de sa mère, notamment auprès des successeurs des Tagore à Santiniketan.

 

Après-guerre, le couple s’installe à Grasse où Andrée Karpelès est morte le 5 septembre 1956.

On ne connait plus guère, aujourd’hui, le nom de cette artiste attachante par la passion qu'elle a mis à faire connaître l'art et la philosophie de son pays de cœur,  même si ses œuvres ont été présentées dans quelques expositions, comme « Peintures des lointains », en 2018 au Musée du quai Branly. Je l’ai découverte à l’occasion d’une exposition intitulée « Artistes voyageuses, l’appel des lointains (1880-1944) », au Palais Lumière d’Evian (du 11 décembre 2022 au 21 mai 2023), puis du 24 juin au 5 novembre 2023 au Musée de Pont-Aven.

Je n’ai pas à me prononcer sur la qualité scientifique d’une exposition qui a associé des artistes que rien, ni dans leur démarche, ni dans leur engagement, ne relient vraiment, sauf le fait d’être des femmes et d’avoir voyagé dans des pays plus ou moins lointains. On y voyait même Ismaël de Virginie Demont-Breton (voir sa notice), laquelle a fait un unique voyage en Algérie avec son mari en 1895 et peut difficilement être considérée comme une artiste « voyageuse ». Sans compter que je ne vois pas bien non plus ce qui rapproche deux artistes comme Lucie Cousturier et Pan Yuliang, dont vous pouvez aussi explorer les carrières respectives sur ce blog… Mais bon, disons qu’à ce stade, toutes les occasions de montrer des artistes méconnues sont bonnes à prendre, même si, à l’évidence, il reste beaucoup à faire et étudier…

*

Il me reste à remercier chaleureusement le musée Guimet et les musées des Beaux-Arts de Limoges et de Rouen pour leur bienveillante collaboration à ma modeste entreprise, grâce aux photographies qu’ils ont bien voulu me transmettre !


Et je termine, comme il se doit, par deux petites natures mortes, lesquelles symbolisent assez bien les deux aspects de l'œuvre d’Andrée : celui de la peintre française, ancienne élève de l’Académie Julian, et celui de la graveuse, inspirée par l'amour de sa seconde patrie.

 


Fruits et œillets d'Inde – sans date
Huile sur toile ovale, 60 x 81 cm
Collection particulière (vente 2023)


Voyage du marchand arabe Sulaymân en Inde et en Chine
Bois gravé d’Andrée Karpelès, p.44
Editions Bossard, Paris, 1922

 

 

*

 

 

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